jeudi 25 avril 2024

Audition de l’amiral Pierre Vandier, Chef d’état-major de la Marine (Assemblée nationale, 13 octobre 2021)

Madame la présidente Françoise Dumas. J’ai rendu, hier soir, au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées, l’hommage qu’il méritait à Hubert Germain, dernier compagnon de la Libération, en soulignant que les générations d’aujourd’hui se devaient d’être à la hauteur de l’héroïsme qui animait les membres de cet ordre. Les soldats de l’opération Barkhane, qui luttent pour notre sécurité dans le désert du Sahel, démontrent qu’ils en sont capables, en s’engageant pleinement, au risque de leur vie, dans des missions souvent très périlleuses. Je veux aussi rendre hommage à Adrien Quélin, maréchal des logis, qui, hier, est décédé accidentellement au Mali. Nos pensées vont, naturellement, à sa famille, à ses proches et à l’ensemble de ses frères d’armes.

Amiral, je vous remercie de votre présence pour ce cycle d’auditions consacré au projet de loi de finances (PLF) pour 2022. La multiplication des théâtres d’opérations maritimes, ces derniers mois, constitue une bonne illustration de ce que vous affirmiez lors de votre audition dans le cadre du PLF pour 2021. Vous faisiez état d’une nécessaire remilitarisation de la mer, « parce qu’elle est un démultiplicateur de puissance et de souveraineté » et qu’elle est « le lieu idéal pour défier les règles sans grande difficulté. C’est un espace commun où les limites restent floues – quand elles existent – et qui peut donc être rapidement régi par la loi du plus fort ».

En effet, on perçoit aujourd’hui cette évolution en Atlantique, en Méditerranée orientale, dans le golfe Persique et dans la zone indo-pacifique, tout particulièrement en mer de Chine, où les bâtiments de la marine patrouillent régulièrement – vous pourrez donc sans doute nous faire part de votre expérience de façon précise. La récente crise des sous-marins australiens s’explique en grande partie par le retour accéléré des politiques de puissance. Au demeurant, peut-être pourriez-vous nous donner votre sentiment sur cette crise et sur les tensions géopolitiques sous-jacentes, d’autant qu’elle concerne un espace maritime où se trouve 93 % de notre zone économique exclusive (ZEE). A-t-elle eu un impact sur vos relations respectives avec vos homologues d’Australie, des États-Unis et du Royaume-Uni – trois pays avec lesquels nous avions des liens étroits ?

L’énumération des zones d’engagement potentiel renvoie régulièrement à la question du format de notre marine, que les membres de notre commission évoquent souvent et sur laquelle votre point de vue est attendu. Dans quelle mesure la France a-t-elle les moyens de ses ambitions ? A-t-elle la capacité nécessaire pour jouer son rôle de puissance d’équilibre sur les diverses mers du globe où ses intérêts l’appellent ? L’an dernier, vous indiquiez qu’une marine de combat s’entretient et se renouvelle en permanence. À cet égard, le PLF pour 2022 porte témoignage du renouveau des capacités de la marine, puisqu’un certain nombre de livraisons de bâtiments, de frégates, de sous-marins et d’avions sont prévues. Je vous laisserai le soin d’en dresser la liste précise, car elle nous intéresse au premier chef. En outre, comment la marine parvient-elle à inscrire ces livraisons dans la mise en œuvre du plan Mercator ? Celui-ci, je le rappelle, est fondé sur trois axes d’action : une marine de combat, une marine en pointe, une marine de tous les talents.

Je souhaiterais également que vous reveniez sur un axe important de l’actualisation de la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale, celui de la guerre des abysses. La maîtrise des espaces maritimes s’étend désormais aux grands fonds marins, où des puissances développent de nouvelles capacités, dont certaines sont inquiétantes pour nos communications, comme pour la dissuasion. Où en est la marine ? Est-elle en mesure de maîtriser les fonds marins, dont nous sommes très dépendants ? Je partage votre conviction, amiral : plus encore que pour les deux autres armées, la capacité d’action et d’influence de la marine demeure strictement dépendante de la disponibilité de chaque bâtiment. Pouvez-vous donc nous décrire la situation à cet égard en 2021, en commençant par le sous-marin Perle, ainsi que les perspectives ouvertes par le PLF pour 2022 ?

Enfin, pouvez-vous nous parler des hommes et des femmes qui font la force et la fierté de la marine ? L’an dernier, vous évoquiez la nécessité d’accroître leur force morale, car c’est elle qui, le jour venu, fait toujours la différence. Le patriotisme, l’esprit d’équipage, le courage physique, la curiosité intellectuelle et le refus de l’échec sont autant de vertus cardinales nécessaires dans la perspective de combats navals. Cette perspective n’est plus une hypothèse d’état-major, c’est ce à quoi la marine doit se préparer – vous l’affirmez régulièrement. Dans ce contexte, l’enjeu pour la marine est de continuer à être crédible sur l’ensemble du spectre de l’action de l’État en mer, y compris dans la mise en œuvre de la dissuasion nucléaire. Vos ressources humaines permettent-elles d’envisager cela sereinement ?

Je souhaite, pour conclure cette dernière audition budgétaire de la législature, remercier nos deux rapporteurs pour avis, MM. Jacques Marilossian et Didier Le Gac. Ils ont été à la fois talentueux et porteurs de propositions concrètes ; ce sont des marins dans l’âme et dans le cœur.

Amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la Marine. Vous avez, madame la présidente, parfaitement souligné les défis et les enjeux auxquels la Marine doit faire face, sur toutes les mers où elle est présente. Pour ma part, je commencerai par un point sur le contexte géopolitique. Bien que nous soyons réunis pour évoquer le budget de la Marine nationale pour l’année 2022, il me semble important de mettre en perspective notre niveau d’ambition – celui que vous avez fixé – en tenant compte de la situation internationale, qui évolue très rapidement.

Mon analyse de la situation géopolitique n’a pas fondamentalement changé depuis ma dernière audition budgétaire, il y a un an. L’accélération de la trajectoire ne se dément pas : nous sommes en train de passer, violemment, de l’ordre au désordre international. Le récent accord de défense AUKUS, qui a mis fin au Future Submarine Program (FSP), a ouvert la voie à l’emploi futur par l’Australie de sous-marins à propulsion nucléaire. Cela contribue à l’aggravation générale de la confusion stratégique. C’est, de fait, un amer de plus qui disparaît dans la brume géopolitique internationale, laquelle se fait chaque jour un peu plus dense. Il y a quinze jours, j’ai dit à mon état-major, en guise de mot de rentrée, que le tempo géopolitique accélère et que nous devons nous garder d’apporter des réponses trop linéaires dans un monde qui évolue de façon exponentielle. Pour tenter de résoudre ce problème, nous devons, dans le cadre fixé par la modernisation des moyens, accélérer la préparation opérationnelle de la marine, pour qu’elle soit prête à affronter une compétition navale mondiale qui, au cours des dernières années, a singulièrement élevé le niveau de jeu.

La mer a donc, une fois de plus, attiré les projecteurs.

Premièrement, la crise sanitaire, qui sévit depuis bientôt deux ans, nous a fait prendre conscience de nos propres dépendances logistiques et d’une face cachée de la mondialisation. Elle a été particulièrement difficile à vivre pour les personnels de la Marine, dont les foyers ont dû supporter l’absence du conjoint ou de la conjointe. Cent cinquante élèves-officiers et les équipages de la mission Jeanne d’Arc ont ainsi dû endurer cinq mois de mer, avec seulement deux escales sur les dix initialement prévues.

Deuxièmement, l’obstruction du canal de Suez par l’Ever Given, pendant quelques jours, a souligné avec acuité la fragilité de nos flux maritimes et notre faible résilience en cas de perturbations majeures de ces derniers. Quinze méga porte-conteneurs transitent tous les jours par le canal de Suez, assurant le transport de 200 000 conteneurs. Disposés sur la route, ces conteneurs représenteraient, quotidiennement, une file de camions s’étendant de Brest à Berlin. L’incident de l’Ever Given a orienté l’attention sur la sensibilité du trafic maritime. Si l’on se réfère au Baltic Dry Index, le prix du conteneur a augmenté de 236 % entre novembre 2020 et août 2021. Un conteneur coûtait 2 000 euros il y a un an. Il en vaut 18 000 aujourd’hui.

Dernier épisode : l’AUKUS. Il démontre que la mer, espace commun à toute l’humanité, est devenue le lieu par excellence de la compétition, de la contestation, de l’affrontement – voire de la désunion – pour les États et les organisations qui souhaitent s’affirmer, parfois au mépris des accords et des alliances. Le triptyque « compétition, contestation, affrontement » est employé par le nouveau chef d’état-major des armées dans sa vision stratégique, pour définir les jeux de puissance actuels. Dorénavant, nous devons, tous les jours, sur toutes les mers, penser à ces différents degrés de conflictualité.

Ne perdons pas de vue la dissuasion nucléaire ; c’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai tenu à vous montrer, en introduction, ce cliché d’un de nos sous-marins nucléaires lanceurs d’engins. On peut se féliciter que, en dépit de toutes les turpitudes, la posture de dissuasion ait été tenue sans discontinuité depuis cinquante ans. Elle maintient, dans ses composantes permanentes et de circonstance, un niveau de performance exceptionnel, qui nous tire vers le haut et nous préserve d’un affrontement classique de grande ampleur. Les « grandes guerres patriotiques » qu’ont connues nos parents et nos grands-parents n’auront plus lieu aujourd’hui, grâce à la dissuasion nucléaire.

Je rends hommage à tous nos marins qui, à terre comme en mer, même pendant la crise sanitaire, ont accompli leurs missions sans la moindre hésitation.

Dans cet environnement fortement perturbé et incertain, la Marine ne reste pas les bras ballants. Depuis mon audition devant vous en juin dernier, les opérations de coalition se sont poursuivies sur les différents théâtres que la marine doit couvrir, à commencer par les opérations de lutte anti-sous-marine en Atlantique Nord. Les Russes mènent des campagnes sous-marines par périodes, par « bouffées » puissantes, qui viennent tester la crédibilité du dispositif opérationnel occidental du Royaume-Uni, des États-Unis et de la France.

Pas moins de sept sous-marins russes nous ont occupés, avec nos alliés, pendant plus de six mois l’année dernière en Atlantique. Notre défi, c’est de gagner la guerre avant la guerre, en fermant les options militaires de nos compétiteurs.

J’en viens à l’opération Chammal. La situation en Méditerranée orientale semble plus calme qu’elle ne l’a été. Mais les différends ne sont pas réglés. Notre présence nous permet de surveiller le mouvement des divers acteurs dans cette zone hautement stratégique, située à deux encablures du canal de Suez, cordon ombilical du commerce européen. La mission Agénor, dans laquelle le Danemark joue un rôle important, est à la fois stratégique, en ce qu’elle contribue au positionnement des Européens face au nucléaire iranien – problème qui n’est toujours pas réglé –, et tactique, parce qu’elle nous permet de conserver une appréciation autonome des situations sur place, nécessaire à la compréhension des incidents réguliers et hybrides qui ont lieu dans la zone.

La mission Corymbe consiste à déployer des navires dans le golfe de Guinée. Dans le cadre de l’opération Corymbe 157, le Commandant Bouan, patrouilleur de haute mer (PHM), a participé à l’exercice naval européen EUROMARSEC 21.3, aux côtés de la frégate multi-missions (FREMM) italienne Rizzo et du patrouilleur espagnol Furor. L’objectif est de renforcer, dans le golfe de Guinée, la coopération et l’interopérabilité des différentes marines, et de contribuer au développement du logiciel YARIS, issu du processus de Yaoundé. Le prochain exercice African NEMO s’effectuera à partir de ce logiciel qui permet un partage d’informations entre centres opérationnels maritimes africains.

Dans le cadre de la mission Jeanne d’Arc, qui s’est déroulée du 18 février au 9 juillet 2021, le porte-hélicoptères amphibie (PHA) Tonnerre et la frégate légère furtive de type Lafayette (FLF) Surcouf ont été déployés de la Méditerranée à l’Asie-Pacifique. Cette mission s’est inscrite dans la stratégie de défense française en indo-pacifique, réaffirmant ainsi l’intérêt de la France pour cette zone. La mission comprenait des activités de coopération bilatérale avec les Japonais, les Américains, les Australiens et les Indiens, ainsi que des activités d’instruction au profit des élèves-officiers qui ont aujourd’hui intégré nos forces.

L’action de l’État en mer joue un rôle de sentinelle des conflits de demain. Les problématiques ont évolué : nous sommes passés de l’usage pacifique à l’usage conflictuel de la mer. En effet, on assiste à un développement considérable de pratiques illicites et à une contestation du droit qui ne sont pas sans lien avec les questions environnementales et le changement climatique.

Les opérations de lutte contre le narcotrafic ont produit, cette année, des résultats inédits. L’équipage de la FREMM Languedoc a ainsi saisi 3,6 tonnes de cannabis dans l’océan Indien le 27 septembre dernier.

Outre les opérations en Méditerranée qui sont destinées à contrôler la pêche au thon rouge, l’opération Mako 2021 a été lancée en Guyane, il y a quelques jours, avec la participation de l’embarcation remonte filets La Caouanne, du patrouilleur Antilles-Guyane La Résolue, de vedettes côtières de surveillance maritime et de vingt gendarmes. Hier, une saisie de tapouilles a été réalisée, nécessitant l’usage de la force. Un marin français a d’ailleurs été blessé. Lors de la dernière opération, menée en juillet dernier, 16 tonnes de poissons et plusieurs kilomètres de filets avaient été appréhendés.

Des opérations de sauvetage et de dépollution ont également eu lieu. Un palangrier chinois – le Ping Taï Rong 49 du Fishery Group – est venu s’échouer, dans la nuit du 23 juillet 2021, sur l’atoll polynésien d’Anuanurunga, situé à 365 milles nautiques au sud-est de Tahiti. Après le sauvetage de l’équipage, le bâtiment de soutien et d’assistance outre-mer (BSAOM) Bougainville a récupéré les 2 600 litres d’huile restés dans des fûts arrimés sur le pont. En outre, 10 mètres cubes de déchets éparpillés autour de l’épave ont été ramassés.

L’opération Tellure a été lancée à la suite du séisme qui a touché en Haïti, en août dernier. La frégate Germinal a apporté de l’aide humanitaire aux populations locales.

Enfin, dans le cadre de l’opération Résilience, le BSAOM Dumont d’Urville a transporté des conteneurs d’oxygène entre la Guyane et la Martinique, afin de permettre l’approvisionnement des hôpitaux locaux.

Vous le constatez, la conflictualité se durcit et se traduit, en particulier, par la contestation du droit international et de la libre circulation notamment en mer de Chine. Après deux lois successives destinées à mieux affirmer sa souveraineté sur cette mer, la Chine n’hésite plus à s’approcher à faible distance de nos bâtiments de combat qui y naviguent, pour les gêner et sans doute les intimider, et cela alors qu’ils sont dans des eaux internationales.

La présidence du symposium naval de l’océan Indien (Indian Ocean Naval Symposium, IONS) m’a été remise des mains de mon homologue iranien, en juin dernier, sur l’île de La Réunion. Ce forum unique et inclusif, aborde, en particulier, des sujets consensuels, tels que la sécurité et la sûreté maritimes, l’assistance aux populations à la suite de catastrophes naturelles et la sécurité environnementale, thème que j’ai ajouté au menu du forum pour les années à venir.

En matière de préparation opérationnelle, plusieurs tirs de torpilles et de missiles ont été réalisés. Nos officiers doivent tirer régulièrement à l’entraînement, pour savoir le faire en opération si nécessaire. Ils doivent avoir confiance dans les munitions et les systèmes d’armes qu’ils utilisent. Ces tirs sont aussi une façon de gagner la guerre avant la guerre, en démontrant l’excellence de nos systèmes d’armes. Ainsi, un tir d’Aster 30 a été réussi par la frégate de défense aérienne (FDA) Chevalier Paul, le 14 septembre dernier au large de l’île du Levant.

Je veux dire quelques mots sur le volet capacitaire. La partie avant du premier bâtiment ravitailleur de forces (BRF), le Jacques Chevallier, a été mise à l’eau le 30 juillet dernier en Italie, où elle a été fabriquée. Elle nous sera livrée dans le port de Saint-Nazaire le 7 novembre prochain et sera sur cales en décembre. La construction du navire par les chantiers de l’Atlantique s’achèvera en mars 2022. Cela prouve que, lorsqu’on le veut, on peut avancer à cadence élevée. Par le passé, nos alliés outre-Atlantique étaient capables d’assurer la production d’un Liberty ship en quarante jours !

En juin dernier, la première sortie en mer de la FLF Courbet a eu lieu. C’est la première FLF à avoir connu une rénovation à mi-vie, ce qui la place dans la catégorie des frégates de premier rang, en attendant la livraison des frégates de défense et d’intervention (FDI). Les équiper d’un sonar leur permettra de réaliser les mêmes missions que celles de nos patrouilleurs de haute mer pour sécuriser nos approches maritimes de Toulon et de Brest. Les essais en mer se poursuivent et donnent satisfaction. Les capacités de modernisation acquises grâce à cette rénovation élargiront, in fine, le spectre d’emploi de ces frégates.

En outre, la première campagne d’essais du système de mini-drones pour la marine (SMDM) a été achevée avec succès par le PHM Commandant Ducuing, à la fin du mois de juillet, au terme de six vols consécutifs. La première livraison est espérée en fin d’année, si les derniers tests sont concluants. La qualification, elle, sera délivrée en janvier 2022. Ces mini-drones, dont le fuselage est équipé d’une boule optronique, sont capables de couvrir des zones de surveillance importantes.

Enfin, la coque du premier patrouilleur outre-mer (POM) sera mise à l’eau vendredi prochain, au chantier naval de la SOCARENAM, à Saint-Malo. Elle sera ensuite transférée à Boulogne-sur-Mer pour sa finition. Je viens d’ailleurs de signer la lettre de commandement de son premier commandant.

J’en viens au PLF pour 2022. Le budget des armées s’inscrit rigoureusement dans la trajectoire de la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025. En progression de 1,7 milliard d’euros par rapport à l’année 2021, il permet aux armées de continuer à entretenir et à moderniser leurs équipements. Le budget de la Marine bénéficie de cette augmentation, puisqu’il progresse lui-même de 9 %, soit 220 millions d’euros supplémentaires par rapport à l’an dernier. Il permettra non seulement aux forces de conserver un niveau d’activité soutenu, similaire à celui de l’année 2021, mais aussi de consolider l’effort accompli pour l’entretien des équipements, notamment dans le domaine aéronautique, grâce aux contrats verticalisés. Cet effort est remarquable, compte tenu de la période budgétaire actuelle et nous le saluons. Gardons toutefois à l’esprit que la réparation et la modernisation des armées prévues par la LPM s’étendent, pour la marine, jusqu’en 2030, dans le but d’atteindre le format de référence défini par le Livre blanc de 2013.

Je salue la constance des efforts budgétaires de ces dernières années. J’insiste sur l’importance de les poursuivre, notamment s’agissant de la remontée d’activités et des effectifs prévus par la LPM à compter de 2022. L’effort de redressement de la marine au cours des quatre dernières années, nous le devons, mesdames, messieurs les députés, à votre implication et à la vigilance dont vous avez fait preuve tout au long de cette législature. Je vous en remercie très sincèrement.

Ne nous leurrons pas : le réarmement mondial, dans le domaine naval, est sans précédent depuis trente ans. Le taux de croissance des marines dans le Pacifique est considérable. La taille de la marine chinoise est en augmentation de 138 % entre 2008 et 2030. Mon prédécesseur estimait que la Chine mettait à l’eau l’équivalent de notre flotte nationale tous les quatre ans. Dorénavant, compte tenu de notre propre taux de croissance et de celui de la Chine, c’est tous les trois ans. La mise en service du troisième porte-avions chinois est prévue en 2025, le remplacement du Charles de Gaulle n’est quant à lui prévu qu’en 2039. Nous observons également d’importants taux de croissance des marines japonaise, indonésienne, coréenne, australienne et indienne, laquelle est censée mettre quatorze frégates sur cales entre 2021 et 2030.

Nous assistons aujourd’hui au réveil naval chinois. Les simples patrouilleurs garde-côtes chinois sont en fait de véritables frégates de premier rang. Ce sont des bateaux de 10 000 tonnes – leur taille est plus importante que celle de nos frégates du même format –, armés de canons. Ils ont pour mission d’escorter les flottilles de pêche et sont même autorisés à ouvrir le feu depuis la modification de la loi navale.

La Corée du Sud entreprend aussi des opérations navales majeures. L’Inde est en train de mettre à l’essai son dernier porte-avions, qui a vocation à embarquer des Rafale marine. Un de ces appareils sera envoyé par la France à Goa, en janvier prochain, afin d’évaluer les ski jumps indiens. Le Japon, de son côté, s’apprête à débuter les essais des frégates de classe Mogami. Il s’agit de navires ultramodernes, équipés de radars plaques intégrés, un système comparable à la technologie de nos nouvelles FDI. Quant à la marine singapourienne, elle possède toute une nouvelle série de sous-marins très performants et des frégates modernes.

Plus près de nous, en Méditerranée, l’Égypte a augmenté son tonnage de 170 %, La Turquie entreprend de construire deux porte-hélicoptères d’assaut de 24 000 tonnes, sur le modèle du porte-avions espagnol, et le nombre de ses sous-marins va passer de douze à quatorze. Plus proche de nous encore, l’Algérie est en train de construire deux porte-hélicoptères d’assaut. Elle possédera bientôt dix frégates et quinze corvettes. En outre, elle vient d’acheter à la Russie quatre sous-marins supplémentaires, capables de tirer en plongée des missiles de croisière navals (MdCN) – un tir a d’ailleurs été réalisé il y a quinze jours.

J’ajoute que les PHA initialement prévus pour la Russie équipent désormais la marine égyptienne qui s’en sert très bien. La marine britannique, quant à elle, possède aujourd’hui deux porte-avions opérationnels, ce qui lui permet de renforcer sa présence en Indopacifique.

Si, dans un monde où bon nombre de pays aspirent à devenir des « tyrannosaures navals », nous ne renforçons pas la cadence, nous risquons d’être relégués en bout de chaîne alimentaire. Face à cette accélération, nous devons, d’une part, envisager des efforts de long terme, qui produisent des résultats en dix ou quinze ans et, d’autre part, des efforts de plus court terme. Dans cette logique, il me paraît nécessaire de valoriser nos plateformes par des effets de levier. En d’autres termes, nous devons chercher, dans nos investissements, ce qui apporte une vraie plus-value opérationnelle.

Je conclus en vous remerciant, mesdames et messieurs les députés, pour la qualité, le suivi et la franchise de nos échanges depuis que je suis à la tête de la Marine nationale. Vos déplacements réguliers sur nos navires, nos sous-marins et nos bases navales, au cours de vos différentes missions, vous ont permis de rencontrer des marins, des hommes et des femmes, civils et militaires, qui sont fiers de servir leur pays, loin, longtemps, et en équipage. Ils savent pouvoir compter sur l’engagement de la représentation nationale à leurs côtés.

M. Didier Le Gac. Je n’aborderai pas l’aspect budgétaire ou programmatique. Certes, la marine devra gérer quelques ruptures capacitaires dans certains programmes – les patrouilleurs océaniques et les BRF sont très attendus. Néanmoins, la LPM s’exécute, conformément aux priorités définies ces dernières années. Nous le constatons chaque jour sur les quais, à Brest et ailleurs : les investissements vont bon train, au bénéfice des marins. Nous nous en réjouissons !

Nous en avons beaucoup parlé ces dernières semaines lors de nombreuses auditions : je veux bien sûr parler de l’annulation du contrat australien, suivie de l’annonce de l’AUKUS, l’alliance militaire formée par l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis. Comment nos relations militaires navales avec ces trois pays vont-elles évoluer ? De quelle manière la France va-t-elle continuer à coopérer avec eux, si tant est qu’une telle coopération soit encore envisageable ? Quels domaines de la coopération seront affectés par la création de l’AUKUS, particulièrement à l’heure où la présidence française de l’IONS laissait entrevoir une coopération des marines navales en Indo-Pacifique ?

M. Jean-Louis Thiériot. Amiral, votre présentation extrêmement claire me fournit l’occasion de rendre hommage, au nom de mon groupe, à toutes les femmes et à tous les hommes de notre marine. J’ai une pensée particulière pour le plongeur-démineur qui est décédé accidentellement en rade de Brest. Votre exposé nous montre combien la montée en puissance de nos compétiteurs stratégiques est importante, car c’est dans le domaine naval qu’elle se manifeste le plus clairement.

Ma première question porte sur le format de notre marine. L’objectif visé de quinze frégates de premier rang nous permet-il réellement d’exécuter notre contrat opérationnel sans être obligés de renoncer à certaines missions pour en accomplir d’autres ? Je pense notamment à la continuité de la protection de nos abords, dans le cadre de la dissuasion. Certains ont pu parler de dix-huit frégates ; qu’en pensez-vous ?

La commande par la Grèce de frégates de défense et d’intervention (FDI) est une excellente nouvelle, mais les deux premières seront prélevées parmi celles qui devaient être livrées à notre marine. Comment envisagez-vous de compenser ce trou capacitaire ?

L’accélération technologique s’observe partout. Notre marine a coutume de rénover ses bâtiments à mi-vie. Ne serait-il pas opportun de procéder à des rénovations moins en profondeur, mais plus fréquentes, pour maintenir le niveau d’exigence technologique requis ?

Enfin, nos amis britanniques prévoient, dans le cadre de la stratégie Global Britain, de porter à trente le nombre de leurs frégates à l’horizon 2030. Quel est votre point de vue sur ce programme, au demeurant conforme à la tradition britannique ? Est-il réaliste ? Financé ? Devrait-il, pour une part au moins, nous inspirer à l’avenir ?

M. Christophe Blanchet. Vos propos liminaires démontrent la nécessité d’une montée en puissance de nos armées et donnent à voir tout le chemin qui reste à parcourir. La LPM est pour l’instant respectée et l’effort suffisant, mais j’appelle, au nom de mon groupe, sinon à accélérer la cadence, du moins à la maintenir.

La vente de frégates à la Grèce ne va-t-elle pas perturber nos livraisons ? Le format de quinze frégates de premier rang ne peut être respecté que grâce à l’emploi de cinq FLF. Le renouvellement de notre flotte ne sera-t-il pas trop lent ? Compte tenu de l’essor de compétiteurs de taille, en Méditerranée et en mer de Chine, le format envisagé est-il réellement satisfaisant ?

Vous avez parlé de la pêche au thon rouge. Pour ma part, je veux vous parler de la pêche à la coquille Saint-Jacques. Il y a trois ans, en baie de Seine, les marins pêcheurs français ont donné l’assaut contre ceux d’outre-Manche, lesquels avaient pénétré dans nos eaux territoriales, dans la zone des six-douze milles. Par suite, trois navires français ont été empêchés de mener à bien leur activité pendant toute la campagne de pêche. Les tensions en mer demeurent fortes, d’autant que les Britanniques ne respectent pas l’accord qu’ils ont conclu dans le cadre du Brexit. La pêche à la coquille Saint-Jacques a repris lundi dernier en baie de Seine. Si nos marins voient les pêcheurs britanniques revenir dans la zone, ils risquent de réagir comme il y a trois ans. Comment anticipez-vous la situation ?

M. Jean-Charles Larsonneur. Je m’associe, bien évidemment, à l’hommage rendu au plongeur-démineur décédé accidentellement en rade de Brest. Je me joins aux préoccupations de mes collègues en ce qui concerne le format de notre marine. Il existe aujourd’hui quatre ou cinq théâtres maritimes. Encore une fois, quinze frégates suffiront-elles ? Porter l’objectif à dix-huit frégates serait plus raisonnable. Quel est, selon vous, le format qui nous permettrait de tenir nos engagements ?

Comme vous l’avez indiqué, il nous faut tirer parti de tous les effets de levier possibles et user des moyens dont nous disposons, importants au demeurant. La LPM 2019-2025 prévoit un certain nombre de livraisons : le SNA Barracuda, l’an prochain, et bientôt la huitième FREMM – ce sera peut-être la dernière, hélas. Elle permet de renforcer de manière substantielle le format de la marine.

Aujourd’hui, nos bâtiments sont équipés de systèmes d’armement complexes. Nos modes de maintenance impliquent des arrêts techniques parfois majeurs, qui immobilisent nos navires longtemps. Ne pourrait-on envisager un système différent ? De la même façon qu’on actualise un smartphone, on pourrait concevoir des arrêts plus réguliers, autorisant une disponibilité accrue du matériel.

Les drones, dont nous parlons beaucoup ces derniers temps, permettront-ils un effet de levier important par rapport au format actuel ?

Enfin, je veux dire un mot de nos marins, dont l’aptitude militaire est évidemment liée à leur moral et à leurs conditions de vie, donc de logement. Nous avons, dans le cadre de la LPM, investi dans les logements des militaires. Dans ma circonscription du Finistère, j’ai pu récemment visiter les nouveaux casernements du bataillon des fusiliers marins Amyot d’Inville. Pouvez-vous nous dire ce qui a été fait en faveur des conditions de logement des marins, à Brest, à Lorient et ailleurs ?

M. Jean Lassalle. Ce n’est pas facile d’être la France en ce moment, face à des Chinois aussi remuants, dans une zone où nous avons beaucoup d’intérêts. Quant aux Américains et aux Australiens, nous savons ce qu’il faut penser d’eux. En revanche, que dire du Royaume-Uni ? La France se doit de couvrir l’ensemble de la planète, compte tenu des intérêts très importants qu’elle a partout. Les Russes, à la limite, peuvent se permettre de lever le pied, le temps que les Chinois et les Américains s’expliquent, mais la France, elle, ne peut pas se l’autoriser. Devant de tels défis, peut-on espérer convaincre nos alliés européens de mettre davantage la main à la pâte ? Ne pensez-vous pas que les Britanniques s’efforcent de récupérer une partie de leur leadership, qu’ils ont l’impression d’avoir perdu pendant quelque temps ?

Amiral Pierre Vandier. Je répondrai tout d’abord aux questions qui concernent l’AUKUS. Je vous invite à relire le discours du général de Gaulle, prononcé au lendemain de l’attaque de Mers-el-Kébir. En dépit du caractère funeste de cet épisode, au cours duquel près de 1 300 marins français ont été tués alors qu’ils tentaient de contrer l’assaut des Britanniques, le général avait appelé à ne pas se tromper de cible : l’Allemagne demeurait le véritable ennemi de la France. Il convient d’aborder l’AUKUS avec la même prudence. Certes, tant sur le fond que sur la forme, cette décision est inacceptable entre alliés. Reste que cette affaire, sa précipitation et son ampleur, est un très bon indicateur de la perception de l’accroissement des tensions par de nombreux pays dans la zone indo-pacifique.

L’épisode a aussi des conséquences pratiques. L’officier australien qui avait intégré mon état-major quittera ses fonctions l’été prochain et ne sera pas remplacé. De plus, nous avons suspendu la coopération de nos forces sous-marines avec l’Australie. Enfin, nous avons annulé l’embarquement d’un cadet australien pour la campagne Jeanne d’Arc 2022, ainsi que l’envoi d’un ancien commandant de SNA à l’Académie militaire d’Australie.

Quelques coopérations subsistent néanmoins. Nous conserverons les points d’escale que nous partageons avec l’Australie pour ravitailler la base antarctique de Dumont d’Urville. Nous aurons aussi l’occasion de croiser les Australiens lors d’exercices multinationaux dans l’océan Indien et dans le Pacifique. Encore une fois, ne nous trompons pas d’ennemi.

Avec le Royaume-Uni, nous maintiendrons nos activités opérationnelles communes en Atlantique Nord : elles sont stratégiques. La Combined Joint Expeditionary Force (CJEF), quant à elle, pourrait, au gré d’un possible réchauffement, reprendre du service.

Ce n’est pas pour autant la bérézina pour la France en indo-pacifique, d’autant qu’elle assure désormais la présidence de l’IONS pour 2 ans. Le conclave des chefs d’état-major de la zone se tiendra à Paris en novembre prochain. Vingt-huit pays y seront représentés. En outre, la Marine nationale continuera d’agir dans la zone : la campagne Jeanne d’Arc 2022 transitera par l’Inde pour l’exercice HADR (Humanitarian Assistance and Disaster Relief) dans le cadre de l’IONS. Au demeurant, nous poursuivrons nos coopérations avec le Japon et plusieurs autres pays d’Asie.

J’en viens au format de la marine. La Grèce est entrée en négociations exclusives pour l’acquisition de FDI. Il est prévu que les FDI 2, 3, 5 et peut-être 7 soient prélevées sur la chaîne de production « France » au profit de la Grèce. Notre marine se verra donc livrer la première FDI en 2023, la deuxième en 2026, puis la troisième en 2027. Il faudra donc attendre 2028 pour que la France possède autant de FDI que la Grèce. Les prélèvements de FDI se feront au détriment de celles prévues pour la Marine – la même mécanique s’applique d’ailleurs pour la livraison des Rafale. Toutefois, nous nous réjouissons que les Grecs puissent bénéficier de ces frégates, premiers vrais navires numériques.

Je le redis. Prenons garde au réarmement naval mondial actuel. Il est sans équivalent, à la fois dans l’histoire récente et en proportion des autres composantes. Ce réarmement naval est considérable, que ce soit en matière de tonnage, de performance ou de technologies.

L’objectif de quinze frégates a été fixé par le Livre blanc de 2013. Les décisions prises ultérieurement conduisent à l’atteindre « par le bas », c’est-à-dire pas avant la livraison de la cinquième FDI, en 2029. D’ici là, nous ne respectons ce format que grâce aux frégates de type Lafayette modernisées. Le Livre blanc exigeait de la marine qu’elle soit déployée sur un ou deux théâtres maritimes en permanence. Le format de quinze frégates était donc adapté à une telle prescription. Toutefois, depuis l’adoption du Livre blanc en 2013, la situation internationale a beaucoup changé. On demande désormais à la Marine une présence permanente en Atlantique, mais aussi en Méditerranée, avec la mission Irini, et dans le golfe d’Oman, avec la mission Agénor. De plus, la Marine est tenue de participer de manière régulière à des exercices et à des opérations dans l’océan Pacifique, pour incarner la stratégie française en indo-pacifique. Avec quinze frégates, nous ne pourrons pas tout faire. Du fait de la pression croissante exercée par les Russes en Atlantique, le besoin de frégates augmente, ce qui diminue notre capacité à réaliser d’autres missions ailleurs. Je voulais parler de réarmement naval généralisé et d’ampleur. Prenons l’exemple de nos voisins britanniques. Dans le cadre de leur stratégie « Global Britain », ils ont répondu, à leur façon, à l’accélération du tempo géopolitique : Actuellement dotés de 18 frégates, ils prévoient d’atteindre le format de vingt-quatre frégates d’ici à 2030. En somme, le Royaume-Uni s’est donné les moyens d’une trajectoire qui suit la tendance générale dans le monde.

L’équation qui m’est posée, c’est d’exercer les missions que l’on me demande avec les moyens que l’on me donne et que chaque euro attribué soit bien dépensé. C’est selon cette logique que je m’efforce de diriger la Marine nationale. J’essaie même de faire mieux, en m’assurant d’engager chaque euro de manière à produire le même effet que si l’on avait dépensé plus – c’est ce que j’appelle les effets de levier : je m’emploie à développer des capacités et des méthodes permettant de faire davantage à moyens équivalents.

Ainsi, premièrement, nous avons fortement valorisé les bâtiments à double équipage, initialement conçus pour répondre au volontariat à l’embarquement. Bien qu’ils n’aient pas vocation à remplacer les frégates manquantes car ils n’ont pas le don d’ubiquité, ils permettront d’accomplir davantage de missions. Nous avons ainsi procédé par deux fois à des rotations d’équipage sur zone, dans l’océan Indien, rotations que nous réitérerons cet hiver en Islande. Cette méthode permet de faire l’économie des temps de transit et de gagner du temps opérationnel sur zone.

Deuxièmement, nous travaillons à la valorisation de nos systèmes de combat, à l’ajout de capacités additionnelles et au développement de l’innovation. Par exemple, des essais de nouveaux traitements sur les radars sont réalisés à bord de La Provence en vue d’appréhender des cibles se déplaçant à très haute vitesse.

En somme, tenant compte du budget et du temps qui nous sont impartis notre objectif est de valoriser au maximum nos capacités. Il me paraît essentiel, dans le cadre des futures LPM, de passer d’un développement de nos capacités par « grands rendez-vous » à un développement continu. Le programme Rafale en a bénéficié et les résultats de cette approche incrémentale sont bien là. Je demande dès lors que nos sous-marins et nos frégates puissent aussi en profiter pour rester dans la course.

Les drones constituent un élément de transformation majeure, que j’attends avec grande impatience. Le SMDM va entrer en service en 2022 ; il contribuera à valoriser nos bateaux. C’est, là encore, un effet de levier. Le décalage de la livraison du système de drone aérien pour la marine (SDAM) à la fin de l’actuelle décennie n’est pas une bonne nouvelle, même si nous disposerons du prototype en avance.

En ce qui concerne la maintenance, je vous renvoie au rapport Malcor de 2019. Nos navires étant davantage numérisés, nous nous efforçons d’intégrer l’intelligence artificielle à leur processus de maintenance, ce qui permet de suivre de façon plus fine les phénomènes d’usure. Nous avons ainsi meilleur espoir, à terme, d’avoir une maintenance plus continue, marquée par des périodes d’arrêt technique plus courtes.

Concernant l’Europe, il faut distinguer les Européens, dont les Britanniques, de l’Union européenne et de l’OTAN. La marine est un excellent contributeur aux activités de l’OTAN et nous nous efforçons, à ce titre, de valoriser ce qui nous apporte quelque chose, notamment lors d’exercices de haute intensité. La marine a ainsi participé à l’exercice de défense aérienne Formidable Shield 21, mené au large de l’Écosse. Au cours de cet exercice, la FDA Forbin a détruit un missile propulsé à Mach 3 nous permettant de mieux prendre en compte les menaces hypersoniques – je rappelle que les Russes réalisent actuellement un tir d’essai de missile hypersonique Kinzhal chaque mois.

Dans le cadre de la PMC (présence maritime coordonnée), l’Union européenne mène un certain nombre d’opérations dans le golfe de Guinée. La France entend promouvoir des actions similaires dans l’océan Indien, entre le canal de Suez et le détroit d’Ormuz. Le Fonds européen de défense (FED), à l’origine crédité de 13 milliards d’euros, a été réduit à environ 7 milliards d’euros sur les 1074 milliards d’euros de budget européen pour la période 2021-2027. L’Union européenne a de beaux projets dans les domaines de l’espace, du numérique et de l’intelligence artificielle. Je pense qu’elle pourrait être plus ambitieuse dans le domaine de la défense.

Concernant l’hébergement, Mme la ministre a annoncé le plan d’accompagnement des familles et d’amélioration des conditions de vie des militaires 2018-2022. Il se traduit, pour la marine, par des engagements de 33 millions d’euros destinés à financer la réalisation d’ouvrages neufs et la réhabilitation d’ouvrages existants. En 2022, les principaux investissements concernent la Bretagne. À Brest, un hébergement de cent places a été construit au sein du centre d’instruction naval (CIN), pour un coût de 8 millions d’euros. Le bâtiment de l’école des mousses, dont la construction a été financée par un don de 8 millions d’euros en provenance d’un mécène, sera inauguré par la ministre en décembre prochain. L’organisation programmatique et industrielle présidant à la réalisation de cet établissement a été remarquable. En outre, une enveloppe de 23 millions d’euros est allouée en 2022 à la rénovation des hébergements de la base des fusiliers marins et des commandos de Lorient.

Enfin, je voudrais répondre à la question qui m’a été posée sur le conflit de la coquille Saint-Jacques. La préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord fait face à de nombreuses difficultés dans la région.

Premier problème : la lutte contre l’immigration clandestine. Tous les soirs, de nombreux migrants tentent de traverser la Manche sur des embarcations de fortune. Leurs embarcations sont souvent rabattues par les courants qui les empêchent de rejoindre la rive britannique et les risques de noyade sont malheureusement très élevés.

Deuxième problème : le développement des parcs éoliens, qui représentent un axe majeur de la transition énergétique, est source de tensions. Ces derniers sont à l’origine de conflits d’usage avec les pêcheurs, qui se voient interdire l’accès à des zones de pêche traditionnelles en raison des travaux de construction.

Enfin, troisième problème : les conflits liés au Brexit.

Notre mission est d’assurer la sécurité du plan d’eau et l’ordre public en mer avec nos navires et les patrouilleurs de la gendarmerie maritime. Croyez-moi, ce n’est pas une mince affaire !

M. Christophe Blanchet. Parfois, quatre cents bateaux se battent pour pouvoir pêcher au même endroit !

Amiral Pierre Vandier. La situation est en effet parfois très tendue, vous avez raison de le souligner.

M. Jacques Marilossian. Vous avez évoqué la valorisation des bâtiments à double équipage. Dans ce cadre, passer de cent dix à deux cents jours a pour effet d’augmenter la présence en mer de 80 %.

Nous avons tous les yeux rivés sur l’indo-Pacifique. Un constat s’impose : la marine nationale ne dispose pas, dans cette région, des moyens adaptés pour faire face à l’accroissement des menaces. Ne faudrait-il pas déployer des moyens de détection et d’action plus importants, tels que les sonars, les systèmes d’autodéfense, la lutte au-dessus de la surface et la couverture satellite ? Nos SNA doivent-ils investir de manière pérenne la zone indo-pacifique pour y rappeler le statut militaire de la France ? Bien sûr, cela implique un coût, qui nécessitera des choix budgétaires. Dans la perspective du PLF pour 2022 et, surtout, de la révision de la LPM, l’an prochain, comment pourrions-nous donc réinvestir militairement cette zone ? La réponse est de nature politique, certes. Mais le politique que je suis a besoin d’être éclairé par le marin que vous êtes.

M. Charles de la Verpillière. Je souhaite dire un mot de la gestion des personnels, en particulier du corps des officiers de la marine. Traditionnellement, certains officiers décident de quitter la marine en milieu de carrière, en fonction de leurs perspectives d’évolution et de leur notation. Ils trouvent d’ailleurs assez aisément un nouvel emploi dans le secteur privé, où leurs qualités et connaissances sont très appréciées. Comment cette tradition évolue-t-elle ? Quelle est votre politique à cet égard ? Les incitez-vous à partir ou bien vous efforcez-vous de les retenir ?

Mme Patricia Mirallès. Je vous remercie, amiral, pour vos éclairages sur les enjeux opérationnels et budgétaires auxquels se trouve confrontée notre marine. Pour que le politique puisse vous apporter l’aide la plus efficace possible, il est primordial que vous nous fassiez pleinement confiance, dans le cadre de cette audition, et que vous nous fassiez part des vrais problèmes. C’est ainsi que nous serons en mesure de vous apporter le soutien que nous vous devons.

L’innovation technologique est un enjeu majeur, notamment lorsque l’on considère les affrontements de demain : prendre l’avantage technologique sur l’ennemi, c’est gagner la guerre avant la guerre, comme le pense le général Burkhard, chef d’état-major de nos armées. À cet égard, je souhaite vous interroger sur l’une de vos récentes communications. Une vidéo publiée sur les réseaux sociaux de la marine en date du 7 septembre 2021 montre le suivi de la trajectoire de la Station spatiale internationale, orbitant à 400 kilomètres d’altitude, assuré par le bâtiment d’essais et de mesures (BEM) Monge. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’utilité de la technologie embarquée sur ce navire ? Quel en sera l’usage militaire à terme ? Quel message voulez-vous faire passer par cette communication ?

M. Gwendal Rouillard. Comme vous l’avez indiqué, les Russes pratiquent des tirs d’essai de missiles de vitesse Mach 3. Ils prétendent même que leurs missiles peuvent atteindre Mach 5, soit plus de 6 100 kilomètres par heure. Comment la marine se prépare-t-elle à cette évolution technologique ?

Lorsque j’ai participé au soixante-quinzième anniversaire de la base de Lann-Bihoué, j’ai pu discuter de la patrouille maritime (PATMAR) avec les officiers de la marine et de l’aéronavale. Comment concevez-vous l’avenir de ce programme au prisme des relations franco-allemandes ?

Mme Marianne Dubois. Les entreprises Safran, Naval Group et ECA Group travaillent actuellement au développement de drones sous-marins autonomes, capables de détecter les bâtiments sous-marins ennemis. La marine accueille avec plaisir ces avancées technologiques dans le cadre du plan stratégique Mercator ; vous-même vous réjouissez des premiers pas vers l’autonomie nationale dans la guerre des fonds marins. Les expérimentations de ces drones, tels que l’A18-D, construit par l’ECA Group, sont encore récentes ou, du moins, ont été dévoilées il y a peu. Pourriez-vous nous indiquer le degré de maturité de ces engins ? Quel est leur potentiel d’emploi, notamment au vu des incursions des sous-marins russes dans nos eaux territoriales ?

Mme Josy Poueyto. Lors d’un entretien à La Tribune, en juillet dernier, vous déclariez qu’il serait bon que la France réfléchisse à son tour à concevoir des navires qui soient maintenables dans l’univers technologique de l’Asie. Qu’est-ce que cela implique ? Quelles seraient les nouvelles infrastructures dont nous aurions besoin ?

Mme Florence Morlighem. Je me félicite que, cette année encore, notre marine bénéficie de la trajectoire budgétaire positive induite par la LPM 2019-2025, après des années de réductions budgétaires, humaines et capacitaires sous les précédents quinquennats. La modernisation de la marine nous permet de regarder l’avenir avec plus de sérénité. Il est désormais urgent, comme l’a rappelé à plusieurs reprises le Président de la République, de construire vraiment l’Europe de la défense. Pensez-vous que nos partenaires européens aient pris conscience de l’urgence de sortir du modèle obsolète de pensée stratégique de la période post-guerre froide ?

M. Philippe Meyer. Sous la présidence de Françoise Dumas, Gwendal Rouillard et moi-même avons conduit, au printemps dernier, une mission d’information sur la stabilité au Moyen-Orient dans la perspective de l’après-Chammal. À ce titre, nous avons rencontré les marins de la base d’Abou Dhabi, placés sous le commandement du contre-amiral Jacques Fayard. Cette visite nous a permis de mesurer l’engagement de nos forces sur le terrain, ainsi que la qualité des résultats obtenus dans la zone. Nos marins luttent efficacement contre les trafics et la piraterie ; ils protègent, aux côtés du Danemark, notre marine marchande. L’opération Agénor est un succès. Toutefois, dans notre rapport présenté en juillet, nous avons préconisé sa mise en sommeil ; il s’agit d’alléger le dispositif, tout en conservant la possibilité de le réactiver en cas de besoin.

Le format de quinze frégates est destiné à assurer une présence opérationnelle de la marine sur un nombre de théâtres limité. Quelle est, eu égard à ces considérations, votre vision de l’évolution de notre dispositif dans la zone stratégique du golfe Persique ?

M. Fabien Gouttefarde. Lors de son dernier entretien au Monde, le général Lecointre, alors chef d’état-major des armées, évoquait la possibilité d’avoir un point d’appui permanent en Australie. Un tel projet semble tomber à l’eau… Pensez-vous établir ce point d’appui ailleurs ?

Amiral Pierre Vandier. Je le répète, les moyens de la Marine ont été définis par le Livre blanc de 2013. Les POM seront renouvelés en 2025. Il y en aura deux à la Réunion, deux en Nouvelle-Calédonie et deux en Polynésie. Nous disposons également, outre-mer, de deux BSAOM ; l’un est établi à Papeete, l’autre à Nouméa. La passerelle du BSAOM positionné en Nouvelle-Calédonie, le D’Entrecasteaux, a d’ailleurs été victime d’un incendie, le lendemain du 14 juillet. Le feu, d’origine électrique, s’est propagé alors que le navire était à quai. Les dommages causés nécessiteront quatre à cinq mois de réparations.

Ce dont nous devons nous préoccuper, c’est le devenir des frégates de surveillance (FS), conçues dans les années 1990. Construites aux normes civiles pour en réduire le coût et équipées d’un système d’armement léger, ces frégates étaient parfaitement adaptées à la situation internationale post-guerre froide. Aujourd’hui, leur principal système d’arme est leur pavillon, c’est-à-dire le droit du navire d’État, reconnu par la convention de Montego Bay. Ces frégates ont fait leur temps : Leurs tourelles de 100 millimètres ont été conçues dans les années 60 et les hélicoptères Alouette III dont elles sont pourvues étaient déjà en service au temps du général de Gaulle. Ils seront bientôt remplacés par des Dauphin. En résumé, ces frégates ne disposent ni de sonars, ni de défense aérienne, ni de moyens d’écoute. Dès lors, quand les renouveler, et à quelle hauteur ? Voilà la question qu’il faudra se poser ces prochaines années, d’autant que le réarmement naval dans les zones où elles naviguent est sans précédent au cours de la dernière décennie.

Le programme European Patrol Corvette (EPC), un programme européen associant les Italiens, les Espagnols et les Grecs a récemment été lancé. Remplacer nos FS par ce type de bateaux rendrait notre présence militaire outre-mer plus crédible, notamment en indo-pacifique.

J’en viens à la question de la maintenance de nos navires en indo-pacifique. Une étude a été menée au sein du ministère pour déterminer les localisations appropriées. Concrètement, il s’agit de trouver des bassins de radoub pour y caréner les navires subissant des problèmes techniques. Ces facilités de maintenance supposent un tissu industriel local qui soit en mesure de réparer nos navires, au moins pour ce qui concerne la coque, les machines et les installations électriques. Elles posent aussi la question de la capacité à ravitailler le navire en munitions et d’opérer des rotations de personnels. L’étude qui a été menée avait conduit à se tourner vers l’Australie, choix tout à fait cohérent compte tenu du FSP et des paramètres géographiques. Cette option sera-t-elle maintenue après l’AUKUS ?

D’autres pays comme Singapour possèdent aussi des facilités industrielles. Plusieurs de nos navires comme le PA y ont déjà fait escale. Un partenariat stratégique nous lie avec ce pays depuis 2012, notre coopération opérationnelle est d’excellent niveau et les liens qui unissent nos deux marines sont solides et de confiance.

Vous m’avez interrogé sur la gestion du corps des officiers. Aujourd’hui, 153 officiers sont inscrits chez Défense mobilité. La moyenne des départs est stable depuis trois ans. Nous assistons, dans les faits, à un changement de trajectoire général, lié à la stabilisation et à la reprise de croissance des effectifs, depuis que nous avons mis fin à la déflation en 2016. Cependant, les effets d’inertie de la déflation, qui ont persisté en dépit de la stabilisation, nous ont conduits à partir de plus bas. En conséquence, nous disposons de moins de marins qu’autorisé. Nous devons donc prêter davantage attention aux départs non sollicités, en particulier dans le grade de capitaine de corvette, correspondant aux emplois de conception, de direction ou d’expertise. Nous, marins, avons tous vocation à partir. Mais l’objectif, pour la Marine, est de se séparer de ses officiers seulement lorsqu’il est utile qu’ils partent, dès lors qu’ils n’ont plus de perspectives d’emploi dans nos rangs, par exemple.

Pour les inciter à rester, nous avons plusieurs éléments à leur proposer, à commencer par la formation. Je travaille beaucoup au renforcement de la formation continue en dehors des écoles : par exemple, le Massachusets Institute of Technology (MIT) dispense des cours en ligne permettant d’acquérir des crédits ECTS. L’idée est que nos marins développent de nouvelles compétences utiles. Je peux aussi citer des cas d’usage, par exemple, dans le cyber, pour un membre de l’équipe cyber du Charles de Gaulle : chaque formation élargit l’employabilité du marin, fait valoir ses talents et l’aide à s’épanouir davantage dans la Marine. Notre but est bien de garder nos officiers suffisamment longtemps pour qu’ils soient utiles à la Marine.

Concernant le dialogue de gestion, la Marine s’adapte pour mieux prendre en compte les aspirations personnelles et familiales des officiers, en particulier des officiers féminins, tout en leur aménageant des parcours professionnels stimulants et dynamiques. Le rythme des entretiens de carrière, enjeu majeur dans l’accompagnement des officiers, a été ajusté en fonction des grands jalons des cursus de carrière. Ainsi l’objectif est d’accroître, de renouveler les perspectives d’emploi, en fidélisant et en allongeant la durée moyenne de service des officiers.

La limite d’âge de 59 ans pour les officiers pose question. Nous devrons, un jour, la reconsidérer. C’est essentiel, surtout pour les femmes. Si nous voulons atteindre des niveaux de mixité élevés dans les postes terminaux, nous devons éviter l’opt-out. Aujourd’hui, l’âge moyen de la maternité est de 32 ans. C’est aussi l’âge qui correspond à la période charnière, du point de vue opérationnel, dans la carrière des officiers. Il est souvent difficile pour les femmes que nous employons de réintégrer la marine à l’issue de leur congé maternité, car les choses évoluent très vite. La carrière d’un officier de marine de 30 à 40 ans ressemble véritablement à un marathon ; il est indispensable d’accompagner leur retour, au risque de les voir quitter la course.

Nous devons enfin prêter la plus grande attention à la directive européenne sur le temps de travail (DETT), qui fait peser une véritable épée de Damoclès RH au-dessus de notre Marine.

Une question m’a été posée au sujet de la Station spatiale internationale. Le navire Monge est chargé de suivre les essais de missiles balistiques. Il est, à cette fin, équipé de lasers de haute puissance servant aux mesures télémétriques, de téléradars extrêmement performants, qui aident à suivre des objets dans l’espace, et de théodolites, lesquels permettent de filmer l’entrée d’objets dans l’atmosphère, lors de simulations de tir de M51. Le commandant du Monge m’a communiqué sa vidéo de la Station spatiale internationale, que nous avons ensuite relayée sur Twitter, en lançant un « défi » à Thomas Pesquet.

Quel signal a-t-on voulu donner ? L’évolution de la conflictualité en mer nous oblige à considérer l’intégralité du spectre. Pour combattre en mer, nous devons être capables de maîtriser les fonds marins, les espaces sous-marins, la surface des mers, l’espace aéromaritime, l’espace exo-atmosphérique et l’espace numérique. Nos navires doivent tenir compte de ces différents espaces lorsqu’ils exécutent leurs manœuvres. Par exemple, dans la nuit de dimanche à lundi, j’ai assisté à l’exercice Cormoran 21 à bord du PHA Tonnerre, au cours duquel des raids de dix hélicoptères de l’armée de Terre ont été réalisés, de nuit, dans la région de Béziers. Les heures des raids ont ainsi été calculées en fonction des fauchées des satellites français : le défi était d’opérer des raids indétectables pour nos propres satellites.

Le but est de pouvoir continuer à nous battre dans notre milieu en contrant les technologies déployées depuis l’espace. La vidéo de la Station spatiale internationale était donc destinée à montrer que la marine s’intéresse de très près aux affaires spatiales. J’ai récemment discuté du développement d’interfaces plus puissantes avec le nouveau chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace.

La marine a lancé une stratégie spécifiquement dédiée aux fonds sous-marins, que j’ai présentée en octobre 2020 au général Lecointre, le précédent chef d’état-major des armées. Plusieurs axes d’action sont définis en la matière, notamment dans les domaines de l’exploitation des fonds sous-marins et du renseignement. La Marine s’organise donc pour répondre à ces menaces.

Le développement de missiles hypersoniques illustre la montée en gamme que j’évoquais précédemment. Jusqu’à présent, nos systèmes d’armes étaient conçus pour détruire des missiles subsoniques. Aujourd’hui, nous travaillons à la transformation de nos navires, de sorte qu’ils soient capables d’intercepter les missiles hypersoniques en augmentant la vitesse de réaction de nos systèmes de combat. Nous mettons ainsi en œuvre des programmes d’amélioration de nos navires par la veille coopérative navale. En quoi consiste cette dernière ? Concrètement, une force navale coopère en transmettant les cibles élaborées par chaque bateau. L’élaboration des cibles nécessite environ quatre à cinq secondes, ce qui induit un décalage temporel des données partagées. Et cinq secondes de décalage, alors qu’il s’agit d’appréhender des missiles filant à Mach 7, c’est beaucoup. Les radars doivent donc être capables de coopérer entre eux, indépendamment des systèmes d’armes, de façon à identifier les cibles beaucoup plus rapidement. Cette technique de guerre coopérative implique d’utiliser le segment spatial, en exploitant les données des satellites de basse orbite, dont le temps de latence est très inférieur à celui des satellites géostationnaires. Nous voilà déjà engagés dans l’utilisation de l’espace à des fins de guerre navale.

Qu’en est-il de l’avenir de la PATMAR ? Les Allemands ont fait l’acquisition d’avions américains P-8, préférant une solution intérimaire américaine. Reste-t-il de la place pour la coopération franco-allemande dans ce domaine ? Ce que je peux vous dire c’est que la durée de vie de la turbine Tyne de l’Atlantique 2 est bornée. Nous ne disposons donc que de sept ans pour nous décider à lancer un programme de renouvellement de notre PATMAR, qui concourt à la sureté de la Force Océanique Stratégique (FOST). Si les Allemands tergiversent, nous devrons le lancer seuls.

Reste la question de l’Europe. La ministre des armées a beaucoup œuvré pour embarquer les marines de pays européens dans des opérations maritimes. La mission Agénor est un très bon exemple de ce qui fonctionne en Europe. La présidence française du Conseil de l’Union européenne sera l’occasion de remettre ces sujets sur la table. Cette dynamique doit perdurer. C’est la conscience d’un destin partagé qui est vitale pour les Européens. Comme je le disais dans mon propos liminaire, dans un monde où le nombre et la puissance de tyrannosaures navals augmentent très significativement sur la période 2008 – 2030, l’Europe et les pays européens doivent impérativement veiller à ne pas se retrouver en bout de chaîne alimentaire.

Mme la présidente Françoise Dumas. Amiral, merci d’avoir abordé les aspects techniques, stratégiques et politiques en complément de notre discussion budgétaire.

Je retiens de vos propos l’ampleur du réarmement partout dans le monde. Nous devons garder constamment cette évolution à l’esprit, compte tenu de la grande dépendance des flux maritimes. Je salue votre sens des réalités. L’Australie doit, d’une manière ou d’une autre, rester un allié. Il nous faut donc rebâtir le dialogue, afin de préserver nos intérêts, et envisager l’après-AUKUS le moment venu, dès lors que des gages d’un possible retour de la confiance auront été donnés.

À nous aussi de redéfinir l’ambition politique de notre pays, pour conserver ou adapter le format prévu pour notre marine. Nous avons pris nos responsabilités dans la LPM 2019-2025. Mais, vous l’avez dit, les conflictualités se sont intensifiées et diversifiées. Nous devons ne pas nous arrêter au milieu du gué et poursuivre l’effort, à tout le moins jusqu’en 2025. C’est une responsabilité morale qui nous incombe, singulièrement à l’égard de la marine. Pour cela, il nous faudra lucidité, courage et détermination dans la durée.

Je vous remercie, amiral, pour ce tour d’horizon.

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