Mot du Président
Permettez-moi de vous présenter mes vœux les plus chers à l’occasion de cette nouvelle année qui s’ouvre sur des incertitudes et des inquiétudes plus grandes encore que lors des années précédentes et en tous domaines.
Que 2016 vous apporte, et à tous les vôtres, des joies méritées et la vertu d’Espérance dans la paix et la sérénité dont notre monde effervescent a bien besoin.
A l’occasion du règlement de leur cotisation – vous êtes plus de trois cent vingt à ce moment – beaucoup parmi vous nous ont encouragés à poursuivre notre action d’information libre et décomplexée. Si elle n’est pas toujours comprise ou appréciée comme telle par nos camarades en charge des lourdes responsabilités qui sont les leurs à la tête des armées dans ces temps difficiles, nous redisons avec force que notre objectif reste bien et exclusivement d’apporter modestement des éléments de connaissance et d’appréciation à tous les lecteurs de bonne volonté et que nous le faisons dégagés de toutes contraintes d’expression qu’elles soient intellectuelles ou psychologiques, tout en restant dans la bienséance…
Cette lettre vous apporte une analyse du budget 2016 pour la « mission défense ». Elle ne prend pas en compte avec justesse la fin de gestion 2015 dont les éléments définitifs ne sont pas encore connus. Mais, déjà, ce budget n’illustre pas, à nos yeux, un « effort de guerre » – puisque nous serions en guerre – au-delà de la simple compensation financière des mesures décidées par le Président de la République par deux fois en 2015 à la suite des attentats sur notre territoire. Le traitement médiatique organisé autour de ce budget pourrait laisser croire le contraire à qui survolerait rapidement ces questions. D’où notre rôle d’analyse objective…
Général d’armée (2S) Jean-Marie Faugère
Le budget de la mission Défense en 2016
Le budget de l’année 2016, conditionné par la fin de gestion de l’année 2015, est marqué par les décisions du Président de la République prises après les attentats terroristes de janvier et de novembre dernier survenus sur le territoire, en apportant notamment une inflexion au contenu de l’actualisation de la loi de programmation 2014-2019.
Réactualisée en Juillet 2015, cette dernière prévoit un complément de financement de 3,8 Mds€ sur la période 2016-2019, dont 700 M€ en 2016, ainsi qu’une moindre déflation d’effectifs conduisant à augmenter de 11.000 hommes l’effectif de la force opérationnelle terrestre (FOT), leur permettant d’assurer dans la durée – indéfinie – le contrat opérationnel de sécurité intérieure de 7.000 hommes, avec des pics montant jusqu’à 10.000 hommes.
En outre, les annonces faites lors du Congrès de Versailles, milieu novembre, se traduisent, d’une part, par un effort financier de 100 M€ au profit notamment de la remontée du stock de munitions de l’armée de l’air fortement entamé par le renforcement de la campagne de bombardement en Syrie et en Irak, et d’autre part, par un gel de la déflation des effectifs jusqu’en 2019 ; l’impact de cette dernière mesure reste à étudier par les états-majors pour une décision à prendre en principe au 1er trimestre 2016.
Compte tenu des mesures précédentes, le budget 2016 pour la « mission défense (1) » sera d’un montant de 32,1 Mds hors pensions, soit 1,45°% du PIB et 8,57 % du budget de l’Etat. On rappelle que ce budget n’est pas la totalité des crédits affectés en 2016 au ministère de la défense qui comprend d’autres missions (2).
La partie équipement d’un montant de 10 Mds€ comprendra notamment 2,144 Mds€ de crédits budgétaires en lieu et place des fameuses « ressources exceptionnelles » prévues dans la loi de programmation, recettes auxquelles le Président de la République a mis fin compte tenu de leur caractère hautement aléatoire comme les précédents budgets l’avaient démontré.
Elle permet les livraisons concernant les trois armées des programmes suivant : 2ème système de drones Male Reaper, équipements du système de commandement et de conduite des opérations aérospatiales (SCCOA), 3 avions de transport A400M, 6 hélicoptères de manœuvre NH90, 9 avions d’armes Rafale, 5 hélicoptères de combat Tigre avec 200 missiles Hellfire, 45 VBCI 32 T, 1 frégate FREMM. Les commandes porteront sur les systèmes suivant : rénovation du Mirage 2000D, 3ème système de drones Male, 3ème satellite Musis, 4ème bâtiment multi-missions de la marine, 5.340 fusils d’assaut AIF remplaçant le FAMAS, régénération du véhicule blindé léger (VBL) et lancement du programme de véhicules légers pour les forces spéciales.
Le report de charges sur les investissements en fin 2015 sera de l’ordre de 1,8 Mds€ (3), très inférieur à celui de 2014, mais obtenu en reportant l’engagement de certaines dépenses d’investissement de 2015.
Un effort sur l’entretien programmé des matériels (EPM) est consenti, devant bénéficier de 500 M€ sur la période 2016-2019, soit 7 % d’augmentation au lieu des 4,3 % prévus initialement en programmation. Mais, cela ne suffira pas à rattraper les insuffisances accumulées et prendre en compte sans difficulté le coût d’entretien des nouveaux systèmes d’armes mis en service.
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En matière de préparation et d’emploi des forces, les crédits en hausse de 1,5 % ne garantissent pas l’atteinte d’un niveau d’entraînement comparable à celui de nos Alliés, hypothéqué également par la disponibilité insuffisante des matériels utilisés pour cet objectif.
Le surcoût (4) des opérations extérieures (OPEX) se monte aux environs de 650 M€ fin 2015 (pour un coût total, en conséquence, de 1 100 M€). Il faut y ajouter celui de l’opération intérieure (OPINT) Vigipirate/Sentinelle mise en œuvre à la suite des attentats, à hauteur de 100 M€. Ces surcoûts seront financés globalement en interministériel.
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Concernant l’armée de terre, « l’embellie » de Juillet se traduit pour la période 2016-2019 par un effort budgétaire touchant l’EPM (170 M€), l’équipement (700 M€), et l’infrastructure (110 M€). Ces chiffres satisfaisants ne couvrent cependant pas totalement les besoins de l’armée de terre.
Au-delà des chiffres conjoncturels qui peuvent paraître plus rassurants pour son avenir, il reste à définir les conditions dans lesquelles l’armée de terre prendra en compte le passage, pour fin 2016, des effectifs de la force opérationnelle terrestre qui passeront à cet horizon de 66.000 à 77.000 hommes. Si l’ouverture de 5010 postes supplémentaires en 2015 et de 6000 postes en 2016 ne présente pas actuellement de difficulté majeure (au moins 2 candidats pour un poste), il reste à mesurer les contraintes qui pèseront sur les infrastructures relatives à leur hébergement et à leur entrainement opérationnel et sur les matériels en état d’utilisation pour leur formation. Par ailleurs, il convient que le volume de l’encadrement soit en cohérence avec la mise sur pied des nouvelles unités de combat (33), alors que la politique de déflation en officiers et sous-officiers prévue par la programmation actuelle, conséquence de la politique volontariste du ministère en termes de maîtrise de la masse salariale, a fait son œuvre depuis 2013, conduisant à terme à un taux d’encadrement de 8 % des unités des forces terrestres, alors que celui des armées de terre homologues anglo-saxonnes demeure à 14 %.
Un autre aspect à considérer est l’équipement en matériels de ces nouvelles unités, lesquelles doivent être disponibles et opérationnelles dès leur décision d’engagement.
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Un dernier point, plus générique, concerne la mission de l’armée de terre sur le territoire national, dont l’extension a été portée, depuis novembre 2015, de 7.000 quotidiens à 10.000 hommes. Cette mission, si elle devait se poursuivre dans la durée, conduirait à s’interroger sur le bien-fondé du format rectifié en juillet dernier. Cette problématique est donc à inscrire dans les travaux liés aux incidences du gel des déflations d’effectifs jusqu’en 2019, avec toutes les conséquences inhérentes en termes d’équipements, d’entraînement et surtout d’équilibre entre les missions sur et hors du territoire national.
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Au bilan, le budget 2016 apporte des améliorations liées en grande partie à la soudaine situation sécuritaire sur le territoire national. Il peut s’apprécier en regard des contraintes portant sur les autres budgets de l’Etat mais, restant un budget conjoncturel, il ne peut pas être considéré comme une compensation des années de restriction précédentes. La « remontée en puissance », telle qu’elle est parfois abusivement présentée, n’est que la simple expression, d’une part, d’un arrêt des déflations entreprises depuis 8 ans, et d’autre part, d’une pause possible dans la réduction continue des capacités opérationnelles des armées et surtout de l’armée de terre, laquelle a déjà payé un lourd tribut en termes de réorganisation et d’adaptation aux conditions opérationnelles des différents engagements conduits depuis plus de dix ans. Les événements tragiques de 2015 ont, hélas, mis surtout en évidence le décalage, déjà souligné antérieurement et à l’occasion des deux dernières LPM, entre la définition des menaces et les moyens consentis pour y faire face. Le principe de réalisme stratégique se révèle toujours plus déterminant que les démonstrations conceptuelles fondées sur des considérations trop souvent purement comptables.
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NOTES :
- Au sens de la LOLF.
- Mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » ; mission « Recherche duale ».
- Sur un report de charges global du ministère de plus de 3 Mds €, nombre non définitif.
- On rappelle que le « surcoût » des OPEX est le montant constaté en fin d’année, au-delà des crédits déjà budgétés sur ce poste de dépense à hauteur de 450 millions d’€ au budget 2015 (comme au budget 2016).