Au cours de la Grande Guerre, le lieutenant de vaisseau Yves Le Prieur réfléchit à un système d’arme permettant de contrer les incursions de Zeppelin qui bombardent les lignes sans riposte efficace. Il invente ainsi des fusées sur avions. Après des études à Gennevilliers puis à Chalais-Meudon, il entreprend ses premiers essais en vol au Bourget. Le 24 février 1916, le pilote Joseph-Henri Guiguet (1891-1979) a effectué une démonstration réussie en présence du Président Raymond Poincaré.

Déjà trois mois que la bataille de Verdun a commencé. Chaque mois quelque 70 000 soldats français et allemands en moyenne sont engloutis dans ce maelström de feu. Le fort de Douaumont, occupé par les Allemands depuis le 25 février, est pris sous un effroyable feu d’artillerie depuis le 19 mai. Le 22 mai, l’attaque se prépare.
A l’aube, huit pilotes français (Guiguet, Nungesser, Beauchamps, de Gennes, de Boutigny, Chaput, Réservat et Barrault) prennent leur envol à bord de Nieuport. Leur objectif : la destruction de ballons d’observation allemands, les Drachen « pour empêcher l’ennemi de régler ses tirs ». Ils sont équipés d’armes nouvelles et révolutionnaires : les fusées d’aviation transformant leurs Le biplans Prieur, en redoutables « avions torpilleurs ».
Selon le compte rendu qu’écrira le lendemain Yves Le Prieur, en moins d’une minute, entre 04 h 50 et 04 h 51 du matin, 6 Drachen sur 8, situés sur la rive droite de la Meuse, « sont abattus en flammes. Sur cent kilomètres à droite de Verdun et cent kilomètres à gauche, les Allemands descendent en toute hâte leurs ballons observatoires, condition excellente pour l’exécution de notre plan ». Lors de la bataille de Verdun, 14 Drachen furent abattus au total par les fusées Le Prieur.
Au soir du 22 mai 1916, après le succès de la mission, Yves Le Prieur est décoré de la Croix de Guerre avec étoile de bronze. Le grand quartier général décide de renouveler cette tactique dans les combats de la Somme. Elle sera conduite en juin par Georges Guynemer. Le 20 juin, le major général britannique Hugh Trenchard remet à Yves Le Prieur la Military Cross. Au cours de la Première Guerre mondiale, une cinquantaine de ballons allemands sont détruits par les fusées Le Prieur. Elles sont tirées par de célèbres pilotes comme Charles Nungesser, Georges Guynemer, Jean Navarre, le Belge Willy Coppens, le Britannique Albert Ball ou encore l’Américain Norman Prince.
Les « torpilles » étaient des engins du genre fusées (longues de 50 centimètres) à baquette (2 mètres) à amorce électrique et étaient placées à droite et à gauche de l’avion sur les mâts verticaux qui séparent les plans. Des tubes, disposés parallèlement comme les barreaux d’une grille et à une inclination de 17°30’ avec l’axe de vol, dans lesquels étaient enfilées les baguettes, leur servaient de support et de guides de lancement. Une mise de feu électrique permettait au pilote de lancer ses torpilles soit simultanément, soit en plusieurs bordées. Un appareil de visée très simple permettait de faire l’attaque du Zeppelin avec toute garantie d’exactitude de pointage à partir de la distance maximum de 600 mètres. Le dispositif complet en avion torpilleur comprenait :
- Des gaines de protection en tôle d’acier très mince préservant les mâts de l’avion de l’action de la flamme des torpilles ;
- Un dispositif de mise à feu électrique ;
- Une tôle d’aluminium préservant les bouts d’aile de la flamme des torpilles ;
- Un appareil de visée
Les propulseurs fabriqués par Ruggieri, étaient chargés de 200 grammes environ de poudre noire et portaient à leur partie avant un cône de pénétration en bois sur lequel était fixé une lame de couteau triangulaire. Les fusées étaient lancées, grâce à un allumage électrique commandé du poste de pilotage, par groupe de plusieurs à la fois (bouquet). Un piqué de l’appareil, au moment de l’allumage, permettait un lancement des fusées sur la cible. A 200 mètres de distance, la fusée pénétrait dans l’enveloppe de la « saucisse » allemande, et l’incendiait grâce au jet gazeux incandescent qui continuait de jaillir de la tuyère.
Un service de l’instruction technique d’armement et de tir avait été créé en mai 1916. L’instruction technique de l’armement et de la pratique du tir aérien se précisera au début 1917 avec la nécessité de faire tirer les élèves à bord d’un avion monoplace. Un livret d’instruction spécifique, destiné aux groupes de chasse, est édité en septembre 1916, illustrant comment il faut attaquer les Zeppelin et les Drachen. Les pilotes ont interdiction d’emporter en mission ce livret classé « secret ».
29 juin 19165 : première attaque « air-sol » avec les fusées Le Prieur
Le 29 juin 1916, une reconnaissance sur Equancourt-Péronne-Ham-Nesle décolle. Elle est composée du sergent Marcel Bloch avec un Nieuport 16 porteur de fusées Le Prieur et des deux frères Charles et Henri de Guibert en couverture de chasse. Ils ont pour mission d’attaquer les Drachen du secteur. La brume est très dense et oblige le dispositif de l’escadrille 62 à grimper à 4 000 mètres.
Pris à partie par de violents tirs de DCA près de Péronne, le sergent Bloch pique brutalement vers le sol simulant la mort. Les tirs cessent. Arrivé à 200 mètres d’altitude et à 10 km à l’intérieur des lignes ennemies, il aperçoit un vaste bivouac avec un magnifique magasin à fourrages. Il tire toutes ses fusées Le Prieur sur l’installation et provoque un incendie. Les troupes allemandes aux alentours se découvrent pour tenter de circonscrire le feu qui fait rage. Le moment choisi, il repasse et mitraille les hommes au sol à une altitudede100mètres. Son avion rentre criblé de balles mais il est sain et sauf.
Au retour, le lieutenant Charles de Guibert se trouve mal en atterrissant. Le médecin diagnostiquera un épuisement physique consécutif aux trop nombreuses missions sans repos suffisant.
NOTA : En 2016, dans le cadre du Centenaire 14-18, pour commémorer le centenaire de la roquette sur aéronef, Stéphane Gaudin proposa au COMALAT de faire voler ensembles une réplique de Nieuport 17 appartenant à Laurent THOMAS, armé de fusées-torpilles Le Prieur factices, et un hélicoptère de combat Tigre du 5e RHC armé de ses lance-roquettes à induction. Ce qui fut réalisé dans le ciel toulousain le 9 mai 2016.