samedi 15 février 2025

Cercle Maréchal Foch : Le temps des ruptures (Dossier n°31)

De lourds nuages s’amoncellent…

Le monde se trouve aujourd’hui devant le même trou noir, lourd de menaces et d’incertitudes, que celui qui a prévalu quand le terrorisme de masse s’est subitement et dramatiquement inscrit dans le paysage sécuritaire de notre pays et le subconscient de nos compatriotes, bouleversant nos références les plus solides.

S’il n’a pas disparu, le terrorisme se combine aujourd’hui au renouveau de menaces anciennes (prolifération nucléaire et chimique, conflits de haute intensité, pression migratoire) et à l’émergence de menaces nouvelles, nées de la révolution numérique et de son avatar le plus emblématique, l’intelligence artificielle. Entre-temps, l’espace s’est imposé comme un champ nouveau de confrontation tandis que les champs immatériels, de plus en plus contestés par des acteurs étatiques et non-étatiques, imposent des changements de posture profonde.

Le placement de l’influence au rang de fonction stratégique lors de la dernière revue stratégique française, en est l’un des signes les plus tangibles. De fait, l’avenir de notre pays, et donc de l’armée de Terre, s’inscrit dans une combinaison instable de menaces volatiles, d’incertitudes grandissantes, de risques nouveaux et de multiples opportunités d’évolution.

Dans une telle conjoncture, l’avenir qui sera réservé à la Loi de programmation militaire 2023-2030 doit faire l’objet d’une attention scrupuleuse, d’autant que les perspectives qui s’offrent à nous appelleront sans doute, dans un futur proche, une réorganisation d’ampleur de notre capacité de défense.

Consciente de la rapidité croissante des mutations socio-technologiques auxquelles elle aura à faire face, l’armée de Terre vient de se doter d’un Commandement du combat futur. Ce nouvel organisme vise à fédérer tous les moyens dont dispose l’armée de Terre pour penser l’impensable, identifier les axes d’effort capacitaires, exploiter le retour d’expériences des différents conflits, proposer les choix et les priorités en termes d’équipements, innover et expérimenter aussi bien dans les domaines techniques que tactiques…

Technologies, équipements, doctrines, formation, entraînement, préparation opérationnelle seront passés au crible de ces exigences nouvelles. L’objectif de l’armée de Terre étant de pouvoir s’engager sans préavis dans un combat de haute intensité à hauteur d’une division d’ici 2027 et de pouvoir agir sur l’ensemble du spectre des champs matériels et immatériels sans se laisser distancer sur les domaines émergents.

Notre outil de défense, son architecture budgétaire et technologique de même que sa gouvernance politique, devront sans nul doute gagner en plasticité et en réactivité pour relever les nombreux défis d’une époque marquée par la multiplication et l’omnipotence d’acteurs non-étatiques, les dérives mafieuses, les extrémismes et les séparatismes de tous bords, les secousses telluriques que génèrent les manœuvres d’influence dans un monde hyperconnecté en proie aux pires actions de désinformation et de déstabilisation par la manipulation des esprits et des masses.

À la relative rationalité des conflits entre acteurs étatiques pétris de principes issus de la morale, de la religion ou du droit des conflits, succède une pléiade d’acteurs dont rien ne semble devoir limiter la violence. La montée aux extrêmes est désormais la norme de la part de sociétés éclatées en communautés aux fidélités multiples, de groupes mafieux transnationaux contestant ouvertement l’autorité publique, comme d’États de moins en moins enclins à respecter les règles minimales qui ont pu régir les relations internationales après la Deuxième Guerre mondiale.

À cette évolution de nature morale ou sociologique de la guerre s’ajoute celle des moyens de la conduire. Les technologies progressent sans cesse, mais le rythme et la diffusion de nouvelles capacités s’accélère. Simultanément, on note ici où là un certain retour aux technologies d’antan, manière élégante pour certains acteurs de compenser un certain écart technologique tout en conservant une capacité destructrice significative que nul ne peut balayer d’un revers de main.

Si, dès la fin des années 1940, les puissantes flottes aériennes de bombardiers de la Deuxième Guerre mondiale ont rapidement disparu, des capacités apparemment pertinentes dans les panoplies actuelles pourraient se révéler rapidement fragiles voire obsolètes. Les capacités militaires futures devront par conséquent naître d’imaginations non bridées par des déterminismes de toutes natures, mais parfaitement au fait de la réalité du champ de bataille post-numérique.

Les concentrations urbaines de plus en plus tentaculaires posent également des défis nouveaux, de même que l’interpénétration croissante des acteurs belligérants et des populations civiles dans une magma quasi impossible à discriminer. Les principaux retours d’expérience des combats en Ukraine et au Moyen-Orient sont également autant de sources de méditation pour penser demain. L’art de la guerre et avec lui, le soldat et les capacités associées, n’ont pas fini d’évoluer. De même, les manières dont les nations sauront organiser leur résilience vont être profondément et durablement interrogées.

C’est donc à travers ce prisme nouveau que le Cercle Maréchal Foch a décidé de consacrer ce dossier à l’actuelle LPM. Il s’agit moins de la refonder, prétention burlesque, que d’imaginer les inflexions possibles qu’elle pourrait connaître à la lumière des enjeux confirmés ou émergents succinctement abordés ici.

Aucune limite n’a été fixée à la réflexion qui, au fil des chapitres, évoque les enjeux politiques nationaux, européens et interalliés, les défis technologiques et plus globalement capacitaires, les questionnements éthiques et moraux posés par les nouvelles formes de conflictualité, le rôle des médias, la puissance de l’intelligence artificielle, bref, pour reprendre le titre de l’essai très « Aronien1 » écrit par Pierre Lellouche en 1985, « L’avenir de la guerre ».

GCA (2S) Philippe Pontiès

  1. « Paix impossible, guerre improbable » écrivait Raymond Aron en 1947.
CERCLE MARÉCHAL FOCH
CERCLE MARÉCHAL FOCH
Le Cercle Maréchal Foch est une association d’officiers généraux en 2e section de l'armée de Terre, fidèles à notre volonté de contribuer de manière aussi objective et équilibrée que possible à la réflexion nationale sur les enjeux de sécurité et de défense. Nous proposons de mettre en commun notre expérience et notre expertise des problématiques de Défense, incluant leurs aspects stratégiques et économiques, afin de vous faire partager notre vision des perspectives d’évolution souhaitables. Le CMF est partenaire du site THEATRUM BELLI depuis 2017. (Nous contacter : Cercle Maréchal Foch – 1, place Joffre – BP 23 – 75700 Paris SP 07).
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