mardi 26 novembre 2024

Et le combat cessa… faute de munitions

Fort bien documenté, l’article de Laurent Lagneau intitulé ‘Munitions petit calibre : Le ministère des Armées se dit « ouvert à tout examen de projets industriels’, publié sur Zone militaire/OPEX 360 le mardi 23 février 2021, ravive le sujet des munitions de petit calibre et appelle de nombreux commentaires. Très factuel, rappelant par le menu un débat apparu au milieu de la dernière décennie, débat rapidement éteint par l’élection du Président Macron en 2017 et la nomination de Madame Florence Parly au poste de ministre des armées (MINARM). Revenons sur quelques points susceptibles d’éclairer le débat, sans pouvoir cependant le trancher.

Traditionnellement, en France, l’Armement petit calibre (APC), c’est-à-dire d’un diamètre de munitions inférieur à 20 mm (là où on entre dans le domaine des canons..) était du ressort d’arsenaux nationaux, comme la Manufacture d’armes de Châtellerault (MAC), de Saint-Étienne (MAS) ou de Tulle (MAT) par exemple. Au sortir la guerre froide, la réorganisation des armées battant son plein et pour « engranger les dividendes de la Paix », les armes et les munitions étant majoritairement produit par des ouvriers d’État au statut extrêmement protecteur… Ce modèle, jugé obsolète au plan industriel et hérétique au plan économique, fut purement et simplement abandonné. Pour l’anecdote, rappelons que le Chef d’état-major de l’armée de Terre précédent émaillait ses interventions d’un exemple censé emporter l’adhésion du public après la décision de l’acquisition du fusil d’assaut HK 416-F[1] : « Pour le prix de quatre chargeurs de FAMAS, je peux avoir un fusil moderne… »

Concernant les munitions de petit calibre elles-mêmes, la messe avait été dite bien avant, de sorte que les approvisionnements retenus se sont, dans la plupart des cas, révélés désastreux pour des raisons de compatibilité entre le FAMAS et des munitions qui n’avaient pas été spécifiquement étudiées, développées, et qualifiées pour lui. Par souci de confidentialité, nous ne reviendrons pas sur cette phase douloureuse, à tout point de vue. Toujours est-il que les chaînes de production nationales ont été cédées à un pays tiers, et le savoir-français dans ce domaine, tout simplement perdu. L’affaire aurait dû en rester là, au moins dans l’esprit des tenants du dogme de la non rentabilité de ce domaine en national. C’était sans compter sur l’entêtement de certains députés, la résolution de certains industriels et la prise en compte du problème par le ministre de la Défense précédent. Il faut dire qu’après les attentats de novembre 2015, l’atmosphère était chargée et que le sujet de la souveraineté reprenait un peu de vigueur.

C’est dans ce cadre que trois sociétés réputées françaises (Manurhin, Nobel Sport et Thales), projettent de créer un consortium pour faire renaître une filière française de la munition de petit calibre. Leader mondial de la machine-outil de production de ce type de munitions et installant des usines clés en main sur plusieurs continents, l’industriel mulhousien souhaite mettre un savoir-faire centenaire au service des armées françaises tout en jouant sa survie. De son côté, Nobel Sport, leader mondial de la cartouche de chasse, peut compter sur le concours de Cheddite, l’une de ses filiales, elle-même leader mondial dans la fabrication des amorces. Thales, pour sa part, dirige les destinées d’Australian Munitions, qui fabrique des munitions de guerre de tout calibre, du 5,56 mm au corps de bombes aéronautiques. Nul doute que les ingénieurs des antipodes sauront transposer leurs méthodes dans les landes bretonnes. En effet, c’est à grand renfort de communication que Jean-Yves Le-Drian annonce officiellement, le vendredi 17 mars 2017, sur le site de Nobel Sport à Pont-de-Buis, dans le Finistère, la naissance officielle du projet[2]/[3].

Il n’est donc pas anodin que le premier dossier à redescendre dans la pile de la nouvelle ministre soit précisément celui-là. Les tenants de la destruction de la filière n’en démordent pas : la munition française sera forcément toujours moins concurrentielle qu’un équivalent produit dans un pays du Tiers-monde, voire même chez un concurrent occidental. Or, ce sont trois industriels français de renom qui s’engagent à fabriquer ces munitions en France, au prix du marché, avec une garantie d’approvisionnement. Malheureusement, on ne veut rien entendre et tous les arguments sont bons pour torpiller le projet. La sentence est donc définitive : la munition française n’est ni concurrentielle, ni stratégique. Pas question d’avouer qu’on a eu tort, même si les études des industriels candidats suggèrent le contraire. D’ailleurs, pour empêcher toute velléité de remettre l’ouvrage sur le métier, on empêche Manurhin de s’en sortir financièrement et on le laisse racheter par une société étrangère. Point final.

Cependant, l’échec annoncé de l’initiative nationale est bien plus grave qu’imaginé. En effet, depuis cet épisode de 2017, la situation internationale s’est singulièrement tendue, tout comme, et c’était prévu de longue date, le marché de ce segment étroit. Par conséquent, si les approvisionnements ne sont pas garantis dans un contexte de crise aigüe, comment le seraient-ils en cas de Conflit de haute intensité (CHI), cas que le CEMAT actuel demande à ses forces de considérer comme l’hypothèse de travail la plus probable. Or, il ne faut pas oublier que le projet industriel français comportait tout un volet de développement pour de nouvelles munitions, plus véloces, avec un effet terminal accru, voire un guidage terminal, laser ou autre… En le faisant rejeter pour d’obscurs intérêts, parfois personnels, c’est tout un pan de R&T et de R&D françaises qu’on a tué dans l’œuf… N’oublions pas non plus, que l’argumentaire contre le projet ne tenait compte que d’un marché très restreint, c’est-à-dire celui des Armées. Or, dans un contexte post-attentat, il fallait au contraire en faire un sujet interministériel emblématique, englobant les forces armées, certes, mais aussi toutes les forces, régaliennes ou non, allant de la police et de la gendarmerie aux agences privées de sécurité, en passant par la douane et tous les corps disposant d’armements petit calibre, tout le monde étant censé s’entraîner plus au tir…

Il serait d’ailleurs fort instructif de connaître la consommation réelle annuelle en munitions petit calibre des forces armées (entraînement et Opex) et des forces de sécurité (gendarmerie, polices nationale et municipales, douanes). La quantité de cartouches allouée aux forces de sécurité pour leur entraînement frise souvent le ridicule. Un État qui achète des munitions à l’étranger ne peut absolument pas se prétendre souverain. « Politiquement, (la souveraineté) est la qualité d’une puissance parvenue à une réelle autonomie et ne dépendant plus de tiers pour la réalisation d’un dessein. On parle en ce sens de souveraineté militaire, de souveraineté technologique ou de souveraineté alimentaire pour désigner l’autonomie, l’indépendance ou l’autosuffisance dans ces domaines ».[4]

« Le ministère des Armées se dit « ouvert à tout examen de projets industriels ». La belle affaire. Avec quelles machines-outils ? Fabriquées ailleurs dans le monde ? Avec quels industriels ? Les deux survivants du projet que le MINARM a éconduits quand on pouvait encore faire quelque chose de construit ? En pan-européen, quand on voit les grandes difficultés des sujets en cours, ne serait-ce qu’en franco-allemand ? Alors, parole en l’air pour calmer l’ardeur de quelques députés en faisant miroiter une porte de sortie ou propositions sérieuses ? Il y a malheureusement fort à parier qu’il ne s’agisse, comme dans bien des cas actuellement, que d’un simple  « coup de com », sans lendemain…

Thierry BARRAULT


NOTES :

[1]   Heckler & Koch 416 France.

[2]   https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/si-si-jean-yves-le-drian-va-relancer-une-filiere-de-munitions-de-petit-calibre-made-in-france-652367.html

[3]   https://www.ouest-france.fr/bretagne/chateaulin-29150/jean-yves-le-drian-annonce-une-usine-de-munitions-nobelsport-4865851

[4] Éric Maulin, professeur de droit à l’université de Strasbourg.

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63 Commentaires

  1. Bonjour,
    Sans prétendre à être un spécialiste ou à la rigueur d’une publication universitaire…

    Si les détenteurs de la force publique s’entraînaient bien mieux car étant doté de véritables moyens, il y a de quoi multiplier ces chiffres par 100 au bas mots.

    On peut en déduire la consommation annuelle sur certains calibres par quelques articles de presse.

    25 millions de 5,56 mm sur 4 ans pour l’intérieur :
    http://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/archive/2019/05/18/qui-fournira-25-millions-de-cartouche-de-5-56-aux-forces-de-20241.html

    38 millions de 5,56 mm pour les armées françaises :
    http://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/archive/2014/05/16/90%C2%A0000-armes-individuelles-futures-pour-remplacer-le-famas-11802.html

  2. Nexter a repris GIAT, qui possède Eurenco et donc l’ancienne SNPE.
    La situation économique reste fragile du fait de la dépendance aux commandes de l’Etat français:
    https://www.forcesoperations.com/la-situation-reste-fragile-pour-tarbes-industry/

    Des investissements trop longtemps différés ont lieu en ce moment:
    https://www.lesechos.fr/pme-regions/provence-alpes-cote-dazur/eurenco-va-investir-200-millions-dans-une-nouvelle-usine-dexplosifs-a-sorgues-1304146

  3. Bonjour,
    Pour le 9 mm, on a aussi des chiffres:
    45 millions de cartouches 9mm normales (+ 6 millions d’autres types) :
    https://www.capital.fr/entreprises-marches/75-000-pistolets-51-millions-de-cartouches-la-mega-commande-de-larmee-francaise-1330280

    Depuis le milieu des années 90, le désarmement de la France est une politique continue.
    Ce discours bute pour le moment sur le siège de membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU et son pendant en matière nucléaire, la dissuasion nucléaire :
    https://www.ouest-france.fr/politique/defense/la-france-doit-elle-partager-son-arsenal-nucleaire-avec-l-ue-oui-selon-un-proche-d-angela-merkel-6719524

    On peut compter sur les successeurs de Paul Quilès dans cette voie.

    Cordialement.

  4. Le dossier munitions, comme celui des pièces détachées pour le MCO, en dit long sur les absence de responsabilité des représentants de l’Etat:
    http://www.opex360.com/2020/05/20/general-burkhard-en-cas-de-crise-nos-ennemis-feront-tout-pour-nous-empecher-de-completer-nos-stocks-de-munitions

    Tout est déjà dit:
    https://theatrum-belli.com/le-domaine-munitionnaire-au-defi-de-la-haute-intensite/

    Pas de prise en compte en dehors des battage médiatiques prè-électoraux…

  5. Bonjour,

    Pour l’Allemagne, l’entreprise HK tient la corde:

    « La ministre de la Défense Annegret Kramp-Karrenbauer (CDU) a décidé de ne pas passer la commande du nouveau fusil d’assaut de la Bundeswehr au cours de cette législature.

    Cela ressort d’une liste de commandes de début mai, dans laquelle l’ordre symbolique d’armement n’est plus répertorié. Le ministre avait auparavant l’intention de pouvoir présenter un nouveau fusil d’assaut avant les élections générales. L’acquisition du « Assault Rifle System » devrait être soumise à la commission du budget (titre n ° 1405/554 10) d’ici la fin du mois de juin.

    Le demi-tour est probable avec le différend sur l’attribution qui dure depuis des mois entre les soumissionnaires C.G. Haenel et Heckler & Koch (HK) doivent le faire.

    La société Haenel a étonnamment remporté l’appel d’offres d’une valeur de plus de 200 millions d’euros pour 120 000 nouvelles armes de bon ordre pour les forces armées l’été dernier. Après que diverses allégations ont été connues, y compris des violations présumées de brevets, le ministère de la Défense a annulé la sentence peu de temps après.

    Il s’est avéré que les allégations de brevets étaient connues du bureau d’armement responsable et y avaient été ignorées. L’autorité adjudicatrice de Coblence a également rejeté une plainte initiale du soumissionnaire non retenu HK avec une brève décision.
    Le prix n’a été retiré qu’après un suivi juridique et une saisine par la direction du ministère.

    Décision la semaine prochaine?

    Après avoir préparé plusieurs rapports, qui, selon les rapports, ne devraient pas être clairs, la société Haenel, qui appartient à une entreprise d’armement des Émirats arabes unis, a alors été complètement exclue de la procédure d’attribution. Dans le même temps, le ministère a annoncé qu’il voulait après tout commissionner HK. »

    Tiré de cet article:
    https://m.faz.net/aktuell/politik/inland/akk-vertagt-entscheid-ueber-sturmgewehr-der-bundeswehr-17337267.html

  6. Bonjour,
    Bel article!

    Un article intéressant également sur le ce sujet a été écrit par monsieur Nicolas Florquin, « Les filières multiples du trafic des armes légères » sur le site « aerion24 ».

    Je ne peux pas mettre le lien, c’est considéré comme un spam…

    Cordialement.

    • Refus de faire une filière petit calibre française, dernier épisode:
      https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/relocalisation-des-munitions-de-petit-calibre-sebastien-lecornu-ne-partira-pas-la-fleur-au-fusil-956260.html

      Le projet de reconstitution d’une filière de petits calibres de 5,56 mm en France a du plomb dans la… cartouche. Même s’il ne ferme pas définitivement la porte, le ministère des Armées n’est pas du tout prêt à partir la fleur au fusil pour relocaliser une filière de munitions de petit calibre en France. Pourquoi ? Dès 1999, le ministère de la Défense, alors sous la férule d’Alain Richard, a fait le choix de ne plus produire des munitions de petit calibre, estimant que le maintien d’une filière nationale n’était économiquement pas viable. Résultat, les armées se sont approvisionnées à l’étranger avec plus ou moins de réussite. Ainsi, les marchés passés dans les années 2000 à BAE Systems et IMI (Israël) ainsi qu’à ADCOM (Émirats Arabes Unis) se sont révélés être des fiascos opérationnels. Aujourd’hui, les munitions 5,56 mm en service dans les armées françaises sont toutes étrangères, venant « notamment d’Europe », selon le ministère des Armées.

      La France a également fait le choix en 2016 d’acheter un fusil d’assaut à l’étranger après la fin de vie du FAMAS, le célèbre fusil d’assaut de la manufacture de Saint-Étienne (25 ans de moyenne de vie). Pour la première fois dans l’histoire de France, soit depuis trois cents ans, les armées sont dotées d’un fusil qui n’est pas français (HK 416F, adapté du HK416A5). Les armes de petit calibre équipant les armées sont pour l’essentiel en cours de renouvellement. Trois contrats ont été conclus ces dernières années pour l’acquisition de fusils d’assaut, de pistolets automatiques et de fusils de précision, respectivement auprès des entreprises européennes Heckler & Koch, Glock et FN Herstal. « La question de leur remplacement ne se posera donc pas avant plusieurs décennies », a récemment estimé le ministère des Armées, dans une réponse à une question du député RN, Laurent Jacobelli (Moselle).

      Un projet de relocalisation qui fait long feu

      Puis, au printemps 2017, un groupement industriel composé des entreprises Thales et Sofisport via sa filiale Nobelsport SA, le champion mondial de la poudre et des cartouches de chasse, propose de reconstituer une filière nationale de production de munitions de petit calibre implantée à Pont-de-Buis, dans le Finistère. Mais ce projet de relocalisation d’une filière nationale de munitions de petit calibre de guerre (5,56 mm, 7,62 mm et 9 mm) poussé par le ministre de la Défense d’alors, Jean-Yves Le Drian, a fait long feu. L’analyse menée par le ministère, dirigé à partir de 2017 par Florence Parly, « a confirmé les études préalables en constatant que ce projet ne serait pas compétitif au niveau mondial, malgré un important investissement initial de l’État », a souligné le ministère des Armées dans sa réponse à Laurent Jacobelli.

      « La taille du marché national n’étant pas suffisante pour entretenir un tel outil industriel, il est indispensable qu’un tel projet ait accès au marché export et donc soit compétitif », a affirmé le ministère.

      Pour autant, le ministère des Armées a semble-t-il quelques scrupules à ne pas enterrer définitivement un projet de relocalisation. C’est certainement dû au retour d’expérience de la période Covid-19, puis de la guerre en Ukraine.

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