lundi 17 février 2025

Repensons la Journée de Défense et de Citoyenneté (CMF – Dossier 31)

Pour le général (2S) Hubert Bodin, dans le contexte actuel, la défense de la France passe obligatoirement par l’implication massive de sa jeunesse. Pour obtenir son adhésion, il lui parait indispensable de refonder la Journée de Défense et de Citoyenneté, qui aurait raté sa cible, et à laquelle tous nos jeunes sont conviés.

* * *

La jeunesse française, tout comme la jeunesse du monde, est aujourd’hui confrontée à des ruptures de tous ordres, dans un contexte inconnu jusqu’à ce jour. Ces ruptures sont d’ordre politique, stratégique, géographique, technologique, environnemental et même idéologique. Sans prétendre en dresser une liste exhaustive notons que l’Ukraine nous en donne l’exemple avec le contournement de la dissuasion nucléaire et de la guerre portée sur le territoire européen. Le basculement démographique déplace le centre vivant du monde vers l’Extrême-Orient et l’Afrique. L’intelligence artificielle nous pose le problème de son contrôle tandis que l’on n’arrive pas à freiner le dérèglement mondial du climat… Un ordre ancien est en train de s’effacer rapidement et nous laisse face à un grand vide politique et idéologique.

 

Dans un tel contexte, il convient de s’interroger sur l’avenir  de la défense de la France et la contribution que devrait y apporter sa jeunesse. 

Les besoins de la Défense, sous tous ses aspects, correspondants aux ruptures dans le contexte nouveau que l’on vient d’évoquer, sont considérables. Notre jeunesse, avec ses caractéristiques actuelles, qualités et défauts, en recherche de référence, ne saurait y répondre que si elle estime son engagement justifié, ce qui n’exclut pas l’éventuelle nécessité d’une obligation.

Les besoins de la Défense en France sont en effet désormais considérables et d’ordre autant qualitatifs que quantitatifs. Dans ce domaine, on pourrait dresser le même constat que celui qui vient d’être fait pour le budget : on y découvre tout à coup un déficit surprenant.

L’aspect militaire d’abord. Que constatons-nous ? Il y a eu incontestablement une prise en compte politique pour que la part du budget consacré à la Défense atteigne les 2 % du produit intérieur brut national. C’était le minimum acceptable dans un contexte de paix « vigilante », sous la dissuasion nucléaire avec une présence plutôt symbolique aux frontières de l’Europe correspondant à notre contribution à L’OTAN, un minimum d’opérations extérieures et l’assurance de notre sécurité intérieure… Face à la menace extérieure, l’invasion de l’Ukraine, la fragilité et les limites de l’effort consenti et du dispositif en résultant a tout changé. S’il s’agit seulement de fournir des munitions, laissons à l’outil industriel le soin d’évaluer nos limites, mais elles seront vraisemblablement vite atteintes.

S’il s’agit de s’engager davantage avec nos propres moyens, la question devient « combien de divisions ? » Ou plutôt, combien de blindés ? Nous sommes actuellement incapables de mener un combat de haute intensité au-delà d’un temps très limité que nous laissons à ceux qui aujourd’hui ont la charge de nos armées le soin d’évaluer.

Mais la défense c’est aussi faire face aux menaces à l’intérieur du territoire et là ce ne sont pas seulement les effectifs des armées, mais aussi ceux de la police, de la douane qu’il faut considérer pour combattre le terrorisme, certes, mais de plus en plus aussi le trafic de drogue face à des acteurs de mieux en mieux organisés et armés. C’est encore désormais faire face à de nouvelles menaces, hybrides, dans des domaines divers, communication, publicité, réseaux sociaux.

Il y a aussi les dangers découlant du changement climatique. La bataille de l’environnement devient de plus en plus prégnante et, là encore, les besoins en effectifs et en matériels ne vont que croître en particulier pour équiper convenablement nos unités de sécurité civile, nos pompiers.

Quand nous faisons le bilan, la facture est considérable pour atteindre les capacités opérationnelles et logistiques indispensables, avec une base industrielle capable de la durée et des effectifs suffisants qui dépassent la bonne image sécurisante de nos forces de sécurité actuelles. Il nous faut à la fois un effort de recrutement quantitatif, mais aussi qualitatif en faisant appel à des personnels acquis aux technologies d’avant-garde.

Mais il est clair que tous les efforts budgétaires que l’on pourra faire resteront vains s’il n’y a pas une réelle volonté de défense. Notre armée est bien perçue par l’opinion, à un degré moindre nos forces de police le sont aussi. Cependant très peu de monde, à part les réservistes, ne se sent de quelque manière, impliqué dans leurs missions. Un exemple de cette indifférence est l’appréciation négative portée par beaucoup de jeunes sur l’intérêt de la Journée de Défense et de Citoyenneté (JDC).

 

De ce fait, la question se pose : les Français sont-ils prêts à payer davantage pour leur Défense, à y consacrer quelques jours, quelques mois de leur existence ?

 

Ce n’est peut-être pas impossible si l’on arrive à justifier ce besoin. C’est pourquoi, il faut s’y atteler prioritairement auprès de la jeunesse.

Notre jeunesse, inquiète et en recherche de repères, baigne dans un environnement peu favorable à la prise en compte des enjeux de la Défense, qu’il s’agisse du monde de la communication, de la société, de l’enseignement. Cependant, elle possède en elle des potentialités qu’il convient de déceler et d’exploiter.

Le constat est banal. Génération Y, génération Z, un jeune non accompagné de son portable est une curiosité… Le monde des jeux vidéo, des réseaux sociaux, des influenceurs est incontournable si l’on veut comprendre nos jeunes. Notons quand même que nombre d’entre eux n’en sont pas dupes et gardent les pieds sur terre.

Dans le domaine des connaissances, il est toujours étonnant de constater un manque de repères spatiaux et temporels. Nos jeunes peuvent être performants en histoire, pointus sur des prouesses de chevalerie, des vies de certains personnages, sans être capables de situer cela dans l’Histoire de France et du monde. C’est du savoir « en miettes ».

La géographie n’est pas mieux considérée. L’intérêt de se situer n’est pas suscité. Du coup, le GPS vous amène là où vous voulez aller ; vous partez en stage à l’étranger sans problèmes, mais souvent sans tenter de connaître l’environnement géographique dans lequel vous vivez… La liste pourrait être longue. La nécessité de remettre dans notre enseignement quelques bases simples est sans cesse rappelée, mais jamais appliquée.

Pourtant, nous avons, avec Internet notamment, tous les outils nécessaires y compris la très décriée « Intelligence artificielle », à notre disposition si l’on consent à apprendre à en faire un usage de recherche intelligent. Mais déjà faut-il une volonté politique pour adapter les programmes.

Pour clôturer ce triste tableau, il est clair que nos enfants ne sont pas aidés par une société permissive, des familles fracturées… Là encore, ils souffrent d’un manque de repères qui ne sont soit plus assez fournis, soit dévoyés par la famille, l’enseignement, ou les religions.

Et pourtant, nos jeunes sont capables de belles choses. Tout cela est très dispersé, mais il faut déceler toutes ces potentialités souvent détournées qu’il suffirait de bien réorienter. Combien sont capables de se motiver pour suivre une idole sportive ou artistique, un caïd qui donne des ordres et sait organiser son trafic, un influenceur coranique qui donne des repères simples, faciles à appliquer pour être dans la bonne voie, sans oublier ceux, quand même, qui s’engagent de façon claire et positive notamment dans le service civique.

Ce qui est sûr et positif, c’est que nos jeunes, pour beaucoup, sont moins attachés que nous pouvions l’être à la rentabilité, au profit, mais sensibles à la solidarité, à l’ouverture vers les autres, prêts à bouger, voire à rechercher une vie hors du commun, sensibles à la nature, à la recherche d’un emploi motivé. Ils sont capables même d’aller au-delà des limites qui nous paraissent raisonnables, jusqu’à la pratique de sports extrêmes ou, malheureusement et de plus en plus jeunes, vers la criminalité. Il y a enfin chez eux une grande capacité à maîtriser les techniques modernes, à tel point que l’on dispose d’une pépinière de surdoués en informatique, en intelligence artificielle, en innovation environnementale dont il serait judicieux de pouvoir bénéficier des compétences sans avoir besoin de former des spécialistes dans nos institutions.

Voici cette jeunesse, diverse, passionnante, anxieuse que l’on aimerait sensibiliser à la défense. Après ce constat à la fois inquiet et optimiste, y-at-il une voie possible ?

Nous voyons à quel point le défi est compliqué ; il faut à la fois répondre aux questions de la jeunesse, les motiver sur l’urgence de s’impliquer dans la défense du pays et proposer, et aussi imposer pour beaucoup, un engagement court et valorisant au profit de tous les Français.

La motivation passe par la justification. Pourquoi nos jeunes s’impliqueraient-ils dans la défense du pays si on ne leur explique pas pourquoi ?

C’était bien le but de la JDC qui a globalement raté son objectif. Comment faire mieux ?

Il faut prendre le temps de présenter à la jeunesse un certain nombre de domaines inconnus d’elle au travers d’une JDC renouvelée qui ne serait plus une journée, mais une semaine.

Une première nécessité, sans attendre des réformes des programmes de l’Éducation Nationale qui risquent de prendre des années, sans s’en remettre à la bonne volonté – évidente – des enseignants dont ce n’est pas la vocation, présenter en une journée l’histoire et la géographie de notre pays de façon simple et claire, chronologique et méthodique sans idéologie, ni parti pris. On sait réaliser ce genre de présentation, qui serait à monter en y associant des jeunes compétents.

 

La deuxième nécessité, sur le même rythme, serait de présenter nos institutions et leur fonctionnement.

Une troisième partie serait la présentation des différentes institutions dont la vocation est déjà la défense : les armées, bien entendu, mais aussi la police, les douanes, les pompiers, les agents de la santé et de l’environnement… Bref un ensemble cohérent et motivant et là, il n’est pas interdit de faire un peu de publicité en vue de recruter…

Avec l’initiation aux gestes de survie, il faut rajouter des tests médicaux, c’est vraiment l’occasion rêvée, d’y associer des tests psychologiques, des tests d’aptitude comme on faisait autrefois aux « trois jours ». C’est l’occasion d’avoir une vision objective de tous les jeunes Français. C’est aussi l’occasion de déceler les jeunes compétents qui pourraient intéresser la défense durant la phase de service obligatoire…

Cette « semaine citoyenne » ressemble étrangement au « Rendez-vous citoyen », qui avait été présenté en 1997 à l’Assemblée nationale à la suite de la suspension du service militaire et à la consultation nationale qui avait suivie pour demander aux Français ce qu’ils souhaitaient garder. À quel niveau situer ce rendez-vous ? Cela reste à étudier, mais il semble que le niveau régional convienne. À quel âge appeler les jeunes ? On peut mettre un peu de souplesse dans le système. Si l’obligation demeure, sans exception, il pourrait être laissé le choix de la date entre 18 et 25 ans.

Il ne faut pas se faire d’illusions, un tel système a un coût non négligeable. C’est d’ailleurs l’argument financier qui a fait opter le gouvernement socialiste, mis en place après la dissolution de l’Assemblée en avril 1997 pour passer du « rendez-vous citoyen » à la Journée d’appel de préparation à la défense (JAPD).

À la suite de cette semaine citoyenne serait prévu un service obligatoire pour tous, d’une durée à déterminer entre 3 et 6 mois où il sera possible de choisir la manière de « servir » le pays. Les domaines seraient extrêmement divers : armées (dont gendarmerie), police, services sociaux, hôpitaux, EHPAD, agriculture, forêts, enseignement, handicap… Là encore, ce n’est pas complètement nouveau puisque c’est en partie ce qui était proposé, outre le service militaire, dans les formes civiles, obligatoires, du service national.

La grande innovation serait de ne pas convoquer une classe d’âge à une période donnée, mais dans une période assez large pour couper court à tout prétexte d’impossibilité. C’est à étudier, entre 18 et 30 ans peut-être… Cette période serait une obligation absolue et s’y soustraire entraînerait des conséquences suffisamment dissuasives pour l’imposer. Ces conséquences seraient d’ordre financier, comme une lourde amende, mais aussi la perte d’un certain nombre de droits et d’avantages. En revanche, logiquement, en seraient dispensés celles et ceux qui sont déjà engagés dans un service indispensable au Pays, les militaires, les policiers, ceux qui effectuent un service civique en France ou à l’étranger, les mères de famille. Il y a là tout une étude à faire pour rester dans l’esprit de cet « impôt » bénéfique au pays. En effet, en tenant compte de ceux qui en seraient dispensés, c’est sans doute plus de 500 000 jeunes supplémentaires qui seraient en permanence engagés au service de leurs concitoyens.

Le coût de ce service, que l’on pourrait du coup appeler, à juste titre cette fois, Service National Universel, ne serait pas exorbitant si l’on se réfère aux archives des formes civiles du service national. Il serait possible pour bon nombre de loger à domicile ou d’être logés et nourris dans les structures concernées.

Ce système proposé ne semble pas irréaliste, il faut simplement une volonté politique qui accepte de dépasser les considérations financières immédiates compte tenu des gains à moyen et long terme.

Dans le contexte angoissant qui pèse sur notre monde, il y a deux solutions : désespérer de tout et survivre tant bien que mal sans réagir ou croire encore au bonheur possible. C’est à notre jeunesse qu’il faut donner cette chance, elle en est capable.

CERCLE MARÉCHAL FOCH
CERCLE MARÉCHAL FOCH
Le Cercle Maréchal Foch est une association d’officiers généraux en 2e section de l'armée de Terre, fidèles à notre volonté de contribuer de manière aussi objective et équilibrée que possible à la réflexion nationale sur les enjeux de sécurité et de défense. Nous proposons de mettre en commun notre expérience et notre expertise des problématiques de Défense, incluant leurs aspects stratégiques et économiques, afin de vous faire partager notre vision des perspectives d’évolution souhaitables. Le CMF est partenaire du site THEATRUM BELLI depuis 2017. (Nous contacter : Cercle Maréchal Foch – 1, place Joffre – BP 23 – 75700 Paris SP 07).
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