vendredi 6 décembre 2024

Nahel a été tué par l’impunité systémique des cités

Quand une jeune femme se fait assassiner sans raison à l’aube de sa vie, les Français déposent des fleurs, des nounours et des bougies. Leurs proches brisés ravalent leur souffrance et demandent que justice soit faite et l’opinion publique passe à autre chose.

Il est donc troublant que la mort d’un mineur de cité connu des services de police déclenche des émeutes sanglantes — plusieurs centaines de policiers et gendarmes ont été blessés — et destructrices.

« Ça aurait pu être mon petit frère ! » s’est exclamé un joueur de football indigné. Ça n’aurait pas pu être le mien. Ni un de mes fils. Pourquoi ? Parce que ni mon frère, ni mon fils ne se seraient retrouvés illégalement au volant d’une voiture de luxe, ni n’auraient refusé d’obtempérer lors d’un contrôle. La situation dans laquelle s’est trouvée Nahel n’est pas normale. Prétendre le contraire revient à entretenir une culture de la transgression impunie, toujours plus loin, jusqu’à l’irréparable : la mort d’un passant lors d’un rodéo, d’un policier lors d’un barrage forcé ou du délinquant lui-même. Nahel n’est pas mort d’une balle tirée par un policier. Il est mort parce que toutes les conditions structurelles ont été réunies pour préparer cette fin tragique. Si ce n’avait été lui, cela aurait été un autre.

Renoncement éducatif, culture de l’excuse, victimisation, communautarisme ethnoculturel, assistanat, délinquance, frustrations, ressentiment et révoltes ont été cultivés et entretenus depuis plusieurs décennies, par facilité dans le cas des autorités, par intérêt dans celui d’association ou de groupes plus ou moins subversifs. L’état actuel des banlieues résulte de l’ingénierie sociale de la révolte et de la sécession mise en place.

Les forces de l’ordre ont avant tout un rôle de régulation qui repose sur la peur statutaire du gendarme et sur l’acceptation de son autorité. Les réfractaires forment une minorité rejetée par le corps social et réprimée par les agents dont c’est la fonction.

Les choses se compliquent lorsque, forts d’une impunité structurelle et systémique, des pans entiers du territoire rejettent la loi et ceux chargés de la faire respecter. La régulation devient l’exception et la répression la norme. L’environnement devient conflictuel, dangereux. C’est le cas des quartiers qui s’enflamment depuis trois jours.

Multirécidiste, Nahel s’est placé une fois de trop dans une situation à risque. Sa mère, n’a pas su l’éduquer et lui apprendre à peser le poids de ses actes. L’enquête dira si le policier qui a tiré, était dans son droit ou pas. En tout état de cause, une vie a été prise, deux autres au moins ont été brisées. Il faudrait une singulière bassesse d’âme et un manque total d’esprit critique pour n’incriminer qu’un des protagonistes ou pour prendre un parti sans réserve ni compassion. Ils ont été pris dans une situation à risque devenue malheureusement tellement commune qu’elle ne pouvait statistiquement que déraper.

Une partie de la population qui vit en France se place dans désormais une optique de confrontation. Pour y répondre, on confie aux forces de l’ordre une mission de coercition avec les moyens et l’approche d’une simple régulation. La contradiction béante ne peut qu’engendrer mécaniquement des drames. Ces évènements ne sont pas des accidents, redisons-le, mais l’expression inévitable d’une situation de crise.

Le plus inquiétant est qu’elle se dégrade. Laisser la boule dévaler la pente et rouler en prenant de la vitesse, c’est accélérer la fragmentation de notre société et multiplier les drames à venir. Autant commander à l’avance des cercueils et des fleurs.

Malheureusement, vouloir la retenir impliquerait de changer de direction et d’admettre que les mots, les idées, les valeurs, les politiques et les comportements promus dans les banlieues depuis plusieurs décennies y ont accouché d’un désastre. Des susceptibilités seraient froissées, des habitudes perturbées, des intérêts atteints. Il faudrait s’attendre à des résistances fortes, y compris armées. Plus on est permissif, plus la reprise en main est dure. Les renoncements successifs nous ont ainsi enfermés dans un dilemme : le seul moyen d’éviter le chaos qui se profile est d’accepter une confrontation paroxysmique avec les individus, les groupes et les réseaux qui tirent profit de la situation actuelle.

Le sujet appelle a minima une réflexion collective au-delà de l’émotion du moment. En avons-nous encore les capacités ? Paul Valéry disait des Français qu’ils étaient le peuple le plus spirituel du monde, le seul chez lequel le ridicule ne pardonnait pas et avait joué un rôle politique. Il semble que ce jugement appartienne désormais à l’histoire. Lorsque M’Bappé, personnage sympathique au demeurant, a publiquement qualifié Nahel de « petit ange parti trop tôt », les Français n’ont pas ri.  Cela est presque aussi inquiétant que la situation des territoires perdus de la République. Alors que leur société se disloque, ils ont déjà perdu leur âme.

Raphaël CHAUVANCY
Raphaël CHAUVANCY
Raphaël CHAUVANCY est officier supérieur des Troupes de marine. Il est en charge du module "d’intelligence stratégique" de l'École de Guerre Économique (EGE) à Paris. Chercheur associé au CR 451, consacré à la guerre de l’information, et à la chaire Réseaux & innovations de l’université de Versailles – Saint-Quentin, il concentre ses travaux sur les problématiques stratégiques et les nouvelles conflictualités. Il est notamment l'auteur de "Former des cadres pour la guerre économique", "Quand la France était la première puissance du monde" et, dernièrement, "Les nouveaux visages de la guerre" (prix de la Plume et l’Epée). Il s’exprime ici en tant que chercheur et à titre personnel. Il a rejoint l'équipe de THEATRUM BELLI en avril 2021.
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