Comme chaque dernier trimestre de l’année scolaire, les colloques se succèdent. Je ne retiendrai que celui organisé à l’école militaire par l’INHESJ ce vendredi 16 avril 2015. Le thème en était « La société française à l’épreuve de la radicalisation islamiste », sujet profond de préoccupation aujourd’hui mais qui me permet de poser la question de la Nation, du patriotisme et de l’adhésion à ces concepts comme remparts face à l’extrémisme salafiste et djihadiste.
Le Préfet SCHOTT, directeur de l’INHESJ, a rappelé en ouverture, et il a bien fait, qu’il existe une assimilation silencieuse des minorités dont on parle peu. Beaucoup de jeunes de culture musulmane comme d’autres d’origine étrangère sont par exemple policiers ou militaires (Cf. C+ Dimanche 19 avril 2015, dans le « direct » du président de la République, reportage sur notre armée en guerre et sur la Légion qui a mené une opération aéroportée cette semaine sur les hauts plateaux du Niger).
Cependant, le préfet a fait la différence pertinente à mon avis entre « être de culture musulmane » et « être de confession musulmane », entre croyant et non croyant finalement, entre un islam en France et un islam de France mais ce dernier débat n’est pas nouveau avec la mainmise d’Etats étrangers sur l’islam en France … avec le soutien des ministres de l’intérieur qui se sont succédés.
Les interventions ont été passionnantes. Détail. J’ai regretté que le général de corps d’armée, directeur de l’IHEDN, clôturant le colloque, ait préféré être en civil. Le militaire s’efface. Il finira par disparaître avec ces erreurs sur la visibilité de l’officier dans la société civile mais c’est juste mon avis.
Des causes possibles de la radicalisation
Le professeur Roy ne croit pas à l’impact du conflit israélo-palestinien comme une cause crédible de la radicalisation. Quant au clash des civilisations, les jeunes radicalisés ne sont pas politisés. De fait, ils n’appartiennent pas aux mouvements propalestiniens, à l’UOIF. Ni la géostratégie, ni la pratique religieuse n’expliquent cette radicalisation qui est plutôt une révolte s’appuyant sur un référentiel islamique.
En revanche, un facteur qui a semblé aggravant en l’écoutant est que la laïcité est redevenue une idéologie. Aujourd’hui, toute pratique religieuse devient suspecte en France et le croyant doit s’excuser sinon s’effacer. La croyance est marginalisée (Cf. Le Figaro du 5 avril 2015, interview de l’archevêque Vingt-trois).
Cette révolte (que je qualifierai presque de l’adolescence ou d’une « adolescence passée mal vécue ») s’expliquerait donc par un défaut d’éducation, une opposition à ses parents, jugés mauvais musulmans, des échecs personnels, une quête de sens pour les nouveaux convertis (22% des djihadistes sont des convertis, 40% d’entre eux ont moins de 22 ans). Ces nouveaux marginaux recherchent l’estime de soi, sinon à devenir des héros au lieu d’être des « loosers », du moins aux yeux de leur environnement.
Il s’ajoute aussi une fascination de la violence confirmée par la mise en scène des meurtres et des égorgements qui, pour moi, serait aussi l’expression d’un pouvoir, celui de donner la mort. Je me demande si la guerre comme fait social n’a pas été dans le passé un moyen de réguler ces actes de violence et de permettre à une jeunesse qui, en perte de sens, avait besoin de « se trouver ».
Pour moi, il y a une jeunesse qui recherche l‘engagement non violent, social mais il existe aussi (et il existera toujours à mon avis) une jeunesse préférant l’engagement par la violence physique qu’il faut savoir canaliser. Les concepts de Nation et de Patriotisme peuvent alors y contribuer au lieu du salafisme. Encore faut-il que ces concepts soient partagés par la majorité !
La philosophe Monique Castillo a ausculté ce nouvel ennemi unifiant religion, culture (sinon anti-culture) et politique. Le radicalisé n’a plus peur, car il vit dans l’irréel. En outre, il croit détenir la vérité absolue qui justifie la destruction de son ennemi (Occident et musulmans « collabo »). La guerre des symboles est aussi engagée car il mène une guerre du sens qui justifie l’incendie des écoles, le rejet du drapeau, de la Marseillaise. Pour le radicalisé, « je suis en échec », « tu en es la cause », « je deviens fondamentaliste à cause de toi ».
S’ajoute la recherche de la provocation qui vise à pousser à bout la République face à ses contradictions : soit elle cède (recherche de circonstances atténuantes, laxisme devant le port du voile par exemple à l’Université), soit elle se durcit (loi sur le renseignement, guerre à l’extérieur ou à l’intérieur…).
Enfin, Pierre Conesa a évoqué le rapport sur la déradicalisation qu’il a remis en décembre 2014. Ce sujet était étudié par l’Europe, les Français participaient mais ne se coordonnaient pas « en interministériel » empêchant d‘avoir une position commune (méthode française). Le rapport n’a intéressé qu’à partir du 7 janvier 2015.
Pour lui, le salafisme, référence des djihadistes, est une dérive sectaire de l’islam qui prône la fin du monde à venir. Il faut mettre en ordre sa conscience pour y faire face. Cependant, le salafisme n’est pas religieux mais aussi politico-religieux avec l’objectif de repousser le plus loin possible les lois de la République.
Pour le combattre, il m’est apparu intéressant de voir remettre en cause par Pierre Conesa un droit d’asile issu de la seconde guerre mondiale essentiellement pour protéger les combattants de la liberté. Il a permis par exemple de créer le « londonistan ». Or, il est vrai que ce ne sont plus les combattants de la liberté que nous protégeons.
P. Conesa rejoint en cela une de mes remarques passées. Le droit international humanitaire dans lequel j’intègre aussi bien les conventions de Genève que le droit d’asile, doit être revu. Nous ne sommes plus au XXe siècle et le contexte a changé. Ce droit rénové et adapté à la réalité sera l’une des conditions pour la survie de notre société. Le droit n’est pas une fin en soi, encore moins le droit d’hier.
J’ai aussi apprécié cette proposition de rejoindre l’organisation de la communauté islamique. Il est vrai qu’avec nos 3 à 5 millions estimés de musulmans, il n’y a pas de raison que nous n’y adhérions pas pour faire valoir nos positions et qui sait, faire évoluer l’islam.
Colloque donc de très haute tenue qui a mis en exergue les contradictions de notre société qui réfléchit beaucoup, anticipe peu, agit dans l’urgence et l’émotion, et surtout n’est plus en mesure de construire une société homogène. Cette société ne peut plus en effet se limiter à valoriser l’individu, à le protéger par principe au détriment de l’intérêt collectif notamment en refusant d’appliquer des mesures de contraintes imposée au nom de la protection du bien commun.
Le discours dans tous les domaines aujourd’hui le montre, le dernier en date étant celui de l’école : ne pas traumatiser l’élève et niveler par le bas, ne pas contraindre. C’est aussi voter des lois que l’on fera peu appliquer, proposer des réformes qui sont vite vidées de leur contenu pour concilier les intérêts des uns et des autres. Néanmoins, le projet de loi sur le renseignement est tout aussi significatif mais seul un gouvernement de gauche pouvait la proposer et surtout la faire voter.
Cependant la meilleure arme contre le djihadisme n’est-elle pas le patriotisme qui a été beaucoup évoquée notamment dans le domaine économique ? Qu’est-ce que la patrie, sinon la nation dont on se sent membre et pour laquelle on est prêt à s’engager ?
Franc-maçonnerie et patriotisme: une réflexion d’opportunité
Le professeur Roy évoquait au début de son intervention l’affaire des fiches et le fichage des officiers catholiques (Cf. Mon article dans Inflexions de septembre 2008) en 1904, sans d’ailleurs évoquer l’action peu glorieuse des Francs-maçons et du Grand Orient de France. Le hasard a voulu que l’émission C dans l’air s’intéressait au retour des Francs-Maçons en politique ce 16 avril (Cf. C-dans l’air, à voir) et la question du patriotisme a été incidemment évoquée.
Outre les journalistes présents, Catherine Jeannin-Naltet, présidente élue de la Grande Loge Féminine de France était sur le plateau ainsi que Roger Dachez, historien et président de l’institut maçonnique de France. Ce qui m’a cependant surpris est cette différence d’approche entre Catherine Jeannin-Naltet et Roger Dachez justement sur le patriotisme dont je vous retranscris les propos échangés (aux environs de la 53ème minute de l’émission) suite à une question d’Yves Calvi sur la tendance de gauche qu’auraient les obédiences maçonniques.
Selon Roger Dachez, « la franc-maçonnerie anglo-saxonne est clairement de droite et conservatrice » (…), « on chante l’hymne national et on défend nos soldats quand ils sont au front. Voilà ce que font et disent les francs-maçons américains et anglais. J’imagine difficilement un communiqué de la Grande Loge De France (GLDF) et du Grand Orient de France (GODF) dans de telles circonstances ».
En fait, le GODF et la GLDF ne chantent pas la Marseillaise et ne soutiennent pas leur armée car cela signifierait que l’on est de droite et conservateur. Qui aujourd’hui emploie les armées à l’extérieur et à l’intérieur de la France ? N’est-ce pas un gouvernement de gauche, avec des ministres que l’on dit franc-maçon ?
« Oui, c’est une donnée classique (le patriotisme) du discours maçonnique mais aujourd’hui dans un pays comme la France, on ne peut pas faire l’économie de la conception générale que les gens ont de ce que peut être la nation ou la patrie, ce n’est plus ce que cela était il y a un siècle. Est-ce que vous allez mobiliser des jeunes de 20 ou de 25 ans sur la patrie ? Cela va être très difficile. Donc le discours sur la nation ou la patrie est devenu très compliqué. (…) même si c’est dans les textes fondateurs de la franc-maçonnerie dans le monde entier. C’est un discours qui est difficile à tenir en France et les francs-maçons français sont plutôt des francs-maçons européens, mondialistes, éventuellement tiers-mondistes, même altermondialistes ».
Intéressante perception exprimée donc par Roger Dachez, qui, je l’espère, ne concerne pas tous les Francs-maçons et n’exprimait pas la vision des Grands Maîtres du GODF ou de la GLDF. Avec des francs-maçons caractérisés ainsi, il ne faut pas s’étonner que la patrie et la nation soient juste des termes de façade et ne signifient pas grand-chose. La sécurité nationale, la nation, la patrie ne font-elles pas partie de la vie politique de la Cité alors qu’une obédience comme le GODF souhaite s’impliquer plus dans le débat public (Cf. Interview dans le Figaro de Daniel Keller, Grand Maitre du GODF).
Heureusement Catherine Jeannin-Naltet a répondu. « Mais ces mots redeviennent d’actualité, à partir du moment où nous abordons le « vivre ensemble », l’avenir de notre communauté. Ces mots vont revenir. Et parce que les politiques les ont abandonnés aux extrêmes. Je pense que nous avons une responsabilité en tant que citoyen car la citoyenneté est au cœur de la problématique actuelle. Nous devons nous réapproprier ces valeurs républicaines car il y a eu trop de reculs. Le drapeau, l’hymne, la laïcité sont en train de disparaître (…) ».
Pour Catherine Jeannin-Naltet, les valeurs patriotiques et mêmes tricolores sont fondatrices et même essentielles. Finalement, les Sœurs sont bien plus conscientes de la menace que les Frères. D’ailleurs elle a rappelé bien opportunément qu’aucun franc-maçon masculin ne s’était fermement opposé au port du voile.
Pour conclure
Les concepts de nation et de patrie, leurs symboles, ne sont-ils pas constituants de la laïcité et donc un rempart contre le salafisme et le djihadisme ? Ne sont-ils pas aujourd’hui récupérés par l’extrême-droite à laquelle les obédiences maçonniques s’opposent pourtant ? Il est temps qu’elles se posent les questions du sens de la Patrie et de la Nation, d’entrer dans une réflexion à la hauteur des enjeux du XXIe siècle et de faire face sérieusement aux menaces.
Cela peut signifier aussi soutenir son armée, ses militaires qui sont un garant de leurs libertés. Eh oui, pourquoi pas un communiqué pour soutenir les armées quand cela est nécessaire ? Cela est-il si honteux que cela ou une partie des obédiences maçonniques seraient-elles dogmatiquement contre une institution de la République ? Pourtant, ne devraient-elles pas être plus patriotes, justement pour incarner les valeurs de la République contre les djihadistes ?