dimanche 21 juillet 2024

Armées : moral, condition militaire et état des rémunérations.

Une semaine où les déplacements du ministre de la défense sont nombreux (problématique de la BFA et du 110e RI, Colmar, le 14 octobre au 2e RIMA…) pour rassurer les communes accueillant des garnisons. Il n’empêche que les choix auront lieu en temps et en heure.

Soulignant le paradoxe d’un monde plus dangereux et de la diminution drastique des forces armées, c’est aussi cette émission (avec un reportage intéressant sur le Mali) aux échanges vigoureux ce vendredi 11 octobre dans C dans l’air avec pour intervenants le général Desportes, Isabelle Lasserre, Pierre Servent, Pascal Boniface justement sur cette nième « transformation/ adaptation/ réduction » des forces armées.

Le moral des militaires selon les intervenants est considéré comme généralement bas (voir par exemple les commentaires sur Secret défiance concernant une éventuelle loi de dégagement des cadres évoquée en juin 2013). Le Monde relève cette baisse de moral dans son édition du 12 octobre. Il précise incidemment que des membres du cabinet du ministre de la défense d’aujourd’hui étaient déjà présents en 2001. Ils n’avaient pas vu arriver la grogne des gendarmes. Cela signifierait-il qu’une grogne des militaires des trois armées pourrait survenir « par surprise » ?

Je rappellerai volontiers un fait vécu et formateur lors de cette période de 2001. Membre du conseil de la fonction militaire terre, j’avais assisté à ce grand moment du ministre de la défense de l’époque, Alain Richard, rejetant d’un revers de main dédaigneux les demandes notamment matérielles du CFMT au titre des RTT. Il n’avait pas d’argent. Un mois après, les gendarmes étaient dans la rue. Le ministre débloquait 285 millions de francs presqu’immédiatement…

En complément de la faiblesse du moral, j’ajouterai le facteur aggravant pour la base que représentent les silences de la haute hiérarchie militaire face à l’affaiblissement ressenti des armées. Certes, il est toujours possible de se référer au discours du chef d’état-major des armées aux stagiaires de l’Ecole de guerre du 25 septembre, enfin, mis en ligne le 30 septembre sur le seul site de l’état-major des armées. Les commentaires au billet de Jean-Dominique Merchet du 10 octobre sont intéressants.

D’autres commentaires, parfois de peu de crédibilité, de la blogosphère (Secret défiance, Adefdromil) se focalisent aussi sur les généraux en seconde section qui s’expriment sur la réduction des armées, qui ne s’étaient pas exprimés durant leur période active et qui ont beaucoup d’idées aujourd’hui mais hier, qu’ont-ils fait dans leur grande majorité ? Se posent donc les questions de la liberté d’expression des militaires (mais le statut de 2005 y répond) et de la volonté de participer au débat démocratique sur la défense. Il y a là en revanche un réel chantier avec sans doute un vrai choc culturel interne à venir dans ce cas.

Dans le maelstrom des mauvaises nouvelles, s’ajoutent les critiques de la cour des comptes exprimées dans son rapport sur la rémunération des militaires rendu public ce 11 octobre 2013 : « Les dépenses de rémunération des personnels militaires communiquées par le ministère de la défense, se sont élevées à 7 703,8 M€ en 2012. Entre 2008 et 2012, ces dépenses ont progressé de 5,5%, alors que, sur la même période, les effectifs militaires ont diminué de 8,6% ». Exprimées ainsi, il est facile de s’offusquer de ces dépenses (inférieures cependant aux quelques 16 000 M€ du Titre V).

Cependant, la lecture de l’ensemble du rapport donne pourtant une tonalité différente : absence certes de maîtrise des dépenses mais avec la conséquence de ne plus permettre « d’honorer l’intégralité du plan d’amélioration de la condition des personnels militaires » ; rémunérations des militaires français, inférieures à celles qui sont données au Royaume-Uni ou en Allemagne mais en partie compensées par le régime des retraites : rémunérations réévaluées depuis 2008 suite aux travaux du HCECM pour répondre au constat d’une évolution défavorable de la rémunération des militaires par rapport à celle des fonctionnaires civils ; prise en compte du report de l’âge de la retraite ; enfin économies issues de la déflation des effectifs qui ont été fortement surévaluées.

En effet, le coût de la réforme engagée en 2008 n’a pas été évalué précisément. Cela pose pour moi la problématique de la crédibilité de nos différents réformateurs, capables d’initier des réformes à forte visibilité, sans risques puisque les militaires ne descendent pas dans la rue, et incapables manifestement d’en estimer tous les effets. Il faudra peut-être en tirer, un jour, quelques enseignements pour l’organisation du ministre de la défense à moins que cela ne soit en cours.

Concernant le dépyramidage des effectifs, un oubli doit cependant être réparé. La majorité des personnels sont sous contrat donc sous la menace de sa non-reconduction. En revanche, l’encadrement a un statut et donc une protection de « l’emploi » au même titre que les fonctionnaires (à qui on ne proposerait pas de rejoindre au plus vite le privé). Il y a donc mécaniquement une surreprésentation temporaire des grades supérieurs.

Le rapport reste riche en informations. Je vous invite à lire l’analyse du général (2S) Allard (Bonjour, mon général) qui a vite et donc utilement réagi au rapport de la cour des comptes (Cf. « Lignes de défense » de ce jour).

Dans cette grande manœuvre civile de l’adaptation des forces armées, je prendrai aussi à titre d’exemple l’armée britannique, souvent vantée. Or, elle subit une désagrégation encore plus brutale que celle de l’armée française avec la diminution de dizaines de milliers de militaires. « The Telegraph » de ce dimanche 13 octobre répercute cet avertissement de plusieurs « senior military sources », sans préciser leur niveau de responsabilité mais on peut supposer que ces sources sont de haut niveau. Il est adressé à l’administration civile et politique du ministère de la défense. Il concerne une part du budget de la défense non attribué aux armées malgré son vote.

Cet article se réfère globalement aux mêmes arguments entendus contre les armées : inaptitudes à se gérer financièrement, difficultés des rapports avec le ministère de l’économie et des finances. Les mêmes promesses pour l’avenir sont évoquées : une armée moins nombreuse, plus efficace, mieux équipée dans le futur à partir de 2015 pour le modèle d’armée 2020… Je verrai volontiers dans cet exemple britannique à la fois une source de réflexion et un enseignement à exploiter sur ce qui pourrait menacer demain les forces armées françaises dans leur fonctionnement et l’accomplissement de leurs missions.

Enfin, la lecture de l’éditorial du Monde de ce dimanche matin m’incite à conclure avec la remise du prix Nobel de la paix. Le quotidien rappelle que l’un de ses objectifs est de récompenser « celui qui aura agi le plus ou le mieux pour la fraternisation des peuples, l’abolition ou la réduction des armées permanentes ainsi que pour la formation et la diffusion de congrès de la paix ». Pour la réduction des armées permanentes, qui recevra le prix Nobel de la Paix dans quelques années ? (Mais c’est juste pour réfléchir !)

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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