jeudi 18 avril 2024

2017 : Raison d’état et démocratie

Que de débats journalistiques sur l’élimination physique des Français ennemis de la France qui n’est pas une « neutralisation » mais bien le fait de tuer. Jacques Chirac avait déclaré en son temps qu’il ne pratiquerait pas ce type d’opération. Nicolas Sarkozy, nous n’en savons rien. Pour François Hollande, faire exécuter l’ennemi lointain y compris de nationalité française est devenu un mode d’action public au nom de la raison d’état qui peut interroger en démocratie.

La guerre pré-insurrectionnelle : un nouveau type de guerre pour combattre les djihadistes

Ne pas être en guerre « conventionnelle », signifie que nous sommes en paix et que des armées telles que nous les connaissons ne s’affrontent pas. Cependant, des groupes armés, et non un Etat, ont déclaré à la France et aux Français, une guerre sournoise, implacable, inhumaine par l’emploi sans limites du mode d’action qu’est le terrorisme, sans respect du droit lié aux conflits armés et encore moins respectueux des populations supposées être protégées de toute agression.

Cette guerre de type préinsurrectionnel vise à employer tous les moyens de la terreur y compris en utilisant des modes d’action que nos valeurs rejettent : massacres, tortures, attaques-suicides commises éventuellement par des femmes ou des enfants, endoctrinement, emploi de « mineurs-combattants », destruction sauvage du patrimoine de l’humanité…

S’ajoutent des actions subversives au sein de notre société qui mettent en cause ses règles de fonctionnement par un affichage au quotidien de l’appartenance à l’islamisme radical, à des essais sans cesse répétés de faire valider des comportements religieux inappropriés dans une société laïque, y compris en instrumentalisant la loi par les failles qu’elle peut comporter, enfin par le soutien des bien-pensants à une tolérance excessive qui conduit aujourd’hui à la soumission.

Que faire contre ces fanatiques religieux qui ont un projet politique de conquête des esprits et de notre société ?

Constatons que l’élimination au combat, par des actions directes ou indirectes sur un théâtre d’opération extérieur, permet de résoudre en partie cette nécessité militaire de détruire l’ennemi.

Se posent néanmoins deux problèmes : le ressortissant français nous combattant sur un théâtre extérieur et celui qui nous combat sur le territoire national alors que nous ne sommes pas aujourd’hui en situation de guerre civile. Doit-on se limiter à l’application du droit du temps de paix pour faire face à ces types de conflit, finalement à un droit de la guerre inapproprié aux menaces ?

Il est vrai que toute revendication d’un groupe terroriste pose ce même type de débat dans une démocratie. Hier, c’était le terrorisme et la guérilla menés par des groupes d’insurgés en vue d’une indépendance face à un pouvoir colonial. Ce fut ensuite les groupes terroristes soutenus par les pays communistes pour déstabiliser nos démocraties et préparer la conquête au profit de l’ex-URSS. Sur notre territoire, les groupes autonomistes, historiquement français de longue date, mais interprétant cette situation comme étant illégitime, ont aussi revendiqué une indépendance par des actes terroristes.

Cependant, globalement, hormis les insurrections qui sont toujours accompagnées d’excès sur les populations, l’action terroriste conduite par des groupes armés a plutôt visé des cibles humaines bien précises, sinon des lieux symbolisant l’Etat et l’ordre établi. Des règles non écrites étaient appliquées ce qui relativisait les effets en termes de destruction mais l’effet de terreur était obtenu essentiellement par le retentissement médiatique.

Aujourd’hui, les réponses à ce nouveau fanatisme islamiste ne peuvent être que différentes. Que faire contre des radicalisés, certes condamnés, mais dont la peine ira rarement jusqu’au bout de sa durée officielle, qui, en outre, ne font pas acte de repentance et déclarent même être prêts à continuer leurs actions une fois libérés ?

La France est face à une stratégie politico-religieuse transnationale qui respecte seulement ses propres règles et non les règles internationales ou nationales. Notre système ne peut plus répondre avec efficacité à cette menace durable. Elle doit repenser sa stratégie de combat.

Le retour de la raison d’état : la légitimité supérieure à la légalité

Les socialistes fustigeaient la raison d’état avant 1981. Ils réapprennent aujourd’hui son utilité y compris en démocratie. Lors du premier débat des candidats à la primaire de la gauche, tous les candidats ont légitimité de fait l’élimination physique de l’ennemi de nationalité française.

Ces mêmes candidats ont condamné la communication publique du président de la République sur la pratique de ces exécutions de Français djihadistes. Il est en effet regrettable qu’un président de la République se soit laissé aller à des confidences sur un sujet aussi grave alors que, chef des armées, il avait été plutôt exemplaire. Il s‘agit en effet d’exécutions et donc de l’application de la peine de mort que nous avons abolie en Europe. Qu’est-ce qui empêchera une association de porter plainte contre le président de la République pour avoir ordonné ces actes ? La raison d’état imposait le secret. Il aurait dû être respecté.

Cependant, je vois dans cette communication un aspect positif. Les présidences précédentes et la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui ont favorisé le sentiment d’impunité dont pourrait bénéficier tout radical islamiste : la protection de sa vie une fois arrêté, des condamnations qui ne sont pas accomplies en général jusqu’à leur durée finale et se font dans de bonnes conditions de détention à la charge de la société qu’il a combattue et combat, des libertés individuelles respectées à son profit et au détriment des victimes…

Or, le fait de rappeler publiquement que personne n’échappera à un juste châtiment, y compris à la mort, est un message qui peut se révéler dissuasif pour certains, menaçant pour d’autres ou pour ceux qui les protègent. L’insécurité est aussi installée pour les candidats au martyre et doit compliquer l’accomplissement de leurs desseins. C’est enfin ne pas importer des facteurs d’insécurité au sein de notre société… y compris dans nos prisons. L’exécution au nom de la raison d’état exprime donc la détermination de l’Etat à agir par tous les moyens dont il dispose.

L’absence de condamnation par la société civile montre aussi que celle-ci a compris les enjeux et qu’elle valide ces exécutions extra-judiciaires. Cette communication qui aurait été complètement contre-productive dans un autre contexte devient positive. Elle donne un sens fort aux actions contre l’islamisme radical. Elle marque le changement de paradigme des guerres actuelles qui réclame force de caractère, détermination, engagement. Cette communication surtout doit montrer à l’ennemi que rien, ni personne, ne le protégera dans l’espace et le temps. Un vrai changement.

Enfin, la société affiche une nouvelle maturité et la volonté de se battre, non de subir. La raison d’état a retrouvé sa place au service de notre démocratie qui ne peut être faible.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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