La naissance des Conventions de Genève : de Solferino à la refondation de 1949.

L’un des moments fondateurs de l’histoire moderne du droit des conflits armés est lié à une scène de guerre effroyable : la bataille de Solferino en 1859. Henri Dunant y découvre des milliers de blessés abandonnés, faute de structures de secours. Ce choc conduit à la première Convention de Genève (1864), centrée sur la protection des blessés et la neutralité du personnel médical. C’est une avancée majeure, mais il s’agit d’un cadre encore limité, essentiellement conçu pour les opérations terrestres du XIXe siècle.

Le XXᵉ siècle révèle vite les insuffisances de cet édifice.

La Première Guerre mondiale met en évidence les lacunes concernant le traitement des prisonniers de guerre, les bombardements indiscriminés ou l’absence de protection générale des civils. Une convention spécifique sur les prisonniers de guerre est adoptée en 1929, mais elle reste insuffisante face à l’industrialisation de la guerre et à l’évolution des pratiques militaires.

La Seconde Guerre mondiale achève de démontrer la nécessité d’une refonte complète : occupations prolongées, déportations de masse, attaques systématiques contre les civils, violations massives des normes existantes. Les États constatent que les instruments juridiques d’avant-guerre ne répondent plus aux réalités opérationnelles ni aux enjeux politiques de la conduite des hostilités.

C’est dans ce contexte que se tient, du 21 avril au 12 août 1949, la Conférence diplomatique de Genève, réunissant 63 États. L’objectif est de mettre en place un ensemble cohérent de règles applicables aux conflits armés internationaux.

Les quatre Conventions de Genève, adoptées le 12 août 1949 et signées le 9 décembre 1949 sont entrées en vigueur le 21 octobre 1950.

Elles redéfinissent le cœur du droit humanitaire moderne :

  • Convention I : blessés et malades des forces armées sur terre ;
  • Convention II : blessés, malades et naufragés en mer ;
  • Convention III : statut et traitement des prisonniers de guerre, remplaçant la convention de 1929 ;
  • Convention IV : protection des civils, y compris en territoire occupé (une nouveauté majeure, qui fait des populations civiles un objet central de la protection juridique).

    Ces textes n’ont pas pour ambition d’abolir la guerre, mais d’établir des limitations minimales, communes à tous les États, destinées à préserver un espace d’humanité et à stabiliser la conduite des opérations. Ils créent un langage juridique partagé, facilitant la qualification des comportements, la gestion des capturés, la protection des populations et l’encadrement des forces dans les zones sous contrôle militaire.

    Les Conventions de 1949 demeurent aujourd’hui le socle indispensable pour comprendre les contraintes stratégiques, politiques et juridiques qui encadrent l’action militaire contemporaine.

Cinq apports décisifs des Conventions de Genève de 1949 :

  1. Protection des civils : Pour la première fois, les civils – même en territoire occupé – bénéficient d’un régime complet : interdiction des déportations, protections contre les violences, règles de traitement des internés, obligation de fournir des soins.

  2. Régime renforcé des prisonniers de guerre : La Convention de 1949 unifie et renforce les droits des PG par rapport à 1929 (interdiction absolue de la torture physique ou psychologique pour obtenir des informations, obligation de fournir un traitement médical équivalent à celui des forces détentrices, possibilité pour les PG de correspondre avec leurs familles, camps de PG soumis à contrôle du CICR).

  3. Protection consolidée des blessés et naufragés : Les obligations deviennent systématiques : recherche, collecte, soins, neutralité du personnel sanitaire. La nouveauté importante : l’extension claire au milieu maritime.

  4. Fin de la réciprocité conditionnelle : Une partie ne peut plus suspendre l’application des Conventions parce que l’adversaire viole les règles (si un groupe armé maltraite des prisonniers, l’armée régulière doit quand même appliquer les Conventions, le commandement doit maintenir ses obligations même dans un conflit asymétrique).

  5. Architecture unifiée du Droit international humanitaire : Les règles éparses de Genève (1864–1929) et de La Haye sont consolidées dans un bloc cohérent applicable d’emblée aux conflits armés internationaux.
 
Bataille de Solferino (24 juin 1859).
Alexandre LAMOUR
Alexandre LAMOUR
Alexandre Lamour est conseiller en droit des conflits armés au ministère des Armées et chargé de mission à l’état-major de la Marine. Dans ce cadre, il a exercé des fonctions juridiques en France, outre-mer et au sein de l’Union européenne, et a participé à un exercice de l’OTAN en contexte opérationnel. Avant son engagement militaire, il a travaillé dans des structures publiques responsables des réseaux locaux d’énergie et de communication électronique, ce qui lui a donné une approche concrète des infrastructures essentielles et de leurs contraintes. Il s’intéresse au droit des conflits armés en milieu maritime et, plus largement, aux évolutions de la conflictualité contemporaine. Ses travaux portent notamment sur la guerre navale, l’hybridité en mer et les formes de "lawfare", en s’appuyant sur des apports issus du droit, de l’histoire et de la stratégie pour mieux comprendre les enjeux de souveraineté et les vulnérabilités des infrastructures critiques. Il publie sur la guerre en mer, les cadres juridiques des opérations et les tensions liées à la puissance en mer, avec le souci de rendre accessibles des dynamiques souvent difficiles à percevoir dans les conflits modernes. Il a rejoint THEATRUM BELLI en novembre 2025.
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