Le capitaine trompette-major Éric Conrad est issu d’une lignée de militaires et de trompettes qui expliquent sa carrière de trompette sans équivalent. Il a fait partie des derniers à détenir ce grade et lui a donné un lustre tout particulier qui mérite une revue de détail.
La trompette de cavalerie est un instrument d’ordonnance destiné à la transmission des ordres dans les troupes à cheval. Pendant des siècles, au quartier et en campagne, elle est indispensable pour manœuvrer les troupes. Ses instrumentistes apprenaient les sonneries à l’imitation et ne savaient généralement pas lire la musique. La création des orchestres militaires à partir de 1766 et leur développement au XIXe siècle les amène à devenir musiciens. L’entrée en service du téléphone de campagne puis de la radio rend la fonction de trompette obsolète au combat. Les sonneries de quartier subsistent jusqu’à la fin de la conscription et des orchestres régimentaires. Elles sont aujourd’hui généralement cantonnées au cérémonial.
Une dynastie de trompettes
La lignée militaire des Conrad est ouverte par Pierre (1846-1933). Il est incorporé au 6e régiment de hussards en 1867 comme trompette, passe au 1er régiment de marche en septembre 1870, puis au 5e hussard en mars 1871, il est démobilisé en avril. Trompette au 12e régiment de hussards, le fils de Pierre, Lucien Conrad (1897-1980) passe à la Légion de la Garde républicaine après l’Armistice (1919-1931), c’est le premier de la famille qui fournira six cavaliers dont cinq trompettes. Sept mois après, il est rejoint par son frère Félix (1892-1960). Engagé en 1911, trompette au 26e régiment de dragons en août 1914, il participe à une charge contre des cavaliers allemands du 14e régiment de dragons margravien-électoral (Kurmärkichen Dragoner-Regiments Nr. 14). Le 28 juin 1919, lors de la signature du Traité de Versailles dans la Galerie des glaces, il assume comme maréchal des logis, les fonctions de trompette-major dans la cour du château. Lors des émeutes du 6 février 1934, il sonne les sommations d’usage avant chaque charge et reçoit plusieurs blessures ainsi que sa monture. Il est à la Garde jusqu’en 1937. Il a trois fils qui deviennent trompette au régiment de cavalerie de la Garde (Charles, Pierre et Bernard). En 1947, Charles (1920-2003) rejoint Pierre au régiment de cavalerie de la Garde comme trompette puis timbalier. Il est aussi artiste-peintre, dessinateur figuriniste et sculpteur, créant des œuvres pour la Gendarmerie. Pierre (1921-2017) entre au régiment de cavalerie de la Garde en 1943, affecté à la fanfare en 1950 jusqu’à sa retraite en 1969. À 12 ans au quartier des Célestins, dans la soirée du 6 février 1934, il seconde le trompette de garde pour exécuter la sonnerie A cheval ainsi que les quatre appels consécutifs. Avec d’autres cavaliers de la Garde, il est trompette dans le tournage de plusieurs films, dont le Napoléon de Sacha Guitry en 1955. Peintre et figuriniste, il participe à de nombreuses expositions. Bernard (1933-2001) s’engage en 1951 au 1er bataillon du matériel de réserve générale de Vincennes, comme clairon-trompette à la musique, une formation forte de plus d’une centaine de musiciens. De 1953 à 1955, il est assure les fonctions de trompette à la compagnie saharienne portée de la Zousfana à Colomb-Béchar et termine brigadier-chef. En 1956, il entre au régiment de cavalerie de la Garde pour être trompette jusqu’en 1982. Pendant les événements de Mai 1968, il est engagé comme trompette avec son escadron. Il prend part au tournage de plusieurs films comme cavalier et trompette (Christine et Carnets du Capitaine Coignet, entre autres). Il a trois fils : Éric, Cyrille et Bertrand. Pendant leur service national, Cyrille et Bertrand servent comme maréchal des logis trompette au 2e hussards sous les ordres de leur frère. Bertrand finira Major au régiment de cavalerie de la Garde.
Au service de la trompette d’ordonnance
Né en 1958, Éric Conrad ouvre sa carrière en 1975 comme trompette de la préparation militaire des Cadets de la cavalerie. En 1976, il s’engage comme élève sous-officier d’active à l’École d’application de la cavalerie à Saumur. En 1977, il est nommé maréchal des logis trompette à l’École d’application de l’arme blindée cavalerie. En 1978, il est affecté pour la même fonction au 9e régiment de hussards de Sourdun — qui devient le 2e en 1979 —, où il est trompette-major de 1982 à 1988, avec le grade de maréchal des logis-chef puis d’adjudant. Dans la grande tradition de la cavalerie française, il constitue une fanfare. Orgueil du régiment des « Houzards de Chamborant », ces trompettes reprennent la tenue de leurs aînés du Premier Empire. Elle est soigneusement reconstituée pour l’uniforme, l’équipement et les selleries, à partir des meilleures sources et des artisans choisis. Les trompettes sont répartis dans les différents pupitres, comme suit : 24 premières trompettes d’ordonnance ; 8 secondes trompettes d’ordonnance ; 8 trompettes cors ; 6 trompettes basses ; 4 contrebasses ; 1 timbalier ; 4 caisses claires ; 1 grosse caisse ; 1 cymbalier, soit 57 exécutants. Occasionnellement, une dizaine de trompettes sont montés. Le timbalier est une innovation vu qu’il n’existait au 2e hussards sous le Premier Empire. Majoritairement issus de la conscription, tous les trompettes sont en double qualification car suivant le général Lasalle : « un hussard doit être bon partout ! » À l’occasion du 250e anniversaire de sa création, Chamborant devient le seul régiment à avoir un refrain d’ordonnance et un défilé au trot pour chacun de ses escadrons. Avec cette brillante formation, il signe chez Corélia une sérieuse collection d’enregistrements, plus d’un par an. Il enregistre même des chants : Batteries impériales et chants militaires (K7, Corélia, 1986). Suivant l’usage dans les régiments de cavalerie, il compose des marches pour les chefs de corps, comme La Dupont de Dinechin et enrichit le répertoire avec Hussards rouges “1793”, Hussards noirs “1840”, “Vivat hussar”, Trompettes de “Bercheny-Houzards”, Éclaireurs de Fabrefonds… De 1988 à 1994, il devient ensuite instructeur du conservatoire militaire de musique de l’armée de terre installé à Rueil-Malmaison puis à Versailles-Satory.
Une fanfare montée à Saumur !
Le major Éric Conrad est affecté en septembre 1994 à la tête de la fanfare principale de l’arme blindée cavalerie de Saumur comme trompette-major. Comme sous la Monarchie du temps des colonels-propriétaires, il met à la disposition de l’École son matériel et ses cinq chevaux lusitaniens personnels pour renforcer ceux de la section équestre militaire, ainsi que le poney shetland mascotte de la fanfare. Il fait l’acquisition, à ses frais, des harnachements réglementaires modèle 1874 et 1882, des tapis de selle du trompette-major, du timbalier et du porte-fanion, des timbales de cavalerie et de leurs tabliers, ainsi que de certains instruments rares comme les trompettes contrebasses (hélicons).
Tous les trompettes sont en double emploi, assurant une mission opérationnelle en plus de leur fonction musicale. Par la suite, il fait confectionner des tenues inspirées de celles réglementaires sous la IIIe République. Leur précision uniformologique est exemplaire avec des galons de fonction tricolores, façon cul-de-dé. Elles sont déclinées dans les détails complexes des différents grades des trompettes de la formation. Ces galons de fonction marquaient la différence qui existait entre les trompettes d’ordonnance, qui étaient des combattants, et les musiciens commissionnés professionnels qui n’avaient aucune fonction opérationnelle et portaient une lyre.
Cette fanfare montée extraordinaire, la seule avec la fanfare de la Garde républicaine depuis la dissolution du 7e escadron de spahis de Senlis en 1962, participe à l’animation musicale du défilé du 14 Juillet à Paris de 1995 à 1999. Réputée en France et à l’étranger, la fanfare se produit lors des galas du Cadre noir et des festivals de musique militaires.
Au regard des services rendus, la fanfare principale de l’ABC, avait été constituée à moindre coût pour les finances publiques et les ressources humaines de l’armée de terre. Les trompettes assuraient également un service individuel pour accompagner les piquets d’honneur ou pour l’exécution des sonneries de quartier précédées du refrain de l’École. En semaine, plus d’une vingtaine de ces sonneries étaient exécutées par le trompette de service du Réveil à l’Extinction des feux. Les couleurs en fanfare étaient assurées une fois par mois dans la cour de l’École, parfois à cheval. Les cérémonies traditionnelles de l’École, comme l’adoubement des lieutenants, le Carrousel, et les cérémonies de commémorations nationales et les nombreuses prestations extérieures, comme celles données lors des galas le Cadre noir, donnaient à la fanfare l’occasion de faire applaudir le riche patrimoine musical de la cavalerie française à des milliers de spectateurs. Ces compositions exécutées exclusivement avec des instruments naturels en mi bémol, les seuls qui devraient être employés dans l’ABC, donnaient ce style enlevé et dynamique qui en fait l’une des marques de l’esprit cavalier français. Malgré ses résultats, la fanfare principale de l’ABC est dissoute le 31 juillet 1999. Le capitaine trompette-major de l’arme blindée cavalerie est admis, sur sa demande, à la retraite en 2003.
Une démarche historique et musicale
Un trompette-major doit connaître les sonneries et leur histoire. Éric Conrad a donc publié plusieurs recueils à compte d’auteur sur ces répertoires méconnus : Histoire des musiques et fanfares de la cavalerie française, Les refrains de la cavalerie française, Les trompettes de la Garde républicaine, Le parfait trompette-major (réédition), Les traditions perdues de l’école de cavalerie, Les traditions perdues de la Garde républicaine…
Dès son affectation au 9e hussards, il veut faire connaître le répertoire de la cavalerie française par des enregistrements, il collabore tout au long de sa carrière avec les éditions Corélia. De 2009 à 2015, il enregistre une quarantaine de CD de musique de cavalerie et de sonneries d’ordonnance, un programme à la fois actuel et patrimonial, sans équivalent par son abondance et sa densité. Dans la pure tradition de la cavalerie, l’un est dédicacé par Brigitte Bardot et un autre dédié aux filles du Crazy Horse, montrant que ce répertoire militaire n’est pas coupé de la population.
Les derniers titres sont consacrés à des enregistrements de sonneries d’ordonnance. Ils constituent une collection exceptionnelle de ces répertoires qui sombrent dans l’oubli. D’autant plus précieuse que pour les refrains régimentaires, les archives militaires sont très incomplètes.
Un patrimoine musical militaire
Forte de cinq trompettes (Félix, Lucien, Charles, Pierre et Bernard) au régiment de cavalerie de la Garde républicaine entre 1919 et 1982, la famille Conrad a constitué une inestimable collection de partitions musicales propres au répertoire de la cavalerie française et plus spécialement des trompettes de la Garde. Comme par exemple en 1973, quand Bernard sauve des poubelles du quartier des Célestins une cinquantaine de pièces pour trompette de cavalerie provenant des archives de la musique. Éric rassemble cette collection et l’enrichit notamment avec des manuscrits provenant des archives de Louis Prodhomme, trompette-major de la Garde républicaine de 1911 à 1938.
Trompette-major de la fanfare du 2e régiment de hussards et de la fanfare principale de l’arme blindée cavalerie, Éric Conrad enregistre plus de six cent titres, enrichissant ainsi la discographie des fanfares de cavalerie. Parmi les derniers titres réalisés, plusieurs CD consacrés aux refrains régimentaires. Ces refrains n’ont pas été officialisés, sauf exception, alors qu’elles sont indispensables pour distinguer les unités. En effet sur le terrain, comment savoir à quelle formation est destiné l’ordre si elle n’est pas identifiée par son propre refrain régimentaire ? On peut donc ainsi apprécier l’importance de ces enregistrements, certes parfois ingrats à l’écoute, mais essentiels pour l’Histoire. Sortant du répertoire strictement militaire, il avait constitué un groupe de trompes de chasse au sein de la fanfare. Il a donc enregistré plusieurs CD de fanfares de vénerie, dont le répertoire est entré, depuis décembre 2020, dans le patrimoine immatériel de l’UNESCO. Il rassemble les archives réunies par les trompettes de sa famille, les complète avec les siennes. En 1999, lors de la dissolution de la fanfare principale de l’arme blindée cavalerie, ces collections devaient être déposées à la bibliothèque du musée de la cavalerie de Saumur qui décline la proposition. Il ne réussit pas à intéresser les services historiques militaires, qui ne disposent pourtant pas actuellement de département musical. De fait, les archives sur la musique militaire réunies par le CMMAT (Conservatoire militaire de musique de l’armée de Terre) à Versailles-Satory devenu en 2018 le COMMAT (Commandement militaire des musiques de l’armée de Terre) ne sont plus accessibles depuis 2021.
Ainsi Frédéric, fils d’Éric, qui a très tôt attrapé le virus — trompette à l’“Escadron brution” et clairon à la “Whâ” du Prytanée national militaire de La Flèche de 2002 à 2005, puis à la Préparation militaire parachutiste du 1er régiment de hussards parachutistes en 2004. Après avoir servi au 1er régiment d’infanterie de la Garde républicaine, il est actuellement adjudant-chef au groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN). Il est devenu le gardien des archives musicales de la famille qui sont aussi une partie de celles de la cavalerie.
Par ses enregistrements et ses publications, son enseignement et ses compositions, Éric Conrad se place en légitime héritier de l’illustre David Buhl. S’il n’est pas reconnu comme l’a été son prédécesseur, c’est tout simplement dû à la disparition du répertoire d’ordonnance. Sorti du champ de bataille avec la fin de la Grande Guerre, ces signaux (batteries de tambour, sonneries de clairon et de trompette) ont rythmé la vie militaire, quasiment jusqu’à la fin de la conscription. Éric Conrad les a maintenus et les a fait connaître.
LCL (R) Thierry Bouzard
Docteur en histoire
Dans la cavalerie les sous officiers supérieurs ont droit à l’appellation de « mon lieutenant « .Cela dit la musique du Prytanée à laquelle j’ai eu l’honneur de participer lorsqu’elle avait plus de 100 musiciens sur les rangs années 60- 70 et dont le chef de musique était le brillant capitaine Gallais avait aussi un trompette major , cavalier de son état , le formidable Adjudant chef Baude qui dirigeait la batterie fanfare .Notre répertoire était très large .