Ce samedi 11 décembre 2021, j’ai bien volontiers répondu à l’invitation de l’association « Défendons l’Europe » (https://www.defendonsleurope.eu/) sur la thématique « Le dilemme de la défense de l’Europe par les Européens : seront-ils en mesure d’assurer demain la sécurité en toute indépendance ? ». Certes ce questionnement que j’ai formulé est sans doute un peu long mais permet de poser correctement à mon avis la problématique de ce serpent de mer de la défense européenne.
Cette défense doit être pragmatique et non idéologique avec un seul souci : s’exprimer par des actes concrets et non par un verbiage politicien, sinon idéologique. Peu importe l’allié (ou les alliés) dès lors qu’il est fiable et loyal, avec des actes et non des paroles, partageant au moins partiellement la même perception des menaces, sinon la même culture stratégique. Cela signifie aussi revoir les missions lancées au titre de la sécurité européenne, bien plus civiles que militaires.
Cette carte opérationnelle en anglais montre aussi l’existence d’un passager clandestin malgré le Brexit. N’est-il pas temps de faire du français la langue de travail de l’UE ? (https://eeas.europa.eu/headquarters/ octobre 2021)
Cela signifie une vision stratégique française en Europe (Cf. La Tribune du 6 décembre 2021, « Les trois leçons des contrats d’armement français ») qui s’éloigne d’une conception unique de la défense européenne sans écarter quelques axes communs dès lors qu’ils n’entravent pas notre sécurité y compris dans un cadre collectif.
En bref, en l’absence d’une souveraineté « européenne » bien utopique et qui pourrait avoir l’ambition de limiter drastiquement l’instrument de puissance que représentent les forces armées, seules les coopérations structurées permettent d’avancer et d’utiliser au mieux des ressources comptées en différenciant les alliances en fonction des objectifs à atteindre. Pour assurer la robustesse de sa défense et contribuer indirectement à une défense européenne plus forte, la France a ainsi signé des traités bilatéraux avec l’Allemagne (traité de l’Élysée en 1963 puis d’Aix-la-Chapelle en 2019), la Grèce (2021), l’Italie (2022) sans oublier celui de Lancaster House (2010) avec le Royaume-Uni. Sans être parfaits, ces traités répondent à des besoins stratégiques précis et ciblés que la France doit intégrer d’une manière indépendante dans sa stratégie de défense et de sécurité.
Quelle Europe faut-il défendre ? Une question fondamentale
Pour en revenir au sujet traité en deux heures et demie avec surtout de nombreuses questions particulièrement intéressantes, Le dilemme de la défense de l’Europe par les Européens mérite avant tout un éclaircissement sur ce que revêt le terme d’Européen.
S’agit-il des populations qui s’étendent géographiquement de l’Atlantique à l’Oural et pourquoi pas Vladivostok, des populations s’identifiant aux valeurs occidentales sans tenir compte des organisations internationales, OTAN ou Union européenne, des populations présentes uniquement dans l’Union européenne, des populations des Etats inclus dans l’OTAN ? De fait, 21 Etats européens sont à la fois membres des deux organisations ce qui rend indissociable une prise en considération commune de la sécurité de l’Europe en fonction au moins de ces valeurs partagées mais pas forcément d’intérêts communs.
La question clé reste donc celle de l’indépendance européenne à assurer la sécurité collective future par ses propres moyens dans le cadre d’une sécurité globale. Bref, il s’agit de déterminer ce que serait la souveraineté européenne pour que la défense de l’Europe par les Européens soit assurée en toute indépendance — un objectif — et pas seulement en autonomie — une étape intermédiaire —, quelle que soit l’organisation internationale susceptible de remplir cette mission existentielle. Cette clarification nécessaire pourrait apparaître dans le Livre blanc européen de défense et de sécurité annoncé par le président Macron, sans doute validée durant le premier semestre 2022 sous la présidence française (Cf. Présentation de la présidence française du 9 décembre 2021).
Ma réponse à la question
Dans l’état actuel des réflexions ou des mesures prises aujourd’hui non seulement au sein de l’Union européenne mais aussi par l’OTAN, indissociables dans une approche globale de la sécurité européenne, les Etats européens ne sont pas en mesure d’assurer collectivement leur sécurité que ce soit d’une manière indépendante ou autonome.
En effet, malgré quelques avancées au sein de l’Union européenne, par leur conception sécuritaire bien souvent nationale et modelée par une culture stratégique devenue bien pacifiste pour une partie d’entre eux, par un confort donné aussi par une protection américaine pourtant de plus en plus incertaine, la majorité des Etats laisse aux seuls Etats-Unis la responsabilité de provoquer une réaction collective face à des menaces notamment militaires pourtant aujourd’hui de plus en plus réelles.
Pourtant l’Europe est menacée dans nombre de domaines au moins par des États comme la Russie, la Turquie, la Chine d’une manière plus lointaine. Que ce soit l’Union européenne ou l’OTAN, les réponses ne sont pas à la hauteur des enjeux de sécurité pour l’avenir. Malgré une volonté de réagir, bien souvent temporaire et plutôt symbolique des Européens, ceux-ci restent une proie pour les nouvelles puissances et sont dépendants pour encore une longue période de la sécurité assurée par les États-Unis. Ceux-ci n’hésitent pas à tenter de remettre en cause les contrats d’armement en Europe comme en témoigne cette nouvelle tentative de vendre des frégates américaines à la Grèce au lieu des frégates françaises.
Pour conclure, apprécions à sa juste valeur ce président américain se montrant attristé du mauvais coup porté à la France dans l’Indopacifique il y a quelques semaines et la réalité de l’hypocrisie américaine. La donne ayant heureusement changé ce 12 décembre par le référendum d’adhésion de la Nouvelle-Calédonie à la France, il sera intéressant d’observer les réactions de nos voisins anglosaxons (Cf. Mon billet du 22 septembre 2021, « Face au bloc anglo-saxon, n’est-il pas temps pour la France de changer de politique étrangère ? »)
En tout état de cause, rendez-vous au prochain débat sur le thème « La perception des menaces : un frein pour la défense européenne » qui se tiendra à l’Institut catholique de Paris ce vendredi 17 décembre à 18h30 :
https://www.associationwerra.com/evenementiel/conferences