La première quinzaine de novembre a vu l’évocation renouvelée d’une éventuelle armée européenne (Cf. Le Monde du 8 novembre 2018 et le site B2 du 13 novembre 2018). Chacun aura remarqué que des événements beaucoup plus importants ont mis cette fausse bonne idée au rancart en tuant le débat puisqu’en France les Gilets jaunes occupaient le terrain à compter du 16 novembre et que, depuis cette date, peu d’éléments nouveaux sont apparus.
Certes, faisant suite au président Macron qui s’exprimait le 6 novembre sur Europe 1 et évoquait « une vraie armée européenne », la chancelière Merkel reprenait le même terme en soutien du président français. L’un et l’autre dirigeants étant en difficulté intérieure, comme toujours relancer une armée européenne est un sujet qui détourne l’attention des opinions publiques d’autant que l’idée est séduisante pour beaucoup de citoyens désormais bien éloignés de la connaissance de la guerre et des questions militaires : une seule armée, des citoyens de toute l’Europe ensemble pour assurer sa sécurité, sans doute aussi des coûts moins élevés.
Cependant, la vive réaction le 9 novembre par Tweet de Donald Trump est tout à fait compréhensible suite aux propos du président de la République. Elle a sans doute pour une fois rappelé une certaine réalité par ces propos : « Emmanuel Macron a suggéré la création de leur propre armée pour protéger l’Europe contre les États-Unis, la Chine et la Russie (…), propos effectivement insultant pour les Etats-Unis » (Cf. Francetvinfo du 9 novembre 2018). Cette maladresse du président de la République sur la défense européenne montre la faiblesse de la réflexion sur ce sujet. Il est vrai que la vision géopolitique de Donald Trump laisse tout aussi songeur quand on abandonne ses alliés en Syrie, en n’écoutant même pas ses conseillers militaires.
Pourtant ce réveil de l’armée européenne exprime aussi l’inquiétude de plus en plus réelle des gouvernements européens, pas forcément des peuples. Les États européens ont vécu sous l’ombrelle de la puissance américaine sans faire l’effort financier nécessaire pour leur sécurité extérieure. Tant que les États-Unis continuaient à soutenir la défense européenne, les Européens étaient peu inquiets. Cependant la situation géopolitique a changé. Le Brexit entraîne le départ à terme de l’une des deux armées crédibles en Europe, celle des Britanniques sans que ceux-ci cependant ne quittent l’OTAN. Donald Trump demande aussi un réel investissement dans la défense européenne, bien sûr avec la volonté de faire acheter des armements américains par les États européens.
La menace russe qui ne cesse d’être évoquée à plus ou moins juste titre depuis la reconquête de la Crimée en 2014 est perceptible. Il est vrai que les ingérences de la Russie sous toutes leurs formes, notamment informationnelles, dans le fonctionnement des démocraties occidentales semblent une réalité qui se confirme mois après mois. L’Est de l’Europe a peur, pas d’une guerre majeure mais de guerres limitées qui grignoteraient les Etats plus faibles, trop peu intéressants pour que l’on accepte de faire la guerre pour les protéger. Croire dans le soutien des États-Unis en cas de crise dans le contexte actuel serait bien utopique et le président Macron a eu raison de rappeler devant nos troupes au Tchad l’importance d’un allié fiable.
Il faut en effet rappeler trois principes de base pour une armée commune : être capable de faire la guerre ensemble, maintenir la solidarité dans la durée du conflit et donc préserver le soutien de son opinion publique, accepter les pertes nationales. Cependant, si l’on regarde les réflexions des « experts », la concrétisation de cette armée européenne s’arrêterait en interarmées, globalement à une brigade d’environ 8000 hommes qui assurerait la défense immédiate de 500 millions d’habitants. Rappelons qu’il existe déjà une quinzaine de groupements tactiques de 1 500 hommes depuis une dizaine d’années, plus de 20 000 hommes en théorie qui n’ont jamais été utilisés comme l’a montré l’exemple relativement récent de l’engagement au Mali.
En dehors de cette agitation politique, constatons que les expériences européennes continuent pour faire croire aux avancées de la défense de l’Europe par les Européens. Ainsi la XVIIe conférence annuelle de Berlin sur la défense et la sécurité européenne (Cf. Conférence du 27 novembre 2018), organisée par le Groupe Der Spiegel, s’est tenue du 27 au 28 novembre 2018, a montré quelques thèmes intéressants. Elle a d’ailleurs débuté avec l’hymne européen. Elle a rassemblé plusieurs centaines d’experts civils et militaires dont 90 généraux et amiraux de l’OTAN et/ou de l’Union européenne, industriels, des parlementaires européens. A noter la présence d’une forte délégation russe alors que les incidents navals entre la Russie et l’Ukraine étaient d’actualité montrant à nouveau le rapport de forces qui s’installe en Europe.
Cette conférence a été ouverte par la ministre allemande de la défense, Ursula Von den Leyen qui a précisé le sentiment général : « Rester transatlantique et devenir plus européen ». Pour la ministre, il faut clarifier les responsabilités que l’on doit prendre, ce qui inclut un plus grand partage du fardeau mais aussi la fidélité à l’OTAN, le maintien de l’engagement américain et canadien en Europe. La sécurité n’est pas un acquis. L’OTAN et l’Union européenne sont complémentaires. En revanche, l’Europe doit être capable d’agir seule, dans le cadre d’une « armée des Européens », en reconnaissant par exemple que, dans la crise malienne, la France avait assumé seule la crise malienne.
Tous les intervenants politiques ont exprimé ce sentiment d’inquiétude notamment face à la stratégie indirecte des puissances autoritaires. La position russe exprimée dans ce colloque mérite d’être évoquée. Selon la délégation russe, la Russie est aujourd’hui accusée de tous les maux. Or, l’Ouest serait revenu selon elle à une logique de « containment » de la Russie avec un élargissement à son détriment. Cette extension de l’OTAN aurait été la cause de ce glissement vers moins de sécurité. Elle a dénoncé les manœuvres militaires de l’OTAN dans les Etats baltes qui ont justifié ce réarmement russe … bien qu’il ait commencé depuis longtemps. Elle a souligné que la Russie n’était pas une menace pour l’ouest. Aussi la Russie appelle à un espace pacifique et commun de l’Atlantique à Vladivostok avec plus d’échanges d’informations, en s’appuyant sur de nouvelles organisations comme l’OCS (sic), appelant enfin les militaires à contribuer à la désescalade créée par les politiques (sic).
Concernant les menaces, les intervenants néerlandais comme les intervenants allemande, collaboration qui était le thème central de la conférence, ont utilisé des mots forts que l’on croyait sans doute oubliés : sabotage, espionnage. L’Allemagne et les Pays-Bas souhaitent donc développer une plus grande intégration de leurs forces notamment pour faire face aux menaces dans des secteurs clés qui ne sont pas que militaires : le cyberespace face aux activités illégales (À noter les dernières agressions cyber contre le système informatique de la diplomatie européenne, Le Monde du 21 décembre), la lutte contre le sabotage et l’espionnage, et en filigrane l’avenir de la démocratie. L’inquiétude est telle qu’il est regretté un QG stratégique européen équivalent au SHAPE, l’état-major de l’OTAN du niveau stratégique.
Outre dans les forces navales et les forces aériennes, les deux États expérimentent notamment aussi une brigade de chars de combat, se préparer combattre est l’objectif même d’une armée, intégrant 400 soldats des deux pays en soulignant avec humour cette difficulté de faire évoluer des cultures militaires différentes. Ainsi les soldats hollandais ne planifient pas les opérations … et discutent les ordres à la différence des Allemands.
On ne pourrait pas clore ce billet sans évoquer la participation à cette conférence de « Civisme Défense Armée Nation », association soutenue par le ministère des armées (Cf. Site du CIDAN). Un créneau lui était offert comme chaque année pour remettre devant l’assemblée présente le prix européen « Civisme, Sécurité et Défense ». L’ESDA (European Security and Defence Association), association regroupant les anciens parlementaires de l’Assemblée de l’Union de l’Europe occidentale, était associée à cette remise de prix qui a récompensé plusieurs associations française, allemande et britannique pour leur engagement auprès des blessés de guerre, le développement des valeurs et de la défense européennes, l’industrie de défense dans l’Union. La présidence de la République française par l’intermédiaire du général Richoux, attaché de défense français à Berlin, remettait aussi à chaque lauréat la médaille de la présidence.
Grâce à ses bénévoles, CIDAN a donc mené à nouveau une action concrète au profit du développement de la défense européenne. Il est regrettable que ses crédits aient notoirement été notamment réduits par le cabinet du précédent ministre des armées. Si peu d’argent pour une réelle représentativité à si peu de frais au titre de la France, au niveau européen, alors que la délégation française officielle comme à chaque conférence ou presque de l’Union européenne ou de l’OTAN est plutôt limitée. À mon avis, une erreur stratégique en termes d’influence.
Dans tous les cas, joyeux Noël et bonnes fêtes de fin d’année.