samedi 12 octobre 2024

Une Europe convalescente ?

Des disparitions

Helmut Kohl, un des symboles de la construction européenne, est décédé le 16 juin 2017. Il rappelait fréquemment l’anecdote suivante. Jeune écolier au lendemain de la guerre, il arrachait les poteaux frontières entre le Palatinat et la France ! Le couple franco-allemand Mitterrand-Kohl se créa donc aisément notamment sur la question de la défense de l’Europe et sur son unité.

Helmut Kohl défendra la position américaine dans la crise des euromissiles, c’est à dire du déploiement de missiles de croisière et de fusées Pershing-II en réponse à l’installation des missiles SS-20 soviétiques pointés sur l’Europe occidentale. En janvier 1983, à l’occasion du 20ème anniversaire du traité de l’Elysée, François Mitterrand lui apporte son soutien et déclare : « Les missiles sont à l’Est et les pacifistes à l’Ouest ». En 1984, F. Mitterrand saisit la main d’Helmut Kohl à l’ossuaire de Douaumont devant un cercueil recouvert des drapeaux français et allemand. La photo restera gravée dans les mémoires.

Le 9 novembre 1989, survient un autre événement : la chute du Mur de Berlin. La question de l’unité allemande est de nouveau d’actualité. Le 28 novembre, H. Kohl présente au Bundestag un programme en dix points pour le dépassement de la division de l’Allemagne et de l’Europe. Malgré la défiance de ses alliés européens, il obtient le soutien des Douze au Conseil européen de Strasbourg présidé par François Mitterrand. En contrepartie, il accepte la mise en route de l’Union économique et monétaire qui débouche sur la création de l’euro. Helmut Kohl a été donc au cœur de la construction de l’Europe d’aujourd’hui.

Le 30 juin 2017, Simone Veil disparaissait à son tour. Figure emblématique de la classe politique française, rescapée des camps de la mort, première présidente du parlement européen, elle a été un exemple pour les Français et leur classe politique. La France lui a rendu hommage aux Invalides par une cérémonie digne de la République. Son entrée au Panthéon accompagnée de son époux a été décidée par le président Macron. Enfin, une décision rapide sans polémique, lourdeurs administratives, débats sans fin …

Une Europe frémissante ?

Cependant, qu’en-est-il aujourd’hui de l’Europe ? Une étude de l’institut Chatham House, « L’avenir de l’Europe. Une comparaison des positions du public et des élites », a été menée dans dix pays (Autriche, Belgique, France, Allemagne, Grèce, Hongrie, Italie, Pologne, Espagne et Royaume-Uni) en décembre 2016 et en janvier 2017, en interrogeant séparément un échantillon de 10 000 personnes représentatives et un autre échantillon de près de 2 000 personnes représentatives des « élites ».

Publiée le 20 juin 2017 (Le Monde du 21 juin), elle montre de nouvelles lignes de fracture et une frustration certaine quant aux bénéfices tirés de la construction européenne mais aussi une communauté de vues sur sa nécessaire fonction de solidarité, son caractère démocratique, l’existence d’une identité européenne. Cependant, une proportion équivalente de citoyens est opposée à l’avènement d’Etats-Unis d’Europe, dotés d’un gouvernement central soit pour 47% des élites et 41% du public.

Ce consensus se brise sur la perception des bénéfices que tirent les citoyens de leur appartenance à l’Union européenne. Les élites sont à 71% conscientes des bénéfices qu’elles ont tirés de l’intégration européenne contre un tiers des personnes représentatives alors qu’un autre tiers des personnes représentatives considère que cela ne lui a apporté aucun bénéfice. Près de la moitié (47%) des personnes représentatives estime que l’élargissement de l’Union européenne est allé trop loin alors que 58% des élites soutiendraient l’adhésion de nouveaux membres. La question de l’adhésion de la Turquie, en revanche, ne recueille la majorité ni auprès des élites (opposées à 49%) ni au sein du public (62%).

Une Europe qui protège

Une possible convalescence de l’Europe a été engagée par le Conseil européen du 22 juin à Bruxelles avec cette ligne politique défendue par le président Macron d’une « Europe qui protège » pour répondre à l’inquiétude des peuples.

Concernant la sécurité intérieure et le terrorisme, la coopération sera renforcée pour combattre la propagation de la radicalisation en ligne, prévenir et combattre « l’extrémisme violent », lutter contre l’idéologie qui le sous-tend. L’effort sera fait pour protéger le cyberespace mais aussi combattre la protection que celui-ci offre aux terroristes et aux criminels.

Je remarque que l’islamisme radical n’est pas évoqué et comme d’habitude les gouvernements européens ont repris le terme relativement neutre « extrémisme violent » pour l’évoquer. On évite de dire ce qui est et on se voile la face … presque intégralement devant la réalité. Or, la radicalisation et le terrorisme sont bien aujourd’hui les expressions de l’islamisme radical et non d’un quelconque mouvement armé « extrémiste violent »

La finalisation avant fin 2017 d’un système européen d’information et d’autorisation concernant les voyages (ETIAS) renforcera le contrôle des frontières extérieures et la sécurité intérieure. Surtout, le Conseil a appelé à gérer la menace par un meilleur partage du renseignement sur « les combattants terroristes étrangers » et les « individus radicalisés qui ont grandi à l’intérieur de nos frontières ».

Concernant la sécurité extérieure et la défense, la relation transatlantique et la coopération entre l’Union européenne et l’OTAN restent fondamentales pour une sécurité globale que ce soit contre les cybermenaces, les menaces hybrides ou le terrorisme. Un « centre d’excellence » européen pour la lutte contre les menaces hybrides a été créé à Helsinki et salué par le Conseil européen.

Surtout, le Conseil a soutenu la création par la Commission du Fonds européen de la défense. Il comporte un volet « recherche » et un volet « capacités ». L’objectif est en particulier de doter l’industrie de défense européenne d’une base compétitive, innovante et équilibrée à l’échelle de l’Union européenne, y compris par une coopération transnationale et une participation des PME.

Enfin, une coopération structurée permanente a été jugée nécessaire. A cet effet, les Etats membres devraient établir dans un délai de trois mois une liste commune de critères et d’engagements contraignants. Pour renforcer le dispositif de réaction rapide de l’Union européenne, peu concluant à ce jour car il n’a jamais servi, le déploiement des groupements tactiques (un groupement correspond à 1500 hommes) devrait être pris en charge de façon permanente en tant que coût commun par le mécanisme Athéna.

Pour conclure

Triste ironie de l’histoire, deux grands européens nous ont quittés alors que l’Europe semble se réveiller. Le couple franco-allemand se recrée après une longue absence avec l’objectif de revenir à « l’esprit de coopération qui existait jadis entre Mitterrand et Kohl », dans la poursuite de cette volonté de réconciliation prônée très tôt par Simone Veil.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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