mardi 19 mars 2024

La victoire de haute intensité est bien plus qu’une victoire de haute technologie (Dossier du G2S n°26)

Le GDI (2S) Vincent DESPORTES nous appelle à ouvrir les yeux sur ce monde dangereux où la technologie, pas plus que la ligne Maginot hier, ne saurait nous dispenser d’un sursaut pour surmonter notre faiblesse actuelle.

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Un nouveau courant dans la pensée militaire invite à ne plus focaliser la réflexion sur nos seules opérations extérieures actuelles et leurs micro-tactiques, mais à dépasser cette obsession pour oser regarder l’avenir… et la guerre en face. Cette attitude est la prise en compte raisonnable d’une réalité nouvelle.

En effet les orages s’accumulent à nouveau à l’horizon, la menace grandit mais, comme bien souvent, nous regardons ailleurs, à nos pieds, parce que nous refusons de voir et qu’il est plus confortable de se préoccuper de ce que nous maîtrisons.

Or ceci, en réalité, n’est pas un problème militaire. Une armée n’est jamais que le reflet de la Nation dont elle est l’ultime garant. Que celle-ci comprenne la nécessité de la puissance, et elle se donnera les moyens, matériels et moraux, de survivre à la menace. Qu’elle se berce d’illusions et d’insouciance, et viendra un jour où la vague brutale qu’elle a volontairement ignoré la submergera. Comme après chaque défaite, on recherchera les causes et les coupables, en se tournant naturellement vers Balard. Celui qui maniait l’épée sera voué aux gémonies par ceux-là même dont l’aveuglement coupable fut la raison première du désastre, qu’ils soient les néo-fanatiques civils du pantalon garance en 1914, ou la classe politique inconsciente et frileuse trop restrictive des budgets militaires dans les années 1930.

Le problème de la guerre qui vient n’est pas militaire parce qu’il est d’abord politique, diplomatique et sociétal. Ce sont dans ces champs que se joue la pérennité ou la mort des nations. Mais c’est au militaire de le rappeler, haut et fort : nous n’avons moralement plus le droit de ne pas envisager le retour, peut-être proche, de la « grande guerre », celle de la survie et de la haute intensité.

Sedan, comme toujours, n’est que le coup de grâce

Les temps que nous traversons devraient nous rappeler, hélas, les années 1930, celles où le monde, celles où la France font l’autruche malgré l’évidence de la guerre à venir. Ne rien faire ― ou si peu ― en espérant esquiver ! Voilà qui inexorablement, de 1933 à 1940, nous conduit au drame de 1940. Malgré tous les héroïsmes et les initiatives heureuses, cette horrible campagne de France, nous ne pouvions la gagner, même si notre armée avait accumulé les exploits… et ce fut loin d’être le cas.

En 1936, la France a joué son sort ; en 1938, le dernier coup de semonce ne la réveille pas ; en 1940, il est trop tard. Notre destin s’est noué pendant sept années d’insouciance, scellé par trop de renoncements politiques, de tergiversations diplomatiques, de dogmatisme militaire pour qu’il fut possible, en quelques semaines, de forcer le destin des peuples qui s’abandonnent. Vraisemblable adepte de SUN TZU, HITLER n’a engagé la bataille que lorsqu’il savait l’avoir déjà gagnée : face à un adversaire dont il connaissait la veulerie, il a créé en sept années de stratégie acérée les conditions de notre inévitable défaite. Le SEDAN de mai 1940 ne fut que le coup de grâce, à nouveau, comme celui de septembre 1870.

La France doit effectivement penser « conflit majeur de haute intensité », mais en se rappelant sans cesse que lors des trois dernières occasions où elle dut conduire ce type d’affrontement contre un adversaire apparemment de son niveau, elle a perdu. Sans discussion en 1870. Sans discussion en 1940. Et elle ne dut sa Marne de septembre 1914 qu’à un concours exceptionnel de circonstances, dont la pugnacité du roi Albert 1er, la « désobéissance du général Von KLUCK[1] » et la solidité de JOFFRE alliées à la bravoure patriotique du soldat français. À chaque fois, la défaite fut actée bien avant le premier coup de canon.

La qualité de ce dernier n’est pas négligeable, mais la victoire ou la défaite n’en sont pas la conséquence : elles sont le fait des Nations et non des armées ― reflet de celles-ci ―, et se jouent sur le long terme, très en amont du « premier sang ».

La technologie n’exerce qu’une influence marginale sur les victoires

Bien sûr, la performance des équipements joue un rôle… mais il n’est pas majeur. Il faut tordre le cou à cette idée que la victoire de haute intensité est une victoire de haute technologie. Celle-ci n’a qu’un effet marginal. D’ailleurs, les champs de guerre montrent depuis longtemps la décroissance du rendement des armes : des systèmes d’armes toujours plus sophistiqués y produisent des résultats toujours plus décevants. Rien d’étonnant : la supériorité technologique n’a d’impact que sur les deux premiers niveaux (technique et tactique) de la guerre, alors que, si la bataille se gagne à ces deux niveaux, la guerre se gagne aux trois autres, l’opératif, le stratégique et le politique.

Comme la guerre est avant tout un affrontement dialectique, la puissance y est contournée, la profondeur stratégique ― spatiale, matérielle et morale ― s’avérant beaucoup plus déterminante que la qualité de l’épée. Le cas de la deuxième guerre mondiale parle de lui-même. Les équipements allemands y ont toujours été ― parfois très nettement ― supérieurs à ceux des armées adverses, qu’il s’agisse de la Pologne, de la France, de la Grande-Bretagne, des États-Unis ou de l’URSS. De la même manière, la Wehrmacht a généralement fait montre d’une maestria tactique largement supérieure à celle de ses opposants. Et pourtant le IIIe Reich s’est effondré.

L’exemple américain est tout aussi édifiant. Lors de la guerre du Vietnam, la puissance et la technologie de haute intensité développées par les États-Unis ne sont jamais parvenues à interrompre le fonctionnement de la piste Hô-Chi-Minh et à faire plier la volonté de conquête du Nord. Même si celui-ci a enduré un tonnage de bombes plusieurs fois supérieur à celui déversé sur l’Allemagne entre 1940 et 1945, jamais la résilience de la population nord-vietnamienne n’a été atteinte. Sur ce théâtre, les États-Unis ont gagné chaque bataille de haute intensité jusqu’à ce qu’ils perdent la guerre.

Hélas, les enseignements des conflits sont vite oubliés tandis que politiques et militaires retombent facilement dans la fallacieuse idée qu’il est toujours possible, avec un surcroît de technologie, de trouver la martingale, de commander enfin à la guerre pour la forcer à produire les effets stratégiques espérés. Les contre-exemples de l’Irak puis de l’Afghanistan sont fascinants. Rarement, des conflits auront connu une telle dissymétrie dans l’ordre des moyens, quantitativement et qualitativement. Jamais n’a été déployée, à un tel niveau de sophistication, la puissance militaire américaine. Jamais n’ont été observés un tel différentiel technologique… et une telle difficulté à l’emporter.

Aussi, dans les réflexions qui s’ouvrent, il est vital de ne pas confondre la guerre avec les outils de celle-ci. Les armes ne sont jamais que les instruments de la bataille, le succès « dans la bataille » ne se transformant d’ailleurs jamais naturellement en succès « dans la guerre ». Si la technologie joue un rôle direct au combat, elle ne décide pratiquement jamais de l’issue d’un conflit parce qu’elle n’est qu’une des dimensions de l’efficacité stratégique : la technologie influe sur le « warfare », pas sur le « war ». C’est pourquoi la supériorité conférée par la technologie est toujours dominée par les contextes sociaux, culturels, stratégiques et politiques. C’est aussi pourquoi le rendement des armes sera toujours moins la conséquence de leur puissance que des conditions de leur emploi. Toute victoire continuera à relever d’abord de facteurs non militaires. Il y a un demi-siècle, le général BEAUFRE[2] écrivait : « La force n’a pas fini de jouer son rôle dans les dures compétions internationales, mais son succès dépend surtout des conditions psychologiques et politiques nécessaires pour décupler les effets de la force pure. » C’est toujours vrai.

Le piège de l’aveuglement : que l’année 1940 soit à jamais gravée dans nos esprits

Jamais la France, jamais l’Europe, jamais l’Occident ne se remettront de notre chute de 1940. De cette honteuse défaite de « haute intensité », parfaitement évitable, il faut se rappeler les racines, profondes et anciennes. Car les mêmes causes produiront demain les mêmes dramatiques effets. On peut comprendre, bien sûr, l’immense fatigue morale et matérielle entraînée pour la France par le premier conflit mondial et les racines du « pacifisme ancien combattant ». On peut comprendre que ce pays martyrisé n’ait eu comme seule obsession que de refuser la guerre, mais on doit reprocher à sa classe politique de ne lui avoir dit que ce qu’il voulait entendre sans avoir le courage de l’alerter sur les périls graves que cette attitude lui faisait courir. Nous avons-nous-même réalisé les conditions de notre défaite.

Refuser de comprendre ce que veut l’Autre

HITLER n’a pas surpris son monde, loin de là. Sa philosophie et sa stratégie générale, il les décrit sans aucune ambiguïté dans Mein Kampf : « Le Reich doit se donner pour tâche de faire arriver les Allemands à une position dominante… de la nécessité de ce peuple naîtra son droit moral d’acquérir des terres étrangères… l’ennemi impitoyable du peuple allemand est et reste la France. » Pour mener à bien cette vision, « l’Allemagne ne doit pas retomber dans l’erreur commise avant la guerre [1914-1918] de se faire un ennemi du monde entier ; elle doit distinguer quel est son plus dangereux ennemi pour lui porter des coups en concentrant toutes ses forces contre lui. » DE GAULLE, qui a lu Mein Kampf dès 1933, n’a d’ailleurs pas manqué d’alerter sa hiérarchie et les politiques. En vain.

Cette vision et cette stratégie, HITLER les met en œuvre de manière systématique, quasiment sans à-coups, dominant toujours davantage des démocraties molles trop éprises de leur bien-être. Les États-Unis font preuve d’un isolationnisme criminel, la Grande-Bretagne s’illusionne à dessein sur les menées réelles du Reich tandis que la France se terre dans un somnambulisme dont elle espère que rien ne viendra la sortir. Quand une puissance, l’Allemagne hier, la Chine aujourd’hui, énonce clairement sa volonté de puissance et de domination, il est préférable d’en prendre acte avant qu’il ne soit trop tard : ce n’est pas anodin de voir le pays où est née la stratégie se donner comme objectif officiel de devenir avant 2049 la première puissance économique et militaire du monde. N’ayons pas à dire demain : effectivement, nous le savions !

Voir l’Autre détruire son système de défense et ne rien faire

Pour imparfait qu’il fut tant dans sa conception (sans l’Allemagne, partie prenante pourtant essentielle !) que dans sa lettre, le Traité de VERSAILLES avait l’avantage d’enserrer l’Allemagne entre des États ayant intérêt à contenir son expansion et dont la puissance militaire globale dominait immensément celle du possible agresseur. La stratégie suggérée par le Maréchal FOCH aurait dû fonctionner… à condition d’en respecter l’esprit. Pas à pas entre 1936 et 1939, HITLER ruine VERSAILLES en menant de front le réarmement de l’Allemagne et le démantèlement de la coalition imaginée contre lui, ne se risquant à un conflit armé qu’après avoir à son profit renversé les données initiales. Avant l’assaut, grâce à l’aveuglement de ses futures victimes, il crée les conditions de l’inévitable victoire, le Pacte germano-soviétique constituant le dernier atout maître faisant définitivement basculer la situation politico-militaire.

La France a pourtant continué à baser sa défense sur une politique d’alliances qu’elle a laissées se déliter en s’affaiblissant parallèlement d’un appareil militaire incapable d’offensive et ne pouvant donc assurer les garanties dont il était le socle. Tout pousse aujourd’hui à faire le parallèle entre ces menées allemandes du Reich et celles de la Chine et de la Russie cherchant par tous les moyens à diviser les pays européens et à affaiblir l’Alliance atlantique. 

Préserver les équilibres militaires globaux

L’équilibre initial des forces établi par le traité de VERSAILLES était clairement à l’avantage des démocraties puisqu’il permettait d’envisager en 1920 la réunion de plus de 400 divisions contre une Allemagne isolée et presque désarmée. Fin 1938, après MUNICH, l’Allemagne peut pourtant compter sur plus de 200 divisions avec les siennes, celles de l’Italie, de la Hongrie et de la Bulgarie. La France, avec l’Angleterre, ne peut plus alors aligner qu’un peu plus de 100 divisions, auxquelles il convient d’ajouter la centaine de ce qui restait de la Petite Entente et des Balkans. En théorie, la partie demeurait égale mais elle bascule définitivement lorsque nous manquons fin août 1939 la coalition fondamentale, la Russie apportant alors dans la corbeille adverse ses 100 divisions.

Quand l’Allemagne attaque la Pologne, la France, l’Angleterre et la Pologne peuvent théoriquement rassembler 140 divisions… mais, en quinze jours, les quarante divisions polonaises disparaissent sous les coups de la première Blitzkrieg. Chaque conquête accroît en outre la puissance allemande : en Tchécoslovaquie, la Wehrmacht recueille le matériel de 40 divisions puis celui d’une vingtaine en Pologne. Les jeux sont faits. Nous restons seuls avec un faible appui britannique, ne pouvant compter que sur notre armée « démodée, engourdie et bureaucratique, un commandement non éprouvé, un moral sans grandeur, un esprit public ignorant de la gravité de l’heure[3]. » 

Savoir remonter en puissance

Aujourd’hui, le monde réarme. Jamais les dépenses militaires ― sauf en Europe ― n’ont été aussi élevées depuis la fin de la guerre froide. Pour sa part, sur un rythme tranquille de 6 à 7 % par an, la Chine a multiplié par cinq son budget militaire en quinze ans, passant de 40 milliards de dollars en 2006 à 180 en 2020 : ce n’est probablement pas pour le seul plaisir d’organiser d’époustouflantes démonstrations de force sur la place Tian’anmen ! Partout dans le monde les usines d’armement tournent à plein. Comme en Allemagne à partir de 1938 où HITLER met tout à profit pour accroitre son potentiel et compenser par du matériel moderne l’absence de stocks de mobilisation. À partir de 1936, malgré les mises en garde de la hiérarchie militaire, la Nation refuse à son armée les budgets dont elle a absolument besoin pour effectuer sa remontée en puissance ; le ministère des Finances impose son carcan et ne lâche rien.

Même après que la France eut déclaré la guerre à l’Allemagne, pendant tout l’hiver 1939-1940, le Grand Quartier Général (GQG) se bat pour sauver ses moyens face à de multiples parties prenantes jugées en haut lieu bien plus nécessiteuses. Peine perdue. En mai 1940, les effectifs des armées sont inférieurs à ce qu’ils étaient en 1917. Notre armée de l’Air souffre d’un manque cruel d’aéronefs mais, si nous construisons 60 avions par mois en septembre 1939, nous n’en construisons pas un de plus, en rythme mensuel, en avril 1940. La production d’armement d’octobre 1939 chute brutalement ; la courbe remonte mais, pour beaucoup de matériels, elle est inférieure en mai 1940 à ce qu’elle était en septembre 1939.

Il faut dire que, au plus haut niveau, personne n’escomptait la guerre avant au moins 1941 ou 1942 et que cette grande armée était bien dispendieuse ! Mais qu’a couté en retour à la France le manque de courage politique, son aveuglement et son mépris des priorités ? C’était hier, mais ne nous voilons pas la face : l’armée française d’aujourd’hui manque terriblement de muscle et de capacité d’encaisse et c’est dès maintenant que doivent se prendre les décisions budgétaires pouvant la rendre apte aux affrontements majeurs qui se profilent. 

Lutter contre le dogmatisme militaire

L’armée de 1940 est celle du refus de la guerre, une armée entièrement tournée vers la défensive, une armée forgée par la lassitude née de quatre longues années de guerre, une armée en adéquation avec une opinion publique que ne veut surtout pas brusquer le politique trop soucieux du présent et pas assez de l’avenir. Certes, dans une démocratie, il est difficile d’aller contre l’opinion publique, mais quand vous refusez l’idée même de la guerre, vous vous condamnez à en être la victime !

Bien sûr, en deuxième rang, les militaires portent une part certaine de responsabilité car ils auraient dû être les sentinelles attentives, volontaires et vocales de l’agora : quand il s’agit de guerre, c’est un de leurs rôles pour la Nation. Certains peu nombreux – Charles DE GAULLE en tête – avaient perçu d’emblée l’engrenage stratégique et le piège doctrinal mortels dans lequel nous nous étions enfermés, mais cette clairvoyance fut systématiquement étouffée par la suffisance des hiérarques militaires et la veulerie des politiques.

Car l’armée française de 1940, frappée par la sclérose qui touche les armées victorieuses, est aussi celle du dogmatisme étroit et de l’aliénation stratégique, celle qui, ivre des « fruits vénéneux de la victoire[2] », en tire une doctrine dogmatique et erronée. Sûre de son affaire, délaissant le stratégique pour ce qu’elle pense être l’excellence technique, elle se contente de bétonner sur des centaines de kilomètres, reproduisant ce qui avait marché un quart de siècle plus tôt à VERDUN : défense ferme, front continu, colmatage des brèches, Infanterie arme maîtresse, feu centralisé, discipline rigide. Bouffie de certitude, elle ignore les réalités et méprise les indices, pourtant parfaitement visibles lors de la campagne de Pologne : les rythmes et les effets nouveaux rendus désormais possibles par une arme blindée autonome alliée à une artillerie mobile jumelée à une aviation d’assaut.

Nul n’ignore le sort de l’excellent ouvrage du lieutenant-colonel DE GAULLE : sa traduction devient, dès 1934, le livre de chevet d’HITLER qui l’annote de ses « Sehr gut! » et de ses « Sehr fein! »… mais pas celui du général GAMELIN, le commandant en chef des armées françaises, qui, en communion avec le vainqueur de VERDUN et ceux de la Grande Guerre, fait peser sur la pensée militaire une chape de plomb. La directive qu’il signe personnellement est limpide : « Tout article et toute conférence sur ces sujets [motorisation et mécanisation] devront être communiqués à l’état-major de l’armée à fin d’autorisation ! »

Lors de la campagne de Norvège, premier galop d’essai en avril 1940, notre infériorité militaire apparait écrasante. HITLER, qui hésitait à lancer son offensive contre la France, sait désormais qu’il ne risque rien. En mai 1940, le commandant BEAUFRE constate avec effroi depuis le grand état-major la dislocation de nos forces. Frappé par leur incapacité manœuvrière, il décrit : « L’Armée française ne constituait qu’un vaste outil inefficace, incapable de réactions rapides et d’adaptation, absolument inapte à l’offensive, donc à la manœuvre… En face d’un adversaire habile et manœuvrier, notre armée ne pouvait répondre par aucune contre-manœuvre, même quand elle avait la supériorité… La machine était vieille, rouillée et poussive : une nouvelle Marne était donc impossible. »

Depuis 1940, l’armée française a peu dégusté « les fruits vénéneux de la victoire », mais depuis un quart de siècle elle se consacre ― et c’est normal ― à un seul type de combat : celui des petites opérations, sans menace aérienne, où elle excelle. Elle a largement perdu les savoir-faire qu’elle maîtrisait lorsqu’elle se préparait à l’affrontement de grandes unités en « haute intensité ». Si, frappée par un adversaire parfaitement préparé et entraîné à ce type de combat, elle ne veut pas être pétrifiée puis disloquée en quelques jours, elle doit donc prendre conscience de la différence abyssale entre ces deux types de guerre et en tirer toutes les conséquences.

* * *

Ainsi, le constat est accablant. Le 10 mai 1940, on l’a vu, avant le premier coup de feu, le destin de la France était déjà fixé ; il était d’ailleurs définitivement scellé dès le 23 août 1939 au soir lorsque les délégations anglaise et française quittèrent Moscou sans avoir, par inconscience politique, obtenu le seul accord à même alors de prévenir le deuxième conflit mondial. Le 1er septembre, les chars allemands fonçaient sur VARSOVIE, la France s’installait dans la « Drôle de guerre » en espérant encore que, par miracle, elle pourrait au mieux éviter l’affrontement, au pire qu’elle l’encaisserait et saurait, avec l’aide de la providence, rejouer plus tard une deuxième Marne, comme en 1918. Somnambule condamnée, elle marchait, aveugle, vers son inéluctable gouffre.

Cette chute, elle peut la revivre à nouveau demain si elle oublie que le désastre de mai 1940 s’était forgé de presque vingt années de faillites politiques, morales, doctrinales et techniques. Elle peut éviter de la revivre si, dès à présent, en toute conscience, elle se donne les moyens de la prévenir. Survivre à la catastrophe qui s’érige à bas bruit exige certes une réflexion militaire sur les nouveaux visages de la guerre qui vient. Mais cela exige surtout la construction des conditions sociétales, diplomatiques et politiques qui permettront au mieux de l’éviter, au pire d’y survivre. Car, si ce sont les armées qui gagnent ou perdent les batailles, ce sont les Nations qui gagnent ou perdent les guerres.

Mettons un terme à nos illusions mortifères. Dans le gigantesque affrontement qui se prépare entre l’Amérique et la Chine nous sommes seuls et faibles. Les États-Unis ne seront jamais plus l’assurance-vie qu’ils ont été. Notre garantie, nous ne la trouverons que dans notre réveil stratégique et l’autonomie militaire de l’Europe qui doit au plus vite construire « sa » défense en ne comptant que sur « ses moyens » : la défense de l’Europe par l’Europe et pour l’Europe. C’est, en fait, une question de survie nationale.

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[1] Pour adopter l’expression de Charles DE GAULLE.

[2] Général BEAUFRE, L’expédition de Suez, Grasset, 1967.

[3] Général André BEAUFRE, Le drame de 1940réédité chez Perrin, 2020 : excellent ouvrage, que tout homme politique et tout officier devrait avoir lu. L’essentiel des chiffres rapportés dans cet article en sont issus.

[4] Général BEAUFRE, Le drame de 1940.

CERCLE MARÉCHAL FOCH
CERCLE MARÉCHAL FOCH
Le G2S change de nom pour prendre celui de Cercle Maréchal Foch, tout en demeurant une association d’anciens officiers généraux fidèles à notre volonté de contribuer de manière aussi objective et équilibrée que possible à la réflexion nationale sur les enjeux de sécurité et de défense. En effet, plutôt qu’un acronyme pas toujours compréhensible par un large public, nous souhaitons inscrire nos réflexions sous le parrainage de ce glorieux chef militaire, artisan de la victoire de 1918 et penseur militaire à l’origine des armées modernes. Nous proposons de mettre en commun notre expérience et notre expertise des problématiques de Défense, incluant leurs aspects stratégiques et économiques, afin de vous faire partager notre vision des perspectives d’évolution souhaitables. (Nous contacter : Cercle Maréchal Foch – 1, place Joffre – BP 23 – 75700 Paris SP 07).
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1 COMMENTAIRE

  1. Je voudrais faire remarquer au général Desportes qu’il cite la Chine comme un ennemi potentiel,la France a presque 3000 milliards de dette et que 60% de cette dette est détenue par des états et des fonds souverains étrangers dont la Chine sans son argent nous sommes plus rien pour faire la guerre à son débiteur il suffit de fermer le robinet. En 1940 les Allemands étaient de 20 millions plus peuplés,les Français vivant depuis plusieurs années sous un pseudo socialisme qui les bombardait à longueur de journée des congés payés et autre bienfaits avec des grèves à répétition dans l’appareil de production et principalement de l’armement, le souvenir de 1914 enlèvent au peuple toutes velléités de se battre,la plupart des généraux étant encore en 1918 dans leur tête,la messe était donc dite. Mais rien n’a changé à nouveau dans l’ère moderne le socialisme à biberonné le peuple Français aux bienfaits dont il n’a pas le premier sou ,les prestations sociales en tout temps et pour tout le monde même ceux qui n’y ont pas droit 40% du pib,les mêmes solutions donnant les mêmes effets ,les conscients de la situation devons nous faire beaucoup de soucis.

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