Décrypter à chaud l’actualité « militaire », en évitant autant que faire se peut la diffusion de contre-vérités, nécessite de disposer de relais bien informés. Fort de son expérience, le général (2S) Dominique TRINQUAND nous décrit ce qui s’apparente aujourd’hui à une poursuite du service.
Le fait militaire, qu’il relève de l’aspect opérationnel, sociologique, de l’équipement ou du budget, n’intervient que de façon épisodique dans les médias, et plus particulièrement lorsqu’un événement dramatique touche les armées. Cet intérêt pour les armées est sincère, mais trop sporadique. Comment le militaire peut-il répondre à cette attente subite, mais surtout assurer une certaine permanence de l’intérêt porté au fait militaire ? Par ailleurs cet intérêt du public et des médias se conjugue avec une crainte, ou plutôt une méfiance, des militaires envers ces derniers. Comment rendre la relation médias-militaire plus apaisée ? Ce sont là les deux questions auxquelles je vais essayer de répondre. Pour cela, je vais m’appuyer sur mon expérience d’intervenant dans les médias, expérience qui, depuis plusieurs années, m’a valu d’être souvent appelé sur les plateaux télévisés, comme sur l’antenne des radios.
Pour les sujets touchant au fait militaire, les médias utilisent trois canaux : l’institutionnel, les journalistes « spécialisés » ou les « spécialistes » occasionnels.
L’institution s’attache à apporter les informations fiables sur les événements ou les sujets d’intérêt liés à la défense. Pour cela elle dispose d’une direction de la communication et de communicants dans les états-majors, qui diffusent des informations aux journalistes accrédités ou mettent en place des officiers chargés de fournir des informations directement, en particulier aux chaînes de télévision et les stations radio. Concernant ce dernier aspect, il faut noter que, pour la première fois, lors des événements survenus au Mali le 25 novembre 2019, l’état-major des armées a désigné des officiers, qui sont allés, en uniforme, de façon très efficace représenter les armées sur les plateaux télévisés. L’information fournie était factuelle et répondait parfaitement au besoin qu’ont les médias de disposer d’éléments techniques et tactiques. Ce changement d’attitude dans la communication des armées est à saluer mais, compte tenu du nombre d’officiers nécessaires, ne peut correspondre qu’à un plan de crise.
Les journalistes « spécialistes défense » répondent au besoin de la permanence du suivi des dossiers liés à ce domaine. Ils sont généralement bien informés et disposent du temps nécessaire à l’exercice de leur métier. Toutefois étant journalistes (certains d’entre eux sont réservistes), ils ne peuvent complètement refléter, aussi bien la vision interne des armées, que les aspects relevant de la pratique du métier des armes. Ce sont des observateurs qui délivrent des messages personnels mais qui, par leur métier de journaliste, sont plus proches des rédactions et des politiques que des militaires.
Entre ces deux catégories d’intervenants, journalistes et militaires d’active, existe une troisième catégorie d’intervenants, généralement choisis par les médias, selon des critères aléatoires, les militaires retraités baptisés « spécialistes défense ». C’est ici que mon expérience personnelle me permet d’illustrer mon propos. Ce sont des intervenants occasionnels, mais dont la proximité avec les armées et la liberté de ton sont des qualités appréciées.
Dans cette catégorie, les « généraux en deuxième section » tiennent une place particulière étant donné leur longue expérience et la référence que donne le grade de général. Les critères de sélection sont très divers, mais peuvent être résumés de la façon suivante : être proche des studios (donc Parisien), être informé et réactif, être capable d’intervenir sur un large éventail de domaines (terre, air, mer, géopolitique, défense) et être capable de tenir sa place sur le plateau aux côtés des intervenants habituels…
Le gros avantage de ces intervenants est qu’ils ne coûtent rien, ni aux médias, ni aux armées. Le gros inconvénient est que cela repose uniquement sur la bonne volonté de l’intervenant et sa capacité à se tenir informé. Sur ce dernier point, des efforts ont été récemment consentis par les armées, en mettant en place un réseau diffusant les informations numériques quotidiennement et un point de contact réactif au sein de l’état-major.
Toutefois ce volontariat requiert un effort certain pour rester informé et être disponible. En effet, lorsqu’un événement survient, le délai d’intervention sur une chaîne se mesure en quelques minutes (radio), en quelques heures (télévision), rarement en jours (thèmes particuliers). C’est donc l’engagement et le dévouement au métier des armes qui caractérise ce type d’intervenant. De façon très pratique, son intervention repose essentiellement sur la diffusion de son numéro de téléphone portable entre journalistes qui « s’abonnent » ainsi à leur spécialiste défense.
Compte tenu des critères évoqués, ce type d’intervenant doit avoir une expérience opérationnelle et avoir servi à un niveau suffisant de synthèse dans les états-majors. Dans mon cas particulier, mes affectations successives à NEW YORK auprès du Conseil de Sécurité ont été un atout majeur, non seulement pour résumer ma crédibilité à intervenir (« ancien chef de la mission militaire française auprès de l’ONU »), mais aussi compte tenu de l’étendue des sujets géopolitiques que j’ai eu à traiter et qui sont devenus une réelle passion. La pratique de la langue anglaise est un atout supplémentaire qui permet d’intervenir sur les chaînes anglophones (BBC, CNN, Sky News, France 24…).
Revenu à la vie civile, l’intervenant a généralement une activité professionnelle lui permettant de vivre à Paris. Toutefois, pour être efficace vis-à-vis des médias, une capacité de présence s’impose, ceci n’est pas négligeable et doit être accepté par l’employeur. En effet, lors des crises, il m’est arrivé d’être présent sur six chaines dans la journée avec des horaires allant de 6 heures du matin à 23 heures le soir, ce qui relève d’un véritable marathon. Pour ma part, je sélectionne les chaînes en fonction de la qualité de l’émission et du journaliste, mais aussi de l’auditoire. Ainsi, à côté des chaines purement françaises (BFM, LCI, CNews, Public Sénat, la 5, M6…), j’apprécie France 24 pour son auditoire africain, Russia Today et Sputnik pour le public russophile, CNN et Sky News pour les anglophones et I24 News pour les Israéliens.
Pourquoi continuer à intervenir ainsi alors que cette mission bénévole prend beaucoup de temps, me place parfois sur le fil du rasoir et peut donc me valoir des critiques très agressives ? Trois raisons me guident. Tout d’abord la possibilité de délivrer des messages à un large public en soutien des armées et, plus globalement, du rôle de la France dans le monde. Ensuite, l’enrichissement intellectuel que cela m’apporte par le contact sur les plateaux avec de vrais spécialistes, qui me permettent de beaucoup apprendre. Enfin, je dois le dire aussi, le soutien que je reçois de mes camarades et d’un large public qui me fait savoir que mes interventions sont appréciées. Au bout du compte, j’ai le sentiment de toujours servir.
Mon expérience me fait dire que les armées bénéficient aujourd’hui d’une aura enviée auprès du public et que toutes les occasions doivent être utilisées pour leur permettre d’être présentes dans l’actualité. Ceci démontre que l’engagement des militaires est là, non seulement pour assurer la défense du pays et de ses citoyens, mais aussi, plus globalement, pour participer à la cohésion de la Nation par l’engagement dans les médias. La présence d’officiers généraux sur les plateaux pour traiter de sujets liés à la défense, mais aussi à la géopolitique, contribue à l’image positive de ces serviteurs de l’État. Je dis souvent aux journalistes : « Je suis général, donc généraliste et non spécialiste ! ». L’institution devrait encourager ce type de volontariat et pour cela lui permettre d’être mieux introduit dans le milieu journalistique, par le biais d’accréditations et de briefings réguliers.
Texte issu du dossier n°25 du G2S « Le militaire et la société »