Au moment où le Royaume-Uni a choisi de sortir de l’Union européenne, lors du référendum du 23 juin 2016, il est nécessaire de rappeler certaines vérités.
La première, sur laquelle on finirait presque par avoir un doute, est que le Royaume-Uni fait toujours partie de l’Europe. Il reste d’abord lié par de multiples traités bilatéraux ou multilatéraux aux divers pays membres de l’Union européenne Il collabore ensuite toujours à la structure qui, pour le meilleur ou pour le pire, est censée défendre cette dernière, l’OTAN. Surtout, la conservation des liens militaires entre Paris et Londres est une nécessité absolue.
Enfin, le Royaume-Uni fait toujours partie du Conseil de l’Europe et reste signataire de la Convention européenne des droits de l’homme, laquelle, soit dit en passant, par son juridisme exacerbé, comporte autant de risques pour la souveraineté des nations que les institutions de l’Union européenne.
Ce que quitte le Royaume-Uni, c’est uniquement l’Union européenne, une structure de coopération interétatique que les meilleurs experts peinent à définir juridiquement. Une Union européenne à laquelle de toute manière il ne participait que de manière partielle, veillant à protéger au mieux ses intérêts et échappant ainsi à ces deux tares fondamentales que sont la monnaie unique (l’euro) et l’espace Schengen.
Si, malgré le caractère spécifique de cette participation, les peuples du Royaume-Uni, avec cependant les réserves exprimées en Écosse et en Irlande du Nord, ont aujourd’hui majoritairement choisi de sortir de l’Union européenne, la faute en revient uniquement à cette dernière.
La mise en place, depuis sa fondation, d’un projet clairement défini comme devant obligatoirement déboucher sur une Europe fédérale, en lieu et place de l’Europe des nations souhaitée par les peuples européens, ce projet oligarchique et ploutocratique des Monnet et Schumann, repris par les apparatchiks de la Commission, a abouti à l’échec actuel. À chaque crise, financière, politique ou structurelle ; à chaque fois que l’on aurait pu tenter d’infléchir le cours des choses, la même antienne a été répétée comme un mantra : il fallait « plus d’Europe » ou « mieux d’Europe » comme l’écrivent maintenant certains folliculaires dans le sabir de la pensée unique.
Ceux qui par malheur s’opposaient à cette fuite en avant ne pensaient pas et ne devaient pas pouvoir s’exprimer, car ils pouvaient troubler une opinion publique toujours prête à verser dans ce nationalisme, abhorré par ces chantres européistes mais qui n’est ni plus ni moins que le souci de la souveraineté des nations et des peuples.
L’Europe des nations, par son histoire, par sa richesse, par sa puissance économique, intellectuelle ou militaire, ne peut pas échouer. Mais par son aveuglement, par son mépris souverain de ses populations, par sa négation des réalités, l’Union européenne, construction fédéraliste artificielle, a échoué. Ce conglomérat dirigé par une technocratie cosmopolite et irresponsable s’est montré incapable de défendre les nations d’Europe face aux multiples menaces qui pèsent sur elles comme de respecter la diversité de ses peuples. Faute d’une réforme majeure, redonnant aux États membres toute leur place, elle échouera encore et toujours.
Ce n’est pas la première fois. On se souvient de l’échec de la Communauté Européenne de Défense, du traité de Maastricht passé sur le fil, du rejet du traité dit Constitution. Mais on se souvient aussi des pressions et des mensonges qui ont permis malgré cela au projet européiste de continuer sa course folle vers l’inconnu au lieu de prospérer. Cette fois, le choc est majeur. Jusqu’au dernier moment les européistes ont espéré que les manœuvres habituelles, une propagande aux moyens sans commune mesure avec celle des tenants de la sortie de l’Union européenne (Brexit), et alors qu’Obama lui-même était venu donner des conseils (ou des directives) lors de sa tournée européenne, permettrait de passer le cap. Le vote britannique prouve qu’il y a encore en Europe un « pays réel » qui n’accepte plus d’être muselé par le « pays légal ».
Les partisans du Brexit, il faut le dire, doivent aussi remercier Angela Merkel. Imposant d’une manière arrogante les seuls intérêts de l’Allemagne au reste du continent, qu’il s’agisse de l’union monétaire ou de ses choix opérés sans la moindre concertation dans la non-gestion de la « crise des migrants », assumant crûment la violence faite aux peuples européens, elle a permis leur réveil. Grâce à la chancelière allemande et aux responsables de la bureaucratie bruxelloise, les peuples européens constatent aujourd’hui qu’ils ont beaucoup plus à craindre en abandonnant leur souveraineté que les éventuelles conséquences économiques qui naîtraient de la sortie de l’Union. Ce qu’ils constatent c’est que l’organisation supranationale à laquelle leurs États ont choisi, souvent sans les consulter, de déléguer des compétences toujours plus vastes, non seulement se montre incapable d’assurer leur sécurité mais encore contribue, par sa politique même, à instaurer une insécurité grandissante.
Voilà pourquoi le Brexit aura une suite. Mais laquelle ? Il est stupéfiant de noter que le premier réflexe d’une part non négligeable de la classe politique française et européenne, après ce coup de théâtre, soit pour stigmatiser le référendum, autrement dit pour regretter que l’on ait donné la parole au peuple. On mesure la coupure qui existe, le fossé toujours grandissant entre cette classe dirigeante autiste et les citoyens.
Deux options se présentent en fait quant à l’avenir de l’Union européenne.
- Soit les États membres comprennent le message du vote britannique, acceptent de changer de logiciel en abandonnant toute option fédérale et supranationale, renégocient les traités en demandant aux peuples européens leur avis, et, en rétablissant la souveraineté des États dans les domaines essentiels de la loi, de la justice, de la monnaie ou de la sécurité, créent alors cette Europe des nations qui est certes indispensable dans le contexte géopolitique du XXIe siècle, et dans laquelle la Grande-Bretagne aura évidemment toute sa place.
- Soit l’oligarchie au pouvoir le refuse. C’est sans doute le vrai danger des suites du Brexit car il faut comprendre que, dans ce second cas, il lui faudra empêcher les soulèvements populaires causés par sa politique. Sa seule solution sera alors de maintenir, sur l’ensemble du continent, un état d’insécurité permanent qui lui permettra, petit à petit, d’éliminer jusqu’aux dernières libertés individuelles. C’est pourquoi, si l’on peut se réjouir de l’espoir qui naît de voir les peuples reprendre le pouvoir et les nations retrouver leur souveraineté, nous devons être plus que jamais sur nos gardes.
Christophe BOUTIN
Professeur des universités