Cette semaine se tenaient les Assises Nationales 2014 de la Recherche Stratégique. Elles étaient organisées par le Conseil Supérieur de la Formation et de la Recherche Stratégique (CSFRS) sur le thème « Mondialisation, politique et religion : affrontements et perspectives » (Cf. Les assises en podcast). Ce sujet tout à fait opportun a suscité plus de 1200 inscriptions !
Le panel était brillant avec Alain Bauer, président du CSFRS, Louis Gautier, nouveau secrétaire général du SGDSN, Régis Debray, Renaud Girard (je l’avais rencontré en tant que conseiller communication à l’ambassade de France pour la première fois en 1990 aux Emirats Arabes Unis lors la Guerre du Golfe. Cela ne nous rajeunit pas !), Antoine Sfeir, Odon Vallet, Alain Seksid, Xavier Raufer, Gilles Kepel, Delphine Horvilleur (un rabbin et cette fonction ne se met pas au féminin !), Dounia Bouzar.
En synthèse, le thème abordé a vite évoqué d’une manière opportune la menace islamiste et donc à s’interroger sur les parades à trouver pour les démocraties contre la radicalisation djihadiste. Le riche panel a apporté de multiples pistes de réflexion.
Quelques pistes de réflexion
Alain Bauer a fort justement rappelé plusieurs points. Identifier l’ennemi ne va pas plus de soi (Cf. Mes billets du 14 septembre 2014, du 21 septembre 2014 et du 28 septembre 2014). Aujourd’hui la religion supplante la politique pour mobiliser dans la quête d’un idéal. Une nouvelle coexistence entre le politique et le religieux (oserai-je dire forcé) apparaît comme un facteur majeur des crises internationales. Enfin, il remarque que, même aujourd’hui, on subit toujours l’influence de l’histoire et de la géographie.
Pour ma part, moins on apprendra l’histoire et la géographie, moins les nouvelles générations comprendront les enjeux géopolitiques. Plus elles apprendront ce qui constitue le roman national, plus elles participeront et contribueront à l’identité nationale à laquelle elles pourront sinon devront adhérer. Or, plus elles apprendront ce qui n’a que peu de liens avec notre roman national, moins elles adhéreront à la nation. Que fait l’éducation nationale aujourd’hui à travers ses programmes notamment d’histoire sinon justement d’affaiblir le roman national et donc le lien entre les citoyens ?
Louis Gautier a souligné que la religion visait à donner une explication au monde, que la légalité et la légitimité sont désormais en concurrence, instrumentalisées pour les nombreux acteurs, pas tous étatiques. L’instrumentalisation de la religion aboutit à la confessionnalisation des conflits associée à la dimension identitaire. Enfin et surtout, quelles parades une démocratie « qui a besoin de respecter ses propres codes » peut-elle mettre en œuvre contre la radicalisation religieuse ?
Quant à Régis Debray, le village global espéré au siècle dernier a laissé la place aux affrontements permanents entre « villageois ». La surprise vient que la technologie mondiale a entraîné la balkanisation politico-culturelle. Le déficit d’appartenance a amené un surenrichissement identitaire, La mondialisation « travaille » pour la religion en n’apportant que des apports techniques et non des réponses aux questionnements des humains ou des peuples.
La « bombe diasporique » surtout existe. L’immigration de masse a amené le contact forcé et les réactions face à une nouvelle forme d’identité importée. Or, pour Régis Debray, une religion qui s’exporte est plus radicale pour s’affirmer. Il conclura par : « quand le politique recule, le religieux avance », annonçant les débats suivants de la journée.
Renaud Girard, reporter de guerre, a considéré qu’à la différence du XXe siècle, les guerres n’étaient plus idéologiques mais religieuses. Comme Régis Debray, la montée de cet intégrisme pouvait être fixée à 1989. Une fatwa iranienne condamnait le 14 février 1989 les versets sataniques de S.Rushdie. Cependant cette menace n’a pas été prise au sérieux.
Enfin, Xavier Raufer s’est fait le porte-parole des services ( ?) ne pouvant s’exprimer. Il faut diminuer la perception de la menace islamiste grossie par les médias. Il a rappelé que l’EIIL utilisait une armée conventionnelle faite de mercenaires, réfutant de fait la seule dimension terroriste de l’EIIL évoquée par le gouvernement (Cf. aussi mes billets déjà évoqués). L’EIIL a plus de chars que l’armée française. Elle est encadrée par des généraux non islamistes. Quant au recrutement des djihadistes étrangers, les empêcher de partir paraît aux spécialistes une mauvaise idée. Mieux vaut qu’ils partent et qu’ils soient empêchés de revenir (s’ils survivent…). Le problème reste cependant en Europe celui des « recalés » du djihadisme, qui peuvent faire leur « petit djihad ».
Appliquer la laïcité
En France, évoquer la religion revient à évoquer la laïcité ce qu’a fait très brillamment Alain Seksid, inspecteur général de l’Education nationale. Dans les années 70, on ne parlait pas de la laïcité sauf par rapport à l’école libre (et donc le plus souvent contre les établissements catholiques…). En 1989, le débat sur le foulard islamique apparaît grâce à une forte démission du politique. Une loi sur « Le port de signes religieux ostensibles » clarifiera plus ou moins la situation en 2004.
Cependant, l’administration démissionne de plus en plus devant les cas de plus en plus fréquents d’atteinte à la laïcité : « Accepter le voile c’est reconnaître les plus rétrogrades des musulmans ». Non concernées par la loi de 2004, comment comprendre que des universités formant les futurs enseignants acceptent l’expression ostensible des appartenances religieuses et en l’occurrence musulmanes (abayas, voile) avec la complicité ou le laxisme de l’administration. Or ces futurs enseignants portant des signes religieux ostensibles devront enseigner les principes de l’Etat républicain et laïque.
Si je prends en considération l’autorisation donnée le 21 octobre 2014 par Najat Vallaud-Belkacem (dont le mari est secrétaire général adjoint de l’Elysée…), aux mères musulmanes affichant leur appartenance religieuse d’accompagner les sorties scolaires, ne faut-il pas s’inquiéter d’une politique peu laïque ? Cette banalisation de l’Islam affichée est grave dès lors qu’une partie de la communauté musulmane combat notre société. Si les chrétiens et les juifs notamment portant ostensiblement leurs symboles religieux (kippas, croix…), que dirait le ministre ?
Concernant la radicalisation, Gilles Kepel a souligné que, pour la première fois, on voyait tous les égorgements dans les vidéos. Il s’est demandé si nous n’étions pas revenus au sacrifice humain. Il a remarqué que ces assassinats étaient mis en scène et que ces mises en scènes ressemblaient par bien des aspects à la saga wahhabite.
Dounia Bouzar a réalisé quant à elle un travail d’enquête depuis janvier 2014 à partir de plus de 200 familles. En effet, comment expliquer qu’un discours terroriste puisse avoir un effet sur les jeunes dont 50% de filles ? Il touchait hier des individus fragiles. Aujourd’hui il touche des jeunes sans problème. Le radicalisé utilise un discours binaire, s’appuyant sur la primauté du groupe qui est plus pur et supérieur au reste du monde. A ce titre, il peut exterminer ceux qui ne pensent pas comme lui. Le mythe de complot favorise aussi le recrutement : tout le monde « ment ».
Pour conclure, notre société favorise-t-elle l’émergence du djihadisme ?
Oui, je le pense sans aucun doute. La guerre contre la religion, en l’occurrence catholique, menée depuis 1905 par des laïcs engagés, a affaibli la religion majoritaire dans notre pays et a favorisé l’émergence des religions minoritaires, au nom d’une tolérance mal comprise : la tolérance ne peut exister que si elle est mutuelle et ne menace pas les libertés de la majorité. Etre croyant a été combattu depuis des décennies. Reconnaissons que l’Eglise catholique n’a pas forcément été capable de répondre aux évolutions du monde moderne.
Cependant, la crainte de l’Islam radical a créé un nouveau discours. Toutes les religions sont devenues respectables. Cependant, l’échec a été patent. La laïcité est désormais menacée. De fait, une sécularisation « laicarde » de notre société a effacé les repères religieux qui définissaient ce qu’étaient le bien et le mal. Elle a laissé la place à des religieux convaincus et usant des tolérances offertes par notre société de libertés. Leur objectif vise à changer le fonctionnement de notre société en fonction de critères religieux.
L’affaiblissement du fait religieux majoritaire n’explique pas tout. Le rejet idéologique depuis des dizaines d’années de l’identité nationale, de la construction de la nation par assimilation, du patriotisme qui unifie le peuple, de la valorisation de notre histoire a supprimé les repères des jeunes générations. Les démissions morales, le manque de courage, les calculs politiciens ont créé cette situation favorable où un jeune déstabilisé cherche une autre voie, y compris celle de la violence religieuse. Il n’adhère plus aux valeurs de la République. Il ne la reconnaît plus. Il la combat.
Cette perte des repères est en effet favorisée par une société où l’éthique et les valeurs, souvent évoquées, ne sont plus que des affichages dissimulant les turpitudes les plus diverses. Je ne prendrai que les exemples de cette semaine (vous pouvez multiplier les exemples presque par 52 semaines) sans oublier que le chômage et les échecs de l’éducation nationale, bien que premier budget de l’Etat, n’arrangent pas la situation…
Soupçons de délits d’initiés à la BNP, manipulation dans le football, démission du secrétaire d’état à la défense pour des conflits d’intérêts, attaque en règle contre le chef de l’Etat à l’étranger par son ancienne compagne, oserai-je dire aussi de son ex -maitresse, affichage de sa nouvelle compagne, scandale des indemnités des conseillers en cabinet (Cf. le Monde du 20 novembre 2014 et blog du député PS Dosière), j’y rajouterai le départ progressif de conseillers des cabinets ministériels depuis plusieurs mois vers les entreprises privées ou publiques sans doute plus lucratives, débâcle des fleurons de l’économie (citons Areva dont le président actuel aurait menti sur la réalité de la situation de l’entreprise « pour faciliter sa reconduction », Le Monde du 20 novembre) et … « débarquement » par le gouvernement de celui qui l’avait dénoncé préalablement, manipulations politiques entre présidentiables, travaux somptuaires à la CGT (vite oubliés), enfin, et plus grave, des mesures incomplètes de rétorsions contre les Français djihadistes, ce qui ne va pas dissuader les candidats.
Et vous croyez qu’avec cette société française, il soit possible de dissuader des jeunes de rechercher une autre voie, même criminelle ? Changeons d’abord notre société et peut-être que nous dissuaderons ces jeunes de devenir des djihadistes. Ils ont sans aucun doute choisi une cause condamnable mais leur démarche pourrait bien nous être imputable.