Comme toujours l’Histoire en France suscite des polémiques. Comme toujours, elle est l’objet de beaucoup d’intérêt comme en témoigne l’afflux des consultations de ce blog. En l’occurrence, il faut donner une suite au billet du mardi 2 juillet « L’histoire militaire dans les armées : un domaine en perdition ? »
Je retiendrai deux courriers, l’un du professeur Jean-Charles Jauffret, directeur du département d’histoire de Sciences-Po Aix (en fin de ce billet), l’autre exprimé sous la forme d’un long communiqué de l’association des archivistes français (AFF, http://www.archivistes.org/). De fait, l’un et ‘l’autre ne font que refléter la réalité des critiques évoquées de part et d’autre.
L’AFF affirme sa parfaite loyauté à l’égard de la défense mais lui conteste sa manière de gérer les archives au nom de principes généraux ayant cours hors du ministère de la défense. Cela était d’ailleurs évoqué par Jean Guisnel : « Pour autant, les archivistes de la Défense partagent l’avis du ministère de la Culture : les archives sont faites pour être communiquées ».
Cependant si l’on se réfère aux textes (décret et arrêt de 2012), les raisons évoquées par le communiqué de l’AFF s’opposent à leur application au nom d’une divergence d’interprétation de la mission pourtant clairement exprimée réglementairement. Non, toutes les archives ne sont pas communicables et cela est explicitement écrit dans les textes qui semblent bien contester. Regrettons que le général Paulus n’ait pas eu un « association » pour s’exprimer. Il aurait sans aucun doute donné un autre éclairage.
Le professeur Jean-Charles Jauffret dans « Plaidoyer pour un commandement unique » quant à lui confirme les critiques des uns et des autres sur la civilianisation du SHD. Il rappelle surtout qu’il faut un chef, de surcroît militaire car nous sommes au ministère de la défense. Le simple titre de son courrier signifie qu’il y avait une dyarchie à la tête du SHD.
A nouveau, il faut faire référence aux textes réglementaires. Un seul « chef » est nommé. Jamais une dyarchie n’a été autorisée. Si le général Paulus, chef nommé, n’a pas été soutenu, semble-t-il, face à un subordonné en opposition, il faut à nouveau s’étonner de cette situation où un chef militaire n’a pas été en mesure d’imposer (j’écris effectivement « imposer ») sa volonté et sa politique. Le décret rappelle que « le chef du service historique de la défense est nommé par le ministre de la défense. Il dispose d’un adjoint qui le remplace en cas d’absence ou d’empêchement ». L’autorité de tutelle devrait s’expliquer sur ce dysfonctionnement.
A nouveau, être affecté ou détaché dans un département de la défense nécessite une adhésion à son fonctionnement, du moins nous pourrions l’espérer, et surtout une acceptation des règles en vigueur d’autant qu’elles sont réglementaires.
« PLAIDOYER POUR UN COMMANDEMENT UNIQUE AU SHD
par le Professeur Jean-Charles Jauffret Directeur du département d’histoire de Sciences Po Aix
La raison pour laquelle les universitaires fréquentent de moins en moins le SHD tient d’abord à une question tactique, puis à une question de fond.
La première concerne l’incroyable temps perdu et les démarches fastidieuses, avec demande d’un mois, pour consulter cinq malheureux cartons par jour, dont on ne peut au préalable deviner l’éventuelle richesse. Alors que les services américains, britanniques ou allemands facilitent l’accès aux archives, nous, professeurs d’université, constatons qu’en raison du manque chronique de personnel le SHD ressemble à un parcours du combattant pour un chercheur. Ce qui explique que moi-même et bien d’autres collègues nous donnons de moins et moins de sujets de mémoire de master ou de thèse dépendant du corpus de Vincennes. De principales, les archives de Vincennes deviennent simplement complémentaires. Je passe sur les critiques virulentes entendues de la part de collègues étrangers et de la perte d’image…
En fait, et j’ai pu le distinguer depuis mes premières recherches à Vincennes en 1972, la question de fond vient d’une méconnaissance des archives militaires par les conservateurs civils. Le jour où ils ont pris le pouvoir, le SHD a changé d’âme. Ainsi, les JMO que j’ai consultés sur 39-45 ou la guerre d’Algérie, auparavant en consultation libre, sont soumis à dérogation. Cela n’est pas admissible, surtout comparé aux archives de la justice militaire, les archives judiciaires civiles, ou les archives de la police ! En outre, vécu par quelques-uns de mes étudiants depuis dix ans environ, faire de l’histoire militaire a quelque chose d’étrange à Vincennes quand on passe par le canal des conservateurs…
Or, il s’agit bien du Service HISTORIQUE de la Défense. Tous les pouvoirs de décision et d’organisation devraient revenir à son seul chef militaire, « facilitateur » du travail de ses subordonnés et des chercheurs extérieurs. Ce service est interactif, il doit produire des études pour le ministère de la Défense, souligner les leçons des RETEX à chaque campagne, et elles deviennent nombreuses depuis l’engagement dans les Balkans. Il est tout à fait anormal que la longue lignée des officiers-historiens de qualité, dans l’esprit du général Jean Delmas, soit à ce point négligée, et pour leur avancement et pour le manque de considération dont ils pâtissent. Autre anomalie, pour le moins étrange, qui montre une nouvelle fois que le ministère de la Défense ne sait pas gérer ses richesses en hommes : on trouve dans différents postes en province, où ils perdent souvent leur temps, des conservateurs officiers ayant fait l’école du Patrimoine, dont la place de droit devrait être à Vincennes.
Dès lors que le politique a décidé le regroupement des services, il faut un seul chef, militaire, et une définition claire des missions. Les dyarchies, quelles qu’elles soient, conduisent à l’impasse. Foch, généralissime unique des alliés a donné la victoire à la coalition. Toute chose étant égale par ailleurs, il faut revenir à cette cohérence de l’organisation et à cet esprit volontariste, en affirmant la forte personnalité du SHD sous commandement militaire, puisque comme le nom l’indique, il s’agit bien de la Défense ».