mardi 5 décembre 2023

Réalités de la semaine sur les questions de défense et rêve de Noël

Comme je l’avais évoqué lorsque j’ai débuté ce blog, il se passe ou est évoqué chaque semaine des événements concernant la défense nationale. Je vais donc faire quelques commentaires sur les nombreux faits qui façonnent la réalité du monde de la défense depuis une dizaine de jours avant de faire une proposition sur la carrière des colonels anciens en cette veille de Noël. Il faut parfois croire au Père Noël !

La sécurité des centrales nucléaires a été d’actualité et pourtant elle a été vite effacée des agendas médiatiques. Or, ne pose-t-elle pas la problématique de la sécurité intérieure qui devrait être confiée aux forces armées de plus en plus présentes sur le territoire national avec la fin programmée des conflits en cours ? Ainsi l’armée de terre ne devrait-elle pas prendre cette mission pour permettre aux gendarmes d’exercer effectivement leurs missions de sécurité publique alors que leur manque d’effectifs est régulièrement souligné ? Il s’avère en effet que 740 (760 ?) gendarmes assureront en 2012 la sécurité des centrales au sein du Peloton spécialisé de protection de la gendarmerie nationale (PSPG). Créé en 2007, il comprend 18 brigades de 38 membres qui ont été progressivement déployées au sein des centrales nucléaires auxquelles s’ajouteront deux nouvelles unités en 2012. Par convention (février 2009), EDF assure aussi le financement de ces unités de protection.

Sur l’exportation des armements et la moralité de leur commerce, un certain de faits intéressant suscitent ma réflexion.

  • Les Eglises allemandes ont condamné la vente de 270 chars Léopards à Riyad pour 3 milliards d’euros tout comme elles ont condamné le contrat géant passé en 2008 par EADS avec ce pays, qui prévoit la sécurisation des 6 500 kilomètres de frontières du royaume et la formation des forces de sécurité saoudiennes par la police allemande. En toute discrétion, l’Allemagne a pourtant un fort dynamisme en matière d’exportations d’armements. Elle a aussi exporté en 2010 pour 2,2 milliards d’euros d’armes de guerre, un montant qui fait de Berlin le 3ème exportateur mondial derrière les Etats-Unis et la Russie, avant donc la France. Ce partenaire européen ne fait pas la guerre en Libye mais vend des armes…
  • Si je me réfère à la situation française, je constate cependant avec plaisir que nos sénateurs ont joué en revanche leur rôle de contrôleurs de l’exécutif dans le domaine de l’armement. La stratégie de Dassault est me semble-t-il au cœur de cette action.
    • Je rappelle en préambule que l’échec de plus en plus inacceptable de la vente du Rafale à l’exportation malgré les efforts de l’exécutif est apparu d’autant plus préjudiciable que le contribuable français est bien celui qui subventionne de fait cette entreprise privée. A ce titre, elle devrait agir en fonction des intérêts de la France dès lors que celle-ci contribue à son bien-être économique.
    • Ainsi, pour la première fois depuis longtemps dans mon souvenir, une Tribune du Monde publie le 13 décembre la position des sénateurs de la majorité et de l’opposition (Drones, le mauvais choix) contestant le choix du ministre de la défense d’équiper les forces du drone Héron TP fabriqué par la société israélienne IAI … et importé par Dassault. La rumeur avait couru cet été que le chef d’état-major des armées lui-même n’avait pas soutenu cette décision. Le surcoût est jugé non justifié, l’efficacité opérationnelle insatisfaisante. Du coup, le Sénat (il est intéressant de rappeler que Serge Dassault est sénateur UMP) a refusé l’autorisation budgétaire demandée et limité les crédits à l’achat à un autre drone, américain, le Reaper permettant de répondre dans les meilleurs délais aux besoins et à la sécurité de nos forces… La réaction ne s’est pas faite attendre avec un amendement socialiste à l’assemblée nationale pour rétablir les crédits. Qui faut-il croire ?
  • C’est enfin pour mémoire la satisfaction de ce lancement réussi dans la nuit du vendredi 16 au samedi 17 décembre, de cinq satellites militaires de renseignement par une fusée russe Soyouz depuis Kourou (Guyane). Et de rappeler que nous avons un commandement interarmées de l’espace.

Sur la condition militaire, le paiement surprenant de la solde un 15 décembre souligne deux points.

  • Le premier est que les restructurations, surtout lorsque leurs conséquences ont des effets sur la solde, peuvent susciter des grognes par l’intermédiaire des épouses (cela ne vous rappelle rien ?) maintenant sur Facebook.
  • Le second, l’administration a réagi d’une manière tellement rapide que cela en est stupéfiant. Vu le peu de poids que le militaire a sur elle, je ne doute pas que le pouvoir politique ait agi face à une situation aurait bien pu dégénérer dans un contexte où les restructurations rendent difficiles la vie des soldats et de leurs familles. L’action de Patricia Adam (député PS et vice-présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées) par son courrier adressé au ministre de la défense (mise en ligne sur le blog du Mamouth) a-t-elle été un déclencheur ?
  • Et s’il n’y avait que Louvois, le logiciel incriminé. Il y a aussi « les budgets (…) inexistants pour payer les soldes des réservistes au dernier trimestre de l’année 2011 » comme le rappelle Jean Guisnel. Cela signifie surtout l’impossibilité de les employer alors que leur présence devient de plus en plus importante pour remplir les tâches que nous ne pouvons plus assurer. Il est sans doute temps de revoir leur emploi et leur suivi pour ne pas décevoir ces réservistes qui veulent servir la France en plus de leur fonction au quotidien.

Au titre du soutien de nos forces, je félicite Stéphane Gaudin et Pascal Dupont les blogueurs de theatrum belli (blog particulièrement actif et dense !), qui ont été interviewé par Jean Guisnel (Le Point du 17 décembre). Ils ont invité leurs concitoyens à exprimer leur soutien aux soldats en opération. Je regrette en revanche que Secret défense ait donné la parole à Hervé Ghesquière, le journaliste de France 3 retenu, avec Stéphane Taponier en otage pendant 547 jours par les talibans, qui « persiste et signe ».

Enfin le jeudi 15 décembre, la proposition de loi d’Eric Ciotti sur l’encadrement militaire pour des mineurs a été votée définitivement par l’Assemblée nationale malgré son désaveu par le Sénat désormais dans l’opposition. Le juge pourra proposer au jeune d’intégrer un Etablissement public d’insertion de la défense (Epide). Le texte précise que « l’accord devra être obtenu du jeune, de ses parents et ce, en présence d’un avocat. Le dispositif sera réservé aux auteurs de délits ». Il était en effet nécessaire que le volontariat soit une condition de cette aide à la réinsertion. C’est aussi une reconnaissance sur ce que l’esprit militaire et ses valeurs peuvent apporter à des jeunes en mal de repères.

Et pour le Noël des colonels « anciens » ?

Il faut de temps en temps croire au Père Noël et la proposition suivante est venue d’une discussion avec un camarade sur ces colonels « anciens » qui, aujourd’hui, peuvent avoir une durée dans leur grade allant jusqu’à une quinzaine d’années. Il est sans doute temps de leur proposer pour les plus anciens une plus grand lisibilité sur la place qu’ils peuvent tenir dans l’institution militaire s’ils comptent y rester jusqu’à la limite de leur âge. N’y a-t-il pas en effet une différence à marquer entre un colonel de moins de cinq ans de grade et un colonel de plus de dix ans de grade en raison de la différence d’expérience et d’avenir ?

En l’occurrence, nos armées de l’armée de terre et de l’armée de l’air ont une échelle de grade allant directement du colonel à l’officier général. Ainsi, elles ont des généraux de brigade à « deux étoiles » et de division à « trois étoiles ». Une spécificité française ! Ne faudrait-il pas recréer les généraux à une étoile pour les colonels « anciens » ? Ces généraux à une étoile existaient au XVIIIè siècle et ont été supprimés lors de la période révolutionnaire.

Aujourd’hui, la notion de commandant de brigade (deux étoiles)  a encore un peu de sens (il y en a encore quelques unes dans l’armée de terre mais les généraux sont loin de tous commandés une brigade), pas celle de commandant de division (il n’y en a plus). Il faudrait donc revisiter le sens que l’on donne au grade de général. Il s’agit de tenir une responsabilité, non de commander une unité spécifique. D’aucuns pourraient évoquer qu’il y a trop de généraux.

Or, à peine 50% d’entre eux sont généraux au sein des forces. La notion de responsabilités existe donc déjà. Si, en terme d’analyse des responsabilités, cela posait une difficulté, il serait sans doute intéressant de comparer les autres ministères et celui de la défense en terme de nombre de postes équivalents en responsabilités. Cela pourrait sans doute apporter un éclairage intéressant. Dans tous les cas, valoriser les colonels anciens en même temps qu’ils atteignent leur plafond de solde et qui n’ont pas vocation à tenir les plus hauts postes pourrait s’avérer à la fois une aide à la gestion, à la lisibilité de leur rang et à une valorisation de leur expérience  tout en leur donnant un nouvel élan au service des armées et de la France.

Joyeux Noël à tous.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Il est expert des questions de doctrine sur l’emploi des forces, sur les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, à la contre-insurrection et aux opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Depuis mars 2022, il est consultant en géopolitique sur LCI notamment sur la guerre en Ukraine. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde depuis août 2011, il a rejoint depuis mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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