Cette année pour Camerone, la Légion a publié une nouvelle édition de son carnet de chants officiel. Elle est complètement différente des éditions précédentes et fournit en ligne toutes les mélodies des chants, même ceux qui n’ont jamais été enregistrés.
La Légion édite un carnet de chants officiel depuis 1959. Il est fourni à chaque nouvelle recrue avec son paquetage car il est indispensable à la transmission des traditions ainsi qu’à l’apprentissage du français pour les étrangers. Le chant militaire est un répertoire de transmission orale, c’est-à-dire enseigné à l’imitation. Il est donc en évolution constante, même si elle est lente, avec des créations de nouveaux chants et d’autres dont l’usage se perd. Ces changements dans les usages imposent donc de revoir périodiquement le recueil officiel. La dernière édition remontait à 2009.
Une révision complète du répertoire
Pour la première fois, le répertoire légionnaire a été entièrement étudié, pour les paroles et pour les mélodies. 180 chants ont été passés en revue. Chaque chant a été analysé dans ses différentes versions, publiées, enregistrées et en usage, pour sélectionner celle du carnet. 68 chants ont été retenus pour cette nouvelle édition, comme pour la précédente. 9 chants ont été écartés (La Marseillaise, Le chant des marais, Conquérir des volontaires, Eho, Le gars Pierre, Ich hatt einen Kameraden, Les lansquenets, La Madelon, La Minousette). Parmi les nouveaux, plusieurs chants étrangers, celui de la Légion étrangère espagnole, El novio de la muerte ; un chant militaire polonais, O mój rozmarynie ; un chant venu du répertoire anglo-étasunien, Hello Boys ! et enfin un chant allemand, In einem Polenstädchen. Les autres chants sont empruntés au répertoire militaire comme Jeunes chefs qui vient de l’ENSOA et Honneur fidélité qui reprend la devise légionnaire. Vent du cul et Voyez passer ces hommes ont été créés dans les escadrons du 1er REC. Le Képi est chanté depuis longtemps à la Légion mais n’avait jamais été intégré au carnet officiel. Autre nouveauté, les refrains des régiments étrangers font leur retour, car ils avaient été publiés dans l’édition de 1975.
Le changement est visible dès la première lecture. Les paroles des chants ont été complétées par des indications qui, sans nuire à la lecture, visent à améliorer leur interprétation et les mélodies de tous les chants sont en ligne et librement téléchargeables. À part les chants régimentaires, tous les chants sont classés par ordre alphabétique, facilitant ainsi leur recherche.
Le problème du contrepas
Si l’armée est une administration où tout est encadré, le chant échappe au règlement. Relevant des usages, la réglementation ne s’y est intéressée que sporadiquement. Le principe est la liberté d’interprétation et la créativité, les nouveaux titres ou une nouvelle version doivent seulement être validés par le chef de corps. Cependant, on observe depuis quelques décennies des dérives dans la pratique : un ralentissement de la cadence (parfois sous les 50 pas/mn) et la mode des fins de vers avalées, tronquées, hachées…
Le problème vient dans le départ à contrepas[1]. En effet, musicalement les 2/3 des chants militaires s’attaquent sur le pied droit. Si le départ d’un déplacement se fait obligatoirement sur le pied gauche, celui du chant dépend des temps forts de la mélodie. Identifiés sans hésiter par des musiciens, les temps forts sont ignorés des soldats qui commettent involontairement un contre-sens musical, contrariant aussi la prosodie. Ce n’est pas une découverte puisque cette précision essentielle figurait déjà dans l’édition de 1980 du TTA 107 (le carnet officiel)[2], comme dans les conseils du Capitaine Selosse en 1970. La conséquence est la perte progressive du sens des paroles observé avec les syllabes avalées en fins de vers.
Ceux qui ne lisent pas la musique ne perçoivent pas forcément le problème, mais les nouvelles technologies apportent la solution avec le carnet de chants interactif. Ce nouveau concept a été testé avec succès au 2e REP en janvier 2019. Il exploite deux innovations. A. Il s’appuie sur un carnet de chant traditionnel avec des paroles “augmentées”. B. Il fonctionne en lien avec un site dédié fournissant les mélodies “améliorées” de tous les chants.
Un carnet traditionnel avec des paroles “augmentées”.
Les paroles publiées dans le carnet ont été “augmentées”. Des indications rythmiques ont été ajoutées, ce qui constitue la première innovation de ce nouveau concept. Quand c’était nécessaire, les paroles ont été revues pour pouvoir être chantées dans un français correct. L’indication du pied de départ est mentionnée car si le départ du pas cadencé se fait sur le pied gauche, ce n’est pas forcément le cas pour les chants qui peuvent partir du pied droit (en anacrouse) et même parfois entre les deux. En effet, le pied gauche doit être impérativement calé sur la syllabe tonique, marquée dans les défilés par la grosse caisse. De même, les temps muets sont indiqués pour éviter de se retrouver à contrepas.
Pour tous les chants sont mentionnés, le pied de départ suivi des temps avant de commencer, les temps forts (syllabes en gras) et les temps muets (numéros en grisé). Voici un exemple classique d’attaque en anacrouse (pied droit) :
Ces indications indispensables ont été conçues pour ne pas gêner la lecture ni bouleverser les habitudes. Elles sont novatrices car elles n’ont jamais été introduites dans un carnet destiné aux soldats. Prévues pour être lues en même temps que le fichier-son de la mélodie est entendu, ces paroles augmentées facilitent l’apprentissage du chant, la mémorisation du ton de départ et le respect de la cadence optimale. À terme, la pratique sera meilleure.
Des mélodies “améliorées” et accessibles à tous.
Des pages spécifiques ont été ouvertes sur le site officiel pour héberger les mélodies des chants légionnaires. Ces fichiers-sons sont exploitables sans aucune connaissance musicale. Ils fournissent la mélodie avec le ton (note de départ) et la cadence (vitesse d’exécution). La mélodie est “améliorée” car elle donne aussi le pied de départ, les temps forts (grosse caisse) et les temps muets (caisse claire), ce qui est l’autre innovation du concept. Installées sur le site officiel de la Légion, ces pages sont accessibles par QR code. Ces musiques relevant de la tradition orale, les fichiers-sons sont libres de droits et donc accessibles à tous. Ils peuvent être écoutés en ligne ou téléchargés pour être installés sur un smartphone. Le format .mp3 est courant, léger et facilement échangeable.
Ainsi l’homme-ton peut avoir sur son propre téléphone la note de départ du chant, donc le ton juste. De même le responsable de l’exercice a la bonne cadence d’exécution. La technologie permet d’accéder à des informations qui étaient auparavant réservées aux musiciens. Enfin, les partitions ont été étudiées pour pouvoir être chantées par la tessiture de voix la plus courante. Elles fournissent donc le ton de départ le mieux adapté au chant.
Chanter facilement tous les chants
Les fichiers-sons ont été réalisés à partir de partitions transcrites par Gérard Eiselé, ancien musicien militaire et directeur-fondateur du Chœur de l’UNP-Centre composé d’anciens parachutistes. Cette triple compétence musicale, chorale et militaire a été indispensable pour mettre au point le concept. Cet encadrement musical professionnel fournit des outils irréprochables d’un point de vue technique et esthétique. Ces partitions ont été réalisées sur un logiciel de musique couramment utilisé par les musiciens. Pour cette édition, elles ont toutes été revues par Émile Lardeux, ancien chef de la Musique de la Légion étrangère.
La cadence a été choisie pour rester raisonnablement dans le cadre règlementaire (88 pas/mn à la Légion). Les déplacements ne se faisant pas toujours au pas de défilé, la cadence peut s’adapter au thème des paroles. L’objectif est de reprendre la main sur les usages en redonnant le goût de bien chanter.
Un répertoire évolutif
Un répertoire de tradition orale est vivant donc évolutif. Il est néanmoins nécessaire de proposer une version validée des chants, tant pour les paroles que pour la mélodie. Sans être une version réglementaire, elle peut être la version de référence des chants. Ce principe pourra être précisé pour faire comprendre que l’objectif n’est pas d’imposer de version officielle obligatoire, et à terme sclérosante, mais de lutter contre les dérives. De nouveaux chants pourront être ajoutés sur le site.
Des conseils pour bien chanter
La pratique du chant dans l’armée française ne faisant pas l’objet d’une formation ni d’un encadrement musical, ce nouveau concept est fourni avec un mode d’emploi. Il va faciliter la prise en main de ces nouveaux outils par les légionnaires. Tous les chants sont accompagnés d’une courte présentation historique permettant de le replacer dans le contexte légionnaire.
Outil de cohésion, de communication et d’apprentissage du français pour les légionnaires, le chant militaire est le dernier répertoire de chants de métier vivant car il reste indispensable au soldat. Il permet aux unités d’entretenir un esprit collectif à travers la transmission des valeurs communes aux légionnaires. Cet outil n’est efficace que s’il est correctement exploité. Par la simplicité de son concept et sa technologie s’inscrivant dans la tradition militaire française, ce carnet de chant interactif permet à la Légion d’innover pour continuer à faire du chant un outil de rayonnement.
LCL (R) Thierry BOUZARD
NOTES ;
- BOUZARD Thierry, « Quand le chant part du pied droit », Inflexions, 2022/1 (N° 49), p. 153-159.
- TTA 107, édition 1980, conseils d’interprétation : « En ce qui concerne les départs, pour éviter de faire chanter à « contrepas », le moniteur doit donner le ton avec la première phrase, puis faire attaquer soit après avoir prononcé : 1,2,3,4 si la première mesure du chant est complète, soit après avoir prononcé seulement 1,2,3 si la première mesure est incomplète, ce qui est souvent le cas. »
Bonjour.
Comment acquérir ce carnet de chant ?
Merci pour votre réponse.
Bien cordialement