samedi 7 décembre 2024

Incident franco-chinois dans le détroit de Taiwan : recadrage

Les comptes rendus grossis de l’incident

Le 6 avril 2019, la frégate de surveillance française Vendémiaire a été interpelée, et non pas interceptée, par les autorités navales de Chine populaire alors qu’elle franchissait le détroit de Taiwan.

Le 25 avril, soit 19 jours après l’incident, révélé par l’agence Reuters sur déclaration de deux autorités militaires américaines qui ont requis l’anonymat, la presse internationale, qu’elle soit française ou anglo-saxonne, y va de ses couplets d’imprécisions.

Une partie de la presse française, d’une manière générale, dit que notre navire a été « intercepté ». C’est faux et c’est un abus de langage. A notre connaissance en effet, il n’a pas été militairement appréhendé, arrêté, arraisonné, ni contraint par la force ou même par la menace de la force à quitter le détroit. Il a pu suivre sa route normalement, du sud vers le nord. Il n’a donc pas été contraint de faire demi-tour bien que sommé de répondre à une injonction impérative. Il n’y a pas eu de tentative agressive à son encontre mais un jalonnement par au moins un bâtiment de la marine chinoise jusqu’à la sortie du détroit.

En revanche la presse anglo-saxonne dit plus raisonnablement que la frégate a été « avertie » ou « mise en garde ». Que notre navire ait été sommé de quitter les lieux, cela fait partie du jeu normal des tentatives chinoises d’intimidation contre tout navire considéré comme violant « le droit international aux couleurs chinoises ».

En tout état de cause, le Vendémiaire n’avait aucune autre intention que de traverser le détroit dans le cadre d’un simple transit, conformément aux règles du droit maritime international en termes de passage en transit dans les détroits. C’est la raison pour laquelle dire qu’il a été contraint de quitter le détroit est une ineptie, un abus de langage utilisé pour créer du sensationnel.

Une fois de plus, une interprétation abusive du droit de la mer par la Chine

En effet, contrairement à ce qu’affirme Pékin, le vaisseau français n’est pas passé dans les eaux territoriales de la Chine continentale, pas plus que dans les eaux territoriales taïwanaises. En effet, dans le détroit, dont la largeur varie entre 180 et 130 km, les eaux territoriales (12 milles marins, soit quelque 22 km) des deux entités chinoises ne se rejoignent absolument pas. En revanche ces deux dernières se partagent la partie centrale, hors mers territoriales, soit une bande de 136 à 86 km. C’est la partie de zone économique exclusive (ZEE) dont les deux rives chinoises, communiste et nationaliste, disposent chacune pour partie et qui se partage en deux selon une ligne médiane virtuelle.

Or une ZEE, hors secteur recouvert par la mer territoriale, n’est en aucun cas une mer territoriale. Par conséquent elle ne peut pas être sous souveraineté des pays riverains mais seulement sous droits souverains limités à des droits économiques et aux opérations de police qui s’y attachent. Par conséquent une ZEE est un espace où, en termes de navigation internationale, la liberté de circuler est totale, y compris pour les marines de guerre et les avions d’État. Cette liberté va même jusqu’à autoriser la pratique des exercices militaires, sous réserve bien sûr que les nécessaires mesures de sécurité liées à ces exercices soient respectées. En outre, il faut noter que si les articles 34 à 45 de la Convention des nations unies (CNDUM) fixent les conditions précises selon lesquelles le « passage en transit » de tout navire et aéronef dans les détroits doit s’effectuer, le Vendémiaire n’a à aucun moment dérogé aux règles fixées.

Ainsi lorsque la Chine prétend que le Vendémiaire a violé les eaux territoriales chinoises elle abuse une fois de plus de son interprétation erronée du droit de la mer puisqu’elle tend à considérer sa ZEE comme une mer territoriale. Une fois de plus puisque, rappelons-le, elle refuse de souscrire au verdict de la cour permanente d’arbitrage, en date du 12 juillet 2016, selon lequel ses prétentions sur la quasi-totalité de la mer de Chine du Sud selon le tracé en neuf traits, sont « sans effet légal ».

Silence radio de la France sur l’incident

Sachant que l’incident s’est produit le 6 avril, comment se fait-il que l’événement n’apparaisse dans la presse internationale que 19 jours après, alors qu’il aurait dû apparaître immédiatement dans la presse française ? Et que ce soit Reuters, sur témoignage d’Américains, qui donne l’information ?

Diffusée immédiatement cette information aurait alors pu être assortie d’une autre information officielle française. Celle-ci aurait alors révélé l’élévation d’une protestation à l’encontre de la Chine pour abus d’interprétation de la CNUDM, et par voie de conséquence de l’abus de droit que Pékin s’est arrogé dans le but de tenter de faire obstacle au droit de passage en transit d’un navire de guerre. En même temps, à titre de représailles à l’encontre de l’attitude chinoise, la France aurait pu déclarer elle-même qu’elle déclinait l’invitation chinoise à participer au 70e anniversaire de la création de la marine de la Chine populaire, célébré le 23 avril à Qingdao, dans le Shandong. Or dans le cas de figure présent, c’est tout le contraire qui se produit puisque c’est la Chine qui prétend nous sanctionner et être dans son droit.

Avoir laissé à la fois aux États-Unis et à la Chine l’initiative de révéler publiquement l’incident revenait in fine à laisser croire que c’était la France qui avait commis une faute et que le transit de son navire était commandité par les Américains. Ainsi prendre les devants aurait évité de voir le monde entier spéculer sur ce dernier point et imaginer que notre pays est incapable de prendre des décisions motu proprio.

Une autre question qui se pose est de savoir pourquoi, alors que ce n’est pas la première fois qu’un navire de la marine française franchit le détroit, la Chine s’en prend cette fois-ci au Vendémiaire.

  • Est-ce à cause de la tension qui monte entre les deux rives du détroit ? Il est fort probable que ce soit l’un des éléments.
  • Est-ce par représailles envers la France pour le resserrement de ses relations de coopération militaire avec le Japon ?
  • Est-ce aussi par représailles pour la participation de la marine française, dont celle du Vendémiaire, aux opérations de surveillance des côtes nord-coréennes aux côtés du Japon ?

Autant d’hypothèses qui peuvent être ouvertes et même se cumuler.

Enfin, pour « ne pas froisser » Pékin, éviter de naviguer dans les zones maritimes où se rencontrent des problèmes avec lui revient à cautionner implicitement les interprétations fallacieuses chinoises du droit de la mer. Et par là cela revient à tolérer que le caractère inaliénable de la liberté de la navigation internationale dans et au-dessus des espaces marins internationaux puisse être écorné.

Général (2s) Daniel Schaeffer

  • Membre du groupe de réflexion Asie 21 
  • Ancien attaché de défense en Thaïlande, au Vietnam et en Chine
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1 COMMENTAIRE

  1. Très bon article et très intéressant. Petite précision toutefois : il s’agit de droit international de la mer (public) et non de droit maritime international (privé). Etant donné que l’article traite notamment d’interprétation du droit, mieux vaut préciser! 🙂

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