Lors des différentes croisades et expéditions militaires que lancèrent les Occidentaux et les Francs de Syrie à partir des États croisés, ils durent faire face à de nombreuses contraintes et problèmes tout à fait nouveaux pour eux.
Tout d’abord, un milieu et un climat fort différents du leur : un relief rocailleux et difficile, des déserts de sable, des conditions climatiques éprouvantes alternant entre les plus fortes chaleurs ou au contraire des pluies diluviennes. Une autre difficulté majeure fut la rencontre avec un ennemi ayant une tradition du combat complètement opposée à la leur. En effet, la méthode de combat des Musulmans était basée sur la rapidité, la mobilité et le harcèlement, tandis que celle des Occidentaux était basée sur la défense et le choc. La tactique d’une armée relève toujours, entre autres et dans une certaine mesure, les possibilités techniques qui lui sont offertes par son équipement. Or, on a longtemps reproché aux Francs une incapacité à s’adapter aux conditions de combat de l’Orient et à imiter les méthodes des Musulmans. Cependant, le fait que les Francs aient pu conserver les États latins pendant près de deux siècles, face à un ennemi largement supérieur en nombre et malgré des problèmes aigus de ravitaillement en armes, en chevaux et en hommes, nuance ces accusations. Faut-il voir cette présence de deux cents ans comme une victoire ou comme une défaite ? Il apparaît en fait que les Francs, souvent contraints par les événements, se sont livrés à un certain nombre d’adaptations au niveau de leur équipement, et plus encore au niveau tactique. Les forces franques ont dû s’adapter, notamment après la remise en cause de la toute puissance de la cavalerie franque par les Musulmans. Quelle ampleur ont connu ces adaptations ? Dans quelle mesure ces adaptations étaient-elles nécessaires ? Est-ce qu’inversement le maintien d’une certaine forme d’inadaptation n’a pas pu être une force, un atout déterminant ? Tout d’abord, il convient de souligner les adaptations techniques auxquelles se sont livrés les Francs. Ensuite, nous verrons comment bien plus qu’une adaptation technique, il faut parler d’une adaptation tactique des combattants francs. Enfin, nous verrons quelles limites se sont posées à un plus grand nombre d’adaptations.
LES ADAPTATIONS TECHNIQUES
Les adaptations techniques, c’est-à-dire les adaptations de l’équipement et de la remonte, n’ont sans doute pas été aussi peu nombreuses qu’on l’a souvent cru. Cependant, ce furent souvent des adaptations contraintes par la pénurie d’équipement ou de chevaux, plus que le résultat d’une véritable prise de conscience de la nécessité de s’adapter. On peut ainsi isoler trois causes d’adaptations techniques pour le combattant franc. La première est due aux conditions topographiques et climatiques de l’Orient. La seconde relève de la nécessité de se procurer de l’équipement compte tenu de l’éloignement des bases occidentales et de la durée accrue des campagnes militaires. La troisième, enfin, est à rattacher à un certain désir d’imitation des Francs envers les Musulmans et à une volonté de s’adapter à leurs méthodes de combat.
Les contraintes du terrain et du climat
Les armées franques n’étaient pas prêtes à affronter les dures conditions de l’Orient. En effet, qu’ils fussent chevaliers, fantassins ou archers, les combattants francs avaient en commun à des degrés divers, un équipement lourd, chaud et encombrant. Ainsi, Jacques de Vitry raconte que, lors de la Cinquième croisade, à Damiette en 1219, « le soleil était chaud et brûlant, les hommes de pied succombaient sous le poids de leurs armes, la fatigue de la marche accrut encore celle qui provenait de l’excessive chaleur [ … ] ils mouraient sans avoir reçu de blessures et succombaient d’inanition » (1). À Hattin, en 1187, l’armée franque fut anéantie en partie parce qu’elle avait négligé de rechercher un terrain où les sources d’eau étaient abondantes ; les Francs sous leurs lourdes armures étaient exténués avant d’avoir commencé le combat (2).
Après les grandes chaleurs, les combattants francs durent aussi affronter les grandes pluies. En hiver, des pluies diluviennes se produisaient parfois. Jacques de Vitry raconte par exemple que ces pluies duraient trois à quatre jours et étaient si fortes que la terre en était tout inondée, comme pour un déluge (3). Lors d’une pareille pluie, au cours de la Troisième croisade, l’armée de Richard Cœur-de-Lion perdit de nombreux chevaux et les hauberts se couvrirent d’une rouille que l’on pouvait très difficilement enlever. Par ailleurs, la plus grande partie du littoral syrien était couverte de sable et de dunes (4). En 1239 à Gaza, les Francs, ainsi que leurs chevaux lourdement armés, s’enfonçaient dans le sable jusqu’à mi-genoux. L’armée franque se trouvait également en difficulté dans les montagnes de Syrie, très rocailleuses et très difficiles d’accès pour des Francs dont l’équipement était très mal adapté au terrain ; d’ailleurs, les tribus nomades ne manquaient pas d’y trouver refuge. Ces montagnes étaient tellement impraticables pour les chevaux francs, en 1190, qu’Imâd ad-Dîn les comparait à des citadelles (5). En 1242, l’armée impériale débarqua à Chypre dans un paysage montagneux où les chevaux francs trébuchaient et se blessaient les pattes sur les rochers (6).
Pour se protéger des chaleurs, des tempêtes de sable et des grandes pluies, les Francs développèrent l’usage de la housse pour le cheval et de la cotte d’armes pour le combattant. Cette dernière était un type de tunique sans manche, descendant jusqu’aux genoux, en peau ou toile épaisse. Elle était un moyen d’empêcher les armures de chauffer au soleil ou de rouiller sous la pluie. Ces deux protections étaient connues avant les croisades mais leur usage n’était pas encore très répandu. Les Templiers, eux, étendirent le port de la cotte d’armes à tous leurs combattants, ainsi que le port d’une chemise d’été. Par ailleurs, outre la housse de cheval destinée à protéger celui-ci des coups ou projectiles ennemis, la Règle du Temple opta pour une chemise de cheval, plus légère, destinée seulement à arrêter les rayons du soleil (7). La nuit, les Templiers disposaient aussi d’un grand manteau devant protéger leur selle de l’humidité de la nuit, qui était très grande (8). La couleur blanche du manteau et de la cotte des Templiers et des Teutoniques devait aussi être appréciée pour ses propriétés réfléchissantes. À l’inverse, le manteau brun ou noir des hospitaliers et des sergents des ordres précédemment cités, était moins adapté.
Bien plus qu’à de véritables modifications de l’équipement, on a assisté à une modification des usages. Ainsi, il semble que les chevaliers aient parfois opté pour des protections plus légères, qu’ils possédaient déjà en complément de leur équipement. Ainsi, lors de la bataille de la Mansourah, en 1250, Joinville et ses compagnons portaient tous un gambeson et un chapel de fer (9). Le chapel de fer était le casque des sergents, rond à bord larges, protégeant du soleil ; le gambeson, lui, était une protection rembourrée que l’on portait sous le haubert. Le heaume était particulièrement étouffant pour les chevaliers : Saint Louis demanda par exemple à Joinville de lui prêter son chapel de fer car il étouffait sous son heaume. Les chevaliers templiers, eux, disposaient, en complément de leur heaume, d’un chapel de fer, dont le port était moins éprouvant sous les fortes chaleurs. De même, le haubergeon, étant plus court et plus léger que le haubert, pouvait être une solution. À la bataille de Jaffa, par exemple, en 1192, le roi Richard avait remplacé son haubert par un haubergeon. Les historiens se sont aussi beaucoup interrogés sur le couvre-nuque que les Francs auraient fixé sur leur casque pour se protéger de la chaleur (10) : certains sceaux montrent en effet un voile recouvrant plus ou moins le casque et flottant au vent. Il ne serait effectivement pas surprenant que les Francs aient essayé d’empêcher leur casque de chauffer alors que beaucoup d’entre eux mouraient d’insolation.
Lorsqu’on s’intéresse aux miniatures des différents manuscrits réalisés dans l’Orient latin, on peut supposer quelques modifications supplémentaires de l’équipement. Ainsi, de nombreux chevaliers représentés portent non pas des cottes d’armes, mais des tuniques plus courtes et plus amples (11). On sait que les Francs de Syrie ont adopté en partie les vêtements amples, moins chauds, des Orientaux. De même, le mortier, ou coiffe, qui apparut au XIIIe siècle et que l’on portait sous le casque, faisait penser au turban des musulmans et pouvait lui aussi protéger la tête des coups d’épée. Toujours sur les mêmes miniatures, on s’aperçoit que beaucoup de Francs portent le petit bouclier rond des Musulmans, dont l’usage était très rare en Occident (12). Peut-être y a-t-il eu là une volonté de s’alléger. De même, sur deux miniatures de l’Histoire universelle, on semble distinguer un modèle de « haubertjaserant » (13). Ce haubert, d’origine musulmane ou byzantine, aurait été un vêtement de maille ou un haubert couvert d’une toile matelassée. D’autres historiens ont pensé que le haubert jaserant était plutôt formé de plaquettes de métal reliées entre elles par des anneaux; un haubert plus léger, en fait (14).
Enfin, il faut signaler, dans le cadre des adaptations aux conditions climatiques et topographiques de l’Orient latin, l’adoption du dromadaire comme bête de somme. Cet animal pouvant supporter de grosses chaleurs et traverser des terrains difficiles, les Francs ne tardèrent pas à l’utiliser, et en premier lieu les ordres militaires (15). Saint Louis en acheta personnellement quinze lors de son séjour en Terre sainte (16).
En résumé, l’équipement des Francs n’a été modifié que modérément. Ce qui a changé, ce sont surtout les pratiques : un port plus accentué de protections contre la pluie et le soleil, ou de pièces d’armure plus légères, comme le chapel ou le gambeson. Cependant, on peut discerner d’autres adaptations techniques du combattant, celles-ci plus indirectes. En Orient, en effet, le combattant a été soumis à la nécessité de se procurer de l’équipement alors que ce dernier manquait et que la durée des campagnes militaires était bien supérieure à celles habituellement pratiquées en Occident.
La nécessité de se procurer de l’équipement
L’éloignement des États latins, les difficultés de transport maritime, la succession d’armées sur un même sol, conduisaient à un manque chronique d’armes et de chevaux en Orient latin. Malgré les donations, les envois de matériel par les rois ou les ordres militaires, l’équipement était difficile à trouver et cher. Ce qui manquait le plus était les chevaux. Il était difficile de les amener en bateau et la mortalité de ceux-ci était très grande pendant le transport ; par ailleurs, les chevaux francs résistaient mal au climat et aux longues campagnes militaires. Les Musulmans avaient de plus comme tactique l’habitude de diriger leurs attaques contre le cheval, qui était en quelque sorte le point faible du chevalier.
Les combattants eux, avaient du mal à remplacer leurs armes perdues ou cassées, et ce d’autant plus que les guerres étaient longues. C’est pour cela que, pour s’équiper, ceux-ci eurent recours à la manne du butin ainsi qu’au commerce avec les Musulmans. Du matériel et des chevaux arabes circulèrent donc en quantité dans les armées franques. Sur les champs de bataille, les combattants pouvaient trouver tout ce dont ils avaient besoin. Ainsi, Ambroise décrit l’aubaine que pouvait représenter un champ de bataille :
Vous auriez pu ramasser là tant de bonnes épées tranchantes, de javelots acérés, d’arcs, de carquois, de masses d’armes, de carreaux, de dards, de flèches que vous auriez pu en remplir vingt charrettes (17).
Les guerriers les plus pauvres, sergents et pèlerins, se jetaient sur les corps ennemis pour les dépouiller et s’équiper. L’armement ennemi se répandait également hors des armées, sur les marchés des villes, notamment sur le grand marché d’Acre. Ce que les Francs appréciaient particulièrement dans l’armement ennemi était le « gasiganz », le gambeson porté par les Musulmans, réputé très solide, ainsi que les vêtements de maille : « de belles armures, fortes, légères et sûres », disait Ambroise (18). Pour les mêmes raisons de légèreté, les targes sarrasines étaient très recherchées. Chez les Templiers, les armes provenant du « gain », du butin, étaient aux mains du maréchal, qui gérait l’approvisionnement en équipement des maisons du Temple (19). En résumé, les Francs furent donc amenés, par l’intermédiaire du butin, à utiliser de nombreuses armes et armures musulmanes, soit parce qu’ils avaient perdu les leurs, soit parce qu’ils les trouvaient meilleures.
Les Francs ne manquèrent pas non plus de s’emparer des chevaux et bêtes de somme des Musulmans. Parmi les prises des troupes de Richard, en 1192, on comptait des milliers de chameaux et chevaux turcomans. Le turcoman était un cheval grand et robuste, qui avait l’avantage d’être adapté au climat. Ambroise disait que les Sarrasins avaient des chevaux tels qu’il n’y en avait pas de pareil au monde (20). Les chevaux arabes étaient en général de petite taille, mais endurants et rapides. En 1250, les chevaliers d’Acre pillèrent la bourgade de Bethsam et ramenèrent plus de 16.000 bêtes. De nombreux croisements ont dû avoir lieu entre les différentes races de chevaux, mules et ânes francs et musulmans (21).
Les adaptations ne se limitèrent pas au seul rapport Francs-Musulmans, les différents peuples occidentaux qui se trouvaient en Orient au même moment, s’influencèrent les uns les autres. Ainsi, l’équipement italien se trouvait aux antipodes de celui des Allemands : les Italiens étaient connus pour la légèreté de leur équipement, tandis que les Allemands, surnommés « la nation de fer » par les Musulmans, étaient, eux et leurs chevaux, les plus lourdement armés. La cohabitation et les luttes entre ces peuples ont provoqué un même effet d’influences réciproques entre les différents équipements.
Toutefois, comme les ressources du butin ne suffisaient pas à se procurer tout le matériel nécessaire, les Francs commercèrent avec les peuples orientaux. Ainsi, dans la première moitié du XIIIe siècle, les Chrétiens furent de grands clients des armureries de Damas, dont ils appréciaient les armes et les armures. Le commerce était si lucratif que, malgré les guerres, les Musulmans ne l’interdirent qu’en 1251 (22). De même, le fabricant d’armes de Saint Louis se rendit à Damas pour chercher de la corne et de la colle pour la fabrication d’arbalètes (23). En 1288, un vizir fut également condamné pour avoir vendu une grande quantité d’armes et d’armures aux Francs (24). Les Francs importaient aussi des arcs et des javelots des territoires voisins ainsi que des plumes pour fabriquer des pennes de flèches et des cimiers pour les casques (25). Les Francs étaient aussi très intéressés par l’achat de chevaux arabes. Les chevaux lourds de la tribu de Kilâb étaient très renommés, par exemple, ainsi que les chevaux de Houma : ils s’achetaient à prix d’or (26). Les Francs faisaient également venir un grand nombre de chevaux de Cilicie (27). Le commerce, bien plus que le butin, était la preuve que les Francs appréciaient les armes et les montures ennemies, plus adaptées que les leurs à l’Orient. Il est toujours difficile de savoir si ce fut le manque d’équipement qui poussa les Francs à ces adaptations ou si ce fut la prise de conscience de leur relative inadaptation. C’est là la différence entre une adaptation directe ou indirecte. Un certain nombre d’adaptations relèvent pourtant directement d’une volonté de contrecarrer les méthodes et les moyens de combat des Musulmans.
Emprunts et adaptations face aux méthodes de combat des Musulmans
On peut remarquer un certain nombre d’emprunts directs aux Musulmans. Plusieurs fois dans les manuscrits de l’Histoire universelle, nous voyons apparaître le caparaçon musulman sur les chevaux (28). Le caparaçon musulman était une protection de feutre capitonnée qui couvrait le cheval des cavaliers lourds musulmans. Les peuples orientaux protégeaient leurs chevaux depuis longtemps : Byzantins, Arméniens, Musulmans les utilisaient. La tactique des Sarrasins visant à tuer de leurs flèches les montures ennemies a conduit rapidement les Francs à adopter les housses et autres protections pour leurs chevaux. À la fin du XIIIe siècle, on a également vu apparaître le chanfrein et la picière, pièces qui protégeaient la tête et le poitrail des chevaux et qui étaient depuis longtemps utilisées par les Musulmans. De même, il semble que les Francs aient été très intéressés par l’arme favorite des Musulmans : la masse. Les sergents et les chevaliers du Temple avaient par exemple dans leur équipement une masse turque. La masse était une arme qui existait en Occident, mais peu utilisée en comparaison avec l’Orient. À partir du XIIIe siècle, au contact des Musulmans, l’emploi de la masse se diffusa largement en Occident, après les croisades. On vit d’ailleurs se modifier une partie de l’équipement franc: la masse turque défonçait les armures et les casques. Par conséquent, pendant la période des croisades, certaines modifications sont apparues : le renforcement du heaume à fond plat des Francs qui s’est bombé et ovalisé au XIIIe siècle pour offrir une meilleure résistance. De même, se sont développées, pour protéger les épaules, les espalières, carrés de métal fixé aux épaules, servant à dévier les coups de masse, notamment (29).
Le séjour des Francs en Orient, a aussi apporté des nouveautés en terme de musique militaire : de très nombreux instruments furent empruntés aux Musulmans, notamment des cornets de bois, des trompettes d’airain, sistres, timbales, de nombreuses variétés de tambours, de clairons et de cors (30).
Une des dernières grandes adaptations que l’on peut relever est une adaptation au statut un peu particulier : il s’agit de l’apparition des premiers uniformes par le biais des ordres militaires. Cela représentait une adaptation de tout premier ordre aux conditions de combat de l’Orient latin. En effet, un des grands problèmes qu’y rencontrèrent les Francs fut un problème d’identification des combattants. Les armées croisées n’étaient en rien des armées nationales : des guerriers venus de tous les pays d’Occident s’y côtoyaient, ainsi que des mercenaires d’origine très diverses et parfois même de pays ennemis. De plus, il faut souligner qu’aucun uniforme n’existait ; chaque combattant s’équipait selon son goût et ses moyens. Les guerres civiles furent très nombreuses dans l’Orient latin, comme celle qui opposa de 1228 à 1242 la famille chypriote des Ibelins aux Lombards et qui constitua un véritable imbroglio de peuples et de mercenaires (31). En 1232, un chevalier d’origine italienne qui combattait pour les Chypriotes fut tué par ceux-ci, qui le prirent pour un Lombard (32). En effet, il avait mal prononcé le cri de ralliement qu’avaient choisi les Chypriotes pour se reconnaître entre eux. Les armées franques mêlaient donc en leur sein tous les styles d’armes et d’armures venus d’Occident. Il n’était pas toujours évident par ailleurs de reconnaître les armées ennemies. Les troupes musulmanes étaient très variées : Égyptiens, Numides, Turcomans, Turcs, etc. Et tout cela avec une très grande diversité d’armement. De plus, comme les Francs, les Musulmans employaient des mercenaires de l’autre bord, comme le sultanat de Rûm qui employait des Génois. Saint Louis, par exemple en débarquant à Damiette, ne parvint pas à identifier de prime abord les Sarrasins et demanda à ses hommes de qui il s’agissait (33). De même, Joinville raconte qu’il passa à côté de Turcs qui le prirent pour l’un des leurs (34). Par conséquent, l’apparition des premiers uniformes dans les ordres militaires au cours des croisades est réellement une adaptation de première importance qui fut très certainement à l’origine du développement des tout premiers uniformes en Occident aux XIV et XVe siècles.
En conclusion, les adaptations techniques des Francs ont été nombreuses et variées, sans toutefois changer l’aspect général des armées franques. Car plus qu’un changement radical de l’équipement occidental, les croisades ont marqué en fait avant tout un bouleversement tactique chez les Francs.
ADAPTATION TACTIQUE DES FRANCS
La remise en cause de la tactique franque
Les méthodes de combat des Musulmans ont posé d’énormes problèmes aux Francs qui voyaient là une mise en défaut de leur armement et de leur tactique. Par de nombreux côtés, la tactique des Musulmans était à l’opposé de celle des Francs. Les Musulmans disposaient d’armées plus mobiles, avec un équipement, pour les cavaliers comme pour les fantassins, plus léger que celui de leurs ennemis. Toute la tactique des Musulmans était basée sur la rapidité: des vagues successives d’archers montés se succédaient, noyant l’ennemi sous une pluie de flèches, pendant que les fantassins tiraient aussi. Joinville raconte qu’à la Mansourah, « il y avait bien un journal d’étendue, criblé à ce point que la terre y disparaissait sous les flèches lancées par les Sarrasins » (35). Lorsque les Francs se décidaient à charger, ils ne trouvaient que le vide devant eux. Ce que confirme le témoignage d’Ambroise :
… Car les Turcs ont un avantage par lequel ils nous nuisent beaucoup: les Chrétiens ont de lourdes armures, et les Sarrasins n’ont d’autres armes qu’un arc, une masse, une épée ou un javelot acéré [ … ] : et quand on les poursuit, ils ont des chevaux qui n’ont pas leur pareil au monde et qui semble voler comme des hirondelles. On a beau poursuivre le Turc, on ne peut l’atteindre et il ressemble à la mouche venimeuse et insupportable: poursuivez-le, il prendra la fuite, revenez, il vous poursuivra (36).
Or, la méthode de combat franque était basée sur le primat de la cavalerie lourde. En Occident, c’est elle qui donnait la victoire, le choc final. L’infanterie n’avait qu’un rôle secondaire, d’appoint. Le cavalier franc était impuissant face à la rapidité du cavalier musulman. Cette impuissance était renforcée par le fait que la tactique des Musulmans consistait aussi à viser les chevaux francs. En 1269, une troupe entière de Chrétiens fut massacrée par les Sarrasins qui avaient dirigé leurs tirs uniquement sur les montures des chevaliers, pour pouvoir les achever ensuite (37). La cavalerie franque perdit en Orient une partie de sa puissance. À la bataille de Gaza, en 1239, la cavalerie lourde franque, s’enfonçant dans le sable, fut incapable de déloger ses adversaires du pas étroit où ils se trouvaient (38). Très vite, les Francs se sont rendus compte du rôle indispensable de l’infanterie, jusque-là méprisée. À partir de la Troisième croisade, l’infanterie ne quitta plus la cavalerie. Grâce à leurs grands boucliers et à leurs piques, les fantassins servaient de remparts aux cavaliers. On mettait souvent les piquiers bien en avant des cavaliers, comme cela les cavaliers ennemis n’osaient s’approcher : ainsi au débarquement à Damiette, en 1249, les chevaliers se mirent en avant, agenouillés derrière leur écu et leur lance tandis que l’on débarquait les chevaux (39). Les cavaliers musulmans n’osèrent approcher. Le rôle de protection de l’infanterie était bien connu par les Francs de Syrie. Ainsi, en 1197, alors que le seigneur de Jaffa était attaqué, il demanda au comte Henri pour le protéger, non pas des cavaliers, mais des sergents et des arbalétriers. Les fantassins servaient aussi de refuge pour le chevalier qui s’épuisait vite sous la chaleur et sous le poids de ses armes, harcelé par ses ennemis.
Par ailleurs, les arbalétriers et les archers eurent un plus grand rôle. Face à des adversaires qui utilisaient massivement l’arc, il fallait pouvoir aussi se battre à distance. L’arme reine des croisades fut l’arbalète. La puissance et la précision de tir de cette arme la rendaient redoutable contre les archers montés. Par deux fois, Joinville raconte que la seule arrivée d’une troupe d’arbalétriers sur les lieux du combat, suffit à faire fuir les cavaliers ennemis (40). Les Musulmans étaient sans pitié pour les arbalétriers qu’ils capturaient: ils les tuaient ou leur coupaient le pouce afin qu’ils ne puissent plus tirer (41). L’arbalète avait une portée plus grande que l’arc court sarrasin. Cela permettait donc aux arbalétriers d’éloigner les archers musulmans et de les garder à distance. En 1218, une troupe de chevaliers et de sergents à cheval eurent de grandes pertes car ils avaient négligé d’amener avec eux des archers et des arbalétriers (42). À Jaffa, Richard Cœur-de-Lion adopta la même tactique que les Musulmans en visant leurs chevaux avec ses arbalétriers (43). Les armes de trait des Francs étaient supérieures à celles des Musulmans. Ainsi, l’arc franc était plus puissant que l’arc musulman : il tirait moins vite mais avec plus de force. Lors de la bataille de Gaza, en 1239, un duel se produisit entre tireurs des deux camps: les archers musulmans durent se retirer après avoir subi de lourdes pertes (44). Les archers et les arbalétriers francs acquirent donc un rôle de première importance durant les combats de l’Orient latin. Les Francs furent obligés de modifier leur tactique, qui se basait avant tout sur la cavalerie, et d’accroître la coopération ce cette dernière avec l’infanterie et les archers. Cette coopération engendra même ce que l’on peut désigner comme de véritables formations tactiques.
Les formations tactiques
La cavalerie, l’infanterie, les archers et les arbalétriers comptaient chacun leurs forces et leurs faiblesses. Face à la polyvalence du cavalier léger musulman, chaque corps pris séparément était affaibli et risquait le massacre. Aussi, le but des Musulmans était-il toujours de chercher à séparer les piétons des cavaliers. La formation classique que les Francs développèrent en Orient, pendant les marches notamment, était le carré formé de fantassins sur les côtés équipés de piques et de targes, les cavaliers à l’intérieur attendant que l’ennemi soit suffisamment près pour charger (45). Souvent, l’infanterie était sur deux lignes : la première était composée de piquiers, la seconde d’archers et d’arbalétriers (46). À Jaffa en 1192, Richard fit cacher sous les targes, intercalés entre deux piquiers, un arbalétrier et un homme qui lui chargeait une seconde arbalète pendant qu’il tirait : on obtenait donc un tir aussi rapide que celui des Musulmans (47). Les piquiers, eux, avaient solidement fiché leurs piques dans le sol. Dans cette formation, l’alternance de porteurs de javelots, d’archers et d’arbalétriers devait être particulièrement redoutable. En 1197, un Franc de Syrie, Hue de Thabarie, conseilla à un seigneur croisé nouvellement arrivé, d’adopter une formation semblable, la mieux adaptée pour s’opposer aux Musulmans disait-il (48). Les Chrétiens utilisèrent presque toujours les arbalétriers et les archers ensembles : l’arc avait une cadence de tir supérieure à l’arbalète tandis que celle-ci avait un tir plus puissant, il s’agissait là de combiner les deux effets.
Il faut noter en outre qu’un rôle de harcèlement leur fut également confié, calqué sur la tactique des Musulmans. En 1192, par exemple, Richard envoya en avant archers et arbalétriers pour harceler une caravane turque de façon à ce que sa cavalerie puisse arriver. Joinville rapporte le même rôle de harcèlement à Acre en 1251.
Il semble qu’une autre formation issue directement des croisades soit la création de corps d’archers et d’arbalétriers montés. Saint Louis dépensa par exemple 39.000 livres de 1250 à 1252 pour un corps de sergents et d’arbalétriers montés (49). Les Templiers aussi avaient adopté l’usage de l’arbalète à cheval, sans doute pour compenser leur absence d’infanterie (50). En résumé, la conséquence directe des combats de terre sainte, fut la recherche d’une plus grande complémentarité entre les différents corps de combattants et la mise en avant de l’infanterie.
Une adaptation plus complète encore
Une des grandes adaptations tactiques fut sans aucun doute l’emploi de troupes indigènes. En premier lieu, les turcoples ou turcopoles, cavaliers d’origine demi-byzantine, arménienne, bédouine ou même franque de Syrie (51). Ces turcoples combattaient à la turque, légèrement armés et avec des chevaux arabes. Les turcoples avaient adopté l’arc sarrasin, ce qui dotait les Francs d’archers montés, comme les troupes musulmanes (52). Ces turcoples étaient en fait des mercenaires utilisés par les deux camps comme guerriers, mais aussi comme espions. On leur confiait encore des missions de harcèlement, de raid ou d’éclaireurs. Les Francs en ont utilisé de très nombreux, et en particulier les ordres militaires (53). On voit là la grande utilité de ces combattants qui avaient avant tout le rôle d’offrir un pendant au cavalier monté sarrasin.
Les Francs utilisèrent aussi parmi les communautés indigènes de l’Orient latin de nombreux fantassins, et notamment des archers syriaques. En 1258, le seigneur de Gibelet avait dans sa troupe près de 200 archers syriens (54). L’utilisation des troupes indigènes a dû permettre aux Francs de compenser le manque de troupes légères dans leur armée. C’est une adaptation majeure, la prise de conscience d’un besoin de troupes rapides, connaissant mieux le terrain, utilisant des armes mieux adaptées. Cela leur permit peut-être de ne pas avoir à trop adapter leur propre matériel.
Une autre adaptation des Francs résida dans la pratique du raid, sur le modèle de la razzia musulmane (55). Les Francs pratiquèrent de nombreux raids en territoire musulman afin de ramener du bétail, des vivres ou plus largement du butin. On s’aperçoit que, la plupart du temps, alors que le raid est en principe fondé sur la rapidité, les Francs emmenèrent avec eux des piétons, notamment ceux équipés d’armes de trait. Il s’agissait de protéger les cavaliers francs contre les flèches des Sarrasins.
Beaucoup de turcoples et d’écuyers étaient utilisés dans ces raids en raison de leur équipement plus léger. En 1192, lorsque Richard attaqua une grande caravane turque, il ordonna que chaque cavalier prît en croupe un sergent à pied et que tout le monde s’équipe légèrement afin d’être plus rapide (56).
En Orient, les Francs apprirent aussi à pratiquer les opérations terre-mer, et plus précisément à mener des coups de main et prises d’assaut avec l’aide des marins. Les marins étaient des troupes légèrement armées afin d’assurer leurs fonctions sur le bateau. Les marins vénitiens, par exemple, portaient un javelot, une épée, un bouclier rond, un vêtement de cuir (57). Les marins génois, lors d’une bataille contre des Vénitiens, portaient des cuirasses de lame de fer et des chapels de fer : un équipement relativement léger lui aussi. Ces troupes, par leur mobilité et la possibilité qu’elles avaient d’accomplir des opérations de débarquement, furent beaucoup utilisées dans l’Orient latin. Ainsi, le comte de Jaffa opéra-t-il un débarquement remarqué lors de la bataille de Damiette, en 1251 (58). En 1228, l’infanterie de Frédéric II, composée en grande partie de marins, investit le château du seigneur de Beyrouth (59).
Enfin, les Francs durent gérer au niveau tactique les contraintes imposées par l’Orient latin. La mauvaise résistance du cheval franc à la chaleur de l’Orient, le poids des armures des combattants, l’effort physique du combat poussaient à rechercher un combat court. Richard Cœur-de-Lion et ses hommes à la bataille de Jaffa firent tant d’effort qu’ils en tombèrent malades (60). De même, à la Mansourah, la cavalerie de Saint Louis fut rapidement épuisée et il fallut aller chercher des sergents à cheval pour qu’ils les secourent et leur portent de l’eau (61). Le commandement devait donc prévoir de ne pas exposer au soleil, pendant de longues heures, les combattants sous leur armure. Aussi, les Francs s’efforcèrent-ils de développer une tactique fondée sur le combat court et décisif. Richard, en 1192, alors que son armée était assaillie de tous côtés par les Musulmans, plaça six trompettes en trois points de l’armée afin qu’à leur signal la cavalerie fonde sur eux et les écrase. Il y avait bien là une recherche du combat décisif (62). Il fallait ménager les efforts de ses troupes et trouver, par exemple, le moment opportun pour s’équiper. Lors d’une bataille entre Pisans et Génois, les Pisans firent l’erreur de s’équiper dès le matin. Les Génois eux, ne s’équipèrent pas, mangèrent et laissèrent l’armée ennemie se fatiguer sous la chaleur. Ils attendirent que le soleil soit passé derrière eux pour que leurs adversaires aient le soleil dans les yeux (63). De même en 1219, à Damiette, le légat et le patriarche qui commandaient l’armée croisée commirent l’erreur de faire trop patienter les troupes déjà équipées sous le soleil : beaucoup en moururent (64).
En conclusion, les Francs dans l’Orient latin durent affiner leurs tactiques, en tenant compte, à la fois, des contraintes du terrain et du climat, et celles de la lutte avec un ennemi ayant des pratiques guerrières radicalement différentes. Pourtant, aussi nombreuses que soient les adaptations techniques et tactiques, celles-ci ne furent jamais complètes : il n’y eut pas de bouleversement total de l’équipement ou de la tactique des Occidentaux. Il faut donc se demander quelles limites se sont posées à une adaptation plus profonde, ainsi que l’intérêt qu’avaient les combattants francs à conserver leurs traditions guerrières.
LES LIMITES DE L’ADAPTATION
Les impossibilités techniques
Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer le maintien de l’équipement franc. En premier lieu, l’afflux constant de combattants croisés: les grandes croisades apportaient des armées entières d’hommes qui arrivaient en Orient avec leur équipement. Par ailleurs, de nombreuses petites croisades décidées par un prince ou un seigneur avaient lieu, telle celle du futur roi Édouard I r d’Angleterre, en 1270 (65). Certains seigneurs se croisaient avec quelques dizaines d’hommes seulement, comme Eudes de Nevers en 1265 (66). Bref, le lien avec l’Occident ne fut jamais coupé pour les Francs de Syrie. Il est probable que, si ce lien n’avait pas existé, les Francs de Syrie auraient davantage adapté leur équipement sous l’influence de leurs voisins orientaux, mais aussi parce qu’ils auraient été à cours de matériel. En effet, même s’ils furent souvent insuffisants, l’approvisionnement et les dons ne cessèrent d’arriver depuis l’Occident. Par ailleurs, les Francs ne purent pas véritablement adapter leur équipement à cause de l’oliganthropie chronique des États latins et de la supériorité numérique des armées musulmanes par rapport aux armées franques. À Gaza en 1239, pour chaque Franc, il fallait compter treize ennemis (67). Par la résistance qu’il offrait, l’équipement franc garantissait tout de même une certaine supériorité à ceux qui le portaient.
Efficacité de l’armement franc
L’équipement franc était, en termes de résistance et de qualité, le meilleur au monde. Ce sont sans nul doute ces caractéristiques qui permirent aux Francs de tenir aussi longtemps face à un ennemi très supérieur en nombre. Les Musulmans ne cessèrent de se plaindre des qualités de cet armement. Bahâ-Ed-Din raconte :
J’ai vu de ces fantassins francs qui avaient d’une à dix flèches fichées dans le dos et qui marchaient de leur pas ordinaire sans quitter les rangs (68).
Le manuscrit de Rothelin rapporte aussi le cas de Richard ressemblant à un hérisson, lui et son cheval entièrement couvert de flèches (69). Ambroise raconte l’exaspération des Musulmans :
Les Turcs, les gens du diable, enrageaient. Ils nous nommaient les gens de fer, parce que nous avions des armures qui garantissaient nos gens… (70)
Devant cette supériorité de l’équipement, il est aisément compréhensible que les Francs aient opéré quelques modifications mais n’aient pas abandonné leur équipement. Il faut en outre invoquer des raisons psychologiques au manque d’adaptation complète. Les combattants francs étaient habitués à leur armement et avaient acquis avec lui des habitudes de combat. Ayant l’habitude d’être lourdement armés, ils en retiraient aussi une impression de sécurité. De plus, le coût de l’équipement était très élevé, ces combattants qui avaient peut-être fait d’importants sacrifices pour l’obtenir y étaient par conséquent très attachés. Certains chevaliers avaient une impression d’invulnérabilité avec leur armure : ainsi Gauchet de Châtillon, lors de la Septième croisade, s’amusa dans un château à chasser à plusieurs reprises tout un groupe de Sarrasins (71). La peur de se trouver au combat insuffisamment armé était grande. L’ost de Richard dut s’arrêter deux jours à Caiphas, pour se décharger en équipement, car les fantassins, par peur de manquer d’armes, s’étaient suréquipés et beaucoup en étaient morts (72). De même, aller au combat sans armure est toujours décrit dans les sources comme une preuve de grande bravoure ou plutôt de grande témérité (73).
Une certaine continuité tactique
Les Francs n’abandonnèrent pas non plus leur tactique basée sur le choc et sur la puissance de la cavalerie lourde. En effet, lorsque celle-ci était utilisée au bon moment, elle gardait son effet dévastateur. Lorsque Richard attaqua la grande caravane en 1192, les rangs adverses cédèrent dès le premier choc et tous ceux qui restèrent combattre furent massacrés (74). Les Musulmans craignaient particulièrement cette force et hésitaient à attaquer quand elle était trop nombreuse (75). La charge en trois lignes de la cavalerie franque continua à être utilisée: les chevaliers pour la première ligne, les sergents à cheval pour la seconde, les écuyers pour la troisième ligne (76). La règle du Temple décrit la même tactique chez les ordres militaires (77). De la même manière, dans de nombreuses batailles, l’infanterie continua, notamment pendant la guerre civile entre Ibelins et Lombards, à être utilisée de la même façon en suivant la cavalerie et en achevant les cavaliers démontés (78). En bref, l’équipement et la tactique des Francs ne perdirent pas toute leur validité en Orient.
Il fallait surtout prendre en compte tous leurs handicaps et toutes les contraintes de l’Orient latin. Les armes et méthodes de combat franques démontrèrent pendant longtemps leur supériorité.
Les guerres dans l’Orient latin marquent un profond bouleversement dans l’histoire militaire occidentale. Tout d’abord, la fin du monopole de la chevalerie sur les champs de bataille. Les premières limites du chevalier y apparurent et l’art de la guerre se modifia avec la montée en puissance de l’utilisation des armes de trait et de l’infanterie. De grands bouleversements sont à noter au niveau de la remonte : beaucoup de croisements ont été réalisés en Orient et beaucoup de chevaux furent ramenés en Occident. Les adaptations tactiques sont celles qui ont modifié le plus durablement la pratique de la guerre chez les Francs, mais les adaptations techniques sont aussi à noter : des adaptations qui se sont faites de manière hétéroclite, hasardeuse, au fil du butin, des achats, du choix de chacun. Les ordres militaires sont sans nul doute ceux qui ont démontré la plus grande force d’adaptation avec, par exemple, la constitution de deux cavaleries légères : celle des écuyers et celle des turcoples. Enfin, s’il s’agissait de réhabiliter le combattant franc et son équipement, il nous suffit de penser à l’exemple de Joinville et ses six compagnons, criblés de flèches et défendant victorieusement un pont contre des centaines d’ennemis.
Frédéric ARNAL
Doctorant en histoire médiévale, Université Paul-Valéry/Montpellier III
Source du texte : Cahiers du CEHD
Notes :
(1) Jacques de Vitry, Lettres, in Collection des mémoires relatifs à l’histoire de France, trad. M. Guizot, Paris, 1825, p. 365.
(2) Cécile Morisson, Les Croisades, Paris, PUF, 1994, p. 51.
(3) Jacques de Vitry, ibid., p. 172.
(4) D. Marshall, Warfare in the Latin East, 1192-1291, Cambridge, 1992, p. 91.
(5) Imâd ad-Dîn, Conquête de la Syrie et de la Palestine par Saladin, trad. Henri Massé, Paris, 1972, p. 327.
(6) Gestes des Chiprois, dans R.H.C. Arm., T.II, Paris, 1906, p. 738.
(7) Laurent Dailliez, Les Templiers et les règles de l’ordre du Temple, Paris, 1972, p. 30 et art. 140.
(8) Ibid., art. 149.
(9) Jean de Joinville, Histoire de Saint Louis, in Historiens et chroniqueurs du Moyen Âge, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléïade », 1963, p. 250-260 et p. 45.
(10) E. Rey, Les Colonies franques de Syrie au XIe et XIe siècles, Paris, 1883, p. 27.
(11) H. Buchtal, Miniature Painting in the Latin Kingdom of Jerusalem, Oxford, 1957, Pl. 130c, Pl. 130 F.
(12) Ibid., Pl. 111 a.
(13) D.C. Nicolle, Arms and Armour of the Crusading Era 1050-1350, 2 vols, New York, White Plains, 1988, Pl. 831 g, Pl. 833 b.
(14) Claude Gaier, Armes et combat dans l’univers médiéval, Bruxelles, 1995, p. 358.
(15) Laurent Dailliez, ibid., art. 115.
(16) « Dépenses de Saint Louis pour sa croisade », dans J.-F. Michaud, Histoire des croisades, T. IV, Paris, 1859, p. 426.
(17) Estoire de la guerre Sainte par Ambroise, éd. Gaston Paris, Paris, 1897, p. 177.
(18) Ibid., p. 283.
(19) Laurent Dailliez, ibid., art. 102.
(20) Estoire de la guerre Sainte par Ambroise, p. 151.
(21) Jean Richard, Le Royaume latin de Jérusalem, Paris, 1953, p. 269.
(22) Henri Delpech, La Tactique au XIe siècle, 2 vols., Paris, Picard, 1886, p. 179.
(23) Joinville, ibid., p. 299.
(24) Al Makrîzî, Histoire des sultans Mamlûks de l’Égypte, vol. 1, trad. Quatremère, Paris, 1845,
(25) Assises de Jérusalem, dans R.H.C., Lois, Vol. 2, Paris, 1843, p. 180.
(26) Al Harawî, « Les conseils du sayh Al-Harawî à un prince ayyûbide », in Bulletin d’études orientales, T. XVII, Paris, 1961-1962, p. 234.
(27) E. Rey, ibid., p. 34.
(28) H Buchtal, ibid., Pl. 104b, Pl. 112c.
(29) E.E. Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 10 vols., Paris, 1854-1868, p. 403-404.
(30) Chronique d’Ernoul et de Bernard le Trésorier, Paris, éd. L. de Mas Latrie, 1871, p. 253-259.
(31) D. Marshall, ibid., p. 37.
(32) Gestes des Chiprois, p. 719.
(33) Joinville, ibid., p. 235.
(34) Ibid., p. 252.
(35) Ibid., p. 260.
(36) Estoire de la guerre Sainte par Ambroise, p. 151.
(37) Gestes des Chiprois, p. 767.
(38) Continuation de Guillaume de Tyr de 1229 à 1261, dite du manuscrit de Rothelin, dans R.H.C. Occ, Vol. II, Paris, 1859, p. 545.
(39) Joinville, ibid., p. 234.
(40) Ibid., p. 254-288.
(41) Raymond Stambouli, Les Clefs de Jérusalem, Deux croisades françaises en Égypte (1200-1250), Paris, 1991.
(42) Chronique d’Ernoul et de Bernard le Trésorier, p. 331.
(43) Estoire de la guerre Sainte par Ambroise, p. 300-301.
(44) Gestes des Chiprois, p. 709.
(45) Bahâ ed-Dîn, Anecdotes et beaux traits de la vie du sultan Youssouf, dans R.H.C. or., T. III, Paris, 1884, p. 258.
(46) Ibid., p. 251.
(47) Estoire de la guerre Sainte par Ambroise, p. 307.
(48) La Continuation de Guillaume de Tyr, 1184-1197, Paris, éd. M.R. Morgan, 1982, p. 189.
(49) « Dépenses de Saint Louis pour sa croisade », p. 450.
(50) Laurent Dailliez, ibid., art. 315.
(51) Joshua Prawer, The World of the Crusaders, Londres, 1972, p. 32.
(52) Alain Demurger, Vie et mort de l’ordre du Temple, Paris, Le Seuil, 1989, p. 107.
(53) Laurent Dailliez, ibid., p. 30.
(54) Gestes des Chiprois, p. 746.
(55) D. Marshall, ibid., p. 183-195.
(56) Bahâ ed-Dîn, ibid., p. 306.
(57) Frédéric C. Lane, Venise, une république maritime, Paris, 1985, p. 85.
(58) Joinville, ibid., p. 235.
(59) Gestes des Chiprois, p. 679.
(60) Estoire de la guerre Sainte par Ambroise, p. 313.
(61) Joinville, ibid., p. 251.
(62) Estoire de la guerre Sainte par Ambroise, p. 171.
(63) Gestes des Chiprois, p. 709.
(64) Jacques de Vitry, ibid., p. 365.
(65) Chronique d’Ernoul et de Bernard le Trésorier, p. 461.
(66) « Inventaire et comptes de la succession d’Eudes, comte de Nevers (Acre 1266) », in Mémoires de la société nationale des antiquaires de France, Paris, T. XXXIX, 1878, p. 178-180.
(67) Rothelin, ibid., p. 543.
(68) Bahâ ed-Dîn, ibid., p. 251.
(69) Rothelin, ibid., p. 613.
(70) Estoire de la guerre Sainte par Ambroise, p. 170.
(71) Joinville, ibid., p. 287.
(72) Estoire de la guerre Sainte par Ambroise, p. 156.
(73) Ibid., p. 298.
(74) Ibid., p. 279.
(75) Chronique d’Ernoul et de Bernard le Trésorier, p. 324.
(76) Alain Demurger, ibid., p. 91.
(77) Laurent Dailliez, ibid., art. 172.
(78) Rothelin, ibid., p. 601.