IN MEMORIAM – Philippe RAGUENEAU, compagnon de la Libération (décédé le 22 octobre 2003)

Philippe Ragueneau demeure l’une des figures marquantes de la Résistance française, reconnu pour son engagement précoce dès juin 1940 et son parcours exceptionnel qui l’a mené de la résistance intérieure aux commandos et aux missions parachutées.

Né le 19 novembre 1917 à Orléans dans le Loiret, Philippe Ragueneau est issu d’une famille d’industriels. Il effectue ses études secondaires à Roubaix puis à Lille, avant d’intégrer la prestigieuse école des Hautes Études Commerciales (HEC). C’est alors qu’il est encore étudiant que la guerre éclate et bouleverse son destin.

Mobilisation et refus de la défaite

En septembre 1939, Philippe Ragueneau est mobilisé à la 51e Division d’Infanterie à Orléans. Il suit une formation d’élève officier de réserve (EOR) à Saint-Cyr et accède au grade d’aspirant dans l’Infanterie. En juin 1940, il se trouve à Mondonville, occupant le poste de chef de section dans une compagnie de mitrailleuses du 23e Régiment d’Infanterie.

Face à la débâcle militaire, Philippe Ragueneau fait preuve d’une détermination remarquable. Avant même l’appel historique du général de Gaulle du 18 juin, il refuse de déposer les armes et parvient à rassembler autour de lui les officiers et sous-officiers de sa compagnie. Ce geste d’insoumission précoce témoigne d’une conviction profonde : la France doit poursuivre la guerre.

Une semaine seulement après l’armistice du 22 juin 1940, Philippe Ragueneau passe à l’action clandestine. Il diffuse en Haute-Garonne un manifeste intitulé « La guerre continue » dans lequel il définit les principes de la résistance clandestine. Cette initiative audacieuse en fait l’un des tout premiers résistants de France.

Il fonde ensuite dans la région le mouvement « La Guerre Secrète », organisation qui se consacre au renseignement, à la propagande et au sabotage. Cette création spontanée illustre la naissance de la Résistance française, encore désorganisée mais animée par une volonté farouche de continuer le combat.

Fin janvier 1941, recherchant à coordonner les efforts résistants, Ragueneau se rend à Lyon pour rencontrer les responsables d’autres mouvements naissants en zone sud, notamment le Mouvement de Libération Nationale (MLN) créé par Henri Frenay. Il décide alors de fusionner son mouvement avec celui de Frenay, participant ainsi à la structuration de la Résistance française.

Le 12 août 1941, la Gestapo française frappe. Philippe Ragueneau est arrêté à son domicile avec 200 exemplaires du journal clandestin « Vérités ». Interrogé pendant 24 heures par la police de Vichy, il ne cède pas et ne livre aucune information. Il est emprisonné à la sinistre prison de Montluc à Lyon, lieu de détention et d’exécution de nombreux résistants.

Trois mois plus tard, il comparaît devant un tribunal. Par chance, les magistrats sont favorables à la Résistance. Ragueneau échappe à la peine de mort et se voit condamner à six mois de prison avec sursis, sentence clémente qui lui permet de recouvrer rapidement sa liberté.

Libéré en novembre 1941, Philippe Ragueneau reprend immédiatement ses activités clandestines. Mais conscient des dangers croissants, il décide de gagner l’Algérie où il entre en relation avec le mouvement « Combat », tout en se couvrant sous la profession d’attaché commercial.

Lors du débarquement allié de novembre 1942 en Afrique du Nord (opération Torch), il participe activement au coup de force qui neutralise Alger et prend part à l’occupation de la villa du commandement de l’Air à El Biar, action décisive pour faciliter le débarquement des forces anglo-américaines.

C’est en Afrique du Nord que Philippe Ragueneau connaît ses heures les plus intenses de combattant. Il s’engage dans un commando français qu’il contribue à mettre sur pied : le Special Detachment, rattaché à la 1ère Armée Britannique. Nommé sous-lieutenant, il commande 45 hommes dans des opérations particulièrement périlleuses.

En décembre 1942 et janvier 1943, Ragueneau et son commando accomplissent un exploit remarquable : ils débarquent puis occupent pendant près de deux mois le phare du Cap Serrat en Tunisie. Coupés de leur base et presque sans ravitaillement, ils tiennent leur position dans des conditions extrêmes. En mars 1943, le commando opère à l’Oued Zarga puis, en avril, retourne au Cap Serrat.

Au total, Philippe Ragueneau effectue 21 missions de sabotage dans les lignes ennemies, démontrant un courage et une compétence tactique exceptionnels. Ces faits d’armes lui valent une promotion au grade de lieutenant.

Formation de parachutiste

Volontaire pour suivre des cours de parachutisme, Ragueneau repart pour Alger. Cette formation s’inscrit dans la préparation des opérations de reconquête de la France métropolitaine. Après l’entrée des Alliés à Tunis, les volontaires du Special Detachment sont incorporés dans la 1ère Division Française Libre au sein du 1er Régiment de DCA Légère.

Apprenant la mort tragique de Berty Albrecht, grande figure de la Résistance intérieure et compagne d’Henri Frenay, Philippe Ragueneau demande au général Diego Brosset, commandant la 1ère DFL, l’autorisation de retourner en France pour poursuivre le combat sur le sol national.

En novembre 1943, il est affecté à Alger au Bureau Central de Renseignements et d’Action (BCRA), le service secret de la France Libre dirigé par le colonel Passy. Le 1er décembre, il part pour Londres où il suit un entraînement intensif couvrant le parachutisme, le sabotage, l’espionnage et toutes les techniques de la guerre clandestine.

Dans la nuit du 9 au 10 juin 1944, trois jours après le débarquement de Normandie, le capitaine Ragueneau accomplit sa première mission parachutée. Membre de l’équipe Jedburgh « George », il est largué dans le Morbihan dans le maquis de Saint-Marcel, accompagné d’un détachement du 4e Bataillon d’Infanterie de l’Air.

Pendant 10 nuits consécutives, il organise la réception de parachutages de matériel destiné à armer les maquis bretons. Mais le 18 juin 1944 à l’aube, jour symbolique de l’appel du général de Gaulle, le camp est attaqué par les forces allemandes. La bataille de Saint-Marcel, l’un des plus importants affrontements entre maquisards et troupes d’occupation, contraint Philippe Ragueneau et les FFI à se replier.

Après dix jours de marche clandestine à travers la Bretagne, Ragueneau atteint le maquis de Saffré en Loire-Atlantique. Il participe aux combats de défense du maquis puis à ceux d’Ancenis. Sa compétence et son expérience sont reconnues : il est nommé Délégué Militaire Départemental en Loire-Inférieure (future Loire-Atlantique).

Dans cette fonction cruciale, il organise la résistance départementale, obtient des armes auprès des Alliés et équipe plusieurs bataillons de FFI. Après l’arrivée des troupes américaines fin août 1944, le capitaine Ragueneau rentre à Londres pour une nouvelle mission.

Le 7 septembre 1944, Philippe Ragueneau est parachuté une seconde fois en France, dans la Vienne (mission Shinoile). Mais l’opération tourne mal : il se casse une jambe à l’atterrissage. Malgré cette blessure douloureuse, il ne renonce pas. Il contribue à mettre sur pied le 1er Groupement Mobile qui monte au contact des Allemands retranchés sur la ligne Pornic-Paimbœuf. Après de durs combats, les forces françaises refoulent l’ennemi vers Saint-Nazaire.

En octobre 1944, appelé à Nantes à l’État-major du 1er Groupement Mobile, il est nommé chef du 2e Bureau (renseignement). Fin novembre 1944, sa mission militaire terminée, il rentre à Paris. La guerre continue encore plusieurs mois, mais pour Philippe Ragueneau, le combat armé s’achève.

Carrière dans le journalisme et les médias

Après la guerre, Philippe Ragueneau s’oriente vers le journalisme. Il devient co-fondateur et directeur de « L’Avenir de l’Ouest » jusqu’en 1947, contribuant ainsi à la reconstruction démocratique de la France.

De 1947 à 1948, il est chargé de mission au Rassemblement du Peuple Français (RPF), le parti créé par le général de Gaulle. Il poursuit dans cette voie en devenant chargé de mission au Conseil de la République (1948-1949), puis chef du service de presse du RPF et rédacteur en chef d’Informations et Documents en 1949.

Entre 1956 et 1958, il occupe le poste de chef de service à « Jours de France » et à « Radar ». Lorsque le général de Gaulle revient au pouvoir en 1958, Philippe Ragueneau est naturellement appelé : il devient chargé de mission et des relations avec la presse dans le cabinet du Général, de juin 1958 à janvier 1959.

C’est dans le domaine de la télévision que Philippe Ragueneau laisse une empreinte durable. Nommé directeur adjoint des programmes de la Télévision en octobre 1959, il joue un rôle majeur dans le développement de ce média encore jeune.

En 1963-1964, il crée et préside la 2e chaîne à la RTF (Radiodiffusion-télévision française), une innovation majeure qui double l’offre télévisuelle française. Il devient ensuite directeur du programme des deux chaînes françaises en 1964, puis Inspecteur général de l’ORTF (Office de radiodiffusion-télévision française) de 1968 à 1974.

Membre du Conseil d’Administration de l’ORTF (1971-1972), il est également délégué de l’ORTF pour les stations d’Outremer, contribuant au rayonnement de la télévision française dans les territoires ultramarins.

De 1975 à 1982, Philippe Ragueneau dirige le Centre d’études d’opinion. Administrateur de la société Secodip depuis 1983 et secrétaire général adjoint du Conseil national de la communication depuis 1988, il poursuit également des activités d’auteur et de producteur pour la télévision.

Il préside la Communauté des Télévisions francophones, dont il est le fondateur, et l’association des Résistants de l’ORTF, maintenant vivant le souvenir de ceux qui ont combattu pour la liberté.

En 1976, à près de soixante ans, Philippe Ragueneau publie son premier roman, « Julien ou la route à l’envers » chez Albin Michel. C’est le début d’une carrière littéraire particulièrement féconde qui se poursuivra jusqu’à sa mort.

Son œuvre comprend plus d’une vingtaine d’ouvrages, allant des romans aux récits historiques, en passant par des livres pour enfants mettant en scène le personnage récurrent du chat Moune. Parmi ses œuvres les plus notables : « Paris libéré, ils étaient là » (1994), témoignage historique ; « Dictionnaire du Gaullisme » co-écrit avec Guy Sabatier (1994) ; « Humeurs et humour du Général » (1990) et « Le Général a dit : sarcasmes et boutades » (2003), qui reflètent sa proximité avec de Gaulle.

Ses livres témoignent d’une vie riche, d’une plume alerte et d’une capacité à passer du récit de guerre aux histoires pour enfants, de l’analyse politique à l’humour.


Distinctions et reconnaissance

Philippe Ragueneau fut fait Compagnon de la Libération par décret du 17 novembre 1945, reconnaissance suprême de son engagement exceptionnel dans la libération de la France. Il reçut également de nombreuses décorations françaises et alliées :

  • Commandeur de la Légion d’Honneur
  • Compagnon de la Libération (décret du 17 novembre 1945)
  • Croix de Guerre 39/45 avec trois citations
  • Médaille de la Résistance
  • Médaille Coloniale
  • Croix du Combattant Volontaire
  • Médaille Commémorative des Services Volontaires dans la France Libre
  • Africa Star (Grande-Bretagne)
  • 1939-45 War Medal avec mention in dispatches (Grande-Bretagne)
  • Silver Star (États-Unis)

Philippe Ragueneau s’est éteint le 22 octobre 2003 à Gordes, dans le Vaucluse, à l’âge de 85 ans. Sa disparition marque la perte d’un témoin exceptionnel de la Résistance française, d’un homme qui avait refusé la défaite dès juin 1940 et combattu sans relâche jusqu’à la Libération.

Jean-Baptiste TOMACHEVSKY
Jean-Baptiste TOMACHEVSKY
Mon grand-oncle paternel s'est engagé dans la Légion étrangère, parti combattre pendant la guerre d'Algérie. Il est mort pour la France en 1962. C'est lui qui m'a donné l'amour de la Patrie et l'envie de la servir. Appelé sous les drapeaux en février 95, j'ai servi dans 6 régiments et dans 5 armes différentes (le Train, le Génie travaux, l'artillerie sol-air, les Troupes de marine et l'infanterie). J'ai participé à 4 opérations extérieures et à une MCD (ex-Yougoslavie, Kosovo, Côte d'Ivoire, Guyane). Terminant ma carrière au grade de caporal-chef de 1ère classe, j'ai basculé dans la fonction publique hospitalière en 2013 en devenant Responsable des ressources humaines au centre hospitalier de Dieuze. J'ai décidé ensuite de servir la Patrie différemment en devenant Vice-président du Souvenir Français (Comité de Lorquin-57) où je suis amené à participer à une cinquantaine de cérémonies mémorielles par an. Je participe également à des actions mémorielles auprès de notre jeunesse. Je suis également porte-drapeau au sein de l'Union nationale des combattants (UNC) de Lorquin (57) et membre du conseil départemental de l'ONaCVG de la Moselle, collège 2 et 3. J'ai également créé sur un réseau social professionnel un compte qui regroupe près de 16 000 personnes dédié au Devoir de mémoire. Je transmets et partage les destinées de ceux qui ont fait le sacrifice de leur vie pour la France. J'ai rejoint THEATRUM BELLI en novembre 2024 pour animer la rubrique "Mémoires combattantes".
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