Jean V de Bueil, le « Fléau des Anglais » : Héros méconnu de la Guerre de Cent Ans

Jean V de Bueil, surnommé le « Fléau des Anglais », est un personnage clef de la fin de la guerre de Cent Ans. Il est l’un des hommes qui a participé à presque toutes les grandes campagnes militaires de Charles VII. Bien que méconnu, il fut sans conteste l’un des principaux artisans de la victoire finale contre l’ennemi héréditaire.

Des débuts chaotiques

Jean voit le jour en Touraine en 1406. Il est le fils de Marguerite Dauphine, dernière sœur du dauphin et comte de Sancerre Béraud III, et de Jean IV de Bueil, un noble ayant combattu les Anglais et tombé au champ d’honneur lors de la bataille d’Azincourt en 1415.

A 9 ans il se retrouve donc sans père, tout comme son frère Louis et sa sœur Anne.

Comme la coutume le veut, Jean et son frère sont formés dès leur plus jeune âge aux métiers des armes afin de devenir chevalier. De son côté, Jean est « mis en apprentissage » sous les ordres du vicomte de Narbonne.

Il participe avec lui à la bataille de Verneuil en 1424 en tant que page. Une funeste journée durant laquelle le vicomte met un point d’honneur à être au contact de l’ennemi avant les alliés écossais. Il fait forcer l’allure à ses troupes. Cette décision lui sera fatale et va se traduire par une défaite franco-écossaise. De Bueil se retrouve à nouveau seul, mais pas pour longtemps.

A 18 ans, Jean passe alors ensuite sous le commandement du fameux Etienne de Vignolles plus connu sous le nom de « La Hire » qui fut également présent à la bataille de Verneuil. Considéré comme un excellent combattant, il doit son surnom aux Bourguignons contre lesquels il s’est souvent battu, car on disait qu’il grognait comme un chien lors des affrontements. Il va donc prendre Jean De Bueil sous son aile et lui enseigner l’art du coup de main, de la stratégie et de la ruse militaire.

La naissance du fléau des Anglais 

A présent, les deux compères vont combattre ensemble et remportent quelques succès. A titre d’exemple on peut citer l’affaire de Marchenoir en 1427 où il s’illustre. Cette bourgade fortifiée située non loin de Blois était occupée par les Bourguignons. Après un temps d’observation, La Hire divise ses forces en trois parties. De nuit, il en dissimule une derrière un tas de fumier non loin de la porte de la ville, l’autre partie conduite par Jean de Bueil se cache dans une forêt non loin. Quant au restant d’hommes, il se trouve en réserve. Toujours dans la nuit, la Hire fait scier à demi la barrière constituant la première ligne de défense des Bourguignons.

Le lendemain au petit matin, sans se méfier, la garnison ouvre ses portes. C’est alors que De Bueil fait irruption avec ses cavaliers et fonce vers la ville. Les Bourguignons sonnent l’alarme et se jettent contre les Français qui font mine de battre en retraite. Arrivée à la barrière, celle-ci est mis à terre par les archers français qui criblent de flèches l’ennemi. Interviennent également les troupes de la Hire qui sortent du fumier. Les combats sont violents mais de Bueil et La Hire en sortent victorieux, Marchenoir est désormais entre leurs mains.

A la fin de cette même année, il participe également au siège de la ville de Le Lude aux mains des Anglais. Lorsque les canons de Charles VII, ouvrent une brèche dans les murailles c’est toute la fine fleur de la chevalerie française qui se précipite pour se battre contre les défenseurs.

Parmi eux, Jean de Bueil et ses hommes entrent les premiers dans la place. Sa bannière, représentant un renne couché, commence à être reconnue par les Anglais. C’est à partir de cette époque qu’on lui donne le surnom de « fléau des Anglais ».

Crédit : DR.

Un chef de guerre incontournable

Autre date importante, en 1429, notre jeune chef participe à la délivrance de la ville d’Orléans en compagnie de Jeanne d’Arc. Il fut également présent à ses côtés lors prise de Sablé, et participa aux batailles de Jargeau, Meung-sur-Loire, Beaugency, Patay où toute l’élite des archers anglais est détruite. Il est également présent à Reims pour le sacre de Charles VII.

Tous ces faits d’armes ne représentent que le début de sa vie, et nous sommes loin de les avoir tous mentionnés, car par la suite, Jean de Bueil ne cessera de gagner en importance au sein de l’appareil militaire français.

En 1432, de Bueil est chargé par Yolande d’Anjou de contrer les attaques du chef de bande Rodrigue de Villandrando. Celui-ci est comte de Ribadeo, une ville située en Castille. Sous ses ordres, il commande des routiers aguerris, d’anciens mercenaires démobilisés qui vivent sur le pays en le pillant. Ainsi Villandrando sème la terreur dans la région. Il est reconnu pour son sens de l’organisation et la rapidité d’exécution de ses attaques.

Afin de mettre fin aux agissements de l’Espagnol, Jean de Bueil dispose d’un peu plus de mille hommes. Face à lui, Villandrando a sous ses ordres environ trois mille hommes. Malgré sa nette infériorité numérique, le Français, déjà fort expérimenté par les nombreux combats qu’il a mené, décide de rejoindre Ponts-de-Cé près d’Angers afin d’y déloger son adversaire.

Il envoie un émissaire au Castillan lui intimant l’ordre de quitter les lieux dans les vingt quatre heures. Cette manœuvre permet à Jean de Bueil de lui faire croire qu’il n’attaquera pas avant la fin de cet ultimatum. C’est mal connaître le Français qui attaque peu après. Malheureusement, les hommes de de Bueil trouvent devant eux une barricade interdisant l’accès à la ville. Derrière elle se trouve de nombreux cavaliers ennemis.

Jean de Bueil, rusé, fait mettre pied à terre ses cavaliers et adopte la tactique anglaise. Il se rue avec son infanterie sur la barricade. Les hommes de Villandrando sont trop serrés dans les ruelles étroites et ne peuvent descendre de cheval. Les archers français en profitent pour cribler de flèches l’ennemi. Les routiers sont en pleine déroute, le frère de Villandrando est tué et les troupes de Bueil mettent la main sur un important butin.

Restant prudent face aux nombres d’hommes dont dispose le Castillan il ordonne la retraite. Le coup porté aux mercenaires est important, et cet épisode fit grand bruit à cette époque. L’affaire fut nommée la « détrousse des Ponts-de-Cé ». Après des razzias dans la région d’Angers et une contre-attaque victorieuse de Bueil, le Castillan doit abandonner les lieux.

Par cet épisode le Français démontre que celui-ci est un fin tacticien à rebours des simples charges de la cavalerie traditionnelle qui eurent lieu à cette époque. Par conséquent, il est d’avantage un militaire au sens moderne du terme.

Autre épisode intéressant, quelques années plus tard, De Bueil monte une véritable « opération commando » pour mettre fin aux agissements du favori corrompu du roi, un dénommé la Trémouille. Pour ne rien enlever à la difficulté, le félon se trouve au château de Chinon au côté du roi, mais il en faut plus pour arrêter de Bueil.

C’est ainsi qu’au mois de juin 1433, avec la complicité d’un garde, il entre de nuit dans le château avec ses 80 hommes armés. Ils cherchent la chambre de la Tremouille, et lorsqu’ils la trouvent ils le surprennent endormi dans son lit et le capture. Le favori ne se laisse pas faire et dans la bousculade il reçoit un coup de dague dans l’abdomen. Bien protégé par son embonpoint, ses jours ne sont pas en danger.

Jean de Bueil salue tout de même le roi dans une chambre voisine et affirme que son action est pour le bien du royaume. Charles VII désappointé le laisse partir et de Bueil emmène alors le prisonnier à son château de Montrésor. Quelques jours plus tard, il décide de le délivrer contre une forte rançon, mais en contrepartie la Trémouille promet de ne plus reparaître dans l’entourage du roi sous peine de mort.

Le Jouvencel fait lieutenant par le Roi.

Une consécration tardive

Malgré ces nombreux faits d’armes, de Bueil n’est fait chevalier qu’en 1434 lorsqu’avec André de Lohéac ils font le siège de Saint Célérin puis prennent Sillé-le-Guillaume aux Anglais. Par la suite de Bueil enchaîne les succès, en 1439 il reprend, grâce à la complicité d’un soldat anglais, la forteresse de Sainte-Suzanne qui fut occupée par l’ennemi pendant près de quatorze ans.

Puis lors de la conjuration de certains vassaux contre le roi de France en 1440, il maintient sa fidélité à Charles VII.

De Bueil participe à la reconquête finale de la Normandie avec distinction. Suite au siège de Cherbourg en 1450, il reçoit la charge d’amiral de France puis il est fait capitaine de la ville. Le titre d’amiral donnait à son titulaire un rôle d’administrateur des affaires maritimes, en concurrence avec d’autres amirautés provinciales. Il possédait néanmoins des pouvoirs étendus sur la marine de guerre, le commerce maritime, et même le droit de justice sur sa juridiction que constituait l’amirauté. Il reçut également la vicomté normande de Carentan.

Il participe ensuite victorieusement à la première campagne de Guyenne.

Mais en 1452, lorsque les Anglais reviennent dans le sud-ouest il s’engage une nouvelle fois et prend le commandement de l’armée qui assiège Castillon le 17 juillet 1453. La bataille est remportée par les Français ; Talbot, le capitaine adverse, ainsi que son fils sont morts, et l’armée anglaise est anéantie. C’est une victoire majeure dans l’Histoire de France, malheureusement trop méconnue. Quelques mois plus tard il obtient la reddition de la ville Bordeaux et signe avec le capitaine anglais qui défendait la place un traité pour organiser la capitulation des assiégés, mettant fin, officieusement, à la guerre de Cent Ans. En effet, aucun traité de paix officiel ne sera signé entre les deux belligérants.

La fin d’une époque

Un peu plus tard, quand Louis XI accéda au trône de France en 1461, il destitua la plupart des officiers, qui étaient, comme Jean de Bueil, proches de son père, Charles VII. Il perdit ainsi son titre d’amiral au profit de Jean de Montauban, et fut forcé de se retirer de la cour royale. Entre temps, il rédige un traité d’art militaire librement inspiré de sa vie s’intitulant le Jouvencel. Dans ses écrits, il nous renseigne notamment sur le nouvel art du combat à cheval qui eu lieu en ce milieu de XVe siècle et qu’il appliqua toute sa vie.

Par la suite, bien qu’il eût rejoint la ligue du Bien public, une révolte contre Louis XI lors de l’année 1465, de Bueil rentra en grâce quatre ans plus tard, comme de nombreux autres vétérans, quand le roi réalisa que leur expérience lui était nécessaire pour faire face à la puissance militaire bourguignonne alors grandissante.

Jean V devint le conseiller et le chambellan de Louis XI et fut reçu dans le prestigieux ordre de Saint-Michel le 1er août 1469.

En 1471, alors que Louis XI est en guerre contre les Bourguignons et qu’il veut porter l’estocade, il demande l’avis à Jean de Bueil qui lui répond humblement : « Sire je suis prêt à donner ma vie pour vous, comme je la risquai pour le service du feu roi votre père. Mais, depuis son temps, la guerre est devenue bien différente. Pour lors, quand on avait huit à dix milles hommes, on comptait que c’était une très grand armée, aujourd’hui c’est bien autre chose. On n’a jamais vu une armée plus nombreuse que celle de Monseigneur de Bourgogne, tant d’artillerie, tant de munitions de toutes sortes. La vôtre est aussi la plus belle qui ait été assemblée dans le royaume. Pour moi, je ne suis accoutumé à voir tant de troupes ensemble. Comment gouverner tant de gens ? Comment empêcher le trouble et la confusion dans une telle multitude ? Il n’y fallait pas tant de science autrefois, la promptitude et la vaillance suffisaient pour avoir le meilleur dans une bataille. Aujourd’hui je suis en peine d’aviser à ce qu’il faut faire, et ne puis du tout répondre sur ce qui pourra advenir. »

Cette réponse sonne comme le testament militaire de Jean de Bueil qui à 65 ans est un chef de guerre sage mais d’un autre temps. Les armées de la Renaissance ne sont plus celles de la fin de la guerre de Cent Ans.

On ne connait pas exactement la date de sa mort mais il est plus que vraisemblable que le vénérable chevalier soit décédé en 1477 à l’âge de 71 ans.

On ne peut être qu’admiratif du parcours d’un tel homme de guerre qui ne connut que très peu la défaite et fut un artisan de la victoire de Charles VII contre l’ennemi héréditaire. Pendant plus de 40 ans il se constitue un palmarès de victoires impressionnant. Toute sa vie a été dédiée au service du royaume de France, en fin de compte, son surnom de fléau des Anglais est loin d’être exagéré.


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Source : Faugeras, J., Jean de Bueil, comte de Sancerre, amiral de France, format Kindle, FeniXX réédition numérique, 1994.

Armoiries de Jean de Bueil

Julien ADAM
Julien ADAM
Julien ADAM, historien autodidacte, de formation juridique, a été initié à l'Histoire par ses deux grands-pères qui lui ont transmis leur passion. En tant que pratiquant de béhourd, un sport de combat médiéval en armure, il a également expérimenté dans sa propre chair les sensations des chevaliers de l'époque, apportant ainsi une dimension authentique à ses écrits. Il est l'auteur de l'ouvrage "Castillon, 17 juillet 1453 - La France gagne la guerre de Cent Ans" paru en 2024 chez HISTORIC'ONE Éditions. Il a rejoint l'équipe rédactionnelle de THEATRUM BELLI en février 2025.
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