Les légionnaires de la 13e demi-brigade de montagne, en s’emparant de Bjervik le 13 mai et en débarquant de vive force à Narvik le 28 mai, ont donné à la France, sur la terre norvégienne, sa seule victoire de la triste année 1940.
— Pour un Camerone de guerre, c’est bien un Camerone de guerre !
Jamais, sans doute, des légionnaires n’auront fêté d’une manière aussi spartiate l’anniversaire du célèbre combat mexicain de 1863, devenu à jamais le jour sacré de la Légion étrangère. En ce 30 avril 1940, le commandement allié a enfin décidé que la destination du convoi à bord duquel sont embarqués les hommes de la 13e demi-brigade de montagne de la Légion étrangère sera en définitive le port de Narvik, situé dans le nord de la Norvège au-delà du cercle polaire. Il était temps de prendre le large, car les légionnaires commençaient à en avoir rudement assez d’être secoués à bord des cinq bâtiments de transport mouillés sur la Clyde ! L’entassement et l’humidité glaciale menaçaient de venir à bout de la patience des plus solides « blédards » de la vieille Légion. C’est au bout d’un bien long voyage qu’ils avaient fini par arriver au large de la brumeuse et lointaine Écosse.
Tout a commencé — comme il se doit à a Légion — à Sidi-bel-Abbès. Le 20 février 1940, an constitue un bataillon du type « montagne », à partir des unités stationnées en Algérie. Parallèlement, un autre bataillon du même type est formé à Fez avec des légionnaires des garnisons marocaines. Avant même la fin du mois, il est décidé que ces deux nouveaux bataillons seront réunis au sein d’un même corps et que celui-ci prendra le nom de 13e demi-brigade de montagne de la Légion étrangère. Le bruit court que « la 13 » va être engagée en Finlande contre l’Armée rouge, puisque les Alliés, devant la réalité du pacte germano-soviétique, ne sont pas loin de confondre dans une même hostilité Staline et Hitler. Voici donc les familiers du désert promis à la neige et à la glace.
Le recrutement apparaît assez différent de celui de la Légion d’entre les deux guerres, où l’élément germanique dominait. Les aléas de la guerre d’Espagne ont conduit à Sidi-bel-Abbès de nombreux soldats vaincus des troupes républicaines qui préfèrent « en prendre pour cinq ans » plutôt que de moisir derrière les barbelés d’un camp de concentration français. À la 13, on n’en compte pas moins de 500, volontaires pour se battre contre les « rouges » en Finlande ou contre les « fascistes » sur n’importe quel front. Avec eux, il y a quand même, rescapés de la vieille Légion, 60 Allemands dont trois gradés, prêts à en découdre sous le signe de la grenade à sept flammes, même contre leurs compatriotes. Il n’y aura pas un seul cas de désertion. Honneur et fidélité…
Tous les hommes de la nouvelle unité sont des volontaires. À leur tête, le lieutenant-colonel MAGRIN-VERNEREY, dont l’historien Erwan BERGOT a tracé un portrait sans complaisance :
« Il se savait craint — ou haï — de nombre d’officiers. Il s’en moquait, étant de ces hommes qui ne transigent jamais. Dur avec ses subordonnés, intraitable avec lui-même, exécrable avec ses supérieurs, MAGRIN-VERNEREY considérait que le monde se divisait en deux parties : ceux qui servent la Légion et ceux qui s’en servent. »
Avec son chef d’état-major, le capitaine CAZAUD, il n’a que peu de temps pour préparer le départ de ses deux bataillons : l’embarquement pour la France doit avoir lieu dans les premiers jours de mars. Quand ils apprennent, à la mi-mars, que la Finlande a cessé le combat, les légionnaires, à l’entraînement dans la région de Lyon, se demandent bien quel sera le sort de leur demi-brigade « polaire ». Cela ne les empêche pas de percevoir à leur tour les équipements spéciaux, montagnards et hivernaux.
Le 9 avril, les Allemands envahissent le Danemark et débarquent en Norvège sur plusieurs points de la côte. Voilà quel sera le nouveau front du Nord ! La 13e DBMLE est alors affectée à la division légère du colonel, promu général à titre provisoire, BÉTHOUART, qui comprend déjà deux demi-brigades de chasseurs alpins et une unité de volontaires polonais, commandée par le générai BOHUSZ. Direction Brest. Les légionnaires s’embarquent à bord de cinq bâtiments de transport. La musique des équipages de la flotte, qui avait joué la Sidi-Brahim pour les chasseurs, joue le Boudin pour les légionnaires. La grande aventure commence.
Les chalands d’assaut s’approchent sous les rafales de neige
Le convoi, qui quitte la Bretagne le 23 avril, comprend les paquebots réquisitionnés Général-Metzinger, Providence, Chenonceaux, Mexique et Colombie, qui doivent arriver à Greenock en Écosse le 25. Les ennuis commencent. Le Général-Metzinger est victime d’un abordage dans le canal de Saint-Georges, tandis que le Providence ne peut être ravitaillé en charbon car on est un samedi, et les lois syndicales, malgré l’état de guerre, interdisent de travailler ce jour-là ! Les passagers des deux bâtiments immobilisés sont donc transbordés sur le paquebot français Ville-d’Alger et le transport anglais Monarch of Bermude.
Après un morose 30 avril, les légionnaires prennent enfin le large le 1er mai, au petit jour. Le convoi est escorté par cinq destroyers britanniques et un contre-torpilleur français. Trois des bâtiments doivent d’abord débarquer des troupes à Tromsø. Mais c’est un dimanche, et l’amiral britannique responsable de l’opération ne travaille pas le jour du Seigneur… Avec retard, les bâtiments appareillent et franchissent, le 3 mai, le cercle polaire arctique, au milieu d’un épais brouillard. Le 7 mai au soir, les légionnaires débarquent enfin à Harstad, au nord de Narvik, où se trouve le quartier général des forces alliées du Grand Nord. Les quatre bataillons polonais sont expédiés dans l’anse de Bogen, tandis que le général BÉTHOUART, bien content de voir arriver la 13e DBMLE, garde les légionnaires sous sa main. En accord avec l’amiral anglais lord CORK and ORRERY, il a l’intention de débarquer de vive force à Bjervik, qui se trouve au fond d’un fjord, juste au nord de la presqu’île de Narvik, tandis que les Britanniques attaqueront par le sud à Ankenes. Les légionnaires seront transportés à bord d’un cuirassé et de deux croiseurs de Sa Majesté, puis seront mis à terre par des péniches. Le premier échelon comprendra cinq chalands blindés AMC, avec une trentaine d’hommes chacun. Si tout va bien, on débarquera aussi cinq chars de combat français, sur des transports non blindés LMC, qui feront la navette avec la terre et amèneront à pied d’œuvre d’autres légionnaires ; on utilisera aussi les chaloupes du croiseur. Le général BÉTHOUART prévoit d’attaquer en deux points : d’abord à Bjervik même, avec le 1er bataillon de la 13e DBMLE du commandant BOYER-RESSÈS et trois chars ; à Meby ensuite, avec le 2e bataillon du commandant GUÉNINCHAULT et deux chars. Les Allemands doivent être pris en tenaille entre les légionnaires, arrivés par mer, les chasseurs alpins, venus par la montagne avec des unités de skieurs norvégiens, et des volontaires polonais, qui progresseront le long de la côte.
Le plan d’opérations est mis au point au cours d’une ultime réunion interalliée, tenue à Harstad le 9 mai. Le général britannique MACKEZY se montre très réservé sur le succès de l’entreprise et déclare : « Les débarquements de vive force sont les opérations de guerre les plus difficiles. » Il ajoute même « Pour ma part, je me refuse de provoquer un massacre de mes hommes pour plaire à Churchill et sauver sa fortune politique. » De tels propos défaitistes n’entament pas la résolution de BÉTHOUART et de lord CORK, qui s’embarquent sur un des croiseurs. Tout commence assez mal ; au cours du chargement, un des chars français tombe à l’eau et le chaland LMC coule. On décide de retarder l’opération de quarante-huit heures.
Dans la soirée du 10 mai, on apprend par radio le déclenchement de l’attaque allemande contre la Hollande et la Belgique. La « drôle de guerre » est terminée. La Blitzkrieg commence ! À des milliers de kilomètres du front qui vient de s’ouvrir de si tragique façon, les légionnaires doivent plus que jamais partir au combat, au-delà du cercle polaire. Le 12 mai, l’escadre britannique qui les transporte appareille par un temps gris, pluvieux et même neigeux. Cette neige est la bienvenue, car elle servira d’écran pour masquer l’embarquement des troupes d’assaut à bord des chalands de débarquement, opération qui doit se faire à la hauteur de Ballangen, en pleine vue de Narvik, solidement occupé par les Allemands.
À minuit, l’escadre arrive devant Bjervik. En tête, trois destroyers et quatre chalands blindés avec 120 légionnaires de la première vague d’attaque ; 300 autres suivent dans les chaloupes du croiseur qui les a transportés à distance d’assaut. Malgré l’heure, il fait grand jour. C’est sous « le soleil de minuit » que les hommes de la 13 partent au combat. Le temps est épouvantable et le vent chargé de neige souffle en rafales glaciales. L’amiral CORK and ORRERY propose au général BÉTHOUART, qui n’en est pas peu surpris et fier, de commander lui-même le feu de l’escadre britannique qui va appuyer le débarquement. Le cuirassé, les deux croiseurs et tous les destroyers n’attendent que cet ordre lancé par un général français :
— Fire !
Une fumée rouge s’élève dans le ciel clair.
Tous les canons de l’escadre semblent tirer à la même seconde. C’est un vacarme assourdissant. À terre, les explosions se succèdent. Les maisons de Bjervik, toutes noires sur la neige, s’enflamment l’une après l’autre. L’église, qui abritait un dépôt de munitions, saute dans une gigantesque déflagration. Les chalands porte-chars dépassent ceux de l’infanterie et abordent la plage. On entend les mitrailleuses allemandes qui se déchaînent. Un char parvient à débarquer et progresse lentement au milieu des maisons en feu. Les deux autres suivront avec du retard. Les chalands, pris sous le feu d’une demi-douzaine d’armes automatiques, doivent se dérouter pour chercher un lieu de débarquement moins inhospitalier. L’officier qui commande l’opération découvre une petite crique sur sa gauche, à environ 500 m. Très rapidement, il aborde et lance ses légionnaires à l’assaut. Deux mitrailleuses allemandes sont capturées au bout de quelques minutes. La plage est libre et la deuxième vague d’assaut peut arriver. À bord du croiseur britannique, le général BÉTHOUART aperçoit les silhouettes sombres des légionnaires bataillon BOYER-RESSÈS qui progressent sur les pistes enneigées, attaquant Bjervik d’ouest en est. En moins de deux heures, le village est pris et la tête de pont assurée.
Le général BÉTHOUART dirige les chaloupes au porte-voix
Bjervik est le point de rendez-vous vers lequel doivent converger les autres unités lancées les autres unités dans la bataille : volontaires polonais venus de l’ouest, chasseurs alpins et skieurs norvégiens arrivés du nord à travers la montagne. La liaison avec ces derniers se fera tard dans la nuit du 13 au 14 mai, après un ultime engagement contre des chasseurs de montagne et des fusiliers marins allemands qui s’accrochent au terrain conquis.
Sitôt Bjervik tombé, l’escadre s’apprête à porter son effort vers Meby, que doit attaquer le 2e bataillon de la 13e DBMLE avec le commandant GUÉNINCHAUT. Les chalands blindés sont en retard, légionnaires doivent s’embarquer dans des chaloupes, sous le feu des mitrailleuses allemandes. Muni d’un porte-voix, le général BÉTHOUART dirige lui-même l’opération depuis la passerelle du croiseur et indique une anse plus abritée. Les chalands blindés arrivent enfin, accompagnés des péniches avec deux chars. Les légionnaires engagent le combat et réduisent au silence les armes automatiques ennemies. Ils progressent ensuite vers le camp d’Elvegaard que les renseignements affirment solidement tenu par leurs adversaires. Peu après 7 heures du matin, ils arrivent aux abords immédiats de ce réduit qu’il faudra prendre baraque par baraque, au prix de rudes corps à corps. Les légionnaires foncent, au milieu du bruit des rafales d’armes automatiques et des éclatements de grenades. Ce camp est un véritable arsenal. Pas moins de cent mitrailleuses y sont entreposées avec le courrier personnel du général allemand DIETL.
Elvegaard pris, la lutte continue. Le prochain objectif est la cote 220. Quelques Allemands, pour couvrir la retraite de leurs camarades, s’y sont retranchés avec trois armes automatiques qui balaient les pentes de leurs rafales mortelles. Avec son canon de 37, un char français parvient à détruire deux des pièces ; mais impossible de faire taire la troisième. Alors trois légionnaires se précipitent et commencent à escalader la pente. Ce sont des Espagnols. Ils grimpent rapidement, sous une grêle de balles. Deux d’entre eux sont tués. Mais le troisième parvient jusqu’à la pièce. Totalement déchaîné, il s’empare de l’arme et la balance dans le vide avec ses servants. Ses camarades, qui ont suivi son exploit avec stupéfaction, le rejoignent rapidement au sommet de la cote 220. Ce légionnaire, du nom de GAYOSO, recevra la médaille militaire quelques mois plus tard, à Sidi-bel-Abbès, des mains mêmes du général BÉTHOUART.
Le bataillon GUÉNINCHAULT progresse rapidement et s’empare d’une dizaine d’avions allemands immobilisés par le dégel près d’un lac de montagne. Ils seront sabotés par une patrouille de la 7e compagnie du capitaine KOVALOFF.
Le général BÉTHOUART se rend à terre, sur un chaland blindé, accompagné du lieutenant-colonel MAGRIN-VERNEREY. Le vent a encore forci, et la traversée sera aussi rude que brève. Dès son arrivée à Bjervik, le commandant de la 13e DBMLE expédie le peloton motocycliste du lieutenant LEFORT, avec 18 légionnaires, sur la route qui se dirige vers Oijord, en suivant le fjord. Pour couvrir cette progression, assez lente en raison du mauvais état de la route, deux destroyers britanniques suivent, à peu de distance, le rivage. Les Allemands ont fait retraite et évacué Oijord, encombré de réfugiés civils norvégiens. Au sud, de l’autre côté de l’eau, la presqu’île de Narvik, d’où ils viennent, semble toute proche. Sans tirer un seul coup de fusil, les légionnaires ont conquis une position qui servira de base de départ à la prochaine attaque. Malgré les circonstances, le cérémonial militaire ne perd pas ses droits et, quand le général BÉTHOUART se rend à terre, le peloton impeccablement aligné lui présente les armes, comme si l’on se trouvait dans la cour du quartier Viénot à Sidi-bel-Abbès.
Les Allemands se sont réfugiés dans la montagne et toutes leurs tentatives pour rejoindre le rivage sont bloquées par les légionnaires et des volontaires polonais qui les ont rejoints depuis Bjervik.
Cette victoire, incontestable et qui a coûté aux Alliés une quarantaine de morts, sera suivie d’un bouleversement dans le commandement. Le général britannique AUCHINLECK remplace son compatriote MACKEZY jugé trop pessimiste. Le nouveau venu confie au général BÉTHOUART la responsabilité de tout le secteur de Narvik.
Après la prise du port de Bjervik et du camp d’Elvegaard, des avions allemands ne cessent de prendre à partie les troupes alliées qui s’installent sur les positions conquises, d’où elles se préparent à effectuer le bond suivant sur Narvik. Les pertes sont sérieuses. Le 15 mai, le médecin-chef BLANCARDI est tué à son poste, dans l’hôpital de campagne de la Légion. Deux jours plus tard, un coup au but sur le PC du 2e bataillon provoque la mort de son chef, le commandant GUÉNINCHAULT, ainsi que celle du capitaine CARRE DE LUSANCAY, de l’état-major de la demi-brigade, et du lieutenant LEDUC. La 13e DBMLE reçoit l’ordre de se regrouper dans la presqu’île d’Oijord, dans l’attente de l’opération prévue sur Narvik. Les officiers effectuent une reconnaissance sur le Rombaksfjord à bord d’un destroyer britannique, et repèrent les plages de débarquement possibles entre Narvik à l’ouest et Orneset à l’est. Le temps ne s’améliore pas. Il pleut et il fait toujours très froid. On signale de nombreux pieds gelés.
La date de l’opération sur Narvik est fixée à la nuit du 27 au 28 mai. Partant d’Oijord, la 13e DBLE et un bataillon norvégien doivent traverser le Rombaksfjord sur trois chalands, les seuls qui restent disponibles, et quelques chaloupes. Ils débarqueront de vive force aux environs d’Orneset, immédiatement à l’est de la ville, sous la voie ferrée qui amène de Suède le célèbre minerai de « la route du fer ». Toute l’escadre britannique doit appuyer cette opération, qui se fera en liaison avec l’attaque d’Ankenes, plus au sud, par la brigade polonaise. Par la suite, les légionnaires doivent retourner à Harstad, avec mission de défendre l’archipel contre toute tentative d’invasion ennemie par terre ou par air. Le général BÉTHOUART décide de s’embarquer sur un croiseur britannique, en compagnie du commandant PARIS et du capitaine FAURE, afin de coordonner l’attaque sur Narvik.
— Voici l’ordre d’évacuation, général — J’attaque quand même, amiral
Le 26 mai, l’amiral lord CORK and ORRERY fait appeler le général BÉTHOUART. Le Britannique sort un télégramme de sa poche et le tend au responsable français du secteur de Narvik. BÉTHOUART lit, atterré : « Le gouvernement de Sa Majesté a décidé que vos forces devaient évacuer la Norvège septentrionale le plus rapidement possible… » Pourtant, le télégramme admet que les opérations d’évacuation seraient peut-être facilitées par la destruction des forces allemandes de Narvik et le sabotage de la voie ferrée.
— Dans ces conditions, maintenez-vous votre attaque ? demande lord CORK.
BÉTHOUART n’est pas long à se décider. Pour que l’évacuation ne se termine pas sur un désastre, il faut d’abord chasser l’ennemi de Narvik et le repousser vers la frontière suédoise, hors de vue du fjord.
— J’attaquerai comme prévu.
— Bien entendu, je vous appuierai.
La marine britannique engagera dans l’opération deux croiseurs et cinq destroyers, ainsi que deux escadrilles d’appareils de l’aéronavale. Trois batteries d’artillerie, deux françaises et une norvégienne prennent position à Oijord.
Le premier échelon de la Légion s’embarque à Seines, à l’abri des regards ennemis. Environ 300 hommes doivent s’entasser dans cinq chalands, dont trois blindés. Le petit convoi appareille dans la claire nuit arctique, longe la côte, arrive à l’entrée du Rombaksfjord et fonce vers la presqu’île d’Orneset.
Une fusée déchaîne le tir des canons de marine et des pièces d’artillerie. Les chalands, avec les hommes es de la 1ère compagnie du capitaine DE GUITTAUT et de la 2e du capitaine GILBERT, arrivent rapidement près du rivage. Les légionnaires sautent à terre. On n’entend pas un seul coup de feu. Il semble que les Allemands aient quitté les rives du fjord, où il est difficile de se protéger des bombardements, pour remonter sur les pentes et s’y accrocher. Très rapidement la 13e DBMLE remplit la première partir de sa mission et couvre le débarquement des vagues d’assaut suivantes, transportées par un va-et-vient continu des chalands à travers le fjord. Mais les Allemands ne restent pas sans réaction. Ils prennent à partie avec leur artillerie les rassemblements de troupes se préparant à embarquer sur la presqu’île d’Oijord. Il y a des pertes, parmi lesquelles on compte celle du capitaine GUILLEMIN, commandent la compagnie d’appui du bataillon BOYER-RESSÈS. Les légionnaires doivent s’abriter et se disperser. Il n’est plus question de respecter l’horaire. Le retard qui s’ensuivra va coûter cher.
Le bataillon BOYER-RESSÈS débarque à Orneset et atteint rapidement la voie ferrée. Voici les légionnaires à pied d’œuvre sur la fameuse route du fer. Mais ils sont repérés par un canon ennemi, monté sur une plate-forme ferroviaire, qui ouvre le feu très efficacement. Il faut absolument le faire taire. Les assaillants parviennent à hisser à bras d’hommes un petit canon de 25, qui se lance dans un audacieux tir de contrebatterie. La pièce ennemie muselée, les légionnaires se lancent à l’assaut. Dans une ruée fantastique, ils font prisonniers un officier et une quinzaine de soldats allemands.
Un bataillon norvégien débarque, en deuxième échelon, de bateaux de pêche, et commence à gravir les pentes dominant le fjord. Deux chars de combat français sont également mis à terre entre Orneset et Narvik, mais le terrain est rendu si marécageux par le dégel qu’ils ne tardent pas à s’enliser définitivement. Le 2e bataillon de la 13e DBMLE, commandé maintenant par le capitaine PONTHIEU, doit suivre en deuxième échelon. Il a pris beaucoup de retard.
Soudain, c’est la contre-attaque allemande. Brutale. Une vingtaine d’appareils de la Luftwaffe surgissent du sud, alors que dans le nord, le brouillard interdit le décollage des appareils de la Royal Air Force. Les bâtiments britanniques sont pris à partie. Il est 4 heures du matin. Il fait grand jour. Le croiseur à bord duquel se trouve l’amiral CORK et le général BÉTHOUART est rudement touché mais, par miracle, ne sombre pas. Une trentaine de cadavres jonchent le pont.
Le débarquement étant terminé, le général BÉTHOUART se fait conduire vers Oijord par une vedette, tandis que les navires britanniques prennent le large.
À terre, les Allemands ont aussi contre-attaqué. Chasseurs de montagne, fusiliers marins, parachutistes essaient de rejeter les légionnaires à la mer. Il y a un bref moment de flottement. Le capitaine DE GUITTAUT s’élance à la tête de la 2e compagnie en criant : « À moi, la Légion ! » ; l’ennemi recule, mais l’officier est tué et sa compagnie voit tomber 60 gradés et légionnaires, plus du tiers de son effectif.
Le bataillon PONTHIEU arrive pour prêter main-forte au bataillon BOYER-RESSÈS. Le bombardement aérien allemand a provoqué beaucoup de désordre et de retard. Les premiers légionnaires de la seconde vague mettent pied à terre à 5 heures, et la totalité de l’unité ne sera sur la presqu’île de l’autre côté du fjord qu’à 11 heures du matin. Le commandant PARIS, chef d’état-major de la division, a été tué sur la plage d’Orneset alors qu’il venait de descendre à terre pour prendre contact avec le lieutenant-colonel MAGRIN-VERNEREY.
Un grondement de moteurs dans le ciel. Cette fois, ce sont enfin les chasseurs britanniques qui arrivent. Le bataillon PONTHIEU peut avancer vers Narvik. À 18 heures seulement, les légionnaires enlèveront d’assaut la cote 457. Ils laissent à leurs camarades norvégiens l’honneur d’entrer les premiers dans Narvik. À leur tête, le fils du boulanger de la ville, qui sera porté en triomphe jusque chez ses parents. Le bataillon PONTHIEU contourne la ville par l’ouest, tandis que le bataillon BOYER-RESSÈS continue à progresser vers l’est, en suivant toujours la voie ferrée qui longe le fjord. Comme toujours, le peloton motocycliste du lieutenant LEFORT est en tête, suivi par le lieutenant-colonel MAGRIN-VERNEREY, à bord d’une automobile réquisitionnée. Ils roulent vers le sud-est, à travers la presqu’île, atteignant Beisfjord, où le chef de la 13e DBMLE rejoint les Polonais.
Sous le soleil de minuit, les légionnaires s’installent sur les positions conquises. À 6 heures du matin, le lieutenant-colonel MAGRIN-VERNEREY, revenu de son équipée et dormant sous un gros rocher gardé par… un prisonnier allemand, est réveillé par le général BÉTHOUART, qui arrive d’Oijord après avoir traversé le fjord et passé quelques heures dans la ville d’Orneset, où la population norvégienne fêtait sa libération. Le bataillon BOYER-RESSÈS progresse le long de la voie ferrée, en direction de Sildvik et de la frontière suédoise. Il occupe la cote 103 et poursuit son avance, tandis qu’un troisième char, enfin mis à terre, parvient à remorquer un de ceux qui étaient enlisés ; l’autre restera à Narvik jusqu’à la fin de la guerre…
Cette victoire locale ne saurait en rien annuler l’ordre d’évacuation, même si les légionnaires engagés sur la route de Sildvik maintiennent jusqu’au bout le contact avec l’ennemi, qui s’est replié et s’apprête à passer en Suède. L’évacuation franco-britannique est décidée pour le 7 juin. C’est une décision, irrévocable, qui a été prise au plus haut échelon allié. Le général BÉTHOUART, vainqueur incontestable sur le terrain, ne peut que s’incliner.
Le maire de Narvik remet au lieutenant-colonel MAGRIN-VERNEREY un fanion brodé par les femmes de Narvik pour la 13e DBMLE. Pendant ce temps, le matériel militaire allié est systématiquement noyé ou détruit, et on entend en bruit de fond le fracas des explosions. À 22 heures, le 7 juin, les derniers éléments de la Légion quittent la ville. En arrière-garde, marchent le lieutenant LEFORT avec ses motards, sans leurs machines, et les pionniers. Ils détruisent 300 m de voie ferrée et rendent inutilisable un tunnel de la route du fer. Le général BÉTHOUART, qui veut partir le dernier comme un capitaine quitte son navire en perdition, prend place à bord d’un chaland peu avant minuit. LEFORT le rejoint. Tout le monde ne tarde pas à embarquer à bord d’un destroyer. Il n’y a plus un seul soldat allié à terre.
La Légion, pour remplir cette mission de sacrifice, totalise 150 tués et blessés, mais elle a donné à la France, au-delà du cercle polaire, sa seule victoire de la triste année 1940.