mardi 16 avril 2024

Audition de Stéphane MAYER, président du GICAT (Commission Défense de l’assemblée nationale, 30 nov 2016)

Mme la présidente Patricia Adam. Mes chers collègues, nous poursuivons notre cycle d’auditions consacrées aux questions industrielles en recevant ce matin M. Stéphane Mayer, président du groupement des industries de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT).

Monsieur Mayer, je souhaiterais dès à présent évoquer deux sujets d’actualité récente, sur lesquels la commission de la Défense ne manquera pas de vous interroger.

Le général Jean-Pierre Bosser, mais également le ministre de la Défense ont considéré devant la commission qu’il pourrait être possible d’accélérer les livraisons de certains programmes, ce qui nécessite certes des crédits, mais aussi une adaptation de l’outil industriel. Qu’en est-il de votre côté ?

Enfin, quelles pourraient être les conséquences de la décision prise par l’actionnaire suédois de Renault Trucks Defense de mettre ses actions en vente ?

M. Stéphane Mayer, président du groupement des industries de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres. Merci, Madame la présidente, de m’accueillir pour évoquer l’industrie de défense terrestre et le GICAT.

La défense terrestre constitue elle aussi, est-il besoin de le rappeler, une industrie souveraine et stratégique. L’actualité des opérations extérieures (OPEX) ou des opérations conduites sur le territoire national (OPINT) montre à l’envi que la lutte antiterroriste ou la guerre se gagnent au sol, en combat rapproché. Le nombre d’hommes et de matériels engagés dans ces opérations en est l’illustration.

Il s’agit d’une industrie très innovante et de très haute technologie ; des investissements en recherche et développement (R&D) sont consentis, de nouveaux programmes sont en cours de développement. Certains visent à remplacer des matériels très anciens, comme le véhicule de l’avant blindé (VAB) dont on vient de fêter les quarante ans. Mais il s’agit aussi de placer l’armée de terre dans une nouvelle ère de combat collaboratif, de protection des soldats, d’échange de données, bref, de projeter, dans le cadre d’un véritable bond technologique, notre armée de terre vers une capacité très supérieure. Bien évidemment, l’industrie y contribue, à travers notamment le programme SCORPION.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il n’est pas inutile de rappeler quelques chiffres clés du secteur.

Le GICAT compte environ 200 adhérents. Parmi les grandes entreprises, figurent Thales, Safran, plus particulièrement sa division électronique et défense, MBDA, Airbus, dans ses composantes Airbus défense et Airbus Helicopters, ainsi que Nexter. Quelque 20 % des entreprises du groupement sont de taille intermédiaire, dont certaines très dynamiques, innovantes et en phase de croissance, dont Bertin Technologies ou ECA Group, notamment dans le domaine des robots. Mais notre groupement compte par ailleurs 70 % de PME, qui vont de la toute petite entreprise jusqu’à la PME engagée dans les technologies de pointe. Enfin, nos rangs comportent quelques instituts de recherche et groupements-associations.

Le GICAT représente la défense terrestre et aéroterrestre, comme en témoigne la présence d’Airbus Helicopters, mais aussi la sécurité, qui constitue le second pilier de notre groupement ; plus de la moitié de nos adhérents sont engagés dans les deux secteurs, du fait de la proximité entre défense et sécurité.

En croissance, le chiffre d’affaires du groupement et du secteur est passé de 5 milliards en 2014 à 5,8 milliards en 2015, dont 45 % à l’export ; autrement dit, cette industrie contribue au volume global des exportations de la France. Les secteurs d’activité se répartissent en 33 % pour l’électronique et les systèmes, 25 % pour les services, environ 25 % pour les véhicules blindés et l’armement et 18 % pour l’aéroterrestre.

Les prises de commandes pour 2016 ont atteint 5,5 milliards d’euros, dont 2,8 milliards à l’export. Le groupe représente environ 20 000 emplois directs et, si l’on reprend les ratios habituels, autant d’emplois indirects – emplois pour la plupart hautement qualifiés, que ce soit en bureaux d’études ou en chaînes d’intégration et d’assemblage de véhicules complexes. Sans oublier le service qui, par nature, est tout à la fois qualifié et non délocalisable.

Le bilan des réalisations de l’actuelle loi de programmation militaire (LPM), qui couvre la période 2014-2019, est globalement positif ; nos industriels sont généralement satisfaits de la trajectoire suivie, et le projet de loi de finances (PLF) pour 2017 conforte ce sentiment.

Au cours des années 2014-2015, auront été livrés les derniers véhicules blindés de combat d’infanterie (VBCI), qui portent la capacité française à 630 véhicules, quatorze hélicoptères Tigre, et le système d’information et de combat (SIC) du programme SCORPION. L’effort se poursuit avec la livraison prévue d’équipements complémentaires pour l’armée de terre : sept hélicoptères Tigre, six NH 90 supplémentaires, 800 véhicules blindés légers (VBL) régénérés, et 11 000 fusils d’assaut « arme individuelle future » (AIF), en accompagnement du redimensionnement des forces opérationnelles terrestres à 77 000 personnes.

De son côté, le programme SCORPION est indispensable à la modernisation de notre armée de terre afin de faire face aux enjeux et conflits de demain.

Il s’agit d’un programme de remplacement de véhicules anciens, voire très anciens comme le VAB, par un des deux véhicules du programme SCORPION, le Griffon, le Jaguar, remplaçant pour sa part les AMX 10 RC et Sagaie, également vieux de plusieurs dizaines d’années. Qui plus est, dans sa première phase, le programme SCORPION prévoit la remise à niveau des chars Leclerc afin de les rendre compatibles avec les nouveaux outils de communication prévus.

Il s’agit donc d’un renouvellement, mais aussi de la projection de l’armée de terre dans une sphère de nouvelles technologies de combat collaboratif faisant appel à des communications en temps réel entre les véhicules ainsi que vers les postes de commandement. Demain, cette communication concernera les hélicoptères et les avions, à mesure que les éléments seront équipés d’outils de combat collaboratif : transmission vidéo de la situation, en temps réel, amélioration des capacités de décisions, outils d’aide à la défense des véhicules et de leurs occupants, moyens de détection des menaces, assistance à la mise en œuvre des répliques, bref, tout ce qui projettera notre armée – et, à l’export, celles qui voudront bien s’en équiper – vers une nouvelle ère de modernité.

Il faut d’ailleurs au passage saluer l’action des pouvoirs publics, et singulièrement du ministère de la Défense, qui a permis la signature et la mise en œuvre de ce programme en 2014, et souligner encore la très bonne qualité de la relation tripartite liant la direction générale de l’armement (DGA), l’armée de terre et notamment sa section technique qui contribue à faire valoir le point de vue de l’utilisateur, et l’ensemble des industriels impliqués, à commencer par les trois membres du groupement momentané d’entreprises (GME) constitué à cette occasion : Thales, Renault Trucks Defense et Nexter.

Le programme SCORPION représente un enjeu industriel important de six milliards d’euros de prise de commande, à l’origine de la création d’un millier d’emplois en phase de développement, et 1 700 emplois dans la phase de production. Ainsi le plan d’embauche net de l’entreprise Nexter s’élèvera à 180 personnes pour la seule année 2017, grâce à l’entrée en production prochaine du programme SCORPION et à quelques perspectives à l’export.

La livraison des véhicules, prévue sur quinze ans, commencera à la fin de l’année 2018 avec les trois premiers Griffon, durera jusqu’en 2033, ce qui signifie que les véhicules dont on vient de fêter les quarante ans auront cinquante-six ans ; ce qui n’est pas sans conséquence sur leur emploi et le coût de leur maintenance. Du coup, l’armée de terre, et son chef d’état-major l’a souligné, souhaite que le programme soit accéléré afin de raccourcir le délai de livraison. Ce qui répondrait à ses besoins opérationnels, lui permettrait de s’équiper plus rapidement et de disposer d’un parc plus homogène, de former rapidement ses personnels, mais aussi de réformer plus tôt des matériels dépassés et coûteux en maintenance.

Après avoir consulté les trois acteurs du GME, mais également les centaines de sous-traitants et PME impliqués dans ce programme, et sachant que les capacités installées étaient très supérieures à la cadence d’approvisionnement de l’armée de terre et aux prévisions d’exportations, les industriels ont répondu que, sous réserve de commandes et d’une certaine anticipation, l’ensemble des livraisons pourrait être terminé en 2026 plutôt qu’en 2033. Ce qui implique d’achever le développement, de commencer la montée en cadence — phase qui comporte une mise en route des chaînes assez complexes —, et au lieu de produire comme prévu de dix Griffon et deux Jaguar par mois, de parvenir à un doublement des cadences afin de raccourcir la durée totale de livraison.

L’impact sur le coût de MCO serait favorable : Nexter a ainsi estimé que le remplacement d’un AMX 10 RC par un Jaguar fait chuter de 30 % les frais d’entretien ; des gains pourront également être réalisés en matière d’obsolescence : des matériels comprenant un certain contenu civil afin de bénéficier de coûts de production moindres permettent de réaliser des gains supplémentaires s’ils sont livrés plus tôt.

Sans pour autant appeler de mes vœux une renégociation du contrat, je crois objectivement que produire plus d’équipements au même moment est gage d’efficacité industrielle, et probablement de compétitivité accrue. Toutefois, si le ministère de la Défense est d’accord et les industriels capables, les mêmes sommes d’argent, diminuées des coûts de MCO, devront être engagées et payées sur une période plus courte. Ce qui soulève évidemment une question d’ordre budgétaire qui reste à résoudre, compte tenu des autres besoins du budget de la Nation en général et de la défense en particulier.

Par ailleurs, il faut dès à présent préparer une étape 2 du programme SCORPION, et inscrire dans les prochains cycles quinquennaux de la LPM les travaux qui compléteront les équipements de l’armée de terre dans le programme SCORPION. Il s’agit de continuer à équiper des nouveaux standards de communication et d’échange de données les véhicules qui ne le seront pas, notamment les VBCI, qui, compte tenu de leur livraison jusqu’en 2015, ne sont pas équipés des radios CONTACT et autres systèmes embarqués sur les nouveaux véhicules.

Cette deuxième étape porte aussi sur les nouvelles technologies comme la réalité augmentée, l’intelligence artificielle équipant ces matériels, mais aussi sur la R&D dans le domaine de la robotique dont les résultats sont prometteurs, afin de compléter l’armement des véhicules terrestres habités.

C’est donc toute l’évolution de ces programmes qui doit être anticipée afin de préparer l’avenir.

Les évolutions constatées des années 2015 et 2016 dans le domaine du MCO correspondent aux attentes des industriels ; à cet égard, je tiens à souligner la qualité du dialogue établi entre la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT), le service de la maintenance industrielle terrestre (SMITer) et les industriels du GICAT qui y contribuent.

Les futures réflexions portant sur la programmation militaire devront prendre en compte trois nouveaux éléments dans le MCO : l’arrivée des nouveaux équipements, les contrats d’équipement prévoyant déjà un engagement des industriels sur les coûts de MCO pour les premières années, ce qui constitue un avantage pour le ministère de la Défense ; la remontée des activités d’entraînement dans le cadre du nouveau format de 77 000 hommes de la force opérationnelle terrestre ; enfin, dans le cadre de la réflexion stratégique de l’armée de terre et du plan « Au Contact », l’accompagnement par les industriels de l’évolution de la transformation du soutien voulue par les intéressés afin d’améliorer la coopération et la répartition des tâches entre la maintenance d’État et la maintenance assurée par l’industrie.

Par ailleurs, les ruptures temporaires de capacité, autrement dit les « trous capacitaires », doivent être comblées, compte tenu des arbitrages arrêtés au cours des années, voire des décennies précédentes, un certain nombre de programmes n’ont pas été lancés. Cette situation a conduit à devoir remplacer au plus vite des véhicules arrivés à bout de potentiel afin de maintenir nos capacités. C’est le cas des véhicules blindés légers (VBL), qui doivent être remplacés par un véhicule d’aide à l’engagement (VBAE), dont le programme a été repoussé à la deuxième étape du programme SCORPION, mais qui reste un besoin important pour l’armée de terre, des poids lourds de six tonnes, des engins de combat du génie, des capacités dans le domaine de la mobilité, du renouvellement des anciens canons automoteurs AUF-1 d’appui feu, qui pourraient avantageusement être remplacés en complétant le parc de CAESAR, sans oublier le rattrapage nécessaire dans le domaine des besoins en Command, Control, Computers, Communications and Intelligence (C4I).

Il faut enfin restaurer notre capacité d’aéromobilité et d’aérocombat avec le lancement d’un nouveau programme d’acquisition de systèmes d’armes d’hélicoptère léger de transport militaire autour du concept du H160 militarisé, proposé par Airbus Helicopters, le lancement d’une nouvelle version du NH90 pour les forces spéciales, et d’une nouvelle version du Tigre, dite standard 3.

J’ai évoqué la nécessité d’investir dans la recherche et technologie (R&T) terrestre ; l’industrie se réjouit évidemment du niveau d’investissement en études amont – 720 millions d’euros, plus les subventions ; toutefois, la part du terrestre est toujours minoritaire, avec 60 millions pour les études amont, soit 10 % du total. De l’avis du GICAT, cette part nécessite d’être renforcée afin de préparer SCORPION étape 2 et les briques technologiques nécessaires. Autrement dit, nous devons nous atteler aux programmes futurs afin de maintenir notre industrie et notre défense au plus haut niveau souhaité.

L’objectif souhaité par plusieurs groupements industriels de porter à un milliard d’euros le montant consacré aux études amont est pleinement soutenu par le GICAT, avec une demande particulière pour la R&T terrestre dont la part devrait être portée de 60 millions à 100 millions d’euros afin de développer des démonstrateurs pour SCORPION étape 2 et commencer à travailler sur ce qui viendrait après, c’est-à-dire les programmes futurs pour de la décennie 2030, autour des deux concepts appelés à remplacer le char Leclerc et le système d’artillerie CAESAR en France, mais également, puisqu’il s’agit de programmes franco-allemands, ouverts à d’autres pays européens, le char Leopard et le système d’artillerie Panzerhaubitze 2000 (PZH 2000) : je veux parler du futur système majeur de combat terrestre (Main ground combat system — MGCS) et du CIFS (Common indirect fire system), système d’artillerie du futur.

La dimension européenne de ces programmes a été inscrite dès le début de leur conception dans le dialogue franco-allemand et autour du rapprochement qui a donné lieu à la naissance du groupe KNDS (KMW + Nexter Defense Systems). Ce qui m’amène à conclure sur quelques enjeux européens et internationaux pour l’industrie de défense terrestre.

L’export de défense connaît une période exceptionnelle ; l’armement terrestre y contribue puisque l’export représente 45 % de notre chiffre d’affaires, soit 2,3 milliards d’euros sur un total d’exportation de 16 milliards d’euros. La part de l’armement terrestre dans l’export n’est pas majoritaire, mais il faut conserver à l’esprit que les matériels concernés ne sont pas toujours aussi complexes et coûteux que les équipements aéronautiques et navals.

Rapportés à nos effectifs, ces 45 % représentent 9 000 emplois directs ; l’export est donc tout aussi vital pour l’industrie de défense terrestre que pour l’industrie de défense en général.

Le secteur de l’armement terrestre en Europe a une caractéristique importante : il est encore extrêmement morcelé. Et compte tenu des restrictions d’accès à certaines technologies – je ne parle évidemment pas des technologies de combat collaboratif, de communication, de blindage ou de munitions intelligentes telles que celles que nous développons dans un programme comme SCORPION –, nous nous retrouvons, pour exporter un simple véhicule blindé, exposés à une concurrence extrêmement forte de la part d’un grand nombre de pays autrefois dits émergents, et dont l’industrie entre désormais dans la compétition. Certes, leurs produits n’ont peut-être pas le même niveau de qualité et de sophistication que les nôtres, mais ce sont tout de même des véhicules blindés… Et désormais, on en trouve du Turquie, en Corée ; même les pays du golfe Persique cherchent de plus en plus à faire émerger leur propre industrie.

Pour notre secteur terrestre comme pour toute notre industrie de défense, nous avons besoin de préserver notre compétitivité, nous avons besoin de conserver une supériorité technologique afin de convaincre nos clients que nos véhicules sont meilleurs que ceux de nos concurrents étrangers, et nous avons bien sûr besoin de l’implication et du soutien des pouvoirs politiques. Et nous l’obtenons, même s’il est évidemment fonction de l’importance des contrats. Or les contrats de l’industrie de défense terrestre sont, en moyenne, de moindres dimensions que les contrats de l’industrie navale ou aéronautique ; il n’en demeure pas moins qu’ils atteignent souvent plusieurs milliards. Nous avons besoin de tout le soutien du ministère de la Défense, de « l’équipe de France » à travers tous ceux qui coopèrent à nos programmes, de l’armée de terre pour tout ce qui touche à la formation et à l’assistance à l’emploi de nos véhicules, ainsi que de la DGA et de sa composante internationale pour nous soutenir, nous assister et mettre de place tous les liens nécessaires, au-delà du simple acte commercial.

Une des réponses au morcellement de l’industrie de défense et à son besoin de compétitivité, c’est la consolidation. Trois adhérents du GICAT sont déjà des groupes internationaux ; Thales est même un modèle un peu particulier, puisque d’ores et déjà très profondément et structurellement multinational et implanté dans plusieurs pays. Airbus Helicopters est depuis le début des années quatre-vingt-dix un groupe franco-allemand, et développe des programmes d’hélicoptères franco-allemands. MBDA, a commencé en 1996 en devenant franco-britannique et a progressivement étendu ses alliances et son implantation industrielle – et les programmes de missiles qui vont avec – dans quatre pays. En 2016, le traité franco-britannique a permis à MBDA de franchir un nouveau pas dans l’efficacité opérationnelle en créant les centres de compétence et la spécialisation des pays.

Dans le secteur des véhicules terrestres en revanche, l’industrie européenne est encore très en retard par rapport à ces mouvements qui ont commencé il y a vingt ans. À ce morcellement s’ajoute une multitude de programmes, conçus sur des bases nationales, numériquement plus faibles, et qui se font concurrence à l’export… On compte presque une dizaine d’engins de combat 8 x 8 en Europe, alors que, malgré plusieurs tentatives avortées, nous manquons de programmes communs destinés dès leur conception à plusieurs armées, qui aurait permis des rapprochements stratégiques.

Une exception toutefois mérite d’être saluée : le rapprochement opéré entre Nexter et l’industriel allemand Krauss-Maffei Wegmann (KMW), réalisé grâce à l’action déterminée de l’État, à l’époque actionnaire unique et toujours principal client de Nexter. KNDS, pôle de regroupement franco-allemand en premier lieu, entend aller plus loin et poursuivre une stratégie de consolidation industrielle en Europe : il a été conçu dès le départ, dans sa structure, son organisation et sa répartition des pouvoirs pour être capable d’accueillir d’autres acteurs.

Faut-il rappeler les avantages d’une consolidation industrielle ?

Le premier, c’est l’effet d’échelle pour les programmes : si deux pays parviennent à fabriquer le même hélicoptère, le même missile, le même avion de combat ou le même char, les coûts de développement, par simple effet arithmétique, s’amortissent sur des volumes de fabrication plus importants. Lorsqu’on fabrique 800 chars au lieu de 400, non seulement les coûts sont plus bas pour le contribuable et pour le budget de l’État, mais la compétitivité à l’export s’améliore.

L’effet de compétitivité et de taille permet aussi de créer des entreprises plus efficaces, de futurs champions face à une concurrence mondiale où évoluent de nouveaux arrivants, mais aussi des acteurs extrêmement puissants comme les Américains, qui, par la taille de leur marché national, ont des volumes beaucoup plus élevés. Lorsque nous les rencontrons sur les marchés à l’export, ou même en Europe, comme au Royaume-Uni, ils constituent des concurrents particulièrement sérieux.

L’effet d’échelle permet de maintenir dans le ou les pays concernés les compétences stratégiques indispensables à leur indépendance et leur stratégie de défense à un coût plus abordable. On peut essayer d’entretenir à grands frais des arsenaux dans un seul pays, mais ce sera beaucoup plus coûteux que d’imaginer de répartir ces compétences dans un ensemble plus grand et plus compétitif, à cheval sur plusieurs pays.

Le développement de programmes communs et d’équipements aussi proches que possible, voire identiques, entre plusieurs armées européennes, constitue un vecteur qui permettra à terme — ou dès à présent, en fonction des décisions politiques, comme le montre l’initiative franco-allemande dans le domaine des avions de transport — de réaliser des opérations plus efficaces, plus aisées, grâce à des matériels communs, mais aussi aux services qui vont avec : rechanges et chaînes logistiques de déploiement de matériel. C’est donc un pas ou un outil au service d’une future Europe de la défense.

Les programmes du futur char de combat ainsi que du futur système d’artillerie, qui s’inscrivent parfaitement dans cette stratégie, et pour lesquels KNDS est un candidat naturel, constituent une opportunité opérationnelle pour la France et l’Allemagne ainsi qu’une opportunité industrielle pour notre groupe. Cela suppose évidemment de résoudre quelques éléments qui ne le sont pas encore totalement, car les actionnaires ont décidé de commencer l’alliance sans attendre le programme ; il faut encore travailler à l’expression commune de besoins entre la France et l’Allemagne, et pourquoi pas, l’élargir à d’autres pays européens. Cela suppose aussi de travailler, autour de ce programme ou dans un cadre plus large, à une forme de convergence portant sur les capacités d’exportation de ces matériels en fonction des politiques respectives des deux pays. Pour l’heure, compte tenu des différences d’organisation de nos deux ministères de la Défense, un accompagnement politique nous semble nécessaire pour dynamiser et accélérer le dialogue entre les services français et allemands.

En réponse à votre question, Madame la présidente, j’indiquerai que la stratégie de consolidation européenne de KNDS ne doit pas s’arrêter aux deux acteurs Nexter et KMW. La structure a pour stratégie d’accueillir d’autres acteurs, soit dans d’autres pays, soit au sein de deux pays d’ores et déjà partenaires.

Il n’appartient pas au GIGAT de s’exprimer au sujet du projet de cession de parts annoncé par Volvo. Néanmoins, le groupement ne peut qu’encourager une solution de nature plutôt industrielle, qui renforcerait le secteur industriel terrestre français, notamment en liaison avec les programmes stratégiques que constituent SCORPION – dans lequel Renault Trucks Defense est impliqué – VBCI et CAESAR, auxquels Renault Trucks Defense participe également dans les domaines du maintien en condition opérationnelle, mais aussi de l’export.

Le GICAT encourage aussi cette stratégie de consolidation industrielle propre à conforter le secteur. A contrario, le GICAT ne souhaite pas l’irruption dans le paysage de l’industrie de défense française d’un éventuel concurrent étranger dans le secteur des véhicules de défense terrestre, susceptible d’entrer dans les programmes stratégiques importants sur lesquels Renault Trucks Defense travaille : CAESAR, VBCI et les véhicules Griffon et Jaguar du programme SCORPION. De même, le GICAT encourage des solutions de consolidation industrielle, plutôt que d’éventuelles solutions financières dont l’objectif serait la création de valeur et ne serait pas tourné vers l’industrie et nos clients. Je répète que le GICAT s’inscrit dans une logique de consolidation et privilégiera toute solution industrielle propre à renforcer le secteur industriel de défense terrestre français, comme cela a très clairement été indiqué par le ministre de la Défense devant l’Assemblée nationale au moment de l’annonce de ce projet de cession.

Je ne connais toutefois pas la position de chaque adhérent du GICAT ; Nexter, que je connais mieux, s’exprimera lorsque ce projet deviendra plus concret.

M. Jean-Jacques Candelier. Le Gouvernement a signé un accord avec la société Cisco, dont tout le monde sait qu’elle constitue le bras armé de l’Agence nationale de sécurité américaine, la NSA. Quelles garanties avons-nous du caractère loyal de ce partenariat ? Celui-ci n’entre-t-il pas en contradiction avec l’idée d’une cybersécurité indépendante ?

Le Livre blanc de la défense allemand prévoit le retour du service militaire et la progression du budget de la défense à 2 % du produit intérieur brut (PIB). Cela relancera l’industrie de défense allemande, sachant que le gouvernement se réserve le droit de bloquer la fourniture des composants destinés à l’exportation, selon l’état de ses relations diplomatiques avec le pays concerné. Que comptez-vous faire pour que nos petites et moyennes entreprises puissent faire face à une situation qui pourrait s’avérer préjudiciable à leurs intérêts ?

À la suite des déclarations de M. Thomas Enders, président d’Airbus, quelles mesures ont été prises pour remédier aux défaillances de la cellule et des moteurs de l’A400M ? Ces retards nous ont contraints à acheter en catastrophe des Hercules C-130 américains du fait de l’incapacité du consortium à livrer à temps les appareils en état de voler.

Enfin, pourquoi Airbus supprime-t-il 1 200 emplois, principalement des jeunes ingénieurs et chercheurs ?

Mme la présidente Patricia Adam. Je rappelle que c’est le GICAT que nous auditionnons aujourd’hui…

M. Daniel Boisserie. Monsieur, vous présidez le GICAT depuis juin dernier, mais vous êtes également à la tête de Nexter, qui a fusionné avec KMW, ce rapprochement symbolisant la recomposition actuelle de l’industrie de défense française. Ce mouvement se poursuit avec la vente par le groupe Volvo de Renault Trucks Defense. RTD, dont le carnet de commandes semble bien rempli, est un acteur majeur du programme SCORPION. M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, a précisé qu’il s’opposerait à la vente de RTD à un fonds étranger – analyse que vous partagez – et qu’il souhaitait une fusion avec Nexter. Les personnels du site de Limoges, ainsi que les élus, sont extrêmement inquiets. Quelle est votre analyse en tant que président du GICAT ? Quelle est la position du président de Nexter sur un achat éventuel – et rapide – de RTD ? Quelles en seraient les conséquences pour le site de Limoges ?

M. Michel Voisin. J’ai exactement la même question pour le site de Bourg-en-Bresse…

M. Stéphane Mayer. Monsieur Candelier, aucun membre du GICAT n’est impliqué dans l’A400M, et Airbus ne m’a fait part ni de sa stratégie, ni de sa réflexion sur le rapprochement de ses sièges et ses conséquences sur l’emploi ; je ne suis donc pas en mesure de les commenter.

La France souhaite, comme l’Allemagne, disposer d’un budget de la défense atteignant 2 % du PIB. Les enjeux liés aux OPEX, à la lutte contre le terrorisme et, selon le mot du général de Villiers, à la « remontée des États puissances », dont les avions et les sous-marins se promènent non loin des frontières de nos espaces maritime et aérien, nécessitent d’abandonner la politique de réduction des budgets de défense, en vigueur depuis le début des années 1990 et la chute du mur de Berlin. Les nouveaux programmes de défense, comme le SCORPION pour le domaine terrestre, l’éventuelle accélération des livraisons et la somme des besoins exprimés par les armées, auxquels répondent les industriels, poussent à une augmentation des dépenses de défense. La cible de 2 % du PIB est de plus en plus mise en avant en France, ce dont les adhérents du GICAT se réjouissent. Ceux-ci y répondront en tant qu’industriels. Les groupes franco-allemands voient avec intérêt le développement d’une communauté de vues entre les deux clients nationaux.

Les nombreuses PME du GICAT, autour des donneurs d’ordres, des intégrateurs et des maîtres d’œuvre de véhicules ou de systèmes aéroterrestres, contribuent grandement à la chaîne de valeur. Nous les écoutons dans le cadre du GICAT, où domine la règle « une entreprise, une voix » ; en outre, les maîtres d’œuvre adhèrent à des démarches que propulse le ministère de la Défense : le pacte Défense-PME, la surveillance de la part française de nos équipements et de nos achats – la part d’achats français auprès de PME du secteur dépasse 85 % dans le groupe Nexter –, le respect des relations commerciales, notamment du délai de paiement, l’élaboration de contrats loyaux.

Monsieur Boisserie, je suis venu en tant que président du GICAT et n’évoquerai donc pas la position de Nexter dans le dossier RTD, mais n’oublions pas que nous ne sommes en face que d’un projet. Volvo a annoncé son intention et a lancé la consultation des instances du personnel pour obtenir leur avis ; à ma connaissance, Volvo ne discute avec personne. Comme d’autres acteurs, Nexter regardera le moment venu l’opération qui pourrait se présenter. Les propos du ministre de la Défense s’inscrivent parfaitement dans la stratégie de consolidation européenne, qui constitue l’essence même du projet KNDS. RTD et Nexter participent avec Thales au programme SCORPION ; nos équipes travaillent tous les jours ensemble, les patrons de projet se voient tous les mois et les présidents tous les deux mois, et la direction générale de l’armement nous reçoit ensemble. Plus que partenaires, nous sommes complémentaires : ne faisons donc pas la même chose. RTD est en charge de la mobilité – roues, suspension, moteur grâce aux synergies qu’il peut tirer de son appartenance au groupe Volvo –, notamment pour le CAESAR et pour le VBCI ; Nexter, de son côté, s’occupe des armes, des munitions, des blindages, de la conception globale du système et de son intégration. Les gammes de produits des deux entreprises s’avèrent également complémentaires : RTD est spécialisée dans les blindés légers et moyens, quand Nexter fabrique des blindés plus lourds ainsi que le char de combat.

Il n’y a pas d’inquiétude à nourrir pour les sites de Limoges et de Bourg-en-Bresse, car chacun a ses compétences et ses spécificités. Le projet ne nécessite pas de réductions d’emplois, d’autant que les carnets de commandes des deux entreprises sont bien remplis.

M. Jean-Michel Villaumé. Quel est votre avis sur le pacte Défense-PME ? A-t-il été efficace ? Le ministère a lancé cette action en 2013 pour faciliter l’accès des PME et des entreprises de taille intermédiaire (ETI) aux industries de la défense. Des dispositifs d’appui et d’accompagnement à l’innovation et à l’exportation ont également été déployés.

M. Alain Moyne-Bressand. Le GICAT regroupe les entreprises de défense fournissant l’armée de terre. Dans un contexte où la haute technologie est la priorité, le GICAT réfléchit-il avec les entreprises pour penser le futur des armements ? Ceux-ci ont beaucoup évolué, mais ils le peuvent encore dans un monde qui change très vite et où la concurrence s’avère extrêmement forte. Le GICAT peut-il permettre à nos entreprises d’être encore plus performantes et d’être les premières ?

M. Philippe Vitel. Vous avez insisté avec raison sur le nombre important de PME dans le GICAT et sur le rôle majeur qu’elles jouent. Elles sont souvent au cœur de l’innovation et mettent au service des grands donneurs d’ordres des pépites technologiques ; néanmoins, elles se trouvent aujourd’hui fragilisées, et parfois victimes d’offres publiques d’achat (OPA) lancées par des groupes étrangers. Le Gouvernement et le ministre de la Défense ont pris la décision il y a cinq jours de créer un fonds souverain dédié aux PME de défense et doté de plusieurs millions d’euros – sans en préciser le montant exact. L’État souhaite entrer dans le capital de ces entreprises pour les empêcher de faire l’objet d’OPA. Quelle est votre opinion sur cette annonce ? Comment allez-vous faire pour que le maximum de PME du GICAT bénéficie de ce nouveau dispositif ?

M. Olivier Audibert Troin. Quelle est la part de marché des entreprises du GICAT dans les puissances du Golfe, notamment au Qatar et en Arabie saoudite ? Les évolutions géopolitiques dans cette région vous rendent-elles inquiet ou optimiste pour vos entreprises ?

Vous avez beaucoup parlé de l’Allemagne et du remplacement à venir du Leopard et des systèmes d’artillerie. Le Brexit représente-t-il une chance pour notre pays et pour le GICAT de relancer une coopération avec l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie ? Pensez-vous nécessaire de signer des traités bilatéraux avec ces pays ? De telles associations vous aideraient-elles comme les accords de Lancaster House ont aidé la société MBDA ?

M. Stéphane Mayer. Deux de vos questions portent sur les PME. Au sein de la filière industrielle terrestre et du GICAT en particulier, les PME jouent un rôle très important. Elles représentent 80 % des membres du groupement et 10 % du chiffre d’affaires de la filière – 500 millions d’euros sur cinq milliards. Les donneurs d’ordres accordent beaucoup d’attention au développement de relations de qualité, car leur succès dépend de la pérennité, de la compétence, du succès et de la compétitivité de ces PME. Le pacte Défense-PME est une très bonne initiative, à laquelle Nexter adhère pleinement. Nous rendons compte régulièrement de la part occupée par les PME dans notre chiffre d’affaires d’achats et du respect des normes en matière de délai de paiement et de relations contractuelles équilibrées. Cette bonne initiative constitue un élément du succès de l’ensemble de la filière, et les PME le voient comme un outil de protection nécessaire contre les difficultés à exporter et les incertitudes liées à l’avenir — celles centrées sur le carnet de commandes, le financement et la trésorerie pèsent d’autant plus sur ces entreprises que leur taille fragilise. Il s’avère donc primordial que les plus grandes entreprises les fassent entrer sur les marchés étrangers et les aident à saisir toutes les opportunités de développement.

Les PME se montrent très dynamiques en matière d’innovation. Le GICAT joue un rôle fédérateur et a notamment créé une commission dédiée à la recherche et à la technologie, dans laquelle des acteurs de taille différente échangent sur leurs façons de coopérer et sur les priorités en matière d’études amont. Des PME innovantes développant des briques technologiques très intéressantes et des maîtres d’œuvre gardant une capacité d’intégration et une vue d’ensemble participent actuellement à une étude portant sur les systèmes d’armes futurs, notamment le char de combat.

Effectivement, une PME est par nature financièrement plus fragile. Qui plus est, certaines banques commencent à faire preuve de réticences dans le financement des PME du secteur de la défense, à cause de certaines affaires retentissantes ayant eu lieu aux États-Unis et du comportement de certains acteurs des marchés financiers dans le domaine de la défense. Le financement est crucial pour que les PME innovent, produisent et exportent. Comme beaucoup d’entreprises manquent de capitalisation en France, je ne peux que saluer la création d’un fonds d’investissement qui viendra fédérer cette filière très éclatée. Que l’État et la DGA portent une telle initiative ne pourra que renforcer la filière de défense terrestre.

Je ne sais pas si le terme « inquiet » est approprié pour décrire notre sentiment vis-à-vis de l’évolution de la situation dans le Golfe : le royaume d’Arabie saoudite représente le troisième ou quatrième importateur mondial de matériel de défense, et comme les deux premières positions sont occupées par des pays, États-Unis et Chine, où les entreprises françaises ont peu de chances de remporter de grands contrats, le marché saoudien constitue pour nous un débouché important – il serait très préjudiciable de se priver des 45 % du chiffre d’affaires des membres du GICAT qui sont réalisés à l’export. Le Qatar est également un client important de l’industrie de défense française, avec des contrats signés et d’autres campagnes importantes en cours ; ce pays représente lui aussi un débouché industriel important, ainsi que des enjeux économiques et industriels majeurs : et nous parlons là des moyens de conserver notre outil de défense. Pour nos perspectives d’exportations, le Moyen-Orient s’avère l’une des premières zones du monde, aux côtés de l’Europe, où la compétition est rude avec les acteurs nationaux, et de l’Asie du Sud-Est. J’espère donc que les relations géopolitiques entre la France et les puissances du Golfe continueront d’offrir des débouchés à l’exportation pour nos industries.

La coopération bilatérale franco-britannique doit continuer en matière de défense malgré le Brexit, comme l’ont encore affirmé il y a deux semaines les deux ministres de la Défense, à l’occasion d’une rencontre tenue à l’ambassade du Royaume-Uni à Paris. Les deux pays sont très proches et développent depuis longtemps des programmes en commun ; des entreprises françaises – MBDA, Thales et Nexter – sont implantées au Royaume-Uni. L’entreprise que je dirige participe à un programme de canon franco-britannique qui équipera la France et le Royaume-Uni.

Le traité bilatéral avec le Royaume-Uni a renforcé l’efficacité de l’organisation industrielle de MBDA, ainsi que sa capacité à élaborer des programmes communs plus compétitifs et plus exportables. Il en est de même avec l’Allemagne, sachant que ce pays conduit parallèlement des coopérations bilatérales avec d’autres pays d’Europe. L’Italie, l’Espagne, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France ont les cinq plus gros budgets de défense en Europe, et les traités bilatéraux entre ces pays permettent de donner des outils et des moyens pour la consolidation de l’industrie de défense terrestre, aujourd’hui très morcelée. Les programmes communs et les accords d’exportation participent également de cet effort. La réussite des programmes communs de chars et d’artillerie entre la France et l’Allemagne nécessite la signature d’accords bilatéraux. Nous avons également le regard tourné vers l’Italie et nous nous demandons si la société Leonardo souhaitera s’inscrire dans un mouvement de consolidation. Les traités bilatéraux sont des outils souvent performants pour stimuler des programmes et la consolidation de l’industrie de défense : il est plus simple de se mettre d’accord à deux qu’à vingt-huit, surtout sur des sujets touchant à la souveraineté nationale.

M. Olivier Audibert Troin. Quelle est la part occupée par les pays du Golfe dans les 45 % du chiffre d’affaires des entreprises du GICAT réalisés à l’exportation ?

M. Stéphane Mayer. Je n’ai pas le chiffre précis, mais elle se situe entre le tiers et la moitié de ces 45 %, soit entre 15 et 20 % du total.

M. Yves Fromion. Ma première question porte sur l’accélération du programme SCORPION. Il y a quelques jours, nous avons pu constater les problèmes que pose la vétusté du VAB au Mali, pour ne parler que de ce matériel. Il nous semble impensable que l’on n’essaie pas d’accélérer le programme de remplacement de cet engin. D’autant que, ne nous faisons pas d’illusions, nous risquons d’être présents au Mali pendant encore de nombreuses années… Ce propos n’engage que moi, mais le bon sens nous conduit tous à cette conclusion. En bref, nous avons besoin de fournir à nos soldats des équipements plus performants que ceux dont ils disposent aujourd’hui.

Le VAB dans lequel le pauvre adjudant Fabien Jacq s’est fait tuer au Mali, le 4 novembre dernier, n’était par un véhicule de la série Ultima, mais un VAB non rénové : une simple explosion a déchiqueté l’engin. Nous ne pouvons pas continuer à exposer ainsi la vie de nos soldats !

Monsieur Mayer, pourriez-vous nous exposer les conséquences d’une accélération du programme SCORPION. Quelle serait la traduction financière d’une réduction de moitié des délais prévus ? Disposez-vous de simulations avec divers calendriers possibles ?

Ma deuxième question concerne la consolidation des industries d’armement terrestre européennes, notamment sur l’affaire RTD. Après que l’on nous a expliqué, il y a quelques mois, que la fusion de Nexter et KMW pour former KNDS constituait un élément moteur de cette consolidation, la non-intervention de KNDS dans l’affaire RTD constituerait un échec majeur pour ceux qui ont formé ce projet ; il n’aurait plus aucun sens. Vous-mêmes et tous ceux qui ont des responsabilités devez donc vous mobiliser. Que pensent vos alliés allemands de KMW d’un éventuel rachat de RTD ? Au siège de KMW où nous nous sommes rendus l’année dernière, lorsque j’ai interrogé le président du groupe sur les étapes qui devaient suivre, il m’avait parlé d’OTO Melara. C’est bien la preuve qu’il a une pensée stratégique, et qu’il s’inscrit dans une dynamique – même si depuis la constitution de Leonardo, une autre opportunité se présente.

Vous ne pouvez pas vous contenter de nous dire que, ce matin, vous êtes devant nous en tant que président du GICAT et que vous ne représentez pas Nexter. On ne peut pas tourner autour du pot. Il n’y a qu’une alternative : ce sera soit l’échec de KNDS, soit la réussite de l’engagement de la consolidation de l’industrie d’armement européenne.

M. David Comet. Du fait de nouvelles menaces tout à la fois transnationales et asymétriques – je pense au terrorisme –, mais aussi plus « réalistes », avec des nations qui veulent toujours privilégier leur intérêt national, les relations internationales deviennent plus brutales, et créatrices, à terme, de désordres mondiaux.

Il convient d’accélérer le programme SCORPION afin de mieux équiper nos forces terrestres. Les militaires de l’armée de terre – je pense à ceux du 1er RIMa que j’ai suivis l’année dernière en Côte d’Ivoire et qui s’entraînent avec des chars Sagaie hors d’âge – attendent cette accélération et apprécieront les décisions prises en ce sens.

La nécessaire réussite du programme SCORPION aura une incidence sur la balance de notre commerce extérieur et sur l’emploi industriel, dans le cadre de l’objectif d’un budget de la défense fixé à 2 % du PIB. Mais dans quel délai pouvons-nous nous situer : est-ce à l’horizon de 2022 ou plutôt de 2025 ?

M. Philippe Folliot. Alors que nos entreprises qui exportent, en particulier nos PME, appliquent pleinement les règles issues de la convention anticorruption de l’OCDE, notamment la recommandation de 2009, nous savons que ce n’est pas le cas dans tous les pays du monde. Disposez-vous d’éléments d’information concernant certains marchés sur lesquels l’application de ces règles poserait problème ?

Que pensez-vous de la procédure devant la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) ? Est-elle satisfaisante ? Faut-il la faire évoluer ? Mérite-t-elle d’être assouplie ?

Selon vous, le réseau de nos « conseillers défense » à l’étranger vous paraît-il utile et judicieusement mobilisé pour aider et accompagner nos industriels de l’armement terrestre, notamment nos PME, dans leurs actions à l’exportation ? Le seul marché national, vous l’avez dit, ne suffit plus ; l’export est devenu un enjeu essentiel pour l’équilibre de ce secteur.

M. Philippe Meunier. Nous considérons unanimement au sein de cette commission qu’il est nécessaire de consolider l’industrie de l’armement terrestre en France et en Europe. Pour y parvenir, deux approches sont envisageables. Il est possible, comme le Gouvernement a choisi de le faire, de fusionner une entreprise française et une entreprise étrangère, en l’espèce une société allemande. Mais, il est également possible – c’est l’approche que j’ai toujours défendue – de commencer par consolider la filière nationale avant de voir comment on peut travailler avec nos concurrents européens.

Aujourd’hui, la question posée par Yves Fromion, relative au sens de la fusion entre Nexter et KMW, est fondamentale. En approuvant cette fusion, la France s’est mise dans la nasse : si l’on n’accepte pas que Nexter et KMW reprennent RTD, cela signifiera que ce dernier pourrait tomber entre les mains d’un concurrent étranger ; si on l’accepte, cela induira une modification du rapport de forces au sein du capital de KNDS. Dans ce dernier cas, que deviendra la fusion ? Que pensent les Allemands d’une éventuelle intégration de RTD ? Si elle a lieu, comment le capital de KNDS sera-t-il modifié – je n’imagine pas que la France compte s’asseoir sur un élément de sa puissance industrielle ? En tant que président du GICAT, comment voyez-vous les choses en termes de consolidation de la filière ?

M. Stéphane Mayer. KNDS a une position sur ce sujet, très claire et partagée par tous les actionnaires et le management de l’entreprise. Je ne suis pas prêt à l’exprimer aujourd’hui dans le cadre d’une audition publique. Je me ferai en revanche un plaisir, Monsieur Fromion, Monsieur Meunier, de vous l’exposer en dehors de cette salle.

Nous avons une stratégie de consolidation : je ne sais pas si elle doit nous mener d’abord en Italie puis en France, ou s’il faut commencer par l’Allemagne, ou encore par la France. En tout état de cause, notre structure nous permet soit d’ouvrir notre capital à de nouveaux acteurs, soit de procéder comme toute entreprise à une acquisition sans modification de la structure de notre capital. Je ne fais que reprendre les éléments théoriques rendus publics lors de la création de KNDS, dont le but était de mettre en œuvre une stratégie de consolidation européenne avec des accords de gouvernance et une structure financière adaptée à différentes configurations.

Je rappelle que le processus de la vente annoncée par Volvo n’a pas encore commencé, et que je ne sais pas combien vaut RTD. Je ne peux pas me prononcer au nom de KNDS aujourd’hui, et encore moins publiquement. Je le répète : je pourrai vous rencontrer pour vous présenter notre position ; elle est parfaitement claire et parfaitement concertée. Je me réjouis d’ailleurs de la convergence de vues de plus en plus fréquente entre Nexter et KMW, que ce soit dans la façon d’aborder les marchés exports, dans la mise en œuvre du projet de rapprochement par thèmes, ou dans la stratégie.

J’en viens au programme SCORPION. Il s’agit non seulement de remplacer des VAB hors d’âge, des Sagaie ou des AMX 10 RC anciens, mais aussi de moderniser l’ensemble de l’outil. Le programme ne vise pas un remplacement à l’identique, loin de là : il s’agit de proposer des outils beaucoup plus modernes, plus efficaces et très bien équipés. Selon le calendrier actuel, le premier véhicule Griffon doit être livré en 2018, et une montée en cadence est prévue tout au long de l’année 2019. Le premier véhicule Jaguar doit être livré en 2020, avec une montée en cadence au début de l’année 2021. Aujourd’hui, pour la première tranche de cent dix engins blindés de reconnaissance et de combat (EBRC) et de 780 véhicules blindés multirôles (VBMR), sur un total de 1 900 véhicules, des livraisons sont prévues de la fin de l’année 2018 jusqu’en 2033.

Pour répondre aux besoins des armées, assurer une meilleure protection de nos soldats, une meilleure efficacité sur le champ de bataille et une meilleure homogénéité du parc plus rapidement, nous sommes capables de raccourcir certains délais de livraison. Cela ne vaudra pas pour les premières années, car nous ne pourrons pas sauter les étapes de qualification ni celle de la montée en cadence, toujours industriellement complexe. Nous pourrons en revanche doubler les cadences à partir de 2020 ou de 2021 pour que ce qui devait être livré à l’horizon de 2033 soit disponible dès 2026.

Je crois savoir qu’une convergence de vues existe sur ce sujet entre le ministère de la Défense, l’armée de terre, la DGA et les industriels concernés. Reste à déterminer le coût total du programme, et à savoir si les finances de l’État permettent d’assumer ce coût, après avoir déduit les dépenses de maintien en condition opérationnelle que ce dernier n’aura pas à consentir pour un matériel vieillissant retiré plus rapidement. C’est la seule question qu’il faut encore résoudre avant que nous puissions « appuyer sur le bouton ». Les trois industriels impliqués – Thales, Renault Trucks Defense, et Nexter – s’en réjouissent, tout comme les dizaines de PME qui contribuent à ce projet.

J’en viens aux questions de M. Folliot relative à l’exportation. Nos entreprises exercent une vigilance absolue s’agissant du respect des règles de l’OCDE en matière de corruption. Une obligation de compliance interne est en place ainsi que des obligations de reporting à nos actionnaires sur ce sujet. Il y a certains pays dans lesquels nous n’irons pas. Nous sommes parfois obligés de renoncer à sortir du cadre, mais l’équation est claire et assumée : soit nous respectons le cadre, soit nous n’allons pas vendre.

Le processus devant le CIEEMG fonctionne bien, il est assez réactif et rapide. Tel que je l’ai vu fonctionner avec mon expérience récente, je considère qu’il est efficace. Le GICAT soutient d’ailleurs les PME confrontées à cette procédure à laquelle les grands donneurs d’ordres sont habitués. Il existe aussi une procédure d’arbitrage à laquelle il est possible de recourir le cas échéant.

Vous m’avez interrogé sur les « conseillers défense ». J’insiste sur tout le soutien dont nous avons besoin et que nous obtenons de la part du ministère de la Défense, de la DGA, de l’armée de terre, mais aussi du réseau des ambassadeurs et des attachés de défense, tout à fait efficace. La nouvelle diplomatie économique fonctionne : le fait qu’un ambassadeur organise des rendez-vous avec des membres du gouvernement d’un pays client cible constitue un atout pour notre industrie. Le fait que des conseillers défense soient présents dans les pays en question, à l’écoute, en relation avec les militaires, les donneurs d’ordres et les prescripteurs représente une véritable force qu’il faut absolument entretenir. Je me trouvais il y a dix jours dans un pays du Moyen-Orient dans lequel nous avons de grands espoirs. J’ai été accueilli par l’ambassadeur et l’attaché de défense qui avaient organisé un rendez-vous chez le ministre de la Défense – avant la rencontre, l’attaché m’a donné les derniers éléments relatifs à l’environnement et à ses relations avec les militaires locaux. C’est un complément utile, voire indispensable, à notre propre réseau commercial dans les pays concernés.

Mme la présidente Patricia Adam. Monsieur le président, nous vous remercions pour l’ensemble des réponses que vous avez pu nous apporter ce matin.

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