Devoir de vacances intéressant (au moins pour moi), l’analyse de l’ensemble des comptes rendus sera délivrée tous les deux jours à partir de ce billet.
Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, a été auditionné le 5 juillet 2012 dernier. Je remarque son évocation sur sa présence assidue à cette Commission pendant près de 25 ans, « quels qu’aient été les gouvernements ». Il a souligné que cette commission de la défense nationale et des forces armées exprimait « l’image d’un respect mutuel, les commissaires étant avant tout soucieux, dans leurs échanges et par-delà les oppositions partisanes, de l’intérêt national et des forces armées ». Il est d’ailleurs intéressant de lire qu’il ne croit pas que« cet esprit existe de la même façon dans les autres commissions de l’Assemblée nationale ». Enfin, s’adressant à la commission, « Seul l’intérêt national doit présider à vos travaux et à notre collaboration, que je souhaite active ». Comme le rappelle le ministre, « les questions de défense ne se devinent pas : elles s’apprennent et exigent du travail » (voir mon billet précédent sur la présence parlementaire).
Quelles sont les informations à retenir de cette audition ?
1) Budget. La défense ne sera pas une variable d’ajustement et la LPM sera appliquée jusqu’à son terme, notamment en ce qui concerne les 54 923 suppressions de postes (chiffre pourtant non cité dans le rapport de la cour des comptes sur le bilan à mi parcours de la LPM diffusée en juillet mais affiché dans le rapport du sénat du 11 juillet sur la mise en place des BDD). Il manque cependant 4 milliards dans la LPM en cours sans inclure l’augmentation d’1% prévue initialement pour cette année. Comme pour tous les autres ministères, les crédits de fonctionnement diminueront aussi de 7 % en 2013.
2) Afghanistan. Une explication sur le retrait d’Afghanistan a bien sûr été donnée. La France est dans l’organisation de l’après-FIAS, avec, notamment, le traité franco-afghan, initié par le président Sarkozy, confirmé par le président Hollande et dont la ratification a été soumise à l’Assemblée nationale et au Sénat durant le mois de juillet. La France assumera sa mission au sein de la FIAS jusqu’à la fin de son mandat en 2014.
3) OTAN. La France est un allié responsable au sein de l’OTAN tout en préservant son autonomie au sein de celle-ci. Une personnalité désignée par le Président de la République aura deux ou trois mois pour rendre, en toute indépendance, une évaluation (et non un audit) sur notre retour dans le commandement intégré de l’OTAN. Elle sera rendue publique. En matière de défense antimissile, le projet initial, fortement teinté de la volonté de supplanter la dissuasion nucléaire grâce à la supériorité technologique et industrielle américaine, n’est plus d’actualité. Ce qui domine aujourd’hui c’est la complémentarité entre dissuasion et défense antimissile, qui ne peuvent se substituer l’une à l’autre, tel que cela était voulu par la France.
4) Il sera proposé que le lien armée-Nation fasse l’objet de discussions dans le cadre de la rédaction du Livre blanc. Il s’agit de repenser la journée « défense et citoyenneté » et s’intéresser à la manière dont les réserves sont organisées.
Quel est l’état de la défense selon le ministre de la défense ?
1) Situation de nos forces. Nos forces doivent être entraînées : à quoi sert-il d’avoir de nombreux soldats s’ils ne sont pas performants ? Les craintes exprimées par les chefs d’état-major d’armée sur la préparation opérationnelle des forces sont reprises par le ministre de la défense.
2) Défense européenne. Selon les Etats-Unis, l’Europe doit prendre ses propres responsabilités dans l’Alliance, sous peine de devenir un simple client à l’OTAN – argent contre sécurité (et nous savons que l’argent n’est pas là). En ce qui concerne des coopérations, le bilan semble bien en-deçà des attentes notamment avec le Royaume-Uni, et ce malgré le traité de Lancaster House. La France a par ailleurs relancé le triangle dans le cadre du Triangle de Weimar.
3) Relations entre les civils et les militaires au sein du ministère de la défense. La problématique des BDD et sans doute des responsabilités de commandement se posent. Le ministre perçoit des tensions entre civils et militaires qu’il « n’imaginait pas auparavant ».
4) La politique industrielle de défense peut être menacée par la réduction des budgets de défense, et le ministre s’inquiète d’un risque de disparition de notre industrie de défense (selon le député Deflesselles, l’industrie de défense représente 165 000 postes avec un chiffre d’affaires de 17 milliards d’euros, une balance commerciale positive de près de 3 milliards) dont l’utilité notamment au niveau européen a pourtant été reconnu lors du sommet de l’OTAN à Chicago.
Que puis-je en déduire ?
1) Le processus sur la future politique de défense en plusieurs étapes est bien confirmé : poursuite de la LPM en cours, un Livre blanc, un budget 2013 de transition, une nouvelle LPM.
2) Le format des forces sera défini par la prochaine LPM en fonction des orientations du Livre blanc. Cependant il est ouvertement affirmé que la déflation d’effectifs est de 55000 et non de 54000 personnels. La problématique de trouver les postes à supprimer se posera avec encore plus d’acuité.
3) J’évoquerai la réflexion du ministre sur « les missions réservées à nos forces, celles que nous ferons en mutualisation et celles que nous ne ferons pas ». La référence à une « mutualisation » n’est pas anodine car elle indique implicitement que nous allons peu ou prou vers un abandon de missions et donc de capacités militaires.
4) Sur les relations avec les civils de la défense, la problématique est celle de la permanence dans les postes. Un officier est muté tous les trois ans en moyenne. Un civil reste en place et donc avec son expérience contrôle à terme l’ensemble du système au détriment des militaires. A mon avis, il ne pourra y avoir de meilleures relations sans qu’une forme de mobilité professionnelle ne soit aussi imposée aux civils, sachant d’ailleurs que tout poste « donné » à un civil reste civil même si un militaire peut aussi le tenir (exemple de la DICOD). Il s’agira aussi d’appliquer la réciprocité.
5) Pour répondre à son besoin de sécurité conçu dans un cadre européen, la France, Etat charnière sinon pivot de la défense en Europe, compte agir en interface d’une part avec le Royaume-Uni, d’autre part avec l’Allemagne et la Pologne. Cependant la question n’est pas mutualiser des portions de capacités mais d’être capable de mener les actions militaires nécessaires à la sécurité du pays. Or la Libye a montré les limites de l’exercice.