samedi 5 octobre 2024

Sécurité nationale et djihadisme, une longue guerre en perspective

La guerre se rapproche de l’Europe. L’Ukraine peu présente dans l’information au quotidien subit un cessez-le-feu précaire alors que l’OTAN y organise des manœuvres et dénonce la poursuite des infiltrations russes (Cf. Nouvelobs du 20 septembre 2014). Surtout, le monde musulman poursuit sa crise « intérieure ».

Les djihadistes menacent aujourd’hui la paix que ce soit au Moyen-Orient, dans la péninsule arabique, en Afrique, en Asie ou sur le territoire européen. Chaque semaine ou presque, une métastase djihadiste est éliminée avant qu’elle n’ait eu le temps de commettre un acte de terrorisme, sinon de guerre. Car ne sommes-nous pas en guerre ?

Or, l’Europe peine collectivement à faire face, au point que cela en paraît affligeant. La France seule, ou presque, réagit militairement avec vigueur certes mais dans la limite des moyens dont elle dispose aujourd’hui. Le surcoût des opérations extérieures dépasserait en 2014 un milliard d’euros (Cf. La Tribune du 19 septembre 2014). Il excède la provision initiale inscrite dans le budget du ministère (450 millions d’euros) sachant que le surcoût devrait rester à hauteur de 20% à la charge du ministère de la Défense. Une encoche de 200 millions d’euros au budget de la défense en perspective alors qu’il manquerait déjà deux milliards pour 2015 (Cf. Le Monde du 20 septembre 2014). Les OPEX avaient déjà coûté 1,2 milliards d’euros en 2013.

Une menace djihadiste progressivement combattue

Dans sa quatrième conférence de presse du 18 septembre, le président de la république a officialisé cette guerre contre le « terrorisme ». Il a donné un certain nombre d’éléments sur lesquels je reviendrai au fur et à mesure de ce billet. 

Le ministère de la défense est fortement impliqué, paradoxe de la diminution des armées et d’engagements militaires croissants aux coûts certains. La France a livré des armes, accordé un appui aérien à l’Irak mais n’enverra pas de corps expéditionnaire (à mon avis, à voir car cela dépendra de la destruction de l’EIIL). La présence au sol d’instructeurs au Kurdistan est néanmoins constatée par plusieurs médias.

Comme l‘a rappelé le président de la République, « Mon premier devoir, c’est d’assurer la sécurité de la France » face à « un terrorisme qui prétend non plus simplement contester les Etats mais prendre leur place ». Cependant, je remarquerai que tout mouvement insurrectionnel, y compris par des moyens terroristes, vise à remplacer le pouvoir en place ou à créer un Etat à sa main. Qu’ont fait hier Israël, l’Algérie et bien d’autres Etats ? Ne sommes-nous pas à une période de reconstruction des Etats, l’Ecosse ce jeudi et peut-être la Catalogne bientôt étant des exemples pacifiques de cette remise en cause des frontières issues de l’histoire ? L’engagement militaire ne pourra pas être limité au strict minimum.

Surtout, la France a-t-elle les moyens humains, sinon financiers à l’extérieur ou sur le territoire national pour faire face à la menace, notamment avec l’augmentation des candidats au djihad ? Ne faut-il pas penser en stratège, donc en appréhendant les futurs possibles plutôt qu’en réaction bien souvent corrélée avec une situation intérieure difficile ?

Agir en stratège

Que signifie agir en stratège ? L’objectif, ou état final recherché, doit être clarifié dans une approche à long terme : les djihadistes doivent être défaits, n’avoir aucun doute sur notre volonté de les éradiquer, ne pas contrôler une base territoriale qui leur permet de disposer d’un statut d’Etat souverain, de capacités économiques, d’une population à encadrer que ce soit dans un Etat étranger ou sur le territoire national, de s’entraîner et de se remettre en condition.

Il faut cependant prendre en compte le fait que ces combattants, comme tous les fanatiques, pourront difficilement être dissuadés d’agir par la violence armée. Seuls restent leur élimination physique d’une part, l’assèchement de leur vivier de recrutement d’autre part, enfin la détermination à les combattre de ceux qu’ils menacent.

Nous sommes bien engagés dans une guerre idéologique. Laurent Fabius twittait le 17 septembre : « Il faut mener un combat idéologique pour dire que daech n’a rien à voir avec la religion musulmane qui est une religion de paix ». De fait nous pouvons regretter que la dénomination de l’ennemi (Cf. Mon billet du 14 septembre 2014) n’ait pas été réfléchie en amont. Il a fallu l’assassinat de journalistes comme détonateurs. Le refus aussi d’utiliser le terme d’état islamique aurait été spontané il y a quelques années mais nous avons oublié les principes de la guerre idéologique et de l’usage des mots dans ce contexte (Cf. Rue89 du 18 septembre 2014). Et cela est bien dommage.

Pratiquer une stratégie d’influence

Tout combat idéologique implique en effet une stratégie d’influence pour changer les perceptions de l’ennemi, sinon de notre opinion publique. Or, la guerre djihadiste est menée sur internet avec une certaine habilité. Condamner la propagande islamiste par une loi est un habillage juridique, sans doute une arme de plus, mais pourquoi avoir attendu si longtemps alors que l’OTAN combattait déjà cette propagande en Afghanistan depuis plus de dix ans, la France ne l’assumant pas vraiment malgré une réflexion dans les armées (Cf. Concept interarmées de 2012 sur « L’influence en appui aux opérations »).

Cette guerre sans frontières et sans limite de durée nécessite des expertises et des ressources aujourd’hui présentes, certes d’une manière insuffisante, dans les armées. Celles-ci pourraient pourtant assumer à temps plein cette longue guerre en coordination avec les forces de sécurité intérieures mais aussi dans le cadre de la « cyberguerre ». Elle mériterait une réorganisation des ressources humaines et financières (je sais, encore une) mais faire la guerre avec quelques Rafales pour des actions ponctuelles, ne pourra pas suffire pour défaire un mouvement insurgé, idéologique et fanatique.

Combattre juridiquement le djihadisme sur le territoire national avec efficacité

Les lois « antiterroristes » ont été votées par l’Assemblée nationale mais cette criminalisation du futur « terroriste » supposé n’est-elle pas une menace sur les libertés individuelles ? Le Monde s’en est ému. Jean-Jacques Urvoas y a répondu dans le Monde du 19 septembre et sur son blog  (Cf. Blog de Jean-Jacques Urvoas). Oui, le djihadiste doit être combattu avec détermination, avec toute notre volonté et toutes nos armes mais anticiper l’acte terroriste et ne pas le différencier de l’acte combattant reste grave. Aujourd’hui les djihadistes, et demain qui sera le terroriste ?

En tant que citoyen, je me pose aussi quelques questions. Nos prisons déjà surpeuplées seront-elles assez grandes pour accueillir tous ces djihadistes potentiels ou de retour ? Elles sont déjà un lieu de recrutement (Cf. Mon billet du 15 juin 2014, « Une menace djihadiste de plus en plus précise »). Les djihadistes non coupables de crimes de sang seront-ils incarcérés ? Le bracelet électronique sera-t-il suffisant pour neutraliser l’apprenti djihadiste ? Un djihadiste d’aujourd’hui sera-t-il demain un musulman modéré ?

Quel va être aussi le statut du djihadiste français de retour d’Irak, de Syrie ou d’ailleurs ? S’il a été blessé, notre service de santé et notre sécurité sociale vont-ils assurer sa prise en charge ? Comme contribuable, je ne souhaite pas que mes impôts et mes prélèvements sociaux aillent à ces gens. Je pense que beaucoup de nos concitoyens plus dans le malheur doivent être bénéficiaires de cet acte social.

Se mobiliser

Se mobiliser mais avec qui ? Le soutien de l’opinion publique est relativement faible. 53% des Français sont favorables à un engagement militaire de la France en Irak contre l’Etat islamique (Cf. IFOP pour le JDD du 20 septembre 2014). Compte tenu de l’érosion naturelle, quel sera ce soutien à terme ?

Pour mobiliser, il faut une communauté nationale unie pour faire front. Si je me réfère au sondage réalisé par l’agence de presse russe Rossiya Segodnya, mais repris par Newsweek le 26 août 2014 (Cf. Newsweek), 16% des citoyens français avaient une opinion positive de l’EIIL dont 27% des jeunes de 18-24 ans. Je ne connais pas la fiabilité de ce sondage. En revanche, je m’étonne ne pas avoir lu ce type de questions posées régulièrement dans des sondages français. Certes cela a pu m’échapper. Néanmoins, cela lèverait bien des doutes et serait peut-être rassurant en évitant des amalgames.

Cependant, outre ce sondage, quelques faits méritent notre attention. Ainsi, dès le 16 juin, l’ONU condamnait les massacres en Irak par l’EIIL. Fin juillet, contre les opérations militaires à Gaza, des manifestations rassemblaient notamment des extrémistes de gauche et des islamistes dans les rues françaises. La première condamnation des massacres en Irak par la communauté musulmane a été celle d’un imam de Lyon le 20 août. Le 9 septembre, une partie des représentants de l’Islam de France mais sans l’UOIF, proche des frères musulmans, émettait à son tour une condamnation.

La longue guerre contre les djihadistes n’est donc pas gagnée si la nation française dans sa diversité n’est pas unie et renforcée contre cette menace.

Le retour du service militaire pour rétablir la cohésion nationale ?

Enfin, une cohésion nationale peut-elle s’affranchir de la possibilité d’appeler les citoyens à défendre leur pays. Or, personne n’a relevé, sauf erreur de ma part, l’affaiblissement de l’esprit de défense qui devrait régner au sein de la Nation. Dans son appel au renforcement du service civique et au nom de l’engagement, dans le contexte des « crises qui se produisent partout ailleurs », le président de la République a déclaré le 18 septembre : « Le service militaire a été supprimé, il ne sera pas rétabli ! ». Il a donné le coup final au leurre de la suspension du service militaire. Un siècle après l’engagement du peuple français en 1914, le service militaire a reçu son acte de décès.

L’engagement par les armes pour la nation est de fait considéré comme inutile. Cette question du retour à la conscription était certes souvent évoquée entre officiers dans les états-majors. Si demain la menace était réelle, comment remettre en vigueur un service militaire suspendu ? En nous appuyant sur les tendances constatées dans la société civile, nous n’y croyions pas mais il fallait bien l’imaginer.

De fait, le président de la République a eu un discours de vérité mais a effacé un pan complet de notre cohésion nationale, pourtant une idée majeure de la gauche, celle de la défense citoyenne. Il n’en reste pas moins que la sécurité nationale et la protection des citoyens sont désormais de la compétence exclusive des armées, de la gendarmerie et de la police. Les budgets et les ressources humaines seront-ils suffisants dans tous les cas de figure ?

Quelles conclusions, rapides, faut-il retirer de cette suppression du service militaire ? L’esprit de défense qui est la capacité et la volonté de défendre son pays par les armes n’est plus d’actualité. Une population qui accueille une immigration annuelle importante ne sera plus confrontée au devoir éventuel et collectif de protéger une société commune.

Or, le « vivre ensemble » ne signifie pas seulement se côtoyer et bénéficier unilatéralement de ce qu’apporte l’Etat. Lorsque la menace s’affirme, il signifie aussi une mobilisation autour de principes et de valeurs qui rassemblent et justifient un engagement total. Dans sa volonté d’élargir le service civique, le président de la République a demandé au gouvernement de donner plus de « droits ». Je ne peux que m’interroger : le service civique, engagement citoyen ou engagement par intérêt ? Le colonel Michel Goya n’aurait-il pas raison dans sa vision apocalyptique de notre société d’ici 2050 (Cf. Michel Goya, « Apocalypse bientôt » sur son blog le 14 septembre) ?  Je ne suis pas loin de le penser.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
ARTICLES CONNEXES

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Merci de nous soutenir !

Dernières notes

COMMENTAIRES RÉCENTS

ARCHIVES TB