Officier supérieur des Troupes de Marine, le lieutenant-colonel Larroquette a accumulé les missions et les affectations en Afrique où il a passé de nombreuses années. Il dévoile dans un livre vif et enchanteur son quotidien et celui de ses frères d’armes, marsouins[1] et soldats africains, soudés dans l’effort et unis dans la guerre.
Ses chroniques sont autant d’histoires que l’on croirait portées par le Khamsin, le Simoun et l’Harmattan, les grands vents brûlants d’Afrique chargés de sable, de poussière et de secrets. Elles transportent le lecteur des chutes du Fouta Djalon au désert du Grand Bara et lui font voir les dunes mouvantes qu’écrase un soleil de plomb, les baobabs centenaires, les manguiers en fleurs et leurs oiseaux bleus.
Ecrites d’une plume alerte et colorée, les Chroniques d’Alkebulan raviront les amateurs d’aventures et d’évasion. Mais ici, tout est vécu. Plus qu’une simple invitation au voyage vers le monde mystérieux et si mal connu qui vit, souffre et prospère au sud du Sahara, l’auteur évoque une Afrique charnelle, celle des combattants français et africains. Sur cette terre si diverse, où la savane succède au désert et les adrars à la jungle, les hommes n’ont d’autre couleur que celle de la sueur répandue et du sang versé. Ils s’exercent ensemble au canon et à l’arme automatique sur les champs de tir du Sénégal, du Togo ou de Djibouti. Le soir, ils partagent leur repas sous les étoiles sans nombre.
L’auteur trouve les mots justes pour parler de la guerre. Il évoque les raids à l’aube et les embuscades dans les vallées. Il parle des balles qui tuent et des mines qui muent un engin blindé en un cercueil d’acier immobile.
Tous les jeunes soldats français partis au loin ne rentreront pas. Tous leurs frères d’armes africains ne partageront plus avec eux plus le vin de palme. Ils sont quelques milliers à avoir contenu sur un territoire grand comme l’Europe la gigantesque marée d’un djihadisme obscurantiste et sanglant. On sait moins que, sur les vieilles routes de la traite transsaharienne, ils ont aussi tiré des griffes des trafiquants de chair humaine des migrants misérables dépouillés de leurs biens et de leur liberté.
Pourtant, ces combats menés en communs n’empêchent pas les incompréhensions, les doutes et les divisions. Mensonges, intoxications et manipulations ont terni la relation entre les soldats de France et ceux de quelques Etats d’Afrique. Les victoires remportées sur le terrain se sont effacées devant une tempête informationnelle qui souffle encore.
Aux narratifs malveillants, l’auteur oppose un témoignage venu du cœur ; des histoires d’hommes avec leurs joies, leurs peines et leurs espérances. Mais il ne se réfugie jamais dans la facilité. Les dernières pages sur les illusions africaines et les erreurs françaises sont lumineuses. Elles concluent brillamment un livre captivant et, mieux encore, intelligent. Sur les questions africaines, cette dernière particularité est devenue trop rare pour ne pas être soulignée.
Ce livre démontre en filigrane l’atout que représente une arme dédiée à l’outremer et à l’étranger, comme le sont les troupes de marine. Affectés plusieurs années en immersion dans les pays partenaires, ses membres en développent une compréhension sans équivalent. On a pu croire que la France ne comprenait plus l’Afrique. On découvre à la lecture des Chroniques qu’elle néglige surtout d’écouter ceux qui la connaissent le mieux.
Enfin, à notre pays en proie au doute et tenté de se normaliser, le lieutenant-colonel Larroquette rappelle que l’exception française est aussi d’avoir des soldats prêts à vivre des mois et des années sous des cieux éloignés, à baigner dans des cultures autres pour mieux les comprendre, à transmettre leur savoir, à recueillir celui de leurs partenaires, à mourir parfois pour une des pays qui ne sont pas les leurs mais où ils défendent une certaine vision de l’humanité et un rêve de paix.
Merci, Alban, pour ce livre appelé à toucher les cœurs, à frapper les esprits et à s’ancrer dans les mémoires.
Soldats français en Afrique subsaharienne, les chroniques d’Alkebulan, du lieutenant-colonel Alban Larroquette, Balland 2024, 220 pages, 18 euros.
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- Surnom des fantassins et cavaliers des troupes de marine, auxquels il faut ajouter les « bigors », les artilleurs de marine.