Le 11 novembre 1918, dans son wagon-bureau garé dans la clairière de Rethondes, Foch, commandant en chef des armées alliées, entouré de son état-major accorde aux plénipotentiaires allemands l’armistice que leur armée vaincue a sollicité. Pour Ferdinand Foch, né à Tarbes le 2 octobre 1851, c’est la consécration d’une carrière militaire commencée 48 ans plus tôt lors de son admission à l’École Polytechnique.
Après des études secondaires commencées au lycée impérial de sa ville natale, c’est à Metz, au collège Saint-Clément, tenu par les jésuites, que Ferdinand Foch prépare en 1869 le concours de Polytechnique. Mais voici la guerre. Ardent patriote, le jeune étudiant s’engage au 4e Régiment d’infanterie pour la durée du conflit. Libéré le 14 février 1871, sans avoir vu le feu, précise-t-il lui-même, Foch retourne à Saint-Clément. Comme il l’écrira plus tard, il prépare une carrière militaire : « quand nous étions sur ces bancs (Polytechnique), nous n’avions qu’une seule pensée : la revanche. Nous sentions tous qu’elle viendrait, qu’il le fallait. Aussi, je n’hésitais pas à me ranger parmi les volontaires pour l’artillerie désignés sous le nom de “petits chapeaux” ». Un choix guidé par la raison car à l’encontre de nombreux camarades attirés par le souffle épique de l’aventure coloniale, Foch sait que sa voie est dans l’étude des sciences militaires. Esprit scientifique féru de mathématiques, il « apprend à penser ».
La réflexion et l’analyse qui en découlent trouveront naturellement leur aboutissement dans la conduite de la guerre en 1918. Peu après la victoire, à un journaliste qui l’interrogeait, il répondra : « je ne peux parler que de mon métier. Faites le vôtre. Apprenez-le, je ne peux rien dire d’autre. Moi j’ai fait le mien, je l’ai pioché en long, en large et en profondeur. J’ai réussi probablement parce que j’avais bien travaillé mon affaire et que je la connaissais. Si j’ai pu faire face aux circonstances, c’est que j’avais tellement donné d’exercice aux muscles de mon esprit qu’ils étaient de force à agir… Ce qui m’a forcé à travailler mon métier, c’est d’avoir à l’enseigner. Quand on professe il faut faire attention à ce que l’on dit. Il faut être ferré à glace pour discuter. J’admets tout à fait la discussion et je ne crois pas que ma parole soit un évangile ».
Tout Foch est résumé dans ce court extrait : le montagnard pyrénéen obstiné, solide physiquement et le penseur. Toutefois, le théoricien qu’il deviendra à l’Ecole de guerre n’est pas le doctrinaire figé que l’on a parfois voulu voir en lui. Son action durant la Grande Guerre le démontrera et il saura en maintes occasions démontrer ses réelles facultés d’adaptation.
À la sortie de l’Ecole d’application de Fontainebleau en 1874, le sous-lieutenant Foch est affecté au 24e Régiment d’artillerie stationné alors dans sa ville natale, puis il suit le cours des lieutenants à Saumur avant de rejoindre le « 24 » installé dans un quartier récemment construit à Tarbes et qui deviendra le quartier Soult. Muté au 10e Régiment d’artillerie à Rennes, il y est affecté en qualité d’instructeur d’équitation. On le retrouve ensuite capitaine au 9e Régiment d’artillerie à Castres, puis commandant d’une batterie de l’artillerie de la 5e Division de cavalerie à Melun. Commandement de la troupe, instruction, exercices, manœuvres et stages lui confèrent l’expérience de l’officier et le préparent au concours de l’École Supérieure de guerre qu’il réussit brillamment. C’est à cet instant que démarre vraiment la carrière du futur maréchal dont l’un de ses professeurs, le commandant Millet a d’emblée évalué le caractère prometteur. Désormais, son nom sera intimement lié à l’École de Guerre. Après quelques mutations et des responsabilités sans cesse croissantes, le commandant Foch est maintenant connu du haut commandement et le 31 octobre 1894, il est nommé professeur à l’École de Guerre où il obtient la chaire d’histoire militaire, stratégie et tactique appliquées. Jusqu’en 1901, il formera six promotions d’officiers subjugués par ce professeur ouvert à toutes les hypothèses, mêmes les plus extrêmes. Esprit fort et réaliste, le lieutenant-colonel Foch, « dont l’élocution ressemblait à un coup de sabre », n’avait pas son pareil pour aller à l’essentiel. De quoi s’agit-il ? Cette question qui amorce le processus de raisonnement qui deviendra vite célèbre à l’École et caractérisera le personnage de Foch jusqu’au plus haut niveau de l’état-major interallié.
En 1901, le lieutenant-colonel Foch entame une nouvelle période en corps de troupe. Il est commandant en second du 29e d’artillerie à Laon, puis, promu colonel, il prend en 1903, à Vannes, le commandement du 35e Régiment d’Artillerie auquel il impulse une vigueur nouvelle tout en y appliquant les principes qu’il avait si brillamment professés quelques temps auparavant. Sans doute, aujourd’hui, aurait-il apprécié la mutation de son régiment en unité parachutiste évoluant dans la troisième dimension et toujours en pointe de la modernité. En 1905, il quitte le 35e RA pour l’état-major du 5e Corps à Orléans que commande le général Millet, son ancien instructeur, qui le voit avec satisfaction nommé général de brigade le 20 juin 1907, puis commander l’artillerie du 20e Corps d’armée.
Depuis longtemps, Foch a fait la preuve de ses qualités, toutefois, malgré sa renommée en tant que professeur, il s’en trouve certains qui lui reprochent dédaigneusement d’être un métaphysicien trop fidèle à « ces deux grandes abstractions que sont le devoir et la discipline ». Quand il se porte candidat à la direction de l’École Supérieure de Guerre, les attaques personnelles fusent. Néanmoins, sur les conseils du général Millet et à l’issue d’une entrevue avec Clemenceau, alors président du Conseil et ministre de l’Intérieur, Foch obtient le commandement de l’École le 1er octobre 1908. Comme directeur, il poursuit l’œuvre de longue haleine qu’il avait entreprise comme professeur. Trois ans qui permettront au maréchal de dire sans se vanter que peu de chefs, en 1914, connaissaient mieux que lui, des généraux aux capitaines, les officiers d’élite de l’Armée Française. Ainsi, en 1918, quand il assumera le commandement suprême, il trouvera à la tête des divisions et des corps d’armées, les soldats issus de son enseignement de 1894 à 1901 et, au commandement des régiments et des brigades, les promotions de 1907 à 1911.
En 1911, le général Foch quitte donc l’École de Guerre pour prendre le commandement de la 13e Division d’Infanterie, puis le 20 août 1913, celui du 20e Corps à Nancy. Là où jadis il entendit les fifres de Manteuffel, il défile à la tête de ses troupes au son de la Marche Lorraine ! C’est à Nancy qu’il entre en campagne. Désormais, et jusqu’en 1918, son action se fond dans le déroulement de la Grande Guerre. En 1914, c’est à la tête de la IXe Armée qu’il reprend l’offensive aux Marais de Saint Gond au cours de la bataille de la Marne, puis, il remporte la victoire de l’Yser et se distingue dans les Flandres et en Picardie. Nommé commandant du groupe d’armées nord, il combat en Artois en 1915 et sur la Somme en 1916. De 1917 jusqu’en mai 1918, il occupe les fonctions de chef d’état-major général. À cette date, la situation sur le front est précaire et les Allemands jettent leurs dernières forces
dans une nouvelle bataille de la Marne.
Le 26 mars, alors que les Allemands ont fait une brèche, l’urgence d’un commandement unique se fait sentir. Le même jour, à Doullens, près de Compiègne, les Alliés confient au général Foch la coordination de leurs armées. Le 14 mai 1918, il est nommé commandant en chef des forces alliées. Sans perdre un instant, le général s’implique personnellement dans la bataille qui fait rage sur un front de 500 kilomètres.
Ainsi, rapporte le général Weygand, son chef d’état major, en vingt-quatre heures, le nouveau commandant en chef des armées alliées, bien que muni de pouvoirs incomplets et ne disposant encore d’aucun état-major constitué, a personnellement pris contact avec tous les chefs qui sont aux prises avec l’ennemi. Il leur a fait connaître sa pensée, il leur a laissé ses instructions écrites et s’est assuré de leur exécution, il les a animé de son souffle et leur a inspiré confiance.
Le 6 août 1918, Foch est élevé à la dignité de maréchal de France et le 26 septembre, il lance l’offensive qui mènera les Alliés à la victoire. Une fois le succès acquis, après le triomphe du défilé de la victoire en 1919, couvert de gloire et d’honneurs, le maréchal de France, de Grande-Bretagne et de Pologne s’effacera volontairement.
Pendant de nombreuses années encore, il représentera triomphalement la France à l’étranger ; puis, le 26 mars 1929, onze ans jour pour jour après son intronisation à la tête des armées alliées, le corps de Ferdinand Foch « soldat de France» était conduit de Notre-Dame de Paris aux Invalides où il reposerait désormais. Parmi la foule nombreuse qui se pressait au passage du cortège, peut-être en était-il qui se souvenaient encore de son enseignement et de sa volonté de fer : victoire, égale volonté… Une bataille gagnée, c’est une bataille où l’on ne veut pas s’avouer vaincu… et encore, ultime leçon pour les chefs à venir : la victoire va toujours à ceux qui la méritent par la plus grande force de volonté et d’intelligence.
« L’avenir ne fera sans doute pas qu’accentuer, pour l’officier notamment, cette nécessité de la culture générale à côté du savoir professionnel. À mesure que s’étend le domaine de la guerre, l’esprit de ceux qui la font doit s’élargir. L’officier de réelle valeur ne peut plus se contenter d’un savoir professionnel, de la connaissance de la conduite des troupes et de la satisfaction de leurs besoins, ni se borner à vivre dans un monde à part. Les troupes sont en temps de paix la partie jeune et virile de la nation, en temps de guerre la nation armée. Comment pourrait-il exploiter de pareilles ressources ? Comment pourrait-il présider aux phénomènes sociaux, caractéristiques des guerres nationales, sans un certain savoir moral et politique, sans des connaissances historiques lui expliquant la vie des nations dans le passé et dans le présent ? »
Une fois de plus, la technicité ne lui suffira plus. Il la faut doublée d’une grande somme d’autres facultés. Facilement il comprendra d’ailleurs que son esprit et son caractère se préparent mieux pour la guerre à venir, et que la carrière se fait docilement dans la paix, si, dans un entier sentiment de discipline, il se maintient constamment, par une intelligence largement en éveil, à la hauteur des circonstances et des problèmes qui se présenteront sur sa route, plutôt qu’en vivant uniquement de la vie de garnison et en se laissant obséder par l’idée de gravir les échelons de la hiérarchie, sans justifier de capacités grandissantes. »
Ferdinand FOCH