samedi 20 juillet 2024

Guerre en Ukraine : généraux et interventions dans les médias

Ce mercredi 1er février 2023 soir avait lieu comme tout le long de la semaine sur LCI, l’émission de « Brunet et ses amis » de 22h00 à Minuit.

Jean-Michel Aphatie, éditorialiste politique bien connu, s’est lancé dans une attaque en règle contre la communication des armées concernant la guerre en Ukraine et sur la présence des officiers généraux ayant quitté le service actif (https://www.tf1info.fr/replay-lci/video-brunet-hammett-et-cie-du-1er-fevrier-2023-2246828.html, de la 51ème à la 59ème minute). Le plateau m’est apparu bien embarrassé surtout si l’on prend en considération le nombre d’officiers généraux présents au quotidien sur LCI et sur d’autres chaines depuis le 24 février 2022 d’autant qu’ils ne semblent pas totalement inutiles par leurs propos en général pondérés et s’appuyant sur des faits.

Objet d’une réflexion personnelle et en relation avec ce billet, je saisis l’opportunité pour mettre en ligne cet article « Haro sur les médias ou torts partagés ? » que j’ai rédigé pour la revue des Saint-Cyriens en décembre 1991 suite à mon expérience notamment comme « officier presse » pendant la Guerre du Golfe. Le général Germanos récemment décédé m’avait « missionné » durant l’été pour une durée indéterminée avec un seul mot d’ordre : « faites au mieux ».

Bref, nous sommes en démocratie. Alors nous critiquer, pourquoi pas. Cependant, en préalable sur la forme, ne fallait-il pas s’exprimer en présence au moins d’un officier général, à la fois par correction mais aussi pour permettre un débat constructif ? Regrettable car cela donne l’impression qu’il est possible de critiquer les représentants de la « Grande Muette » sans leur donner la parole, comme il y a trente ans. Or cette époque est bien révolue.

Quant au fond, qu’exprimait JM. Aphatie sinon la critique envers la communication politique en premier lieu du président Macron et les mots évités comme par exemple « engrenage » dans les envois d’armes en l’occurrence des chars Leclerc, sinon finalement l’hypocrise politique dans l’usage des termes en temps de guerre sinon des symboles.

Cela me rappelle à nouveau la Première guerre du Golfe avec cette « projection de force » du porte-avions Clémenceau que nous avions accueilli le 6 septembre 1990 à Fujaïrah (E.A.U.), sans avions mais avec des camions sur le pont d’envol (mais difficiles à faire voler, il faut le reconnaître) et transportant des hélicoptères non blindés. Il ne fallait pas se montrer agressif envers Saddam Hussein. Brillante idée des politiciens et conseillers de cabinet, experts en stratégie militaire et en rapports de force sans aucun doute.

Comme JM Aphatie le précisait ce mercredi, « la trouille a pris les autorités françaises suite à ce risque d’engrenage ». En bref, selon lui « si on ne voulait pas d’escalade », il ne fallait pas donner d’armes aux Ukrainiens dès le premier jour, opinion non contestable en termes de politique intérieure mais stratégiquement indéfendable.

Il renchérissait : « Nous sommes d’une complaisance moi qui m’insupporte un peu sur les affaires militaires françaises aujourd’hui, il n’y a aucun débat, il n’y a personne qui parle, il n’y a personne qui explique ». « Faute de sources autorisées, nous invitons, « ils sont tous sympathiques » une palanquée d’anciens officiers généraux ». Ouf, au moins nous sommes sympathiques.

Pendant la Première guerre du Golfe à nouveau, je me rappelle des critiques acerbes sur la présence d’officiers généraux (2S) sur les plateaux sans oublier les rapports tendus avec les journalistes français en particulier sur le terrain (Cf. Ma thèse de doctorat « L’information, arme stratégique des démocraties », axée sur l’information en temps de guerre et soutenue en 1998 au CELSA). Trente ans après au moins, les mentalités ont changé malgré la charge de JMA. Les générations de journalistes d‘aujourd’hui ne cherchent pas à imposer une vision idéologique et leur perception de ce que devrait être le monde. En outre, la disparition de toute culture militaire que ce soit à leur niveau ou à celui de la société civile rend nécessaire l’appel aux experts lors des crises qu’elles soient sanitaires ou militaires.

Bref, que demandait JM Aphatie sinon d’avoir des explications et des informations de la part des décideurs civils et militaires ? Avec justesse, il s’est référé au chef d’état-major américain qui fait des points de presse réguliers sur la guerre en Ukraine, soulignant ce souci d’explication des anglo-saxons, y compris des responsables du renseignement, s’étonnant pour sa part de ne pas connaître le(s) responsable(s) français et de ne pas le (les) voir s’exprimer… je n’oserai lui proposer d’en faire la demande…

En résumé, pour reprendre in extenso ses paroles, « nous sommes une sous-démocratie », « On nous prend pour des déficients mentaux », « Nos dirigeants politiques ne nous expliquent pas ce qui se passe », car « nous n’avons pas d’exigence envers eux ; nous les laissons dans leur confort, la parole du président nous suffit ». Encore plus vrai, « Nous n’avons pas d’appétit pour des informations militaires de première main, c’est pour cela que nous convoquons tous les généraux à la retraite ; qu’est-ce qu’ils en savent les généraux à la retraite, « à peine plus que moi ».

Les généraux « à la retraite » pourraient lui rétorquer qu’avec en moyenne 40 ans d’expérience militaire, d’OPEX, et des réunions régulières avec l’armée d’active, nous en savons beaucoup plus que lui. Encore faut-il discuter avec eux au hasard des rencontres. Dans l’armée de Terre, tous les six mois, les généraux d’active et en deuxième section (expression beaucoup plus élégante qu’« à la retraite » qui sonne mal surtout si quelqu’un la sonne), participent à une journée d’information en commun sans oublier les nombreux colloques ou conférences qui les rassemblent comme ce jeudi 3 février 2023 à l’Ecole militaire. Un général ne quitte jamais totalement l’institution militaire.

En tout état de cause et je rejoindrai JMA sur ce point : il est regrettable que le chef d’état-major des armées ou le ministre des armées ne s’expriment pas régulièrement sur la guerre en Ukraine même si nous ne sommes pas engagés directement. Des points de presse sont organisés hebdomadairement au ministère des armées mais on y évoque bien d’autres sujets. Et s’il faut se contenter de la carte mise en ligne sur le site des armées concernant la guerre en Ukraine, reconnaissons que l’information reste pauvre. Or, par exemple, lier guerre en Ukraine et Loi de programmation militaire ou évolution de nos armées pour répondre aux besoins de notre sécurité future serait utile à tous dans la période qui s’annonce. D’ailleurs JMA pourrait être présent à ces points de presse, ceci restant un événement utile pour connaître la défense et les forces armées. Il serait accueilli chaleureusement car il est bien sympathique, bref comme les généraux (2S) sur les plateaux.

En tout état de cause, comme Eric Brunet le rappelait ce mercredi, JMA « tapait juste » car « beaucoup de Français sont inquiets » devant cette guerre qui n’en finit pas et fait appel à plus en plus de moyens et de ressources.

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Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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4 Commentaires

  1. Bonsoir Mr Chauvancy,

    Oui les français sont inquiets d’une guerre dont nous somme partie prenante à l’insu de notre plein gré.

    Seuls ceux qui lisent sans regard critique les grands quotidiens, relais de la propagande atlantiste semblent y trouver leur compte.

    En réalité JMA critique la forme, son propos est d’un intérêt tout relatif et galvaude les problématiques de fond:

    * Sommes nous devenus un simple vassal parmi les courtisants de l’empire américain ?
    * Sommes nous rendu à un point où notre seule volonté et de faire du zèle dans les livraisons d’armement pour se faire bien voir de notre suzerain ?

    Quelle semble loin notre grande diplomatie française et notre vision géopolitique fine et subtile.

    Ainsi meurent les empires

  2. Après cette brillante mise au point du général Chauvancy, globalement je ne peux que penser à la récente intervention du général Lecointre qui dit clairement qu’un civil, dirigeant ou pas, ne peut se mettre à la place d’un militaire de carrière. Le don de soi, l’esprit de sacrifice et, en l’occurrence son expérience, son expertise acquise pendant des années ne sont pas transposables, même pour le sympathique JMA.
    Savoir écouter …

  3. Un seul sait de quoi parle,c’est Goya les autres parlent de guerre qu’ils ont fait avec un stylo ,je donnerais un petit plus à Richoux et un à Dutartre et Palomeros qui parlent seulement de ce qu’ils connaissent pour le reste le wagon de quart de place qui intervient sur LCI ne valent pas mieux que leurs aïeuls de 1940 ,quand aux mousses étoilés en quart de place qu’ils se taisent vu leurs prestations a Mers-el-kebir,Dakar et pour finir Toulon ils devraient se mettre dans un trou de souris

    • Bonsoir Alezane21, tant de suffisances et de prétentions ne peuvent que susciter une grande interrogation sur votre capacité de jugement. Ceux qui s’expriment sur LCI ont fait pour leur grand nombre plus de campagnes militaires que Michel Goya, y compris moi-même puisque que vous vous exprimez sur mon blog et que j’autorise votre propos. Je souligne que j’ai fait plus de campagnes que Michel. Je précise aussi que je respecte tout à fait le passé militaire de Michel. Cependant chaque officier a une carrière différente car ce n’est pas lui qui la choisit mais les événements. En bref vos propos sont indécents et méprisants pour ceux qui ont servi la France. J’espère qu’au moins dans votre domaine de compétence, s’il y en a un, vous avez fait autant pour notre pays. Je vous invite à nous faire connaître vos états de service (vérifiés et sans pseudo) qui permettront sans aucun doute de constater ou pas la pertinence de vos remarques désobligeantes.

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