La nouvelle loi de programmation militaire a été votée par une très grande partie de nos élus. Pour les médias et une majorité de Français elle est passée totalement inaperçue au cœur de l’été. Que représente aujourd’hui le patriotisme dans notre pays ? Le GCA (2S) Alain Bouquin nous appelle à retrouver cette volonté collective de défense. Répondons-lui, nous anciens militaires, en nous engageant à notre niveau dans cette tâche indispensable auprès de nos concitoyens.
D’aucuns pourront penser au premier abord, à la vue du titre de cet article, que son auteur n’a pas lu avec suffisamment d’attention celui du dossier qui évoque en premier lieu la LPM avant de s’intéresser à l’esprit de défense !
Il s’agit en fait d’un choix délibéré lié à une question : pourquoi est-il indispensable de rappeler d’emblée, dès le début du travail sur ce dossier, que les deux termes doivent être analysés de pair ? Le besoin de rapprocher les deux notions ne devrait-il pas relever d’une évidence ? Faut-il rappeler que la LPM découle de l’esprit de défense ? Aurait-on oublié, au fil des travaux de rédaction de cette loi, ce qui en fait à la fois l’essence, la raison profonde et le bien-fondé ?
L’esprit de défense précède la loi ; la LPM n’est qu’une déclinaison à portée réduite et à durée limitée de cet esprit. La LPM procède de l’esprit de défense. Même si elle peut sembler parfois être devenue un exercice purement financier et capacitaire au contenu comptable rébarbatif ? Même si certains estiment qu’elle a pu se laisser enfermer dans une suite d’intérêts catégoriels à ménager, que ce soient ceux des armées ou de l’industrie ?
Il convient donc de réfléchir au lien qui unit les deux concepts, et à la relation de cause à effet qui devrait être celle de leur enchaînement naturel.
L’esprit de défense, c’est vouloir ensemble.
C’est l’expression d’une volonté collective de défendre ce qui nous est cher : un espace de liberté et de prospérité, des valeurs communes, un modèle de société, un vivre ensemble auquel on croit, un territoire, des hommes et des femmes avec qui, dans leur diversité, nous vivons en paix, un patrimoine, une histoire à partager… C’est vouloir faire face à toutes les menaces susceptibles d’affecter cet équilibre de vie qui s’est patiemment construit au fil des générations : menaces militaires, bien sûr, mais pas uniquement, menaces climatiques, menaces épidémiques, menaces économiques… Et fort de cette volonté partagée, l’esprit de défense impose ensuite d’accepter le prix à payer pour assurer effectivement et efficacement cette défense.
L’esprit de défense, c’est une notion nationale, c’est un effort consenti par l’ensemble de notre communauté, pour préserver ce à quoi nous croyons. À ce titre, il est légitime que ce soit au travers d’une loi, votée par notre représentation nationale, émanation de la souveraineté populaire, que cette volonté se traduise sur le plan militaire. Au-delà de cette acceptation nationale du terme, on peut considérer que cet effort est probablement devenu celui d’une communauté plus large, européenne et atlantique…
L’esprit de défense, c’est enfin une ambition : celle du rang que l’on veut voir tenir par notre pays sur la scène internationale, dans les engagements militaires, dans l’action humanitaire ou dans le jeu diplomatique. Car l’esprit de défense c’est un sentiment national diffus, fait de fierté et de nécessité, fait de sacrifices et de contraintes, fait d’envie et d’espoir, qui a vocation à se traduire en projet politique.
L’esprit de défense doit donc se manifester et s’exercer dans la grande majorité des secteurs de la sphère politique : défense au premier chef mais aussi diplomatie, sécurité, ordre public, santé, économie, écologie, culture…
La LPM, c’est se doter de moyens militaires.
La LPM c’est une déclinaison militaire de l’esprit de défense. C’est comme telle qu’elle doit être construite, en faisant toujours référence à l’esprit qui la cadre et qui lui assigne des objectifs. Elle doit rendre matériel l’effort que la Nation accepte de consentir pour sa survie, en termes militaires.
On note donc en préambule que la LPM n’a qu’un objet limité par rapport à l’esprit de défense : elle ne concerne que le volet militaire de l’effort de défense que l’on souhaite mettre en place. Et si elle aborde les autres thématiques de la défense, c’est toutefois sans leur fixer avec la même précision les moyens qu’il convient de leur attribuer.
La LPM ne peut faire l’économie d’un exercice intermédiaire, celui d’une analyse stratégique reposant sur une évaluation des menaces. La récente revue stratégique, ou les livres blancs des années antérieures, ont cette fonction. La gravité et la probabilité des menaces déterminent la hauteur à laquelle la défense doit se positionner. L’idée est de contextualiser l’exercice pour identifier avec soin les points d’application prioritaires de l’effort de défense en tenant compte de l’environnement international du moment.
La LPM doit dire ce que l’on veut faire militairement, ce sont les contrats opérationnels, et avec quoi on pourra le faire, ce sont les capacités, savoir-faire et effectifs dont on veut se doter. Dans une logique de fins et de moyens. En acceptant, bien sûr, de revoir à la baisse les ambitions militaires si les moyens à leur consacrer sont au bout du compte jugés exorbitants.
Le niveau de dépense à consacrer, dans un exercice qui serait purement théorique, ne devrait être qu’une conséquence des choix militaires. Il en va bien sûr autrement car nos finances ne sont pas inépuisables ; et l’État doit les répartir avec autres enjeux, d’autres priorités, d’autres postes budgétaires, d’autres besoins. Ce qui fixe le montant financier à mettre en place, c’est finalement la notion d’acceptabilité : qu’est-ce qu’il est acceptable par nos concitoyens de dépenser pour leurs armées, dans un contexte donné, sur une durée fixée ? Au prix de quels sacrifices dans d’autres domaines ? Avec quels impacts sur la qualité de vie, sur le modèle social et sur le pouvoir d’achat ? Il n’existe évidemment pas de bonne réponse à ces questions, car tout est affaire de ressenti, de choix politiques, voire d’idéologie. C’est, toutes proportions gardées, le dilemme auquel doit faire face un bon père de famille pour choisir entre une coûteuse assurance tous-risques et une police d’assurance négligeant certains dangers mais mieux adaptée à la préservation de l’équilibre financier de son foyer.
Ce que n’est pas (ou ne devrait pas être) la LPM, c’est une cuisine physico-financière faite de petits calculs visant à satisfaire les convoitises des diverses parties prenantes : faut-il dépenser plus au profit de la marine qu’à celui des forces terrestres, au renseignement qu’aux forces spéciales, au nucléaire qu’au conventionnel, à l’espace qu’au cyber, à Dassault qu’à Airbus… ? C’est malheureusement parfois ce qu’elle a pu devenir dans les discussions internes aux armées ou dans les couloirs de l’assemblée, lors des travaux qui soutiennent son établissement et sa rédaction.
En guise de synthèse
Alors oui, LPM et esprit de défense sont consubstantiels et il n’est pas inutile de le rappeler avec force. La LPM ne doit jamais devenir un simple exercice de programmation financière dans lequel les flux monétaires, les quantités de matériels à acquérir, les calendriers et les effectifs à réaliser seraient les déterminants principaux. La LPM ne doit pas s’articuler autour d’un tableau Excel. Elle doit reposer sur une volonté collective de défense. Elle n’a pour fonction que de conférer à cet esprit de défense une réalité physique et de le rendre exécutoire.