mardi 19 mars 2024

23 mars 1885 : Naissance d’un marin et inventeur génial, Yves Le Prieur

Le 22 mai 1916 à l’aube, huit aviateurs français se préparent pour appuyer une contre-attaque audacieuse destinée à reprendre le fort de Douaumont (près de Verdun) occupé par les Allemands depuis le 25 février. Parmi eux, l’intrépide Charles Nungesser. Leur mission : détruire les ballons d’observation allemands, les Drachen, pour empêcher l’ennemi de régler ses tirs d’artillerie. Grâce à des fusées installées sur les aéronefs, les aviateurs vont faire mouche. Et tout çà grâce à… un marin : Yves Le Prieur. Un pionnier en matière d’armement aéronaval, d’aviation et de plongée sous-marine. Un personnage aujourd’hui étrangement tombé dans les oubliettes de l’histoire.

Le 22 mai 1916, en moins d’une minute, entre 4 h 50 et 4 h 51 du matin, six Drachen sur huit sont abattus par les aviateurs français sur la rive droite de la Meuse. Surpris, les Allemands descendent alors en toute hâte leurs ballons sur une ligne de front de 200 kilomètres. Les Français ont réussi leur coup grâce à une invention d’un marin dénommé Yves Le Prieur.

22 mai 1916. De gauche à droite : Yves Le Prieur (de dos), de Beauchamp, de Gennes, de Boutigny, Nungesser, Barrault, Chapus, Reservat, Guiguet.

Né en 1885 à Lorient, fils d’un officier de marine, Yves Le Prieur suit la tradition familiale. Il entre à l’École navale en 1902. Après un premier service en mer en Extrême-Orient entre 1905 et 1907 à bord de deux croiseurs(1) où il découvre la plongée sous-marine, il est envoyé les deux années suivantes au Japon comme élève-interprète. Il y découvre les arts martiaux, notamment le judo et le jiu-jitsu, dont il traduit en français un manuel publié en 1911. Passionné d’aviation, il décide de construire sur fonds propres un aéroplane en structure de bambou à partir de plans de Gabriel Voisin. Le 5 décembre 1909, aidé de la population, il décolle et vole quelques mètres. Le 9 décembre, il parcourt une centaine de mètres, tiré par une voiture. Yves Le Prieur devient ainsi le premier homme à décoller du Japon, voire d’Extrême-Orient(2).

Un inventeur ingénieux

En 1910, il revient en France par le Transsibérien. L’année suivante, il intègre l’École des officiers canonniers à Toulon. Son esprit ingénieux le porte à travailler sur les calculateurs de tir qui vont bientôt équiper les bâtiments de la Marine et qu’il expérimente à Lorient et à Saint-Raphaël. À propos de ses travaux, le directeur militaire des services des travaux est formel : « Son conjugateur de tir a permis de résoudre dans de bonnes conditions pratiques l’un des plus importants problèmes qui se posait au département pour arriver à la solution du tir de concentration. »

Au cours de la Grande Guerre, Le Prieur réfléchit à un système d’arme permettant de contrer les incursions de Zeppelin qui bombardent les lignes sans riposte efficace. Il invente ainsi des fusées sur avions. Après des études à Gennevilliers puis à Chalais-Meudon, il entreprend ses premiers essais en vol au Bourget. Le 24 février 1916, le pilote Joseph-Henri Guiguet(3) fait une démonstration réussie en présence du Président Raymond Poincaré.

Les fusées incendiaires, longues de 50 centimètres et munies d’une baguette de 2 mètres, sont placées dans des tubes fixés aux mâts de l’avion. Elles sont amorcées électriquement, les bouts d’ailes étant protégés par une tôle en aluminium. Les premiers avions qui seront armés de ce système sont les Farman et les Caudron. Viendront ensuite les Nieuport, les Sopwith, et les Spad. Les « avions-torpilleurs » emportent entre huit et dix fusées.

Un livret d’instruction spécifique, destiné aux groupes de chasse, est édité en septembre 1916, illustrant comment il faut attaquer les Zeppelin et les Drachen. Les pilotes ont interdiction d’emporter en mission ce livret classé « secret ».

Au soir du 22 mai 1916, après le succès de la mission, Yves Le Prieur est décoré de la Croix de Guerre avec étoile de bronze. Le grand quartier général décide de renouveler cette tactique dans les combats de la Somme. Elle sera conduite en juin par Georges Guynemer. Le 20 juin, le major général britannique Hugh Trenchard remet à Yves Le Prieur la Military Cross. Au cours de la Première Guerre mondiale, une cinquantaine de ballons allemands sont détruits par les fusées Le Prieur. Elles sont tirées par de célèbres pilotes comme Charles Nungesser, Georges Guynemer, Jean Navarre, le Belge Willy Coppens, le Britannique Albert Ball ou encore l’Américain Norman Prince.

À la suite de problèmes de conditionnement et à l’élaboration d’un nouveau treuil permettant aux Allemands de descendre plus rapidement les ballons, cette arme sera remplacée par des balles incendiaires. Il n’en demeure pas moins que l’esprit pionnier d’Yves Le Prieur donnera aux futures roquettes françaises leurs lettres de noblesse(4).

« Je trouve d’abord, après je cherche »

En 1917, le Président Poincaré nomme Le Prieur à la tête du Bureau des inventions, ancêtre du CNRS. Cette même année, il décroche son brevet de pilote. L’année suivante, il reçoit la Légion d’honneur. Entre 1920 et 1939, il rejoint la société Precimo comme directeur technique, puis ingénieur conseil. En 1937, il est promu au grade de capitaine de frégate dans la réserve. En 1922, il entre à l’académie de Marine. Il participe en 1925 à une mission aérienne entre Paris et Gao (Mali), expérimentant ainsi son « navigraphe ». Le Prieur poursuit sa quête d’innovations militaires, notamment sur les mitrailleuses Hotchkiss de 13,2 et 25 mm, sur une bombe avec Edgar Brandt (un des fondateurs historiques du groupe Thales) et Laboureur. Ses recherches s’orienteront également vers la plongée sous-marine, ce qui le fera rencontrer Jacques-Yves Cousteau. Il développera le premier scaphandre autonome à partir de 1926.

Yves Le Prieur s’éteint à Nice le 1er juin 1963, quatre mois avant Jean Cocteau, avec qui il s’était lié d’amitié. Un ami qui écrira à son sujet : « Votre vie de poète actif illustre sous l’angle de la science la belle phrase de Picasso : « Je trouve d’abord, après je cherche ».

Stéphane GAUDIN


NOTA : En 2016, dans le cadre du Centenaire 14-18, pour commémorer le centenaire de la roquette sur aéronef, j’avais proposé au COMALAT de faire voler ensembles une réplique de Nieuport 17 appartenant à M. Laurent THOMAS, armé de fusées-torpilles LE PRIEUR factices, et un hélicoptère de combat Tigre du 5e RHC armé de ses lance-roquettes à induction. Ce qui fut réalisé dans le ciel toulousain.

 


  1. Le croiseur cuirassé Dupetit-Thouars et le croiseur D’Entrecasteaux.
  2. Le capitaine Tokugawa fut le premier Japonais à décoller du sol du Japon le 19 décembre 1910.
  3. Joseph-Henri Guiguet (1891-1979) : Aviateur français de la Première Guerre mondiale réputé pour ses aptitudes au pilotage et pour la mécanique. Par la suite, il deviendra architecte, inventeur et mécanicien.
  4. Un siècle plus tard les roquettes à induction, fabriquées par THALES qui arment l’hélicoptère Tigre et qui sont éprouvées au combat depuis 2009, restent les plus modernes au monde. Prochainement les forces françaises seront dotées de la roquette à guidage laser.
Stéphane GAUDIN
Stéphane GAUDINhttp://www.theatrum-belli.com/
Créateur et directeur du site THEATRUM BELLI depuis 2006. Chevalier de l'Ordre National du Mérite. Officier de réserve citoyenne Terre depuis 2018 (LCL), rattaché au 35e régiment d'artillerie parachutiste de Tarbes. Officier de réserve citoyenne Marine de 2012 à 2018 (CC). Membre du conseil d'administration de l'association AD AUGUSTA et de l'Amicale du 35e RAP.
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