DIÊN BIÊN PHU : les prisonniers et les blessés

Les prisonniers

Plus de combats, plus de bruit. Le champ de bataille est dévasté, les soldats survivants également. En se regardant les uns les autres, sortant de terre peu à peu par petits groupes, puis rassemblés par les vainqueurs et acheminés vers le centre de Diên Biên Phu, ils se rendent compte des changements, dans leur aspect physique d’abord : épuisés, amaigris, visages émaciés, la difficulté des combats et la dégradation des conditions de vie se voient sur eux. La tension nerveuse des combats fait place à l’attente de savoir quel sort leur est réservé.

Les captifs faits pendant les combats ont détruit leurs armes ou les ont rendues inutilisables lorsqu’ils en ont eu le temps. Ils sont ensuite rapidement éloignés des lieux de combats et de capture par des tranchées de communication vietminh, puis acheminés à environ une heure de marche du Camp retranché. Ils peuvent alors avoir subi des interrogatoires, puis ils ont été triés, de manière à séparer les soldats en fonction de leurs grades puis de leur ethnie. Ce n’est souvent qu’après environ deux jours qu’ils sont, par colonnes ainsi organisées, mis sur la route des camps.

20 médecins et un dentiste sont fait prisonniers ainsi que 41 sous-officiers et hommes de troupes du Service de santé.

10 542 prisonniers partirent sur les pistes en direction des camps vers la frontière chinoise pour 700 km à pied.

Les conditions de vie durant ces 30 à 40 jours de marche ont été similaires d’un groupe à l’autre. Marcher, en montagne, souvent sous la pluie, qu’ils soient blessés, malades, ou valides épuisés, faire cuire la ration quotidienne de riz, survivre, prendre soin des camarades en difficultés, les brancarder parfois, mais aussi les abandonner sur le bord de la route. Puis tout répéter chaque jour, ou plutôt chaque nuit ; tel a été le quotidien de ces longues marches, qui ont été épuisantes, au physique comme au moral. En une cinquantaine de jours en abandonnant sur la piste ceux qui sont incapables de suivre.

Un peu plus de 10 000 hommes furent faits prisonniers à Diên Biên Phu. Après de très durs combats, le commandement vietminh organisa pour eux une “marche de la mort” pour regagner les camps. En quatre mois de captivité, le taux de mortalité fut de plus de 70%. Mais il faut pondérer ce chiffre : 94 % des officiers sont revenus ; 82% des sous-officiers ont été libérés ; les pertes maximales ayant été observées chez les militaires du rang. Mais dans les pertes, il a été rentré les disparus dont les 3 300 prisonniers indochinois qui semblent avoir été intégrés de gré ou de force dans les rangs de l’armée populaire du Vietnam.

Un certain nombre sont maintenu à proximité de Diên Biên Phu pour nettoyer les champs de mines ce qui causa encore un certain nombre de morts.

D’autres servirent de figurants dans les différents films de propagande reconstitution filmés par Roman Karmen cinéaste soviétique sur la bataille de Diên Biên Phu.

Les cas de légionnaires originaires d’Europe orientale qui ont été considérés par les autorités françaises comme « non rendus », mais qui ont, en réalité, été renvoyés dans leurs pays d’origine, en particulier vers l’Allemagne de l’Est pour les légionnaires Allemands.

Les vaincus sont alors séparés en différents groupes. Les traditions militaires, les sociabilités créées par la bataille sont brisées ; d’autres sont reformées, plus ou moins artificiellement, en tous les cas arbitrairement selon les critères vietminh. Les officiers sont tous mis à part du reste des combattants, ainsi que les aumôniers. Ces derniers ont-ils été considérés comme dangereux, même s’il est vrai qu’ils sont officiers eux aussi ? Leur influence morale a indubitablement été considérée comme suffisamment importante pour les séparer de leurs ouailles. Les hommes de la garnison de Diên Biên Phu ne sont plus, quant à eux, sous-officiers et hommes de troupe d’une unité, mais « Nord-Africains », « Africains », « Légionnaires » et enfin, « Français ». Peu importe l’unité d’origine, dans les principes vietminh l’important est l’origine ethnique. Leur premier classement reprend finalement celui des tableaux d’effectifs des autorités militaires. Il faut cependant mettre à l’écart de ce classement les « Indochinois » réguliers des unités ou partisans thaïs séparés du reste de la garnison, qui ont vite disparu et dont le sort n’est pas vraiment connu mais facilement imaginable par les autres ; ils sont soit exécutés ou deviennent bagnards en attendant une rééducation adéquate qui leur permit peut être de sortir des camps et d’être intégrés dans les unités Vietnamiennes.

La distinction faite entre les officiers et les autres est destinée, non pas à reproduire la hiérarchie par grade, mais pour parfaitement dissocier les soldats de leurs chefs. Il s’agit de faire en sorte que les contacts ne soient plus possibles entre eux et que les soldats se détournent de leurs donneurs d’ordre. Ainsi reformés en de nouveaux petits groupes, plus ou moins représentatifs de ces « classes », ils sont partis sur le chemin des camps de prisonniers vietminh.

Une trentaine d’hommes réussirent à s’évader dès le départ de la cuvette et à rejoindre les lignes françaises après plus de 30 jours de marches dans des conditions terribles.

Les blessés

Les effectifs du 5 mai font état de 4 436 soldats signalés blessés, dont 1 444 considérés comme étant à évacuer (903 assis et 541 couchés), effectif qui a plus que doublé en à peine un mois de combats supplémentaires ; or l’hôpital souterrain de Diên Biên Phu avait été aménagé avec 40 lits.

Sans compter les effectifs blessée entre le 05 et le 07 mai.

7 mai 1954

8 mai

9 mai

10 mai

13 mai

14 mai

15 mai

16 mai

17 mai

18 mai

19 mai

20 mai

21 mai

22 mai

23 mai

Nuit du 23 au 24 mai

24 mai

25 mai

26 mai

27 mai

Samedi 29 mai

Dimanche 30 mai

31 mai

15 juin

21 juin

24 juin

26 juin

La libération

Entre Aout et septembre 1954, 3 290  hommes prisonniers de Diên Biên Phu sont libérés des camps vietminh dans un état de dénuement extrême sur les 10 542 qui sont partis de la plaine, soit environ 68 % de disparus. Aucune liste réelle des disparus n’a pu être réalisée avec les « déserteurs actifs » n’étant pas comptabilisés. Un certain nombre de légionnaires allemands ont été directement rapatriés par l’URSS vers l’Allemagne de l’Est. D’autres déserteurs ont continué la formation commencée dans les camps afin de repartir dans leur pays avec un bagage révolutionnaire consistant.

Les groupes de prisonniers arrivent accompagnés de jeunes orchestre vietminh

Habillés d’uniformes vietminh neufs et du casque de latanier.

Ils sont surveillés de loin par les commissaires politiques afin qu’ils évitent des « effusions avec les colonialistes ». Ils ont été pourvus de tracts que leur état de démocrates et combattants de la paix entraîne l’obligation de diffusion de façon ostensible.

Tous les prisonniers n’ont qu’une crainte : ne pas être libérés. Les commissaires politiques les ont abreuvés de menaces depuis des semaines. Il a même fallu voter entre prisonniers qui serait libéré. La peur est là, si près du but.

Appelés par leur nom par les commissaires politiques, ils franchissent la ligne qui les séparent de la liberté. Ils n’osent rien faire… ils montent sur les LCT qui les attendent.

Le LCT quitte le bord du fleuve… Les prisonniers comprennent qu’ils sont libres et s’effondrent. Ils jettent leur casque à l’eau.

Pendant toute la guerre d’Indochine, la Croix-Rouge ne reçut jamais l’autorisation de visiter les camps et les médecins prisonniers furent, sauf de très rares exceptions, interdits de pratique, et regroupés au camp des officiers.


Les prisonniers libérés revenaient épuisés, dans un état squelettique. La plupart durent être hospitalisés et leur vision évoquait celle des retours des camps de concentration. Sur le total de 10 754 hommes prisonniers de toute l’Indochine libérés.

6 132 décharnés atteints de dysenterie amibienne ou de paludisme durent être hospitalisés pour des périodes plus ou moins longues. 

Un certain nombre d’hommes ressemblent aux survivants des camps de la mort allemands de la deuxième guerre.

Comparaison entre les caps de prisonniers de guerre de la Deuxième Guerre mondiale :

  • Français prisonniers de guerre dans les camps Allemands : 2 %
  • Allemands prisonniers de guerre dans les camps soviétiques : 37 %
  • Soviétiques prisonniers de guerre dans les camps allemands : 57,5 %
  • Américains prisonniers de guerre dans les camps Japonais : 40,4 %
  • Britanniques prisonniers de guerre dans les camps Japonais : 24,8%
  • Français prisonniers de guerre de Diên Biên Phu dans les camps Vietminh : 72 %… à relativiser. Comptabilise comme décédés les disparus, en particulier les soldats vietnamiens des unités qui ont étés séparés des unités et convoyés vers d’autres camps de rééducation.

Des données précises manquent mais les estimations permettent d’avancer avec grande réserve les nombres de : 1 800 libérés à VIETRI, 2 700 libérés à SAMSON. Les prisonniers sont rassemblés à proximité des lieux d’embarquement, les évacuations se faisant par voies fluviales et maritimes avec les moyens de la marine nationale. Dans le cas particulier de SAMSON, les prisonniers ont fait parfois l’objet de transbordements sur des navires civils attendant au large dont le Skogum, le Skubrin et le liberty-ship Le Brest, qui avaient ramenés des prisonniers Viêts libérés en provenance d’HAÏPHONG.

La commission de contrôle est constituée par des Polonais, des Hindous et des Canadiens. Ils font preuve d’indifférence si ce n’est de mépris pour les Français. Aucun des membres de ces commissions n’a été vu visitant un lieu de rapatriement. Les Polonais, en bons communistes, se doivent de considérer les Français comme des colonialistes affectés de tous les défauts et les Hindous ont une attitude pleine d’antipathie pour le corps expéditionnaire.

Les sympathies de la commission vont au Viêt-minh.

Avant la montée à bord des bâtiments de la marine des prisonniers des représentants de l’armée avec des membres du personnel de santé sont autorisés à voir les futurs embarqués pour un inventaire et un constat d’état sanitaire afin de définir des priorités pour les soins. Ce personnel monte beaucoup de froideur dans ses rapports avec les libérables et l’accueil chaleureux des marins sur les bateaux efface le malaise causé par l’inspection à terre. Il n’existe évidemment aucune cellule de soutien psychologique. Ce soutien psychologique était de lui-même apporté par le plaisir de quitter l’enfer démocratique populaire et de penser aux bienfaits de la liberté.

Le LCT ou le LSM beaché devait attendre une bonne heure, au moins, que les pourparlers officiels soient terminés. Ce temps était mis à profit pour préparer des lits picots dans la cuve, ainsi que des médicaments, pour recevoir ces hommes souvent à bout de force et dont l’état de santé contrastait outrageusement avec celui des prisonniers Viets libérés précédemment.

Après quoi, on voyait déboucher de la paillote de droite une vingtaine d’hommes. C’était un premier groupe de Français. Avant d’embarquer, ils devaient remplir un certain nombre de formalités. Puis enfin, c’était pour eux la liberté. Après encore une vingtaine de minutes, arrivait un second groupe. Et lorsque les Viets avaient libéré entre cent et cent cinquante prisonniers de l’Union Française (chiffre très rarement atteint), ils estimaient que cela suffisait pour la journée, alors que nous avions libéré de notre côté plus de 2 000 Viets…

  • 1er septembre : 9 prisonniers libérés sont évacués par le GATAC Nord vers Vietri soit Trung Ha en WJ 37-48 soit à l’hôpital Lanessan. H19 MM et MO.
  • 2 septembre : 18 prisonniers évacués.
  • 3 septembre : 62 prisonniers.
  • 4 septembre : 59 prisonniers évacués par H19 MM, VF et VC le H19 MO en visite 50 heures.
  • 5 septembre : 46 prisonniers.
  • 6 septembre : 91 prisonniers.
  • 7 septembre : 55 prisonniers par 9 rotations des H19 VK et VB.
  • 340 évacués au total par le GATAC Nord.

 

  • 11 septembre : 200 prisonniers sont attendus à Sam Son pour être évacués par les hélicoptères du GATAC Nord.

En 1954, à leur arrivée dans le port de débarquement (par exemple HANOÏ et HAÏPHONG pour les prisonniers du Tonkin, Than-Hoa et Nord Laos), un détachement rend les honneurs et de multiples autorités de grades parfois élevés, assure un accueil vite abrégé par le transport en véhicules sanitaires vers les hôpitaux où est effectué le tri des gens et leur envoi en hospitalisation ou en centre d’accueil ou de repos.  

Il convient de citer que sur la totalité des prisonniers libérés (10 754), 6 132 durent être hospitalisés pour des durées de quelques jours, quelques semaines souvent et quelques mois parfois.

Parmi les hospitalisés, dans les premiers jours, 61 ne survécurent pas. A l’hôpital CIAIS d’HAÏPHONG les malades ont droit le lendemain ou surlendemain de l’arrivée à un passage de dames bénévoles de la Croix rouge qui se chargent de faire parvenir un message à la famille et apportent des articles de toilette. Il se peut que la sécurité militaire procède à quelques interrogatoires mais l’état-major délègue des enquêteurs de rang hiérarchique supérieur à celui qui doit être interrogé pour connaître des détails sur les conditions de capture avec parfois une indifférence choquante devant l’évocation des pertes au combat et en captivité et devant les conditions vécues dans les camps. Il y a un fossé d’incompréhension entre les anciens prisonniers et  de militaires, en particulier ceux qui ont peu connu les affrontements avec les Viets.

Les libérés subissent une visite médicale et les plus valides qui ont besoins de petits soins courants et surtout d’une bonne nourriture vont vers des centres de repos comme VATCHAÏ au Tonkin ou DALAT au nord de la Cochinchine. Ceux qui n’ont que quelques jours d’hôpital ont le même sort.

Les hospitalisés, sauf évidemment ceux dont l’état nécessite des soins de longue durée se retrouvent à DALAT qui devient le point de passage obligé de tous les futurs rapatriés sauf cas exceptionnels. L’hôpital installé à côté de l’Ecole d’Enfants de Troupe reçoit des malades ayant quitté les hôpitaux du nord sans être guéris. C’est à DALAT que beaucoup réapprennent à vivre.

Petites vexation : l’intendance décompte du pécule remis aux prisonniers et de leurs arriérés de solde, le nombre de prime de repas durant leur internement dans les camps viets considérant qu’ils étaient nourris gratuitement.

Pour les volontaires qui ont effectué leur premier saut sur Diên Biên Phu, il a fallu plusieurs mois de bataille pour que leur soit accordé le droit de porter le brevet de parachutistes. Le général DE CASTRIES s’est battu pour que ces hommes soient reconnus.

De gauche à droite : Bigeard, l’aumônier Heinrich et Langlais.

 

La question des sépultures des morts de la guerre d’Indochine (Revue Historique des Armées – 2016)

Pascal PECCAVET
Pascal PECCAVET
Ancien pilote d'hélicoptère sur Gazelle au sein de l’aviation Légère de l’armée de Terre (ALAT) pendant 18 ans cumulant 2 500 heures de vol. Ancien combattant de la guerre du Golfe et de la Somalie. Attaché Principal d’Administration d’État dans l’Éducation nationale. Adjoint gestionnaire d’un établissement scolaire. Commissaire aux Armées de Réserve (en attente d'affectation). Membre de l’Union Nationale des Combattants de Saint-Paul-lès-Dax (Landes). Historien chercheur pour l'ECPAD. Historien "War Studies". Spécialiste de la guerre d’Indochine. A rejoint l'équipe rédactionnelle de THEATRUM BELLI en janvier 2024.
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5 Commentaires

  1. Excellent compte rendu precit de la part de Pascal PECCAVET sur la réalité de cette triste fin et les dramatiques conditions subi par les prisonniers de guerre Français. Mon père ancien officier de la Marine nationale fit un séjour de deux ans en Indochine 1952 1953 .
    Cordialement.
    Edouard OLLIVIER

  2. Passionnant, récit sur cette terrible bataille. On peut toucher du doigt le sacrifice de tous ces soldats, et on découvre l’inconséquence des politiques encore une fois !

  3. Bonjour , CR quotidien passionnant que je me suis permis de transférer à compter du 13 mars , sur mon groupe sur la guerre d ‘ Indochine .

    Je ne pense pas que ce soit Castries qui se soit battu pour que les paras non brevetés aient le fameux insigne mais …Langlais .
    Il a d ‘ ailleurs expliqué à quels imbéciles de bureaucrates il avait du faire face.

    Mais , faire plier Langlais ..bon courage !

  4. Geneviève de Galard-Terraube, l’Ange de Diên-Biên-Phu, a fêté ses 99 ans le 13 avril dernier. Elle me dédicaça son livre « Une femme à Diên-Biên-Phu », il y a juste 20 ans :
    « À François JACQUEL, qui a eu la chance d’être baptisé par mon cousin Louis de Galard, en souvenir des combattants de Diên-Biên-Phu ».
    Une grande Dame.

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