Nous avons tous une idée sur ce qui se passe dans l’espace. Ne nous mentons pas, elle est souvent très largement inspirée par la culture populaire. Le cinéma en particulier propose depuis des décennies les illustrations qui peuplent notre imaginaire. C’était mon cas lorsque le monde spatial est entre dans ma vie professionnelle, d’abord dans le cadre des programmes militaires français, puis comme commandant de l’espace – un titre officiel auquel je ne renoncerais pour rien au monde !
J’ai découvert un monde qui vit des bouleversements de l’ampleur de ceux qu’il a connus il y a soixante ans avec la course à l’espace entre les Etats-Unis et l’Union soviétique. La fin des vols lunaires habités a marqué le début d’une longue pause, ou plutôt d’un ralentissement. Largement dominées par les états, leurs agences et quelques industriels tries sur le volet, les évolutions techniques ont alors été largement orientées vers l’observation scientifique de l’univers et l’exploration du système solaire. On ne peut s’empêcher de penser à l’extraordinaire programme Voyager, lance en 1972, dont les sondes voguent désormais en dehors de notre système, et fonctionnent toujours ! Mais désormais, l’arrivée d’une multitude de nouveaux acteurs que permettent la miniaturisation, la numérisation et la maitrise des matériaux de haute performance, relance l’intérêt pour un milieu qui reste pourtant aussi hostile que difficile d’accès. Elle relance la compétition entre les états, crée des ambitions chez de nouveaux géants industriels et commerciaux, et fait apparaitre un secteur économique dont les chiffres font rêver les investisseurs.
Si les perspectives économiques sont évidemment le facteur primordial d’un essor rapide, il ne faut pourtant pas occulter les autres enjeux stratégiques qui sous-tendent le secteur. On ne rappellera jamais assez comment nous sommes devenus, nous terriens et sans nous en apercevoir, dépendant de l’espace dans pratiquement tous les domaines de notre vie quotidienne.
L’omniprésence du GPS, mis à la disposition de l’humanité par les Américains en est un exemple éclatant. On ne soulignera jamais non plus assez combien le pressentiment que l’autonomie d’accès à l’espace était un enjeux stratégique incontournable avait été, dès les années 1970, visionnaire pour les Européens. Mais surtout, on ne pourra jamais insister suffisamment sur l’engouement général pour l’aventure que constitue la conquête de cette ultime frontière, pour autant que l’on puisse accepter l’idée de fixer une frontière a un monde en perpétuelle expansion. L’imagination, les rêves et les ambitions techniques sont de retour pour générer des innovations diverses en mode bouillonnement. Et c’est a ce point que les étoiles qui sont nées au fond de nos yeux, image appropriée s’il en est, sont obscurcies par de sombres nuages. Avec les nouveaux usages et l’accessibilité des nouvelles technologies apparaissent des risques – ou des tentations – de mésusage dans des compétitions tous azimuts, ou tous les coups semblent permis. Le militaire que je suis, utilisateur de longue date des services spatiaux pour s’affranchir des distances et des obstacles, se voit désormais confier un tout nouveau rôle, celui d’assurer que l’espace restera pacifiquement exploitable par l’humanité dans les décennies qui viennent, comme le décrit le traité de 1967. Et ce sont encore de nouveaux usages qu’il faut envisager, cette fois pour les forces militaires et leurs capacités spatiales, au profit d’une sécurité collective qui s’affranchit nécessairement des frontières puisqu’il n’y en a aucune en dehors de l’atmosphère terrestre. Et c’est aux militaires qu’il revient d’imaginer les pires scenarios, mais aussi de créer les moyens de s’en prémunir, en vertu du vieil adage qui veut que celui qui cherche la paix ne peut s’exonérer de préparer sérieusement la guerre. Le perfectionnement du glaive et du bouclier prend une nouvelle dimension.
L’état des lieux est fait, et il est l’objet de nombreux ouvrages littéraires actuellement. En français seulement, on signalera la publication ces derniers mois de trois ouvrages didactiques par d’anciens militaires ou des académiques. Les constats sont très similaires entre ces trois auteurs, ainsi que les inquiétudes pour l’avenir de l’exploitation de l’espace face a son utilisation débridée. Ces inquiétudes ne sont pas sans rappeler les discussions sur l’imprévoyance humaine dans la consommation des ressources de notre planète. Elles appellent aussi l’attention du lecteur sur les enjeux de puissance entre états lies à l’espace et les menaces qui en sont une conséquence directe, les capacités spatiales devenant des cibles de plus en plus évidentes dans les conflits auxquels nous devons nous préparer.
Parmi les constats partages, l’importance de la coopération entre militaires dans le domaine de l’espace prend une place de choix dans les publications sur les problématiques de sécurité que nous partageons. C’est pourquoi je suis particulièrement heureux de soutenir ici la sortie « de ce côté-ci des Alpes » d’un texte utile, qui contribue à la coopération entre la France et l’Italie dans le domaine du spatial militaire. Ces quelques mots me donnent par ailleurs l’occasion de saluer au passage le général Davide Cappelletti, mon homologue italien jusqu’à l’été 2024, avec lequel les relations ont été particulièrement cordiales et productives. Dans La Guerre des satellites l’auteur nous offre une vision renouvelée des constats et des enjeux liés à l’éventualité, très plausible, de conflits spatiaux. Son œil acéré de journaliste, attache au message comme a l’anecdote, livre un récit vivant et précis, enracine dans l’histoire très récente des soubresauts de notre continent. L’autre angle novateur pour lequel ce nouvel opus est bienvenu réside dans sa lucidité concise sur l’imbrication du spatial avec les autres secteurs de l’activité humaine et ses interactions avec les mutations de nos sociétés.
Que Frediano Finucci et ses éditeurs soient ici remerciés pour cette contribution pédagogique au travail collectif qu’il nous faut conduire pour éviter le pire tout en continuant a préparer a nos successeurs le meilleur des avenirs.
Général de division aérienne Philippe ADAM
Commandant de l’Espace
- Éditions l’Artilleur (17,90 €, 182 pages)
- L’auteur : Frediano Finucci est journaliste, spécialiste des questions techniques et économiques. Il est rédacteur en chef étranger de la chaîne italienne de télévision « La 7 ».