Devrons-nous enterrer nos enfants demain ?

Pour de Gaulle, le caractère est la première qualité d’une chef. Le général Mandon n’en manque assurément pas. Dès son second ordre du jour comme chef d’état-major des armées, il a pourfendu le « relativisme » qui « empêche d’appréhender correctement les menaces » et conduit au renoncement, il a nommé la réalité taboue de la mission de nos soldats : « ôter la vie de nos adversaires ».  Le ton était donné.

La France peut compter sur ses soldats dans la tempête qui vient. Le premier d’entre eux s’en porte garant alors que jamais le monde n’a été aussi dangereux, ni les conflits armés aussi nombreux, depuis 1945. En Europe même, la Russie écrase l’Ukraine sous le feu et renforce son armée qui devrait atteindre son pic de puissance en 2030 ; on peut imaginer que ce n’est pas juste pour défiler sur la place Rouge.

Le mythe de la fin de l’histoire et du village global apaisé n’a plus cours. L’impensable est redevenu une hypothèse. La guerre est de retour, et il ne suffit pas de ne pas la vouloir pour y échapper. Nous avons voulu faire de l’Europe un espace ouvert, elle est devenue un espace de conquêtes.

Dans un monde qui se durcit, il est urgent de réapprendre à nous battre pour conserver notre puissance, notre sécurité et notre prospérité. Toute notre matrice cognitive est à reprogrammer en nous réappropriant les vertus oubliées de courage, de force et de civisme.

La Cité n’est pas défendue par des murs mais par ses hommes. L’armée d’un pays démocratique n’est pas coupée de la nation, elle en émane.

C’est ce qu’a rappelé le CEMA : « Si notre pays flanche parce qu’il n’est pas prêt à accepter de perdre ses enfants, parce qu’il faut dire les choses, de souffrir économiquement parce que les priorités iront à de la production Défense, si on n’est pas prêt à ça, alors on est en risque. Mais je pense qu’on a la force d’âme. La France a toujours démontré sa force d’âme dans les moments difficiles. »

La violence des mots choisis brise un tabou. Les « pertes » ne sont pas anonymes, ce sont bien nos enfants. L’abstraction des « morts pour la France » s’incarne. Elle retrouve des visages, et les plus chers de tous.

La guerre est un choc de volonté. On n’a de volonté qu’à la mesure de ce que l’on est prêt à perdre. A ce titre, nos compétiteurs ont reçu un message stratégique. Quand la France donne des garanties et se dit prête à se défendre, elle sait à quoi elle s’engage. En toute connaissance de cause. En toute responsabilité.

La Russie, nous livre une d’ores et déjà une guerre hybride dont un des aspects vise à nous diviser et à saper notre volonté de résistance. Ses narratifs épousent trois axes : une guerre en Europe ne concerne pas la France si ses frontières ne sont pas directement menacées (on nous a déjà fait le coup à Munich) ; le président Macron veut déclarer la guerre à la Russie pour faire oublier les questions intérieures comme les retraites (c’est accorder beaucoup de poids géopolitique à nos petits débats internes et flatter un ethnocentrisme inavoué en plus de nos passions partisanes) ; il est trop dangereux d’affronter la Russie pour d’y risquer (la version stratégique du regard que l’on détourne d’une femme qui se fait agresser dans le métro pour ne pas prendre un mauvais coup).   

Nous sommes à l’heure des loups. Si nous nous montrions faibles, nous ne ferions qu’exciter la meute. La dissuasion ne se cantonne pas aux forces nucléaires. Les forces morales en font partie. Nous préparer au plus douloureux des sacrifices est le seul moyen de n’avoir peut-être pas à le faire en retenant nos ennemis, russes ou autres, de franchir certaines lignes rouges.

Mais un peuple qui retrouve ses vertus viriles au point de se dire prêt à voir mourir ses enfants plutôt que de se soumettre, et de le dire en ces termes impose le respect.

Si le pire devenait malgré tout inévitable dans les prochaines années, préparons-nous à frapper sans faiblesse et sans états d’âme. Faisons-le savoir. C’est irrésolution qui tue le plus.

Discours intégral du CEMA prononcé le 18 novembre 2025 devant le Congrès des Maires de France.

Raphaël CHAUVANCY
Raphaël CHAUVANCY
Raphaël CHAUVANCY est officier supérieur des Troupes de marine. Il est en charge du module "d’intelligence stratégique" de l'École de Guerre Économique (EGE) à Paris. Chercheur associé au CR 451, consacré à la guerre de l’information, et à la chaire Réseaux & innovations de l’université de Versailles – Saint-Quentin, il concentre ses travaux sur les problématiques stratégiques et les nouvelles conflictualités. Il est notamment l'auteur de "Former des cadres pour la guerre économique", "Quand la France était la première puissance du monde" et, dernièrement, "Les nouveaux visages de la guerre" (prix de la Plume et l’Epée). Il s’exprime ici en tant que chercheur et à titre personnel. Il a rejoint l'équipe de THEATRUM BELLI en avril 2021.
ARTICLES CONNEXES

4 Commentaires

  1. D’accord avec le fond. J’ajouterais trois choses.

    1° La femme qui se fait agresser dans le métro, l’équivalent géopolitique serait une agression sur un autre continent. Et d’ailleurs, on détourne effectivement le regard. Ca s’appelle de la « realpolitik », où « prendre un mauvais coup » est remplacé par « se retrouver coincé dans un conflit long et compliqué sans bénéfices clairs à en attendre ».
    En ce qui concerne l’Ukraine, la métaphore, ce serait plutôt la voisine qu’on ne connaît pas très bien qui se fait agresser dans notre hall d’immeuble. Et là, l’intervention n’est plus une question de noblesse d’âme ou d’esprit chevaleresque, mais simplement de bon sens : on ne laisse pas une bande de crétins transformer notre hall d’immeuble en terrain de jeux pour délinquants. Pas si on tient à notre porte d’entrée et à notre ascenseur.

    2° « Mais un peuple qui retrouve ses vertus viriles au point de se dire prêt à voir mourir ses enfants plutôt que de se soumettre, et de le dire en ces termes impose le respect. »

    Je ne suis pas fan du terme de « valeurs viriles » pour désigner le courage martial (l’histoire montre que ce n’est pas une exclusivité masculine), mais soit. J’ai cependant une autre remarque : les actes parlent plus fort que les paroles. A mon sens il conviendrait de monter d’un cran dans notre soutien à l’Ukraine, par des moyens à déterminer.

    3° Je suis totalement d’accord avec cette idée que nous sommes déjà concrètement en guerre hybride contre la Russie. Je trouve d’ailleurs stupéfiant (et coupable) le silence des médias français sur la question. Nous sommes survolés par des drones, subissons des cyberattaques, la Russie amasse des armes pour un usage encore inconnu (mais gageons qu’il ne s’agit pas de quelques riches collectionneurs excentriques qui aiment bien les obus pour leurs formes harmonieuses).
    Pendant ce temps, la presse de droite nous parle de Boualem Sansal et de Rachida Dati qui s’est habillée en éboueur. La presse de gauche, elle, nous parle des hommes qui réfléchissent à se définir comme homme, femme, ou pousse de fenouil.

    La liberté de la presse, c’est très bien, mais il y a une sérieuse préparation mentale à faire pour éviter un réveil brutal. Et elle n’est clairement pas faite.

  2. Si on considère l’examen de la situation faite par le général Mandon, on notera l’absence totale d’allusion à la menace turque, puissance industrielle et militaire de premier rang en méditerranée, et engagée dans des menaces caractérisées contre l’Union européenne. Le rôle de l’Algérie que ce soit directement sur notre territoire, ou par la prise en ce moment même d’otages français n’est pas non plus mentionné. Dans les deux cas, on a pourtant bien des menaces directes qui concernent notre capacité et notre volonté, si elle existe, à montrer notre puissance et à l’exercer.

    Par contre, la menace russe est agitée avec une force impressionnante, malgré, et c’est le moins qu’on puisse dire l’absence totale de consensus sur la question en France. Quoiqu’on en dise, le « savoir » prétendu du CEMA sur la menace russe d’ici 2030 ressemble fort à une auto-intoxication, voire à un mensonge délibéré à la Nation, et c’est mon opinion.

    A ce propos les 3 narratifs « influencés » que décrit l’auteur de l’article me paraissent en fait des opinions respectables qu’il n’est pas nécessaire à une puissance étrangère de suggérer, tant ils semblent d’évidence. Sembler vouloir limiter l’expression de ces opinions-là au nom de je ne sais quelle lutte contre des influences extérieures me semble extraordinairement inquiétant et absolument inacceptable.

    1) la France doit employer ses forces armées à défendre son propre territoire et pas par solidarité celui de pays bellicistes engagés dans une revanche séculaire raciste à l’égard de la Russie soviétique de papa (Pologne, pays Baltes). La souveraineté militaire ne se partage pas, n’engage ses forces qu’avec prudence, et à la mesure de ses armements nucléaires, gages de sécurité contre toute agression et qui engagent sa responsabilité.

    2) le président Macron, seul décideur de ces positions-là, sans majorité à l’Assemblée nationale qui n’a pas été jusqu’à présent consultée, et qui dispose d’une popularité extraordinairement faible, ne semble pas avoir la légitimité pour engager le pays dans ce genre d’aventures, et semble effectivement, cela parait évident, engagé dans des opérations de communication destinées à justifier son refus de démissionner pourtant demandé par plusieurs personnalités françaises de premier plan.

    3) L’échec complet de l’OTAN en matière militaire devant la Russie semble là encore évident. Organisée, informée et armée par l’OTAN, l’armée ukrainienne que tout le mode reconnait comme courageuse et motivée a complètement raté son offensive de l’été 2023 et a depuis enchainé des échecs extraordinairement couteux en hommes et en matériels. L’armée russe et surtout le complexe industriel russe de l’armement s’est mobilisé et domine clairement dans tous les compartiments du jeu. Sa supériorité en matière de drones de toutes tailles, de bombes planantes, de missiles longue portée et surtout d’innovation en matière de tactiques de combat en fait un adversaire que les timides et désorganisées armées européennes sont tout simplement incapables d’affronter classiquement, sans parler des armements nucléaires qui rendent la Russie invincible.

    Par ailleurs, la Russie l’a répété mainte fois, ses ambitions territoriales et militaires ne vont pas au-delà de ses positions inchangées depuis 20 ans et répétées régulièrement à toute occasion. Le plan proposé par Donald Trump les prend spécifiquement en compte en limitant explicitement l’expansion de l’OTAN et en reconnaissant les droits des russophones orthodoxes en Ukraine.

    Imaginer un affrontement militaire entre Europe (ou France) et Russie est, je suis désolé de le proclamer haut et fort, absolument insensé, et en fait « débile » comme le disent les jeunes.
    Je proteste contre la dangereuse dérive belliciste du CEMA, clairement hors de son rôle.

    Ainsi, il faut toute la sagesse et la mesure d’un Vladimir Poutine pour expliquer calmement le côté sordidement dérisoire des poses infatuées d’Emmanuel Macron, seul responsable effectif de cette dérive, et par ailleurs, de ce fait, exclu des négociations à venir.

  3. Le CEMA est totalement dans son rôle et s’appuie sur du factuel. Rien à redire là-dessus. Avertir des menaces est littéralement la base de son travail. Anticiper les menaces afin de les neutraliser avant qu’elles ne soient sur notre territoire, également. Je n’y reviendrai pas tant cela semble évident, mais j’aimerais revenir sur autre chose.

    Je pousse la réflexion sur l’aspect médiatique (j’ai eu le temps de dormir dessus, et d’y penser un peu).

    On a une instance qui s’appelle l’ARCOM. Son boulot est d’attribuer des fréquences en échange du respect d’un cahier des charges. A savoir (et là, je n’ai pas été m’embêter, je cite Wikipédia) :
    -Respect de la dignité humaine
    -Encourager la création de qualité
    -Encadrer l’exploitation commerciale des enfants
    -Lutter contre le piratage illégal
    -S’assurer de l’équité du temps de parole des personnalités politiques

    Bon, tout ça, c’est très bien. Mais, finalement, à aucun moment n’apparaît la notion de défense des intérêts nationaux.
    Cela peut sembler anodin, mais ça ne l’est en fait pas du tout.

    Si l’instance de régulation ne défend pas les intérêts nationaux, les médias non plus. Si les médias non plus, le peuple non plus. On ne peut pas le lui reprocher : les gens vont globalement dans la direction où on les pousse.

    Redéfinir la mission de l’ARCOM (en passant, vu le contexte, la défense des intérêts nationaux en haut de la liste des priorités) aurait par effet de cascade des bénéfices intéressants à de nombreux plans.

  4. Il y a tout de même une faiblesse politique patente en France. Le CEMA a beau exposer tous ces points : nationalismes exacerbés aux frontières de l’Europe, nécessité de réarmer moralement et physiquement la Nation. Gouverner, c’est prévoir. On dit que l’armée française tient dans le Stade de France !

    Depuis des décennies, les responsables politiques se sont évertués à détruire tout sentiment de nationalisme en France pour des raisons démagogiques. On parle de remettre le service militaire en place, mais les infrastructures militaires n’ont pas été entretenues et tombent en ruine.

    La France se retrouve donc dans une mauvaise situation (économique, politique, militaire) à cause de la mauvaise gestion des affaires de l’État par la haute administration et par les responsables politiques depuis au moins le début du XXIᵉ siècle, alors que la situation internationale se dégrade rapidement.

    Et finalement, le pire est que cela ne semble provoquer aucun changement.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Abonnez-vous à notre lettre d'information hebdomadaire

Theatrum Belli commémore les 400 ans de la Marine nationale à travers son logo dédié que vous pouvez retrouver sur différents produits dérivés de notre boutique. Le logo réunit la devise de « La Royale », l’ancre avec l’anneau évoquant les 4 points cardinaux et la fleur de lys, renvoyant à son ancienneté, à sa grandeur et à sa tradition depuis sa création par Richelieu.

M&O 288 d'octobre 2025

Dernières notes

COMMENTAIRES RÉCENTS

ARCHIVES TB