dimanche 19 mai 2024

Bastogne, hiver 1944 : la 101e division aéroportée américaine repousse les assauts allemands

Pendant la bataille des Ardennes, alors qu’elle était assiégée dans Bastogne par les panzers allemands, la 101e division aéroportée américaine sortit victorieuse de la plus redoutable épreuve qu’elle ait jamais eue à subir.

L’offensive allemande dans les Ardennes a commencé depuis une semaine quand, le 22 septembre 1944 au matin, les hommes de la compagnie F, appartenant au 2e bataillon du 327e régiment d’infanterie (2/327e), une des unités de la 101e division aéroportée américaine, viennent occuper des positions défensives avancées autour de Remoifosse, au sud de Bastogne. À 11 h 30, ils ont la surprise de voir venir vers eux deux officiers et deux soldats allemands, porteurs d’un drapeau blanc. Le sous-lieutenant Helmuth Henke, de la Panzer-Lehr, leur déclare en anglais : « Nous sommes des parlementaires. » La rumeur court aussitôt dans les lignes américaines que l’ennemi va se rendre ; mais il n’en est rien, bien au contraire. Henke a pour mission de transmettre un message dactylographié du général Heinrich von Lüttwitz, commandant du 67e Panzerkorps, qui exige, dans un délai de deux heures, la « reddition avec les honneurs militaires » des troupes encerclées dans Bastogne. Sinon le déferlement des forces allemandes « anéantira les troupes américaines ».

Général Anthony McAuliffe (1898-1975)

Henze et son compagnon, le major Wagner, sont conduits, les yeux bandés, jusqu’au poste de commandement de la compagnie F, qui transmet aussitôt, par l’intermédiaire du colonel Joseph Harper, commandant le 327e R.I. américain, leur message au quartier général de la division, installé dans Bastogne même. Le général de brigade Anthony McAuliffe assure alors le commandement des troupes américaines. Sa seule réaction est d’éclater de rire et de s’écrier : « Nuts ! », ce qu’on peut traduire en français par « Des clous ! ». Ses collaborateurs et lui estiment que c’était la seule réponse possible, et le colonel Harper se voit confier un bout de papier sur lequel on peut lire : « À l’attention du commandement allemand : Nuts ! Le commandement américain. » Il le transmet aux officiers allemands qui attendent toujours à Remoifosse. Henke prend connaissance du texte à 13 h 30 et, comme on peut s’y attendre, n’en comprend pas la signification. Harper se charge de lui mettre les points sur les « i » :

Au cas où vous ne sauriez pas ce que ça veut dire, c’est à peu près l’équivalent de « Foutez le camp ». Et laissez-moi vous dire encore une chose : si vous attaquez encore, nous tuerons tous les boches qui essaieront d’entrer dans la ville.

C’est là le langage d’un combattant résolu, ce qui n’a rien de surprenant quand on connaît les paras de la 101e division aéroportée, surnommés Screaming Eagles (les aigles hurleurs). Pourtant la situation de McAuliffe n’a rien d’enviable. Depuis la veille, les forces qu’il commande ont été coupées de leurs arrières et se trouvent encerclées dans Bastogne.

Elles doivent faire face à quatre divisions allemandes ― 2e Panzer, Panzer-Lehr, 26e division de Volksgrenadiere et 5e Fallschirrnjäqer ―, alors même que leurs approvisionnements s’épuisent déjà. Si le moral des hommes reste au plus haut ― ce qu’exprime avec force la boutade : « Les Allemands nous ont encerclé, les pauvres ! » ― défendre la ville n’en semble pas moins une gageure impossible à tenir.

L’attaque lancée le 16 décembre par Hitler avait pris les Alliés à contre-pied. D’une longueur de 130 km, le front n’était alors tenu que par les divisions, trop faibles ou peu expérimentées, du 8e corps d’armée, commandé par le général Troy Middleton, Les forces allemandes progressèrent rapidement, en dépit de la résistance acharnée de certaines unités. Elles avaient pour objectif de percer les lignes de défense américaines avant le déclenchement d’une offensive de grande envergure visant à pénétrer profondément dans les zones tenues par les Alliés, puis à traverser la Meuse et à reprendre Anvers avant que le commandement anglo-américain ait eu le temps de réagir. Pour ce faire, toutefois, il leur fallait impérativement contrôler les grands nœuds de communication tels que Saint-Vith et Bastogne, respectivement situés au nord et au sud de la poche de résistance, apparue à cette occasion. Après avoir tenu une semaine, Saint-Vith dut être abandonné le 23 décembre, et Bastogne devait donc être défendue à tout prix. Sept routes importantes partent de la ville (vers Houffalize au nord, Saint-Vith au nord-est, Wiltz au sud-est, Arlon au sud, Neufchâteau au sud-ouest, et Marche et La Roche au nord-ouest). Bastogne est donc un véritable verrou face à l’avancée ennemie.

Les responsables américains du secteur s’en étaient rendu compte dès le 16 décembre, date à laquelle Middleton avait envoyé à l’est de Bastogne sa seule force de réserve mobile, le groupement tactique R, afin d’y établir des barrages routiers. Le général Dwight Eisenhower, commandant en chef des forces alliées, ordonne de son côté à la 10e division blindée de quitter la IIIe armée et de foncer vers le nord pour venir renforcer la ville. Le groupement tactique B en fait partie. Lorsqu’il parvint à Bastogne le 18 décembre au matin, il fut également installé à l’est, de façon à mettre sur pied un ensemble de positions défensives formant un arc allant de Noville (sous-groupement Desobry) à Wardin (sous-groupement O’Hara) en passant par Longvilly (sous-groupement Cherry). Mais la même journée, la 2e Panzer et la Panzer-Lehr lancèrent leurs premières attaques, au cours desquelles le groupement R fut submergé, ou contourné, et le soir seul le groupement tactique B se tenait encore entre les Allemands et Bastogne.

Lors des débuts de l’offensive ennemie, le 17e corps aéroporté américain, commandé par le général de division Matthew Ridgeway, constituait la seule réserve stratégique dont Eisenhower pût disposer. Ses deux divisions basées en Europe, la 82e et la 101e, étaient alors au repos non loin de Reims, après avoir pris part à l’opération d’Arnhem. Le 17 décembre au soir, elles reçurent l’ordre de faire mouvement vers les Ardennes : c’est en effet à 19 h 30 que e général de division James Gavin, qui commandait la 82e division et assurait la responsabilité du corps d’armée en l’absence de Ridgway alors en Angleterre, fut informé des directives de l’état-major. Après une nuit de préparations frénétiques, sa division s’ébranla le 18 à l’aube, sans d’ailleurs connaître sa destination exacte. La 101e, placée sous le commandement temporaire de McAuliffe (le général de division Maxwell Taylor et son second, le général de brigade Gerald Higgins, étant tous deux en permission), fit de même à 14 heures. Gavin avait déjà reçu de nouveaux ordres, qui lui enjoignaient de se concentrer autour de Werbomont, au nord de la poche de résistance. McAuliffe pensait le retrouver là mais la 101e se vit détournée sur Bastogne en cours de route. Faire manœuvrer près de 380 camions en pleine nuit sur des routes inconnues, verglacées, n’est pas une mince affaire, et il s’ensuivit une confusion épouvantable. Il fallut prendre le risque d’avancer tous phares allumés jusqu’à la frontière belge, et les 11 000 hommes de la division parvinrent à destination en moins de 24 heures.

 

De toutes les collines, les canons tirent sur les paras américains

 

L’heure n’est pas aux exposés savants ni même aux missions de reconnaissance ; la situation à l’est de la ville devient désespérée. Au cours de la nuit, des éléments avancés de la 2e Panzer ont pris le contrôle d’Allerborn et, s’avançant en direction du nord-est, ont isolé le barrage routier mis en place à Antoniushaff par le groupement tactique R, pour finir se heurtant aux chars Sherman du sous-groupement Desobry à Noville. Plus au sud, la Panzer-Lehr, profitant d’un épais brouillard, a enfoncé un coin entre les sous-groupements Cherry et O’Hara. Le 1er bataillon du 506e régiment d’infanterie parachutiste est envoyé en toute hâte pour renforcer le sous-groupement Desobry, et arrive sur place le 19 décembre à midi. Son intention initiale est alors de lancer une contre-attaque, mais celle-ci, commencée deux heures plus tard, vient se heurter à un assaut de panzers venus de l’autre camp. Les combats restent indécis, aucun des deux adversaires ne cédant de terrain. Des batteries d’artillerie allemande, dissimulées dans les collines qui entourent Noville, font pleuvoir sur les paras un déluge de feu, tandis que les chars ennemis pilonnent sans merci leurs positions défensives. Le lieutenant-colonel James LaPrade trouve la mort au cours de l’affrontement. La bataille des Ardennes a commencé sous de bien sinistres auspices ; mais le pire reste encore à venir. Noville tombe après que la 2e Panzer a lancé un nouvel assaut le lendemain, à 5 h 30 du matin. Les troupes américaines, contraintes au repli, se retirent au-delà des lignes établies à l’arrière, à Foy, par la 502e division. Elles ignorent encore que la 2e Panzer, après avoir tenté un assaut direct sur Bastogne, a renoncé devant la résistance qu’elle y a rencontrée, et se dirige vers l’ouest en direction de la Meuse.

Les événements prennent une tournure similaire sur le reste du front. Le sous-groupement Cherry se retrouve isolé à Longvilly après une offensive de la Panzer-Lehr ; une contre-attaque, très vive, menée de concert par les trois bataillons de la 101e, parvient à stopper son élan, sans pouvoir malgré tout empêcher la prise de la ville. Le 19 décembre, à 13 heures, l’artillerie allemande bombarde la route qui va de Longvilly à Mageret, détruisant plus de 200 véhicules américains. Les survivants du sous-groupement Cherry parviennent à grand-peine à se replier à pied sur les lignes tenues par la 501e. De son côté, le sous-qroupement O’Hara a dû abandonner Wardin, pour s’établir à Marvie, dangereusement proche des faubourgs de Bastogne. Elle reçoit cependant le renfort du 2e bataillon du 327e régiment d’infanterie, unité transportée par planeurs. Tous deux opposent une farouche résistance aux patrouilles de reconnaissance envoyées à l’aube du 20 décembre par la Panzer-Lehr ; elles bifurquent donc, elles aussi, vers l’ouest, s’emparant de Lutrebois et coupant la route d’Arlon. Vingt-quatre heures plus tard, Bastogne se retrouve encerclée après la prise de Sibret par des éléments de la 5e division parachutiste allemande.

Le 21 décembre au soir, alors que la neige commence à tomber, McAuliffe est chargé de défendre la ville qu’on appellera plus tard « l’Alamo de l’Europe ».

L’arrivée des hommes de la 101e division aéroportée a déjà permis aux Américains de renforcer le mince cercle de défense mis en place au début des combats. McAuliffe et ses soldats se doivent maintenant de tenir bon, en retenant des unités ennemies qui pourraient filer droit sur Anvers, et en donnent le temps à Eisenhower de mettre sur pied une solide défense des deux côtés de la percée ennemie, avant de passer à la contre-attaque.

Les Allemands soumettent Bastogne à des tirs d’artillerie incessant et à des bombardements nocturnes qui transforment la ville en un champ de ruines. Les blessés ramenés du front gisent sans soins au milieu d’un enfer d’explosions, tandis que les équipes médicales font l’impossible, malgré un stock de médicaments toujours plus réduit. Une bombe tombe sur un hôpital, tuant tous ses occupants, à l’exception de deux malades. Les hommes de troupe passent d’interminables heures de veille à leurs postes, souffrant d’engelures ou de membres gelés.

Pour que Bastogne puisse tenir, cependant, il faut absolument qu’elle reçoive du ravitaillement. Le temps se faisant moins mauvais, McAuliffe se tourne vers la seule possibilité qui s’offre encore : les parachutages de matériel. Le 22 décembre, à 9 h 35 ― c’est-à-dire deux heures avant l’arrivée des parlementaires allemands ―, une équipe d’éclaireurs saute en parachute au-dessus de positions tenues par le 327e, pour mettre en place une série de balises radar. Une heure et demie plus tard, les soldats de la 101e voient avec soulagement apparaître les premiers C-47 au-dessus de la zone de largage, et, à 14 heures, plus de 240 avions ont réussi à faire parvenir aux assiégés 144 tonnes de matériel ― pour l’essentiel des munitions. Un autre parachutage, deux jours plus tard, connaîtra un succès analogue.

En dépit d’une relative accalmie à partir du 22 décembre, la bataille n’a nullement pris fin. Le 23 décembre, à 17 h 25, les positions, occupées par le 237e autour de Marvie, sont soumises aux tirs des chars d’assaut et de l’artillerie lourde ennemis, tandis que déferlent blindés et fantassins. Une section de la compagnie G, commandée par le lieutenant Stanley Morrison, installée sur la colline 500, au sud de la ville, subit le plus fort de l’assaut. Le colonel Harper parvient à contacter Morrison grâce au téléphone de campagne. « Où en êtes-vous ? » lui demande-t-il. La réponse est sans ambiguïté : « Je vois des chars de ma fenêtre. On dirait bien qu’ils vont nous avoir. » La communication s’interrompt brusquement ; la compagnie G a été balayée, et les Allemands se fraient un chemin jusqu’à Marvie même. La compagnie A, du 1er bataillon du 501e régiment d’infanterie parachutiste, part en toute hâte combler la brèche, et arrive juste à temps : les chars allemands ne sont plus qu’à une cinquantaine de mètres de la ville. Les lignes américaines tiennent bon, bien qu’une seconde attaque de l’ennemi pendant la nuit lui ait permis d’occuper certaines positions à l’intérieur de la localité. Les routes et leurs abords sont jonchés d’épaves appartenant aux deux camps. Le brouillard se dissipant, les P-47 alliés sont enfin en mesure de bombarder l’adversaire. Au nord-ouest du périmètre de défense, le 3e bataillon du 327e régiment d’infanterie vient tout juste de repousser une attaque du même genre à Flamierge. Mais le périmètre de défense ne fait guère plus de 25 km de long, et Bastogne subit toujours les bombardements nocturnes de la Luftwaffe. La situation reste mauvaise.

Dès le 23 décembre, pourtant, le gros des forces allemandes a déjà obliqué vers l’ouest, s’efforçant d’atteindre la Meuse. La prise de revient désormais à la 26e division de Volksgrenadiere, commandée par le général de brigade Kokott. Cette unité a été renforcée par des éléments de la 115e PZ-Grenadierdivision, qui vient d’arriver sur le front.

La veille de Noël sera calme : Kokott prépare ce qu’il pense être l’assaut final, et McAuliffe profite de ce bref répit pour renforcer ses défenses, plaçant ses quatre régiments parachutistes sur le périmètre de défense et regroupant derrière eux toutes les forces dont il dispose.

Le jour de Noël, l’ennemi attaque avant l’aube. Le capitaine Wallace Stevens, qui commande la compagnie A, du 1er bataillon du 502e régiment d’infanterie parachutiste, signale que des chars ennemis s’approchent des positions qu’il occupe avec ses hommes, à l’extérieur du village de Champs, à la bordure nord-ouest du périmètre de défense. La B reçoit alors l’ordre de lui venir en aide, mais rien ne peut empêcher les Allemands d’entrer dans la localité.

Pourtant, il s’agit d’une simple manœuvre de diversion : peu de temps après, une force composée de 18 panzers et de canons d’assaut, transportant tous des grenadiers accrochés à leurs superstructures, attaque plus au sud. Les Allemands cherchent à s’infiltrer dans l’espace qui sépare le 1er bataillon du 502e du 3e bataillon du 327e. Dès 7 h 15, le poste de commandement de ce dernier a été littéralement balayé. Toutefois, comme les panzers se ruent en direction de Champs, qu’ils comptent prendre à revers, ils passent près des positions occupées par la compagnie C d’Allen. Celle-ci déverse sur eux un-feu terrible, et les grenadiers allemands tombent de leurs perchoirs les uns après les autres. Les chasseurs de chars du 705e bataillon de tanks destroyers s’en mêlent à leur tour et les 18 blindés sont détruits. L’offensive allemande se trouve ainsi stoppée net.

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