mercredi 27 novembre 2024

Quelle doctrine contre l‘idéologie salafiste ?

Le mercredi 5 octobre 2016, l’opinion internationale organisait un colloque à l’Assemblée nationale sur le thème « « Comment interdire la propagation des idéologies politico-religieuses radicales qui menacent la République et l’Islam de France ? » afin de débattre sur l’opportunité de soutenir la proposition de loi du 30 août 2016 déposée par Nathalie Kosciuscko-Morizet qui vise à pénaliser la prédication subversive, en l’occurrence le salafisme (Cf. Proposition de loi).

Introduit par Michel Taube, fondateur d’Opinion Internationale, ce colloque était organisé en trois tables rondes qui traitaient chance de l‘un des thèmes suivants :

  • Comment interdire la propagation des idéologies radicales tout en respectant la liberté religieuse ?
  • Comment prévenir les radicalisations : les réponses des praticiens et responsables associatifs ?
  • Comment pénaliser les idéologies radicales, cette table ronde donnant notamment la parole à Nathalie Kosciuscko-Morizet, députée LR ?

Globalement, la majorité des intervenants ne soutenait pas la proposition de loi dans la mesure où les lois existantes devraient pouvoir faire face à la menace si elles étaient totalement appliquées.

Pour ma part, je traitais dans la première table ronde du sujet « Quelle doctrine contre l’idéologie salafiste ? ». Ma position tend plutôt vers l’élaboration d’une stratégie globale (et non d’une doctrine, terme peu exact dans ce contexte) qui précise les objectifs à atteindre par notre société en vue de réarmer les esprits face à la menace de l’islamisme radical sur notre société et sur notre mode de vie. Une loi contre la prédication subversive peut contribuer utilement à cette stratégie mais une mesure législative ne pourra pas répondre à toutes les formes de la menace.

Plusieurs questions méritent à mon avis d’être évoquées préalablement.

  • Ne faut-il pas s’interroger sur ce que chacun d’entre nous a fait ou n’a pas fait pour que notre société génère cette menace intérieure ? Quels ont été donc les blocages, les incompréhensions, les divergences, les échecs de notre société ?
  • Comment comprendre qu’une communauté radicalisée de 15 000 à 20 000 membres, familles comprises, certes comprenant environ 2 000 combattants et non combattants en Syrie ou de retour de Syrie, puisse nuire et menacer une société française de plus de 66 millions d’habitants ? N’est-ce pas le résultat d’une trop grande tolérance au nom des libertés qui a bénéficié aux minorités au détriment d’une majorité ?
  • Ensuite, dans quelle mesure et dans quels délais l’approche sécuritaire peut-elle contribuer à une victoire sur l’islamisme radical dans son expression la plus violente qu’est le salafisme de daech ou d’Al Qaida, ennemis d’aujourd’hui et de demain, notamment sur le territoire national ?
  • Finalement, pourrons-nous combattre efficacement l’islamisme radical si notre société devenue faible et permissive se limite à la seule approche sécuritaire et n’est pas refondée dans son fonctionnement ?

Ces questions étant posées, dans un conflit idéologique qui s’annonce sur la période d’une génération, sommes-nous capables d’élaborer une stratégie qui dépasse le seul projet politique sur cinq ans d’une candidature présidentielle ? Sommes-nous capables d’élaborer une doctrine de combat qui organise la synergie des capacités de l’Etat, mobilise la société française, et fait émerger un contre-discours efficace contre la propagande salafiste, support de la stratégie ennemie, et si oui avec quelles limites dans une démocratie du XXIe siècle ?

Un bref panorama de notre société

Je constate donc que nous sommes en guerre idéologique qui s’exprime par une opposition, sinon une lutte à mort entre deux systèmes de valeurs et donc deux modèles de société qui ne peuvent vivre ni ensemble, ni à côté.

Notre préoccupation immédiate vise à faire face, dans une situation défensive et subie, à une minorité fanatisée, violente, convaincue de sa juste cause. Elle agit certes à l’extérieur de nos frontières mais aussi et surtout sur le territoire national pour changer les règles de fonctionnement de notre société d’abord par la terreur mais aussi par une occupation visuelle, physique. Celle-ci serait sans doute passée inaperçue hier mais elle ne devenait aujourd’hui l’expression d’une identité religieuse affirmée et revendicative dans l’espace public.

En effet, cette menace ne peut pas être comprise dans la seule dimension de la violence physique mais aussi dans son approche subversive qui vise à rendre notre société plus perméable aux influences extérieures en faisant évoluer ses lois sous le couvert de la multiculturalité et du respect de la différence.

Notre société contribue à ce mouvement en développant progressivement l’encadrement de la pensée et des mots. Je citerai par exemple : ne stigmatisons pas en proposant des mesures ou en proférant des termes qui seraient inappropriées envers une minorité, acceptons les dérogations à la laïcité au nom de la paix sociale dans les communes ou les entreprises (Cf. la loi El Khomri), promouvons la connaissance de la langue arabe à l’école telle que proposée par Najat Vallaud-BelKacem ou par l’institut Montaigne pour mieux comprendre le Coran…

Le salafisme djihadiste prolifère sur un terreau favorable comme les différents autres extrémismes qu’ils soient de gauche ou de droite.

Après ce bref panorama, que faire ?

Il est donc temps de réarmer notre société moralement et intellectuellement, sinon psychologiquement pour faire face à une idéologie qui veut l’asservir. Cela conduit à une stratégie à long terme qui définirait une approche globale de la réponse à apporter.

Elle doit en premier lieu fédérer les actions des services de l’Etat et organiser leur synergie pour agir dans le long terme. Sans être exhaustives, plusieurs orientations apparaissent :

  1. Hormis les actions contre les acteurs de violence qui sont traités par les forces de sécurité, le service public, qui est laïque et comprend 20% de la population active, peut être une réponse efficace à la menace avec l’application stricte des lois et des règles administratives. Bien appliquées, au besoin amendées par le législateur, elles peuvent imposer le cadre républicain à tout individu rebelle aux règles de la Nation. Celui qui menace la société ne doit bénéficier ni sa protection, ni de ses avantages ;

 

  1. L’école doit être mobilisée pour que la jeunesse ne dévie pas et soit attachée à la France, la République, ses valeurs. Tout enseignant, agent de l’Etat doit appliquer strictement les directives de l’Etat pour prévenir la radicalisation.

 

  1. L’entreprise doit être sensibilisée et aidée contre toute forme de prosélytisme religieux ;

 

  1. La société dans son ensemble doit être rendue résiliente face à la menace de l’islamisme radical. Outre l’éducation et l’information, les conditions socio-économiques aujourd’hui dégradées ne peuvent être ignorées et le mieux-être de la population doit être un objectif constant ;

 

  1. Pour soutenir ces orientations, l’Etat doit élaborer en permanence un contre-discours crédible et objectif pour unir la Nation. Seule une nation unie peut faire faire aux mouvements idéologiques salafistes. Cela conduit à donner une vision commune, oserai-je dire patriote, hors des projets politiques des partis, pour faire adhérer à la communauté nationale à son projet commun du « vivre ensemble » ;

 

  1. Concernant le fait religieux, l’islam français doit être construit, même si cela dérange les habitudes issues de la loi de 1905, avec des imams français, formés par l’Etat, avec un coran imposé en français. La laïcité doit être acceptée sans compromis par toutes les composantes de l’Islam qui, seul, aujourd’hui pose des difficultés au sein de la République ;

 

  1. Enfin, le personnel politique au niveau national comme au niveau local doit être ferme, malgré ses objectifs électoraux, et sans compromis dans sa défense de la société française afin d’éviter toute dérive communautariste. Un élu communautariste peut-il rester en poste malgré une élection ?

Pour conclure

Nous ne devons pas donner au salafiste la possibilité de nous vaincre de l’intérieur. Le salafisme doit être combattu :

  • Physiquement dans la durée, là où il se trouve, pour le mettre en situation d’insécurité permanente et lui rendre de plus en plus difficile la réalisation de ses objectifs militaires ou terroristes ;
  • Intellectuellement pour montrer la fausseté de son approche politico-religieuse pour d’une part lui retirer tout espoir de vaincre, d’autre part lui retirer sa capacité d’attraction auprès de notre population ;
  • Sociétalement sous l’angle des valeurs de la République : les causes de désocialisation au sein de notre société doivent être réduites en élaborant sans aucun doute un nouveau contrat social encore à imaginer.

En s’appuyant sur une majorité unie par le cœur et l’esprit, sur les valeurs de la République qui ne peuvent se limiter à évoquer avec persistance, sinon dogmatisme, sa devise « Liberté, Egalité, Fraternité », il s’agit de prouver que notre société, malgré ses défauts, est plus bénéfique à la population et à l’individu que la société prônée par les salafistes. Cette résistance ne peut donc pas se limiter à de simples paroles, des déclarations ou des lois qui s’accumulent.

Notre société doit prouver désormais sa volonté, sa force à résister et à innover dans ce nouveau contrat social. Il est temps de se mobiliser et de s’engager collectivement et individuellement.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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