mercredi 7 juin 2023

N’enterrons pas la politique arabe de la France

Les tragiques événements qui frappent aujourd’hui et depuis plusieurs jours les territoires palestiniens, et en particulier la bande de Gaza et Jérusalem Est, se déroulent dans un climat de relative indifférence de la Communauté internationale. L’administration américaine paraît excessivement prudente et soucieuse une fois encore de ne pas entraver l’allié israélien. L’Union européenne, certes dans une position plus respectueuse du multilatéralisme et du droit international, condamne, exhorte, rappelle que… sans que l’on parvienne véritablement à saisir l’impact de cette politique timide sur la région et le conflit israélo-palestinien.

Quant à la France, malgré la tradition de sa politique arabe héritée en très partie du général de Gaulle, et poursuivie par Pompidou, Giscard d’Estaing et Chirac, elle peine à afficher un discours clair et volontariste. Les soutiens à la cause palestinienne, à l’exception de La France insoumise et des partisans de l’extrême gauche, ne sont guère entendus et on perçoit bien que, dans ce contexte général, le peuple palestinien est laissé à son triste sort.

Ce constat est insupportable et il importe de rappeler certains principes et exigences. Dans une biographie accompagnée d’entretiens avec le leader historique du peuple palestinien, Yasser Arafat, Charles Saint Prot rapporte les propos que lui avait tenus ce dernier : « Lorsque je serai devenu président du Comité exécutif de l’O.L.P en 1969, le Général de Gaulle me fera parvenir une croix de Lorraine, que je conserve précieusement autour du cou, et une correspondance appuyant les revendications nationales palestiniennes. J’extrais de mémoire cette phrase : « Je n’ai pas de conseil à vous donner, sinon de continuer à résister pour faire reconnaître vos droits nationaux légitimes » » (Yasser Arafat, Biographie et entretiens par Charles Saint-Prot, éditions Jean Picollec, 1990, p 122).

Oui, la question palestinienne est bien une « question nationale » qui ne peut laisser indifférente la droite gaulliste si soucieuse du respect et de la vie des patries. C’est la raison pour laquelle il faut réaffirmer que, ce qui joue actuellement en mai 2021, c’est bien la violation du droit du peuple palestinien à l’autodétermination. L’importance de ce droit avait été parfaitement soulignée, ou plutôt rappelée, par l’avis consultatif de la Cour internationale de justice en date du 9 juillet 2004 dans l’affaire des Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé (CIJ, Recueil 2004, p 136). Dans cet avis, la Cour rappelle que les territoires occupés par Israël depuis 1967 constituent des territoires « occupés » soumis au régime juridique de l’occupation au sens du droit international. La Cour y rappelle dans ce contexte l’importance de l’application des principes de droit international humanitaire et de droit international des droits de l’Homme, notamment à Jérusalem Est. Or, du fait de la politique de colonisation et de transfert de populations, nous sommes dans une situation généralisée de violations du droit à la libre circulation, du droit au travail, à la santé des habitants des territoires palestiniens. 

Ce qui est en jeu actuellement, c’est la crédibilité que la Communauté internationale entend accorder au droit international et aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unis. C’est également l’importance accordée au multilatéralisme pour tenter de sortir d’un conflit qui a plus de 70 ans d’existence. La solution ne peut plus venir des États-Unis d’Amérique. Les décisions catastrophiques de l’administration Trump, comme le transfert de l’Ambassade américaine à Jérusalem annoncée en décembre 2017, n’ont fait qu’aggraver la situation. Certains États arabes, comme le Maroc, prennent des décisions courageuses pour soutenir les populations palestiniennes de Jérusalem, de Cisjordanie et de Gaza. Le roi du Maroc a annoncé récemment une aide très conséquente pour les populations de Gaza. En même temps, le Roi qui sait que le conflit de Palestine est le nœud même de la crise au Proche-Orient, a rappelé les fondamentaux de la politique du Royaume et de celle des pays arabes : à savoir que la paix exige la création d’un État palestinien dans les frontières du 4 juin 1967, avec Jérusalem Est pour capitale.

Malgré la conclusion des « accords d’Abraham », il faut souhaiter qu’un acteur majeur de la région, comme les Emirats arabes unis, joue de tout son poids et de toute son influence pour peser sur les décisions gouvernementales de l’État d’Israël. Il faut également souhaiter qu’Israël puisse sortir de ce cycle électoral qui perturbe si profondément sa vie démocratique et donne un poids démesuré aux courants de l’extrême droite israélienne. 

D’un autre côté, la Communauté internationale doit exiger que de nouvelles élections se déroulent dans les territoires palestiniens : la situation actuelle n’est plus tenable. De nombreux Palestiniens perdent toute confiance dans leurs responsables politiques. Si on veut renouer avec l’esprit des accords d’Oslo de 1993, un renouvellement du personnel politique, en Israël comme au sein de l’Autorité palestinienne, est indispensable. Dans la période actuelle, il faut plus que jamais se soucier de la sécurité de la région, de la garantie des droits des Palestiniens et de l’aspiration légitime à la sécurité de l’État d’Israël. N’oublions pas non plus les prolongements de ce conflit en France et dans d’autres pays européens.

Face à cette situation si préoccupante, la France peut avoir un rôle à jouer. Elle doit le faire avec son expérience, l’expertise de son réseau diplomatique, mais également par sa position médiane, partagée entre ses bonnes relations avec Israël et la tradition de sa politique arabe. La France doit peser de tout son poids pour obliger l’Union européenne à agir dans la résolution du conflit israélo-palestinien, résolution qui doit s’opérer sur le fondement du droit international. Ceci passe également par des mesures concrètes comme l’étiquetage des produits émanant des territoires palestiniens sous occupation (cf document ci-dessous – V. Fr. Dubuisson et Gh. Poissonnier).

Comme le relève justement le professeur Monique Chemillier-Gendreau, dans une étude passionnante, « Jérusalem, le droit international comme source de solution » (Confluences Méditerranée, vol 86, n°3, 2013, pp 57-69), il ne peut y avoir de solution durable à ce conflit qui ne soit pas fondée sur le respect du droit international. Ce combat légitime n’est en aucune manière le monopole des extrêmes, mais doit être porté par ceux qui se réclament de la fidélité aux convictions gaullistes. Il reste à souhaiter que ceux qui se considèrent comme les héritiers politiques du général de Gaulle redonnent toutes ses lettres de noblesse à la politique arabe de la France.

Thierry Rambaud

  • Professeur des universités
  • Directeur des études de l’Observateur d’études géopolitiques

 

Observatoire d'études géopolitiques
Observatoire d'études géopolitiqueshttp://www.etudes-geopolitiques.com/
L'Observatoire d’études géopolitiques (OEG) est un institut français ayant pour objet de contribuer à la promotion et au rayonnement de la recherche scientifique dans les différents domaines de la géopolitique et des relations internationales. Cette contribution, tant au plan national qu'international, s'appuie notamment sur l'organisation de colloques, de conférences, de tables rondes, de prestations intellectuelles en association avec la Faculté de droit de l’Université Paris Descartes, et divers instituts étrangers (Remald de Rabat, UOC de Barcelone, ECSSR d’Abou Dhabi) et organisations internationales (ISESCO, OIF…). Le siège de l’OEG est à Paris. L’institut a également un bureau pour le Proche-Orient à Beyrouth et des représentants ou des correspondants dans divers pays (Bruxelles, Djibouti, Egypte, Emirats arabes unis, Maroc, Roumanie…) L’Observatoire d’études géopolitiques est dirigé par Charles Saint-Prot et Zeina el Tibi en est la présidente déléguée. Les travaux sont supervisés par un Conseil scientifique.
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