Les théâtres d’opération d’aujourd’hui sont de plus en plus complexes et multiplient en cas de crise internationale les risques d’effets non contrôlés, ce que tout dirigeant raisonnable veut éviter. Le Moyen-Orient et en particulier l’Iran est à ce titre un bon exemple qui permet de réfléchir sur la guerre hybride.
En effet, le coût des guerres qu’il soit financier, humain, politique, diplomatique, conduit au rejet autant que possible à leur recours, sans toutefois les empêcher complètement. Cela n’interdit pas les rapports de force qui restent une caractéristique des relations internationales. Cependant, les États de cette région sont soumis au dilemme du développement économique intérieur qu’il faut concilier avec une politique étrangère bien souvent soumise à des rivalités, sinon des hostilités plutôt qu’à des coopérations.
L’Iran à ce titre est un exemple significatif. Soutien nécessaire à sa stratégie d’influence sinon militaire, l’aide financière iranienne à la Syrie a néanmoins atteint ses limites avec l’application des sanctions américaines sur les avoirs iraniens et l’embargo sur le pétrole. Par ailleurs, les opinions publiques et pas uniquement celles des démocraties, sont sensibles aux pertes humaines. En Iran, l’engagement en Syrie a suscité des oppositions dans la population iranienne. Un État belliciste comme l’Iran enfin conduit à sa marginalisation dans la communauté internationale et donc à son affaiblissement d’autant qu’il est soupçonné de soutenir le terrorisme ou l’instabilité régionale.
Cependant, la guerre hybride trouve ici tout son intérêt. Elle permet un affrontement à moindre coût humain, financier, militaire avec la possibilité d’atteindre son but stratégique. Les actions indirectes remettent en cause les stratégies des États notamment par cette capacité à perturber les relations internationales, un critère qui peut qualifier une guerre « d’hybride ». Ainsi, les attaques de pétroliers dans le détroit d’Ormuz ou dans la baie de Fujaïrah, non revendiquées, sans morts, des navires pris en otage, créent la tension nécessaire et rétablissent un rapport de forces favorable au profit d’un adversaire aux moyens limités comme l’Iran.
Un autre aspect de la guerre hybride est bien sûr cette guerre du Yémen qui n’en finit pas, avec un Iran peu engagé initialement mais qui s’implique discrètement avec des conseillers au moins du Hezbollah libanais auprès des Houthistes, comme en témoignent aussi l’envoi de missiles ou les attaques de drones sur l’Arabie saoudite, les uns et les autres non revendiqués. De même, cette guerre fragilise l’alliance arabe notamment entre l’Arabie saoudite et les EAU devant l’absence de résultats. Le jeu ambigu de l’Arabie saoudite apparaît aussi avec ses alliés « frères musulmans » yéménites opposés aux Houthistes. Les actions militaires ont lieu donc sans déclaration de guerre, sans que l’agresseur ne se dévoile officiellement mais sont largement médiatisées, créant un environnement anxiogène, inquiétant où toutes les stratégies d’influence sont à l’œuvre.
En effet, tout vaut mieux que la guerre y compris pour les Américains et les Iraniens. Il est aisé de commencer une guerre et toujours difficile de la terminer. Donald Trump avait le prétexte pour engager des hostilités lorsqu’un drone américain a été détruit par les Iraniens. Il a cependant fait preuve de retenue. L’Iran a évité pour sa part l’escalade et s’est limité aux menaces pour animer le « théâtre » de la scène internationale. Quant à l’Arabie saoudite et ses alliés, l’affrontement est tout autant évité d’autant qu’une guerre avec l’Iran ne laisse pas entrevoir un vainqueur, seulement des « perdants » compte tenu des rapports de force existant et des alliances.
Enfin et toujours après deux ans de blocus contre le Qatar, ce conflit larvé fait appel à toutes les ressources de la stratégie des deux adversaires soit pour faire plier cet émirat soit pour entraver l’action du quartet arabe anti-qatari. De fait, hormis la rupture des liens économiques entre ces États, l’affrontement n’est pas clos : recherche d’alliés fiables, en particulier par des achats importants d’armement, notamment aux États-Unis, campagne d’influence… Reste l’enjeu majeur de l’organisation de la coupe du monde de football de 2022 au Qatar, sujet sur lequel la FIFA a adopté un profil bas et peu reluisant depuis la crise de 2017.
La guerre hybride, expression moderne sans doute de la stratégie indirecte développée par Liddell Hart, est une stratégie de contournement des règles communément admises dans les relations entre États aujourd’hui. Elle trouve ici toute son utilité dans le contexte moyen-oriental, notamment pour satisfaire les objectifs stratégiques d’un État comme l’Iran.