jeudi 25 avril 2024

2 février 1943 : derniers combats à Stalingrad

La Garde Rouge à Stalingrad

Alors que la VIe armée allemande se trouve encerclée dans Stalingrad en 1942, la 13e division de la Garde de l’Armée rouge est lancée en avant pour bloquer l’avance allemande et va se montrer digne des traditions militaires les plus hautes.

Vassili Tchouïkov.

Dans la soirée du 15 septembre 1942, au faîte de la phase la plus cruciale de la bataille de Stalingrad, le général Vassili Ivanovna Tchouïkov, commandant la LXIIe armée soviétique, quitte son quartier général, le bunker Tsaritsyn pour se rendre compte lui-même du cours des combats. Dans la rue Pushkinskaya, ou plutôt ce qu’il en reste après plusieurs semaines de combats continus, Tchouïkov rencontre un jeune officier de l’Armée rouge. « Lieutenant, où sont vos hommes ?, lui demande-t-il. Ici, il y a un travail pour vous. Les Allemands doivent déguerpir de la gare. Est-ce clair ? »

Le jeune officier, le lieutenant Anton Kuzmich Dragan réunit tout son monde et part vers la station centrale de chemin de fer pour exécuter l’ordre de Tchouïkov. Son unité, la 1re compagnie du 1er bataillon du 42e régiment d’infanterie de la 13e division de la Garde, égarée parmi les cendres et les lourds nuages de fumée qui montent de la ville en ruine, a perdu tout contact avec le quartier général. C’est seulement longtemps après la fin de la guerre que Tchouïkov apprit que l’unité avait été simplement anéantie dans la violente bataille pour le contrôle de la gare durant ces jours cruciaux de la mi-septembre.

La gare a déjà changé plusieurs fois de mains depuis que l’armée allemande est entrée dans Stalingrad le 23 août. Quand les hommes de Dragan donnent l’assaut à travers les décombres, les Allemands se retirent, croyant être attaqués par une force soviétique plus importante. Réalisant leur erreur, les Allemands contre-attaquent plusieurs fois pendant la nuit, mais la compagnie de Dragan les repoussent à chaque fois. Aux premières heures du 16 septembre apparaissent dans le ciel les implacables bombardiers en piqué allemands, les Stukas, et la gare de chemin de fer est touchée par des centaines de bombes, accompagnées par les obus d’un important pilonnage d’artillerie. L’extérieur de la gare est transformé en enfer, pourtant l’infanterie allemande se montre incapable de repousser les Russes.

Comme base de leurs assauts répétés contre la gare de chemin de fer, les Allemands occupent un bâtiment connu des hommes de Dragan sous le nom « d’usine de clous » parce que de nombreux approvisionnements en clous y ont été trouvés. Dragan décide de contre-attaquer et, sous la protection d’un tir de mortier, ses hommes prennent d’assaut l’usine à clous. Ils parviennent à investir un de ses ateliers, mais des combats avec leurs adversaires, qui contrôlent le reste du bâtiment, provoquent de lourdes pertes dans chaque camp.

Non seulement la 1re compagnie de Dragan, mais aussi le 1er bataillon tout entier ont été durement malmenés par les Allemands. Le taux de perte parmi les officiers s’avère énorme, et, le 17 septembre, le lieutenant Fedoseyev prend le commandement du bataillon, alors que son prédécesseur, le lieutenant Chervyakov, souffrant de sérieuses blessures, est évacué sur la rive est de la Volga.

À l’intérieur de l’usine à clous, des combats intenses, courts et brutaux, sont menés pour la possession d’un atelier ou d’une cage d’escalier. Chaque camp utilise des grenades, des poignards, des crosses de fusils et des pelles de tranchées aux bords aiguisés, pour le combat. Les approvisionnements soviétiques en munitions sont très insuffisants, mais un de leurs plus grands problèmes reste le manque d’eau. Pour étancher leur soif, les hommes de l’Armée rouge tirent dans les tuyaux d’écoulement pour voir s’ils contiennent encore quelques gouttes. Effort, hélas ! inutile et les blessés gisent, tourmentés par la soif, alors que les combats se poursuivent un peu partout.

Le 21 septembre, une poussée allemande coupe en deux le bataillon soviétique. Fedoseyev et tout son état-major tombent au cours d’un combat au corps à corps lorsque le poste de commandement est envahi. Sous le commandement de Dragan, le reste de l’unité commence à se replier, mètre par mètre, vers le fleuve, disputant chaque pouce de terrain à l’ennemi. Les rescapés de la compagnie de Dragan sont totalement isolés. Les avions et les chars allemands pilonnent les ruines, opiniâtrement défendues, d’un bâtiment à trois étages au coin des rues Krasnopiteskaya et Komsomolskaya, dans lesquelles ils se sont retranchés. Dragan tient bon pendant plus de quatre jours, mais dans la matinée du 25 septembre il ne reste comme survivants que lui et dix de ses hommes. La nuit précédente, un lieutenant et un simple soldat se sont enfuis de l’autre côté de la Volga, et ont affirmé que leurs camarades ont tous été tués. Pourtant les survivants résistent encore !

Dragan tire le dernier chargeur de 250 cartouches de mitrailleuse lourde quand une section de soldats allemands est conduite juste devant sa position par un prisonnier soviétique. Celui-ci payera d’ailleurs ce geste courageux ; une heure plus tard, les Allemands lui tireront une balle dans la tête face à Dragan et ses hommes.

Tout à coup, les Russes entendent le grondement des chars allemands. Certain qu’il va mourir avec tous ses camarades, le soldat Kozhushko, l’ordonnance de Dragan, grave sur le mur avec son couteau « Les hommes de la Garde de Rodimtsev se sont battus et sont morts ici pour leur pays. » Dès les premiers obus allemands, le bâtiment en ruine tremble et s’effondre, ensevelissant la minuscule garnison soviétique. Dragan perd connaissance ; quand il revient à lui, il a été tiré de sous les décombres par le soldat Kozhushko. Il reste six rescapés dans le sous-sol qui doivent, à mains nues, creuser leur chemin vers la surface.

Quand ils émergent, la nuit est tombée et l’obscurité les protège. Kozhushko, le moins sérieusement blessé, part pour reconnaître le terrain. De retour, il signale qu’il y a des patrouilles allemandes aux alentours, et que la rive ouest de la Volga a été minée. Les survivants décident de forcer le passage, mais, comme ils s’avancent sous un ciel éclairé par la lune, ils se trouvent face à une patrouille allemande, et ils sont obligés de regagner leur refuge souterrain. Quand les nuages masqueront la lune, ils pourront reprendre leur tentative.

Illustration de Johnny Shumate.

Kozhushko rampe et poignarde une sentinelle allemande

Une fois encore, leur chemin se trouve barré. Kozhushko rampe en avant et poignarde une sentinelle allemande. Il lui enlève sa capote, l’endosse et s’approche d’une seconde sentinelle. Ne se doutant de rien, l’homme est aussi silencieusement mis hors de combat que son camarade. Dragan et ses hommes se déplacent de chaque côté d’une voie de chemin de fer, à travers un champ de mines et descendent vers la Volga. Après avoir bu de l’eau glacée pour étancher leur soif, ils décident de construire un radeau de fortune et, ensuite, ils le mettent à l’eau en aval, en direction d’une île, où ils sont recueillis par des artilleurs soviétiques, et se trouvent enfin en sécurité.

Cet épisode est un exemple des pertes effroyables subies par les unités de la 13e division de la Garde, en septembre 1942, dans le secteur central de Stalingrad. Cette 13e division de la Garde, qui était à l’origine le 3e corps aéroporté, a été détachée de la réserve centrale de l’armée soviétique pour rejoindre le front de Stalingrad le 9 septembre, deux semaines et demie après le début de la bataille.

Le VIIIe corps aérien allemand a déclenché un terrible bombardement aérien sur la ville le 23 août.

Le même jour, des fusils et des munitions sont distribués aux ouvriers des usines de Stalingrad, qui reçoivent l’ordre de se préparer à défendre leurs usines. Ce soir-là, le 79e régiment allemand d’infanterie motorisée atteint Spartanovka, dans la banlieue de Stalingrad et, le 24 août, l’usine de tracteurs.

Staline refuse l’idée d’une évacuation massive des civils de la ville menacée ; de cette façon, il oblige les défenseurs à se battre jusqu’à la mort, ce qui va avoir une influence décisive sur le cours de la guerre. Durant la fin août et le début de septembre, la situation dans Stalingrad devient de plus en plus dramatique. Le 12 septembre, Hitler et Staline tiennent conférence avec leurs états-majors. Le général Fiedrich von Paulus, le commandant de la VIe armée allemande, a l’ordre de lancer une offensive d’envergure pour s’emparer de la ville le 15 septembre, tandis que dans le camp soviétique, le général Joukov et le général Vassilevsky doivent élaborer un plan qui permettra la contre-offensive soviétique de novembre 1942, et l’anéantissement de la VIe armée. Comme mesure immédiate, Staline donne l’ordre à la 13e division de la Garde, forte de 10 000 hommes, commandée par le général de brigade Alexandre Ilyich Rodimtsev, vétéran de la guerre d’Espagne et héros de l’Union soviétique, de traverser la Volga en direction de Stalingrad et de contenir l’offensive allemande à tout prix.

La division de Rodimtsev arrive dans la zone de feu quand un obus allemand enflamme une péniche près du point d’embarquement

Regroupée dans une forêt de sapins sur la rive est de la Volga pendant la nuit du 14 au 15 septembre, la division de Rodimtsev arrive dans la zone de feu quand un obus allemand enflamme une péniche à demi émergée près du point d’embarquement. Tout le terrain est illuminé et les canonniers allemands le pilonnent rapidement. Rodimtsev ordonne une traversée immédiate, et la première unité à franchir la Volga est le bataillon du lieutenant Chervyakov.

Les hommes traversent le fleuve sous un déluge de feu. Alors qu’ils s’approchent de la rive ouest, ils hissent leurs bateaux hors de l’eau et les traînent à terre. Sitôt débarqués, ils vont droit à la bataille qui se déroule dans l’étroite bande de terre encore aux mains de l’Armée rouge. Les hommes de la Garde relèvent les survivants d’une unité de la NKVD, forces de sécurité, sous les ordres du colonel Petrakov, qui a tenté de lancer une contre-attaque contre un point fort allemand situé dans l’immeuble de la Banque d’État. Dans un terrible combat au corps à corps, la 13e division de la Garde établit une petite tête de pont, mais elle est incapable de s’établir en position défensive, et se trouve obligée de mener une bataille à découvert pour contrôler quelques bâtiments clés dominant le secteur.

À l’aube du 15 septembre, les bombardiers en piqué allemands sont capables d’empêcher la traversée de toute autre unité de la Garde. Les unités déjà en position, les 34e et 39e régiments, le 1er bataillon du 42e régiment se préparent, de leur côté, à rejeter la 71e division d’infanterie allemande de la gare centrale, et la 295e division d’infanterie de la hauteur imposante de Mamayev Kurgan — une colline au nord du centre-ville. Dans la matinée du 15 septembre, les pentes inférieures de Mamayev Kurgan sont prises par les fusiliers soviétiques de la 13e division de la Garde, mais le sommet se trouve encore aux mains des Allemands.

À l’aube du matin suivant, après un tir d’artillerie soviétique d’une dizaine de minutes, le 42e régiment prend d’assaut les pentes de Mamayev Kurgan. Trente hommes, sous les ordres du lieutenant Vdovichenko, ont pour mission de museler les mitrailleuses allemandes installées au sommet de la colline. La mission sera accomplie, mais seuls six hommes de la Garde y survivront. Une vigoureuse contre-attaque allemande est alors menée par l’infanterie soutenue par des chars et des Stukas. Le combat continuera tout l’hiver pour la possession de Mamayev Kurgan, mais du 16 septembre jusqu’à la reddition allemande de février 1943 la position restera aux mains des Soviétiques, empêchant les Allemands de contrôler le franchissement du fleuve.

Le tireur de précision Vassili Zaïtsev en couverture (à gauche) du livre de Jean Lopez.

La tactique soviétique consiste à tenir les usines, les maisons et les bâtiments publics comme des forteresses fermées, véritables « brise-lames », sur lesquels s’écrasent les assauts ennemis. Les chars allemands sont canalisés vers de véritables pièges où veillent des hommes armés de fusils antichars et de grenades, ou bien aiguillés vers des zones battues par l’artillerie soviétique. Après la destruction des chars, leur support d’infanterie devient une proie pour les troupes soviétiques opérant à partir de ces points forts. De nombreux tireurs d’élite sont utilisés dans chaque camp. Le plus fameux tireur d’élite soviétique, Vassili Zaitsev, tuera ainsi 242 Allemands pendant la bataille de Stalingrad.

De jour, les tireurs d’élite et la supériorité aérienne allemande au-dessus de Stalingrad empêchent tout mouvement ; la plupart des combats ont donc lieu pendant la nuit. Le ciel est alors éclairé par les flammes des incendies allumés dans les ruines, et le bruit de la bataille devient infernal. Beaucoup d’hommes vont devenir fous !

Du 15 au 26 septembre, les fusiliers de la 13e division de la Garde ont à supporter tout le choc de la poussée allemande en direction de la Volga. Paulus, en effet, décide de déplacer la force principale de son offensive en direction des banlieues ouvrières situées au nord de Stalingrad. Comme Tchouïkov le reconnaîtra plus tard : « Laissez-moi dire franchement que s’il n’y avait pas eu la division de Rodimtsev, la ville aurait pu tomber entièrement aux mains de l’ennemi, vers la mi-septembre. »

Même après le 26 septembre, la division de Rodimtsev subira une forte pression, et le 1er octobre, elle sera en butte à un nouvel effort allemand pour traverser la Volga et couper en deux la LXIIe armée, cette fois par une percée à travers les lignes soviétiques le long des ravins de Dolgi et de Krutoy. Au même moment, quelque 300 soldats allemands de la 295e division d’infanterie s’infiltrent sur les arrières du 34e régiment de la Garde lors d’un assaut épuisant. Cette force allemande sera entièrement mise hors de combat dans la matinée du 2 octobre.

Même si le champ de bataille principal se transporte vers le nord durant la fin de septembre, le secteur tenu par la 13e division de la Garde reste une position critique pour toute la défense soviétique, et il se voit encore disputé âprement. Cherchant à renforcer les moyens de la division, le 28 septembre, le colonel Yelin, commandant le 42e régiment, expédie un groupe d’hommes sous la direction du sous-lieutenant Zabolotnov, pour prendre et fortifier deux bâtiments dominant le square Lénine, près des ruines du silo à grains. Zabolotnov occupe le premier bâtiment, qui, après sa mort au combat, restera quand même aux mains des Soviétiques et portera son nom.

Le second bâtiment, une suite d’appartements durement endommagés face à la rue Solechnaya, est occupé par trois hommes, sous le commandement du sergent Jacob Pavlov. Ce petit groupe s’approche du bâtiment en rampant prudemment au milieu de la cour parsemée de décombres. Après avoir lancé quelques grenades, ils pénètrent dans le rez-de-chaussée en tirant des rafales de pistolet-mitrailleur. La poignée de soldats ennemis encore vivants se retire en toute hâte.

Les chars allemands vont attaquer plusieurs fois la « maison de Pavlov », mais ils sont incapables de l’encercler car les défenseurs ont miné les alentours du bâtiment. L’unité de Pavlov, forte ensuite de quelque 60 hommes, tiendra bon pendant 58 jours contre tout ce que l’armée allemande tentera contre elle, et elle sera finalement reliée aux lignes principales de l’Armée rouge par plusieurs tunnels, par lesquels approvisionnements et renforts pourront être acheminés. Pavlov sera nommé plus tard Héros de l’Union soviétique.

Le 19 novembre 1942, la contre-offensive soviétique, soigneusement préparée, va écraser les faibles flancs de la VIe armée allemande composés d’unités roumaines et italiennes et encercler les forces du Reich. À l’intérieur de Stalingrad, la farouche bataille se poursuivra durant le dur hiver russe. Le 26 janvier 1943, les chars de la LXVe armée soviétique brisent les positions de l’armée affamée et déguenillée de von Paulus en liaison avec les hommes de la LXIIe armée de Tchouïkov.

Le 2 février, toute résistance dans la ville est anéantie, et les soldats allemands, roumains et italiens marchent vers une captivité, dont peu reviendront.


La formation qui devint finalement la 13e division de la Garde fut à l’origine le 3e corps aéroporté, puis la 87e division d’infanterie. En mai 1942, lorsqu’elle subissait de lourdes pertes, pendant l’offensive soviétique manquée du printemps, elle reçut le titre convoité de « division de la Garde ». L’habitude du haut commandement soviétique était de conserver sur la ligne de front une unité jusqu’à ce qu’elle soit totalement épuisée. Durant la bataille de Stalingrad, la 13e division de la Garde était lancée dans un combat désespéré pour arrêter la redoutable avance allemande. Malgré un relatif manque d’expérience et le faible niveau d’entraînement de l’Armée rouge, la 13e division de la Garde se comporta héroïquement à Stalingrad. Cela provenait, entre autres, du fait que ses hommes ne pouvaient espérer aucune clémence de l’ennemi. La force du sentiment patriotique dans l’Armée rouge durant cette période, ne peut, d’autre part, être niée. De plus, l’importance des pertes obligea des officiers subalternes à prendre le commandement d’unités importantes, qu’ils dirigeaient du mieux possible jusqu’à ce qu’elles se conduisent avec succès au front. Il faut dire qu’un mélange de patriotisme et d’ambition faisait de la 13e division de la Garde un élément vital dans la défense de Stalingrad.



Film allemand de Joseph Vilsmaier (décédé en 2020) sorti en 1993

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