« Ce fut la première fois de ma vie que je lus au fond d’un cœur de soldat. Cette rencontre me révéla une nature d’homme qui m’étais inconnue, et que le pays connaît mal et ne traite pas bien ; je la plaçai dès lors très haut dans mon estime. J’ai souvent cherché depuis autour de moi quelque homme semblable à celui-là et capable de cette abnégation de soi-même entière et insouciante. Or, durant quatorze années que j’ai vécu dans l’armée, ce n’est qu’en elle, et surtout dans les rangs dédaignés et pauvres de l’infanterie, que j’ai retrouvé ces hommes de caractère antique, poussant le sentiment du devoir jusqu’à ses dernières conséquences, n’ayant ni remords de l’obéissance ni honte de la pauvreté, simples de mœurs et de langage, fiers de la gloire du pays, et insouciants de la leur propre, s’enfermant avec plaisir dans leur obscurité, et partageant avec les malheureux le pain noir qu’ils paient de leur sang.»
Alfred de Vigny (1797-1863)