Reprenant une idée de Bonaparte en Egypte (1799), le commandant Laperrine recrute dès 1901 des nomades qu’il encadre par des officiers français sachant monter les dromadaires. Il s’agit pour lui de remplacer les troupes spéciales sahariennes (1894) composées uniquement de Français, issus des Spahis et Tirailleurs et donc moins rompues à la nomadisation dans le désert. Laperrine convainc le commandement de créer par Loi de finance du 30 mars 1902, cinq compagnies méharistes sahariennes.
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Saint-Cyrien cavalier, Laperrine est sorti de Saumur en 1881 et a très tôt orienté sa carrière vers l’Afrique du Nord, puisqu’il participe dès l’année suivante aux opérations en Tunisie qui aboutiront à l’établissement du protectorat français. En 1888, il publie une Étude des différents rôles que peut tenir un escadron de cavalerie dans une insurrection en Algérie. Il y insiste sur la confiance réciproque entre chef et subordonnés et sur la recherche permanente de l’initiative par le subordonné. En 1889, Laperrine rejoint l’escadron de spahis du Sénégal où il prend part à plusieurs opérations (les « colonnes » selon l’expression de l’époque). Il prend le commandement du 2e escadron de spahis soudanais, ce qui lui donne l’occasion de prendre part ou de conduire à son échelon plusieurs opérations contre les touaregs. Dans tous les cas, il s’efforce de rallier les populations. En 1897, il commande l’escadron de spahis sahariens où il ne peut que déplorer l’inadaptation de son personnel au désert.
Lorsque la loi du 24 décembre 1902 crée les « Territoires du Sud », Laperrine qui avait été nommé le 6 juillet 1901 au commandement militaire supérieur des oasis sahariennes va pouvoir bénéficier d’une large autonomie, puisqu’il échappera à la tutelle tatillonne d’Alger, les « Territoires du Sud » bénéficiant d’une administration et d’un budget spécifiques. Le commandement des oasis sahariennes dévolu à Laperrine se subdivise en trois annexes : In Salah, Timimoun et le Touat.
Dès qu’il est nommé, le chef d’escadrons Laperrine s’emploie à recenser les habitants, les palmiers et les chameaux, à établir des notices sur chaque ksour, à établir des relevés topographiques destinés à établir une cartographie de la zone et, dépassant les limites de leur territoire, ses officiers ont recueilli sur les Touaregs et leurs axes de progression de précieux renseignements. Même s’il noue de bons contacts avec la population, creuse des puits artésiens, développe l’agriculture dans les oasis et place au sein de ses trois annexes des notables locaux en position d’intermédiaires entre la population et le commandement, le problème central demeure celui de la sécurité : les axes, ainsi que certaines oasis, demeurent à la merci des razzias des pillards touaregs et berabers. Toute action militaire étant fondée sur de bonnes liaisons, Laperrine établit une ligne télégraphique doublée d’une ligne téléphonique entre El Goléa et Timimoun et vise à la prolonger, d’un côté vers Beni Abbes et de l’autre vers In Salah. Une ligne postale hebdomadaire fonctionne entre Timimoun et In Salah où il établit des facteurs-receveurs.
Lorsque le commandement des oasis a été conçu en 1901, un projet d’organisation de trois « compagnies sahariennes » correspondant aux trois annexes avait commencé à voir le jour. Elles furent effectivement mises sur pied l’année suivante[1] mais demeurèrent longtemps théoriques. Le recrutement de la troupe devait se faire au sein de la population locale ou, à défaut, parmi les volontaires des formations indigènes ; en fait, tirailleurs et spahis sahariens constituèrent les premières unités. Consulté, Laperrine proposa d’abaisser la durée d’engagement de quatre à deux ans.
La mise sur pied de ces compagnies prit trois ans, jusqu’en 1905. Laperrine commença par changer leur organisation interne en modifiant le régime de recrutement : lors de la création de la compagnie de la Saoura en 1904, il remplaça le système de l’engagement de deux ans par celui du commissionnement : il s’agissait d’engagements à l’essai reportables de mois en mois. La mise sur pied de la compagnie de Colomb suivit le 7 juin suivant.
Mais il fallait adapter chaque compagnie à sa mission spécifique. Elles avaient été créées sur un tableau d’effectifs et de dotations identiques et à base de fantassins en vue d’une mission strictement défensive, s’opposer aux incursions des nomades dans les palmeraies. Or, les zones d’action de ces compagnies étaient différentes et le seul moyen d’endiguer le fléau des razzias était qu’elles disposassent de leur propre mobilité pour pourchasser, atteindre et réduire les pillards sur leur propre territoire. Laperrine transmit à Lyautey, commandant la subdivision d’Aïn Sefra, plusieurs propositions d’aménagement de ses documents d’organisation, qui, transmises au ministère de la Guerre avec avis favorable, s’y virent retoquer au motif de leur coût en effectifs. Ce refus amena Laperrine à résoudre la question à son niveau… sous enveloppe budgétaire constante. Il pallia l’insuffisance de mobilité en faisant appel au goût des nomades à servir à méhari, sachant que le méhariste se verrait allouer une solde inférieure à celle du fantassin.
Dans son rapport de 1904, Laperrine envisagea une composition spécifique pour chacune de ses compagnies, en fonction du rôle et de la zone d’action qui lui étaient dévolus. Il proposait en conséquence un tableau d’effectifs aménagé. Mais, cette adaptation entraînant un supplément de dépenses non recevable, cette réorganisation ne pouvait qu’aboutir à la dissolution d’une des compagnies et du report des crédits rendus disponibles sur les autres, ce qui fut officialisé par le décret du 1er août 1905.
Ce décret permit une organisation rationnelle dans la mesure où il mettait sur pied des formations en mesure de combattre les nomades sur leur propre terrain.
La compagnie saharienne du Touat, la plus importante avait bénéficié de la dissolution de celle du Gouara. Elle occupait le groupe d’oasis Touat-Gouara et était considérée par Laperrine comme une réserve mobile face aux Berabers, ce qui justifiait l’importance du volume de son groupe méhariste : 200 méharistes contre 25 cavaliers et 200 fantassins.
La compagnie saharienne du Tidikelt avait une double mission : tenir les centres d’In Salah et d’Alouef tout en disposant, en permanence, d’un groupe mobile susceptible d’être engagé à méhari dans les délais les plus brefs. Ayant une mission semblable à celle du Touat, elle disposait d’un tableau d’effectifs différent, moins nombreux mais avec une part plus élevée de méharistes.
Des deux compagnies sahariennes créées en 1905, celle de Colomb ne comprenait aucun méhariste, la proximité de la frontière marocaine exigeait la possibilité de mener des raids courts mais rapides, à la portée des cavaliers. Elle ne comptait également aucun fantassin, les postes du sud-oranais étant tenus par des unités régulières. Il s’agissait en fait, selon les termes de Laperrine, d’une « unité de cavalerie allégée vivant sur le pays ».
La compagnie saharienne de la Saoura avait comme mission l’occupation et la protection du territoire de l’annexe de Beni Abbès avec effort porté sur l’Oued Saoura et ses deux rives. Dans l’Oued, l’obligation de raids rapides et les facilités de ravitaillement faisaient préférer le cheval au méhari, tandis que ce dernier retrouvait toute sa valeur sur les rives. Cette compagnie, ne disposant d’aucun fantassin, faisait jeu égal entre méharistes et cavaliers.
Ainsi, l’action de Laperrine aboutit à mettre l’accent sur la mobilité, apanage des méharistes dans le théâtre particulier et exigeant que constituait le désert. L’idée maîtresse du commandant des oasis, qui a guidé toute son action, apparaît clairement et de façon très explicite dans les Directives pour la formation, le commandement et l’instruction des compagnies sahariennes qu’il rédigea en 1905 : tout devait concourir à la mise sur pied d’une troupe « joignant aux qualités militaires d’effectifs européens la mobilité et la rusticité d’un goum ». S’agissant des principes d’emploi et d’engagement de ses unités, il s’inspire de ceux de son adversaire : le cavalier doit dresser son cheval à ne pas avoir peur du chameau et il doit pouvoir monter un méhari tout en menant son cheval à la longe : « L’ennemi touareg du Sud en rezzou emploie ce moyen pour avoir des chevaux frais pour la poursuite. Il peut être bon de faire comme eux à un moment donné ». Tout l’entraînement du méhariste découle de celui des indigènes : « Le travail individuel du méhari ressemble à celui du cheval. Il existe une voltige à méhari chez les touaregs et les chaamba ».
Sur le plan administratif, la liaison entre l’Afrique du Nord et l’Afrique noire buta pendant des années autant sur des conceptions divergentes d’officiers d’armes différentes (coloniale et armée métropolitaine) que sur des obstacles de nature opérationnels : sur le tracé effectif de la frontière entre l’Algérie et le Soudan, l’implantation des postes, les soumissions des tribus et leur affectation à chaque territoire, ils n’étaient d’accord sur rien. Il fallut attendre la convention de Niamey, signée par Laperrine et le colonel Venel en 1909 pour que les zones d’action respectives entre les troupes coloniales et algériennes fussent arrêtées d’un commun accord. À son départ, en 1911, Laperrine avait ainsi établi des rapports officiels entre les deux « rives » du Sahara.
Disparu trop tôt dans l’accident d’avion du raid Paris-Alger-Tombouctou-Dakar, conduit par le commandant Vuillemin [2], Laperrine n’a pas pu imprimer sa marque à l’évolution des compagnies sahariennes. À l’instar des unités de cavalerie métropolitaines, elles connurent une querelle des Anciens et des Modernes : à la dialectique du cheval et du char de la métropole répondait au Sahara celle du chameau et de la motorisation. Les « vieux méharistes » imposant leurs vues, la motorisation des compagnies sahariennes était à peine ébauchée en 1940 [3] et ce furent les fameux raids de la « colonne Leclerc » sur Morzouk, Koufra et les postes du Fezzan qui l’imposèrent.
NOTES :
- Loi de Finances du 30 mars 1902, décret du 1er avril 1902 et Instruction ministérielle du 3 avril 1902.
- Le malheureux chef d’état-major de l’armée de l’Air en 1940.
- Alors que la croisière jaune, en Asie, avait démontré tout l’intérêt de la motorisation dès 1931.