mardi 23 juillet 2024

Alep devait tomber

Les indignations se déchaînent après la chute d’Alep. Les mots habituels de la classe médiatico-politique avec leur disproportion entre la réalité et les effets psychologique recherchés auprès de nos opinions publiques ressortent : population fragile à protéger, massacre des civils, aide humanitaire impossible, menace d’une crise humanitaire majeure, des femmes, des enfants, des vieillards tués ou menacés d’être massacrés.

Des manifestations de quelques centaines parfois de quelques milliers de personnes sont mises en exergue avec complaisance mais que représentent-elles à l’aune du nombre de réfugiés ou de déplacés syriens ? Et puis, ne nous voilons pas la face : Alep est-il notre problème ? Assad fait-il partie de nos préoccupations immédiates ?

Alep, devenue ville symbole, était bien dans sa partie rebelle une ville où les populations étaient prises en otage avec une campagne médiatique pour faire des rebelles, presque des démocrates avides de liberté alors qu’ils avaient laissé la place depuis un certain temps à des islamistes radicaux.

De fait, nous n’avons rien à faire d’Alep et les guerres perpétuelles au Moyen-Orient usent notre patience. Elles échappent à notre compréhension. Seules nous concernent la question éventuelle des réfugiés et surtout la menace de l’islamisme radical si cette menace vient à se manifester sur notre territoire national ou contre nos intérêts.

Alep est aussi tombée parce que ceux qui affichaient le soutien à l’insurrection syrienne, pourtant largement récupérée par les mouvements islamistes, n’ont rien fait ou presque. Etaient-ils prêts à faire à guerre à Assad quand cela était possible, donc avant l’intervention de ses alliés ? Prenons l’exemple affligeant d’Obama qui ne cesse de s’excuser en fin de mandat pour ce qu’il n’a pas fait ou voulu faire. Le président Hollande était prêt à intervenir militairement avec les Américains contre l’ennemi désigné, Assad, et avait été laissé seul par ce même président Obama.

De fait, Assad n’étant plus à combattre ouvertement, seuls restaient les groupes djihadistes mélangés à l’ASL qui, par extension, menaçaient la France. Dès lors que l’Occident n’est pas intervenu contre Assad, la Russie et l’Iran ont alors imposé leur choix géopolitique. Ils sont surtout les premiers signes réels de l’effritement progressive sinon inéluctable de l’influence occidentale qui sera de plus en plus battue en brèche au fur et à mesure des crises internationales à venir.

Les conséquences ou enseignements du conflit syrien et de la chute d’Alep, symbole bien médiatisé de la « résistance » à un dictateur, en sont multiples et logiques sur les plans militaire et géopolitique :

1) L’Occident et les Etats-Unis en particulier sont décrédibilisés au Moyen-Orient.

2) Dès lors qu’Assad n’a pas été l’objet d’une attaque militaire pour lui faire quitter le pouvoir, la stratégie militaire occidentale s’est limitée à combattre le mouvement « ’état islamique », acceptant de fait qu’Assad reste au pouvoir et que rien ne pourra changer cette situation au moins à court sinon à moyen terme.

3) Le conflit syrien a rappelé cruellement aux occidentaux que l’impasse sur des forces armées crédibles, l’absence de volonté des politiques mais aussi des peuples à assumer une guerre, ont laissé la place au recours à la force comme mode d’action acceptable pour résoudre un conflit au XXIe siècle. Ce conflit remet en cause l’ordre international installé au lendemain de la seconde guerre mondiale. Un nouvel ordre international se met en place, plus dur, plus subtil aussi, où les européens en particulier resteront une zone de marché économique à conquérir ou une source de financement de la reconstruction des Etats après une guerre, sinon de financement de la guerre des « autres », sans plus.

4) Quand on décide de faire la guerre, on la mène jusqu’à la victoire. C’est ce que montre la bataille d’Alep. La ville devait tomber dès lors que des moyens importants notamment étrangers étaient engagés, l’insurrection étant laissée à elle-même et se confondant avec l’islamisme radical. Même pour des Etats au régime autoritaire comme la Russie ou l’Iran, les coûts humains et financiers imposent une victoire sur l’ennemi à l’issue d’un tel engagement ;

5) Militairement parlant, Alep devait aussi tomber pour ne pas devenir un abcès de fixation au Moyen-Orient comme Sarajevo l’a été en Europe notamment dans sa dimension humanitaire qui « perfusait » une population civile mais aussi les combattants. Il faut sortir de cette logique humanitaire à « l’européenne » qui permet à la guerre de durer car nourrir et soigner les populations signifient aider aussi les belligérants qui en bénéficient. Il est possible de faire preuve d’humanité dans une guerre mais l’angélisme n’est plus de rigueur.

Les occidentaux ont pris l’habitude au nom du droit humanitaire de faire durer les conflits et finalement de les « pourrir » dans l’objectif qu’une négociation plus équilibrée s’installerait à terme sous l’égide de la communauté internationale. Ce temps semble révolu et l’ONU, création occidentale qui symbolise cette bonne conscience, en ressort bien affaiblie.

5) Critiquer Poutine est facile. Or, la Russie a agi avec pragmatisme et efficacité. Elle a su mettre en place une stratégie efficace s’appuyant sur ce qui peut s’appeler la guerre hybride, mettant en synergie tous les instruments de pouvoir y compris celui de l’information. Grâce à nos faiblesses exploitées avec intelligence, la Russie a retrouvé ainsi une place d’acteur majeur de la communauté internationale, que cela plaise ou non.

Avoir une pensée stratégique, avoir bien étudié les vulnérabilités des occidentaux, européens et américains, si sûrs de leur force morale et de leur capacité de persuasion, disposer de forces armées efficaces après plusieurs années de remontée en puissance, ont montré qu’une stratégie militaire peut exister au XXIe siècle pour affirmer son statut de grande puissance.

6) Le prochain test sera sans doute celui de la mer de Chine et l’affrontement possible avec les Etats-Unis. La militarisation des iles, y compris en capacités dites d’autodéfense avec un grand nombre de chasseurs et une défense anti-aérienne forte, prépare le futur théâtre d’engagement entre cette fois une puissance asiatique et une puissance occidentale, comme le Japon et la Russie en 1905.

N’oublions pas que la suprématie occidentale s’appuie sur la domination de l’espace aérien. Que ce soit les Russes en Syrie ou les Chinois en mer de Chine, cet avantage est désormais fortement affaibli et l’aversion occidentale pour le déploiement de forces terrestres, la peur des pertes humaines, mettent désormais les forces occidentales en position défensive, sinon en situation d’afficher un profil bas.

Pour conclure, Alep devait donc tomber car tous les facteurs permettant une victoire militaire, donc politique, étaient mis en place. Les insurgés devraient désormais commencer à négocier pour une sortie de crise. Il faut savoir reconnaître sa défaite même si des zones restent sous le contrôle de l’insurrection.

Il est temps aussi pour l’occident de revoir sa stratégie y compris militaire qui ne peut pas se limiter à s’indigner, à donner des « bons » et des « mauvais » points à tel ou tel Etat, y compris par le biais de sanctions économiques. La faiblesse a un prix. Les règles de fonctionnement des relations internationales ont désormais changé au détriment notamment des européens. Il est temps qu’ils en tirent toutes les conséquences.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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