Comme le souligne le général (2S) Dominique Trinquand les élections législatives et leurs conséquences fragilisent grandement nos institutions et notre capacité à maintenir en l’état une loi de programmation militaire tout juste suffisante pour éviter la dégradation de notre outil militaire face à des menaces croissantes.
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Depuis vingt ans le monde est bouleversé et l’Europe redécouvre la guerre. Tout d’abord les mouvements djihadistes, après avoir frappé la France, les États-Unis et l’Europe occidentale se sont développés au Moyen-Orient et en Afrique. En germe dans le discours du Président russe en 2007 à Munich, puis depuis dix ans et avec force depuis plus de deux ans, la guerre à l’Est est aux portes de l’Union européenne. Il y a un an le proche Orient s’est embrasé et le risque d’une escalade à l’Est comme au Sud est de plus en plus envisageable.
Les media ont rendu la présence de ces tragédies quotidiennes et familières. Tellement familières que l’une chasse l’autre, qui s’intéresse aujourd’hui aux exactions en Cisjordanie ou au Haut Karabagh ? Cependant, l’anxiété gagne la plupart des foyers qui ont du mal à comprendre que nous basculons d’un monde à l’autre. En revanche il semble qu’une grande majorité des gouvernements européens aient pris conscience du changement d’environnement et des mesures à prendre dans le domaine de la sécurité pour faire face à ces bouleversements radicaux où les rapports de force militaires redeviennent une réalité. L’effort de réarmement est sensible mais encore éloigné du sursaut nécessaire au regard de la montée des périls.
Cependant, dans une France de plus en plus divisée, au printemps 2024, les débats pour les élections qu’elles soient européennes ou législatives se sont surtout concentrés sur le pouvoir d’achat et l’âge de la retraite. Comme si la menace militaire s’était évanouie pour ne plus laisser place qu’à la crainte de perdre « les acquis sociaux » résultats d’une période faste en Europe, cumulant la paix et la prospérité. La constitution d’un nouveau gouvernement minoritaire et donc fragile a tourné autour de ces sujets et de la dette qui doit diminuer pour respecter les critères européens. Plus un mot sur l’effort à faire dans le domaine de l’équipement militaire et plus globalement les dépenses à consentir pour réarmer le pays face aux menaces après trente années de désarmement. Même si le maintien dans les gouvernements successifs à son poste du ministre des Armées, soutenu par le président de la République, peut être considéré comme un gage de la continuité des efforts engagés.
Cependant, la nécessité politique de répondre au double impératif contradictoire de dépenser plus pour répondre aux aspirations des citoyens (pouvoir d’achat et âge de la retraite) et de réduire les dépenses pour s’attaquer à la dette peut entraîner des conséquences importantes sur le budget des armées. Certes, à l’heure où la probabilité d’un conflit qui nous impliquerait augmente, des déclarations ont été faites pour ne pas toucher aux dépenses militaires, mais ces déclarations n’engageront-elles que ceux qui les écoutent ? Le rejet du budget 2025 par l’Assemblée nationale et son remplacement par une loi spéciale, en attente d’une loi de finances en 2025, laisse planer une très grande incertitude sur le respect de l’augmentation à hauteur de 3,3 milliards d’euros prévue par l’actuelle LPM.
La dernière loi de programmation militaire (LPM 2019-2025) a pour la première fois depuis des décennies été totalement financée. Avec la LPM suivante (2024-2030), un doublement du budget des armées est attendu. La longue période des « dividendes de la paix » depuis trente ans avait conduit ce budget à passer de 3 % à 1,5 % du PIB. Depuis 2017 une lente remontée a porté les dépenses de 32,7 à 47 milliards d’Euros. Le chiffre de 50 milliards et 2 % du PIB doit être atteint en 2025. Il convient de noter que, compte tenu de la mise à niveau de la dissuasion nucléaire, 60 % de ce budget sera consacré à sa modernisation. En prenant en compte l’évolution de la menace à l’Est et le rôle que la France entend jouer tant au sein de l’OTAN que dans le reste du monde (Indopacifique, Afrique et Territoires d’outre-mer), la nécessité de monter à 3 % du PIB le niveau de nos dépenses de réarmement est avancé par de nombreux observateurs.
La question qui se pose donc en cette période post-électorale où tout tourne autour du choix entre la préservation des avantages acquis et des efforts à consentir, quel poids va peser l’effort nécessaire concernant la Défense ?
Comme indiqué plus haut les promesses de respect de la LPM ne manquent pas, toutefois l’expérience nous conduit à être méfiant. Si la LPM trace une trajectoire et permet de répartir les efforts à consentir, la réalité est votée annuellement lors de la loi de finances puis éventuellement la loi de finance rectificative en fin d’année. Lors de la période entre 1990 et 2015, l’observateur aura pu noter qu’en fin d’année, systématiquement, des parts non négligeables du budget dévolu à la défense étaient rognées. Cela se présentait sous forme de reports de crédits ou de gels de crédits. Insensiblement année après année, les LPM se trouvaient amputées d’une année sur cinq !
Il est donc à craindre que l’exercice financier à venir ne suive la même pente : céder sur les efforts collectifs au profit de la défense du pays pour satisfaire les aspirations individuelles à court terme des citoyens. « Du beurre ou des canons » disait-on il y a un siècle. La vigilance est donc de mise annuellement pour s’assurer que le plan de réarmement de notre pays bénéficie des finances nécessaires et que les artifices comptables ne masquent pas des renoncements préjudiciables à la reconstruction d’une armée capable de faire face aux défis à venir.
En cette période d’incertitude le front intérieur est à surveiller attentivement.
A mon sens le problème est structurel et remonte à très loin. La question est de savoir comment les habitants de la nation se comportent.
a) Comme des sujets : on fait ce que nous dit “nostre bon Roy”, on paye la taxe et la gabelle, et on part à la guerre quand nécessaire, sans grand enthousiasme ni compétence. J’exagère un peu. Mais pas beaucoup.
b) Comme des citoyens : on comprend que l’on fait partie d’une Nation, que ce mot a un sens, et cela nous implique. Cela signifie que les gens parlent de politique (intérieure et extérieure), s’y intéressent au-delà du débat sur l’âge de la retraite, et, militairement parlant, cela se traduit aussi par une reconnaissance du fait que même les roturiers peuvent avoir “de l’honneur”. Ce qui permet aux armées napoléoniennes, par exemple, d’économiser sur les sous-officiers chargés uniquement de la discipline par rapport aux armées prussiennes de l’époque.
c) Comme des consommateurs. On se focalise sur nos “acquis sociaux” et on ne se préoccupe de la politique que lorsqu’elle touche à nos petits avantages personnels.
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Le souci est que, depuis les Trente Glorieuses, les Français se comportent plus comme des consommateurs que des citoyens. La part de budget loisirs a explosé. Les congés payés ont “permis” l’émergence d’une société de consommation, devenue l’alpha et l’oméga de notre économie. La taille et le confort des maisons a augmenté. Le temps de travail a diminué.
Tout ceci était très bien, et, dans un sens, on aurait eu tort de se priver.
Néanmoins, ces “acquis sociaux” ont été permis essentiellement par des facteurs circonstanciels :
-L’ère de l’énergie pas chère avec le pétrole
-Les dividendes de la paix
-Notre tendance à nous appuyer mollement sur nos “amis” états-uniens pour assurer notre protection
Or, que constate-t-on ?
-Le pétrole s’épuise (je parle du vrai pétrole, pas du pétrole de schiste ou des sables bitumineux), le pic de production étant passé. Le point de culminance est derrière nous. La facture écologique et climatique commence à être salée (et ça ne va pas s’arranger).
-La guerre est de retour. Pas une OPEX. Une vraie guerre à l’échelle industrielle.
-Les USA ont officiellement cessé d’être un partenaire fiable (si tant est qu’ils l’aient jamais été).
Ajoutons à cela la dette souveraine qui commence à peser lourd.
Résumons :
-Nous devons nous réarmer.
-Nous devons reprendre le contrôle de nos finances.
-Nous devons faire tout cela dans un contexte d’énergie plus chère.
Fatalement, le niveau de vie va baisser. Mais cette nécessité se heurte de plein fouet à un biais cognitif bien connu : l’aversion à la perte. Des pays qui ont maintenu un appareil militaire à un haut niveau (exemple, la Russie) n’ont pas ce problème : ils étaient à un niveau plus bas en termes de niveau de vie, mais c’était du coup la normalité perçue par le russe.
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Quelques idées :
-Sortir du paradigme de la société de consommation selon laquelle on a plus de bonheur si on a une plus grosse voiture. L’état psychique de la population aujourd’hui prouve que ça ne marche pas. Et c’est de toute manière intenable.
-Réhabiliter la notion de “rusticité” (il faudra certainement trouver un autre mot), non pas chez les militaires, mais chez la population civile
-Retrouver ce qui nous manque le plus : un projet fédérateur qui nous fasse retrouver le sens de l’intérêt général, ce qui permettra de faire passer la pilule de la diminution du niveau de vie. Et, qui sait, de sortir de cette crise par le haut.
@Guis : » -Les USA ont officiellement cessé d’être un partenaire fiable (si tant est qu’ils l’aient jamais été). »
En 3 lignes vous tirez un trait définitif sur la 1ere puissance mondiale. Cela décrédibilise votre argumentaire, d’autant plus que vous reconnaissez que la France n’est plus fiable…