Dix ruptures technologiques pour préparer la marine française à la guerre de demain

En juillet 2023, la France a adopté sa Loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030, dotée de 413 milliards d’euros pour transformer ses armées face aux nouvelles menaces. Dix milliards sont consacrés à dix axes d’innovation jugés prioritaires, notamment pour la Marine nationale. Explications.

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Les armes à énergie dirigée, l’hypervelocité, l’intelligence artificielle, les systèmes autonomes, le spectre électromagnétique, les communications avancées, les capteurs quantiques, les nouvelles énergies, la furtivité et le calcul quantique sont les dix axes d’innovation juges prioritaires pour nos armées. Parmi les domaines d’application de ces technologies de rupture, la mer occupe une place importante. En effet, avec la deuxième Zone économique exclusive (ZEE) au monde, la France doit protéger ses intérêts dans un environnement conteste. Cet article vise à présenter ces dix innovations, leurs enjeux opérationnels, et la vision qu’elles dessinent pour l’avenir de la Marine nationale.

Les armes à énergie dirigée sont l’un des premiers domaines d’innovation majeurs. Le Centre interarmées de concepts, doctrine et expérimentations (CICDE) les définit comme un « système capable de transmettre dans une direction voulue une énergie sans intermédiaire macroscopique et conçu pour générer sur une cible des effets susceptibles de perturber son fonctionnement ou de la neutraliser ». Cette énergie peut être délivrée sous forme de laser ou de micro-ondes, offrant des avantages majeurs par rapport aux munitions classiques : une vitesse de déplacement équivalente à celle de la lumière, une précision chirurgicale, une capacite de tir quasi illimitée et un cout très faible (moins d’un euro par tir). Dans un contexte où les essaims de drones aériens ou de surface saturent l’espace de combat, cette technologie constituera une protection supplémentaire pour les opérations navales. Récemment, le 22 août 2025, la DGA a commandé a un consortium réunissant MBDA, Safran, Thales et CILAS le démonstrateur du futur Système Laser de Défense de Nouvelle Génération (SYDERAL), conçu pour neutraliser les drones tactiques. L’objectif est d’équiper d’ici 2030 les forces armées françaises, et tout particulièrement la Marine nationale, de cette nouvelle arme, afin de renforcer l’autodéfense des bâtiments face aux attaques saturantes de drones.

Le deuxième axe d’innovation prioritaire concerne les engins hypersoniques. Ils sont capables de voler dans une bande d’atmosphère comprise entre 20 et 100 kilomètres d’altitude, ni tout à fait aérienne, ni pleinement spatiale. Contrairement aux missiles balistiques classiques, qui suivent une trajectoire prévisible et disposent de capacités de manœuvre limitées, les engins hypervéloces combinent vitesse extrême (plus de Mach 5), manœuvrabilité accrue et trajectoires non balistiques.

Grace a des profils de vol complexes, notamment le glide ou rebond atmosphérique, ils deviennent quasiment imprévisibles, échappant aux radars classiques et rendant la détection et l’interception extrêmement difficile. Pour la Marine, l’enjeu consiste notamment à intégrer ces vecteurs hypersoniques sur ses frégates ou ses sous-marins afin de renforcer sa capacité à frapper des objectifs situes en profondeur sur le territoire adverse.

L’intelligence artificielle constitue le troisième axe d’innovation prioritaire. L’IA permet aux machines de fusionner les informations issues de capteurs différents, d’analyser des flux massifs de données, de prendre des décisions, et de charger l’humain de taches qu’il ne pourrait accomplir ou qui présentent une faible valeur ajoutée. Dans le secteur de la défense, les cas d’usage de l’IA semblent se manifester notamment dans l’assistance au commandement, la surveillance et la reconnaissance, le déploiement de systèmes robotiques autonomes, ainsi que la préparation et l’entrainement des forces armées. Dans le domaine naval, l’IA va devenir un outil essentiel pour faire face à l’explosion du volume de données et accélérer la prise de décision. Le Centre d’interprétation des signaux acoustiques (CIRA) de la Marine nationale constate que les données qu’il traite sont passées d’environ 1 téraoctet en 2020 à près de 10 téraoctets en 2024, avec une projection a plus de 100 téraoctets d’ici 2030. Pour relever ce défi, le CIRA collabore depuis 2024 avec Safran.AI, anciennement Preligens, afin de développer une IA capable d’analyser automatiquement les signaux acoustiques sous-marins. Testée sur des sous-marins, cette solution va permettre de filtrer les bruits de fond et d’identifier plus rapidement les sons d’intérêt tactique, renforçant ainsi la réactivité et la supériorité acoustique des forces navales françaises.

Le quatrième axe d’innovation est constitué par les systèmes autonomes, qu’il s’agisse de robots, de drones ou de plateformes spatiales. Aux côtés des soldats, les robots occupent une place croissante à mesure que leurs capacités cognitives s’améliorent. En intégrant capteurs avances et modèles d’IA, ces systèmes robotisés acquièrent une autonomie leur permettant d’exécuter de manière indépendante des taches complexes : percevoir leur environnement, identifier et de contourner les obstacles, fusionner les données des capteurs, naviguer et communiquer avec d’autres véhicules. Ces avancées affectent directement les opérations en mer. En effet, les marins voient leur champ d’action considérablement étendu grâce aux drones de surface et sous-marins, qu’ils opèrent individuellement ou en essaims. Leurs usages sont multiples : opérations de renseignement, surveillance et reconnaissance dans une ZEE étendue, lutte anti‑mines ou encore escorte d’un groupe aéronaval. Pour illustrer cette stratégie, l’édition 2024 du salon Euronaval présentait le démonstrateur UCUV (Unmanned Combat Underwater Vehicle), commandé par la DGA un an plus tôt. Son objectif : doter la France d’un drone sous-marin de combat de grande dimension, capable de replanifier sa mission en temps réel, d’analyser la situation tactique et de s’adapter aux éventuelles avaries de manière entièrement autonome.

La maîtrise du spectre électromagnétique constitue le cinquième axe d’innovation prioritaire de la LPM 2024-2030. La guerre en Ukraine a montré de manière éclatante l’importance stratégique du spectre électromagnétique. Les ondes radio et micro-ondes, utilisées pour la communication, le radar ou le guidage des missiles, sont des ressources essentielles pour la supériorité opérationnelle. Cependant, elles sont très vulnérables et font fréquemment l’objet de batailles invisibles à base de brouillages, d’interceptions ou de perturbation, mettant en danger communications et coordination des opérations.

Pour la Marine, la maîtrise du spectre électromagnétique est essentielle à sa liberté d’action. Il s’agira donc dans le futur de réussir à déployer de nouvelles technologies résilientes pour sécuriser les communications, tromper les radars adverses, ou, à l’inverse, exploiter de nouvelles capacités pour perturber le spectre ennemi, notamment face aux drones hostiles.

Le sixième axe d’innovation concerne les communications par de nouvelles technologies. Dans un environnement marque par l’intensification des brouillages et des agressions électromagnétiques, les communications laser, basées sur la transmission lumineuse, offrent des atouts majeurs : faible latence, furtivité, résistance au brouillage et aux interceptions, ainsi que des débits très élevés. Pour la Marine nationale, ces liaisons laser pourraient permettre aux frégates et sous-marins de disposer de communications rapides et sécurisées, essentielles pour partager une situation tactique commune et renforcer l’interopérabilité maritime.

Ordinateur quantique à circuits supraconducteurs, suspendu dans une architecture cryogénique dorée, conçu pour manipuler des qubits grâce à des signaux ultraprécis à des températures proches du zéro absolu. Crédit : PICASA.

Les capteurs quantiques constituent le septième axe d’innovation. Un capteur quantique exploite les comportements particuliers des atomes et des particules subatomiques pour mesurer avec une précision inégalée des grandeurs physiques comme la gravite, le champ magnétique ou la vitesse. Parmi les technologies quantiques qui transformeront la Marine, les gravimètres, gyroscopes et magnétomètres jouent un rôle clé. Les gravimètres à atomes froids, déjà acquis par la Marine, permettent une navigation précise même sans GPS en mesurant les variations de gravite terrestre. Les gyroscopes quantiques, en cours de miniaturisation, renforceront cette autonomie. Les magnétomètres quantiques, en développement, détectent des champs magnétiques extrêmement faibles et pourraient localiser mines et sous-marins très discrets. Ces capteurs vont ainsi permettre une navigation ultraprécise sans GPS, même dans des environnements brouilles, et ouvrir la voie à la détection de mines ou de sous-marins extrêmement discrets.

Enfin, les trois dernières innovations technologiques mises en avant par la LPM 2024-2030 concernent les nouvelles énergies et l’hybridation, les technologies de discrétion et de furtivité, ainsi que le calcul quantique. La transition vers de nouvelles energies et l’hybridation des systèmes vise à réduire la dépendance logistique, accroitre l’autonomie et limiter l’empreinte énergétique des unités maritimes, notamment pour les drones sous-marins autonomes. Les technologies de discrétion, grâce à des coques spécifiques, des matériaux absorbants et la maitrise des émissions, permettront aux bâtiments navals de rester indétectables face à des capteurs toujours plus performants. Enfin, le calcul quantique offre des perspectives inédites pour la cryptanalyse, la simulation et l’optimisation de scenarios tactiques, consolidant la sécurité des communications et la souveraineté stratégique française.

La maitrise de ces dix technologies permettra à la Marine nationale de relever les défis de demain : contrôle de la ZEE, résilience face aux menaces, mobilité stratégique et précision tactique. Armes, capteurs, IA, drones, nouvelles énergies et calcul quantique constituent autant d’outils essentiels pour sécuriser et moderniser les forces navales françaises.

Valentin AUBERT


Jeune diplômé de l’Université Paris-Dauphine en Management de la Technologie et de l’Innovation, Valentin Aubert est analyste stratégique dans une industrie clé pour la France. Il est également vice-président de la Commission Innovation de Défense de l’Institut national des affaires stratégiques et politiques (INASP). Pour le suivre sur LinkedIn.

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