mardi 30 mai 2023

L’Égypte a besoin de stabilité et de continuité

Au début du mois de février 2019, le président Abdel Fattah el Sissi, qui a été réélu en mars 2018, a fait savoir qu’il souhaitait en amender plusieurs articles de la Constitution adoptée en 2014. Un projet d’amendement a été déposé au Parlement par 20% des députés et cette proposition a été adoptée à une large majorité le 14 février. Il faut souligner que la modification de la Constitution n’interviendra qu’une fois qu’elle sera approuvée par référendum populaire. Le taux de participation sera un critère d’au moins autant d’importance que le résultat du vote.

Des amendements nécessaires

Les amendements proposés concernent une douzaine d’articles de la Constitution. Les modifications sont destinées à renforcer les libertés en garantissant la représentation parlementaire des femmes avec un quota de 25%, et une représentation adéquate des jeunes, des chrétiens, des personnes aux besoins particuliers et des Égyptiens de la diaspora. L’un des amendements prévoit le rétablissement d’un ministère de l’Information, supprimé par la Constitution de 2014. Le projet prévoit aussi le retour au bicamérisme avec la création d’une seconde chambre au Parlement afin de donner la parole à des experts et des sages. Enfin, le projet d’amendement comprend deux articles pour faire passer la durée du mandat présidentiel de quatre à six ans pour deux mandats successifs, permettant au  président actuel de se représenter pour douze ans au terme de son mandat présent.

Ces amendements visent à parachever un processus enclenché en juin 2013. Il ne faut pas idéaliser les événements de 2011 qui ont conduit au renversement de Moubarak. On voit aujourd’hui  quels désordres ont provoqué les prétendus « printemps arabes ». En Égypte, la révolution de 2011 a surtout profité à la Confrérie des Frères musulmans, qui était la seule force organisée de l’opposition. L’installation au pouvoir de la tyrannie des Frères musulmans n’a pas constitué une avancée pour la démocratie, bien au contraire. C’est précisément contre les Frères musulmans que le peuple s’est révolté à partir du 30 juin 2013, avec le soutien de l’armée. Devant le risque de chaos généralisé et de guerre civile, l’armée, dirigée par le général Sissi, et forte de l’appui d’une grande partie du peuple, mit fin au régime des Frères musulmans.

Le rôle indispensable de l’armée

Le rôle de l’armée, comme « gardienne et protectrice de l’État, de la démocratie, de la Constitution et des principes de la révolution du 30 juin » est renforcé par les amendements constitutionnels.   Le préambule de la Constitution de 2014 mettait déjà en exergue  « la place de l’armée dans la vie nationale », compte tenu notamment de son engagement pour aider le peuple lors du soulèvement du 30 juin 2013. La Constitution égyptienne fait une situation exceptionnelle aux forces armées qui sont érigées en un pouvoir constitutionnel autonome, tout de même encadré par le droit puisque les forces armées sont régies par un Conseil suprême prévue par la Constitution. Amr Moussa, qui a présidé l’organisme chargé de rédiger la Constitution, a  précisé qu’il s’agit de « défendre les intérêts nationaux alors que les forces armées sont engagées dans la lutte contre le terrorisme ». En effet, il est clair que l’Égypte n’est pas la Suisse ou la Norvège. Elle doit faire face à des événements graves, notamment dans le Sinaï,  et dans ce contexte, l’armée est la principale institution solide et unificatrice. C’est pourquoi la modification constitutionnelle introduit le principe que  « l’armée est le défenseur et le garant de la démocratie et de l’État civil ».

Le faux débat du nombre de mandats

Par ailleurs, il faut sortir du faux-débat du nombre de mandats présidentiels. Il faut se garder des visions idéologiques. La question n’est pas de changer de tête tous les 4 ou 5 ans. Il faut au contraire prendre la mesure de la réalité. En tant que juriste et géopoliticien, je ne suis pas favorable à la limitation. La  Constitution égyptienne est marquée par un retour au régime présidentiel. Or un tel régime implique le droit être élu et d’être réélu dès lors qu’on dispose d’une majorité populaire. De facto, les limitations de mandat restreignent les droits politiques des électeurs qui doivent pouvoir réélire un candidat s’ils le désirent. Je note que, dans la Constitution de 1958 voulue par le général de Gaulle,  il n’y avait pas de limite au nombre de mandats du président de la République. C’est seulement en 2008 que la Constitution française a subi une énième modification limitant le nombre de mandats à deux, en violation de l’esprit des institutions gaullistes. Sur le plan géopolitique, il est également clair que les dispositions actuelles sur le mandat présidentiel en Égypte ne sont pas  appropriées à la conjoncture du pays et de la région. Il faut les modifier car l’Égypte a besoin de stabilité et de continuité pour faire face à de nombreux défis en termes de sécurité et d’éco­nomie. De surcroît, s’agissant de l’Égypte, le projet ne prévoit pas revenir sur le principe de la limitation à deux des mandats présidentiels mais porte sur l’allongement de leur durée et prévoit une dérogation concernant l’actuel président : les compteurs seront remis à zéro une fois la révision adoptée par référendum.

Relever de nombreux défis

Cet aménagement peut se comprendre. Il est évident que l’Égypte d’aujourd’hui ne peut se passer d’un régime fort. D’abord parce qu’elle doit faire face au risque terroriste et de déstabilisation, ensuite parce qu’elle est confrontée à une situation régionale dangereuse (notamment en Libye), enfin parce qu’elle doit affronter des problèmes considérables, notamment sur le plan économique. La priorité est de maintenir un taux de croissance élevé, supérieur à 5%.

Les événements spectaculaires qui secouent l’Algérie peuvent inciter certains à des parallèles hasardeux. Comparaison n’est pas raison. Sclérosé et agonisant, le système algérien se caractérise par son immobilisme. À l’inverse, les autorités égyptiennes ont engagé depuis 2014 des réformes volontaires et courageuses. La question essentielle est de nourrir, d’éduquer et de soigner une population de près de 100 millions d’habitants et de réduire la démographie galopante. La population pourrait encore doubler à l’horizon 2050, car, tous les dix ans, l’Égypte gagne 25 millions d’habitants. C’est un problème considérable. C’est la raison pour laquelle les autorités de ce pays ont lancé des chantiers très importants : le doublement du canal de Suez, qui devrait permettre de doubler les revenus liés au trafic maritime, la construction d’une nouvelle capitale administrative et de 13 autres villes nouvelles, l’exploitation du gaz en Méditerranée orientale, avec le champ géant de Zohr. Des réformes économiques drastiques touchant au système de subventions ont été conduites, la livre a été dévaluée, les fondamentaux macro-économiques ont été restaurés, puisque les réserves de change, tombées à 13 milliards en 2013, atteignent maintenant 45 milliards de dollars. Mais ces réformes, pour produire pleinement leurs effets, supposent de s’inscrire dans le temps long.

Pour conclure, le temps n’est pas à pérorer mais à soutenir les efforts de redressement national et de lutte contre l’extrémisme L’Égypte est  un partenaire important pour les pays occidentaux, en particulier la France et les États-Unis. Rappelons que le président Macron s’est rendu en visite officielle au Caire en janvier 2019. La France considère l’Égypte comme un partenaire indispensable dans la région, en particulier pour ce qui concerne le dossier libyen et la lutte contre l’extrémisme et le terrorisme.

Dr Charles Saint-Prot

Directeur général de l’Observatoire d’études géopolitiques de Paris

Observatoire d'études géopolitiques
Observatoire d'études géopolitiqueshttp://www.etudes-geopolitiques.com/
L'Observatoire d’études géopolitiques (OEG) est un institut français ayant pour objet de contribuer à la promotion et au rayonnement de la recherche scientifique dans les différents domaines de la géopolitique et des relations internationales. Cette contribution, tant au plan national qu'international, s'appuie notamment sur l'organisation de colloques, de conférences, de tables rondes, de prestations intellectuelles en association avec la Faculté de droit de l’Université Paris Descartes, et divers instituts étrangers (Remald de Rabat, UOC de Barcelone, ECSSR d’Abou Dhabi) et organisations internationales (ISESCO, OIF…). Le siège de l’OEG est à Paris. L’institut a également un bureau pour le Proche-Orient à Beyrouth et des représentants ou des correspondants dans divers pays (Bruxelles, Djibouti, Egypte, Emirats arabes unis, Maroc, Roumanie…) L’Observatoire d’études géopolitiques est dirigé par Charles Saint-Prot et Zeina el Tibi en est la présidente déléguée. Les travaux sont supervisés par un Conseil scientifique.
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