Mme la présidente Françoise Dumas. Avant tout, et au nom de l’ensemble de mes collègues, un grand merci de venir ainsi devant nous rendre compte de l’action de la DGA dans la crise du coronavirus suivant les modalités très particulières que nous impose cette crise.
Ce fonctionnement « en mode dégradé » n’est certes pas une panacée, mais la Représentation nationale assure ainsi la continuité de la vie démocratique et la poursuite de la mission de contrôle qui est la sienne.
Nous sommes tout d’abord intéressés à savoir comment se porte la DGA et ses 10 000 personnels qui assurent eux aussi la continuité du service et quelles sont les mesures prises pour les protéger. Nous sommes preneurs aussi d’une rapide évaluation du moral de ses personnels, de tous grades et de tous statuts.
J’ai conduit ces dernières semaines des entretiens avec les présidents des principales sociétés de la BITD. Tous se sont félicités de la qualité et de la fréquence du dialogue entretenu avec vous. Nous attendons en conséquence que vous nous expliquiez comment vous avez défini la hiérarchie des priorités pour les activités que vous avez choisi de privilégier et quelles furent ses activités.
Nous sommes tous ici convaincus de la place particulière de l’industrie de défense dans notre tissu économique. Une audition a d’ailleurs été organisée, la semaine dernière, avec les présidents du GICAT, du GICAN et du GIFAS. Cette industrie de défense, qui n’a pas été identifiée de façon univoque comme « essentielle », essaie aujourd’hui de reprendre un rythme d’activité aussi soutenu que possible, après un très net coup d’arrêt. Le bon déroulement des programmes d’armement s’en trouve évidemment affecté, et certainement pour plusieurs mois au moins. Nous sommes très intéressés de connaître, Monsieur le délégué général, les analyses que vous pouvez faire à ce jour de l’impact de ce coup d’arrêt industriel sur les programmes d’armement.
Vous pourrez d’ailleurs nous présenter ce que la DGA a entrepris pendant cette crise au titre de sa mission de soutien à la BITD, et avec quels résultats. Et puisque le soutien aux exportations fait aussi partie des missions que l’État a confiées à la DGA, nous aimerions connaître vos vues concernant l’impact de la crise sur les équilibres concurrentiels dans les marchés internationaux, dans un contexte où il semble que nos principaux concurrents se soient davantage que nous attachés à poursuivre leur activité de production.
Par ailleurs, la ministre nous a fait valoir toute l’utilité qu’ont eue, ces dernières semaines, les dispositifs de soutien à l’innovation structurés au sein de la DGA depuis la LPM, notamment pour le développement et le test très rapide de masques alternatifs. Peut-être pourrez-vous nous dire plus en détail en quoi a consisté cette action, et quel « retour d’expérience » on peut en faire dès à présent.
Pour finir, Monsieur le délégué général, notre commission s’attache à contribuer à la réflexion nationale sur la relance – ou devrait-on dire : le redressement ? Nous sommes nombreux à penser que l’industrie de défense au sens large, incluant des pans très duaux comme l’aéronautique et l’espace, constitue le meilleur levier qui soit pour un effort de relance. Nous sommes donc très intéressés par vos analyses en la matière.
Je vous passe la parole sans plus attendre pour un tour d’horizon général de ces sujets d’interrogation, ensuite de quoi vous pourrez répondre aux questions de mes collègues.
M. Joël Barre, délégué général pour l’armement. Je vous remercie de m’avoir invité à faire un point de situation de l’activité armement dans cette crise inédite que notre pays rencontre depuis déjà plusieurs semaines. Notre pays, pas uniquement, car c’est le monde entier qui y fait face. Je vous propose de faire une petite introduction sur comment nous avons assuré du mieux possible la continuité de nos opérations d’armement, comment nous voyons la situation et l’impact de cette crise sur la base industrielle et technologique de Défense, quelles sont les mesures que nous avons prises pour tenter d’y remédier et quelle est la contribution que nous avons apportée pour contribuer à la lutte directe contre la pandémie à travers nos activités, en particulier dans notre centre de Vert‑le‑Petit.
Concernant l’impact de cette crise sur les opérations d’armement, nous avons dès le début de la crise, à la mi-mars, décidé de mettre en place un plan de continuité d’activité. Ce plan a été défini conjointement avec l’État-major des armées. Nous avons essayé de déterminer quelles étaient les activités d’armement essentielles à poursuivre malgré la crise. Nous avons donné la priorité aux activités relatives à la dissuasion, aux opérations extérieures et intérieures, aux opérations relatives à la posture permanente de sûreté (aéronautique ou maritime) et aux actions en soutien du maintien en condition opérationnelle afin que nos armées puissent poursuivre l’ensemble de leurs activités. En parallèle, l’ensemble des opérations d’armement a fait l’objet d’un suivi régulier, mis à jour en temps réel et partagé avec l’État-major des armées et les États-majors d’armée.
À la date d’aujourd’hui, le premier bilan des opérations d’armement est le suivant : à fin avril, 80 % des jalons présentent un décalage calendaire de l’ordre de 1 à 2 mois selon les opérations et je vous dirai plus loin comment nous essaierons de rattraper cette situation. Ce décalage est dû au fait que notre industrie travaille dans une situation dégradée. L’industrie est à un niveau d’activité que j’évaluerais de l’ordre de 75 %, tout comme nous d’ailleurs à la DGA. Ce niveau est réparti à 30 % de présence de personnels sur les sites, moyenne à peu près homogène et 45 % de télétravail, possible pour les bureaux d’études, à condition que les données échangées ne soient pas protégées. C’est la situation actuelle. Les industriels progressent significativement même si la montée en puissance est progressive, et nous parlerons tout à l’heure du plan de remontée de cette activité à partir du 11 mai. Aujourd’hui, l’industrie annonce un retour d’activité de l’ordre de 100 % entre mai et fin juillet, selon les industriels et les domaines concernés.
Pour les soutenir, la DGA a pris un certain nombre de mesures de natures diverses : la première concerne la sauvegarde de la trésorerie de nos industriels : nous avons pris des mesures d’accélération de paiement de factures et de simplification de la liquidation. Auparavant, nous payions à l’échéance contractuelle maximale de 30 jours, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Nous avons également mis en place une démarche de sursis de livraison – prolongation de délais – pour tenir compte de la situation dégradée. Tout ceci de manière parfaitement formalisée avec les industriels.
Nous avons également mis en place un service de soutien à l’ensemble de nos PME‑ETI, qui sont très importantes dans le domaine de l’armement, qu’elles soient sous‑traitantes de nos maîtres d’œuvre ou parmi nos fournisseurs directs. Pour cela, nous avons d’abord ouvert un site d’appui aux PME de la DGA, site sur lequel les entreprises peuvent déposer des demandes liées à leur situation. Nous avons déjà eu plusieurs dizaines de demandes sur ce site et chaque fois, nous essayons d’apporter la réponse la plus complète et la plus rapide possible. La DGA met également en place un dispositif de suivi rapproché des PME-ETI sur l’ensemble du territoire national, en faisant appel aux ressources de la DGA qui sont déjà présents dans nos différentes régions. Ce dispositif s’articule autour de visites d’entreprises sur le terrain, du moins pour les plus critiques d’entre elles, afin d’identifier les problèmes auxquels elles se heurtent. De ce constat, il sera possible d’identifier des solutions supplémentaires pour les aider à franchir cette étape difficile. Ce dispositif de suivi rapproché des petites et moyennes entreprises et des ETI en région sera opérationnel dès la semaine prochaine.
En ce qui concerne les exportations, Madame la présidente, vous l’avez rappelé tout à l’heure, nous avons apporté notre soutien à l’ensemble de nos industriels qui ont invoqué la clause de force majeure, qui est prévue dans les contrats vis-à-vis de leurs clients. La DGA a envoyé 120 courriers pour soutenir cette démarche vers l’ensemble des pays clients de ces fournitures industrielles et avec qui nous avons des relations directes. Nous sommes en contact avec ces pays et à ce jour, nous n’avons pas identifié de réaction négative. Ils sont également touchés et comprennent parfaitement la difficulté de la situation.
En ce qui concerne la DGA, Madame la présidente, que vous avez évoquée dans votre propos introductif, la situation sanitaire est relativement bonne comparativement à d’autres. Nous avons aujourd’hui de l’ordre d’une quarantaine de cas probables ou confirmés, sur les 10 000 personnes de notre maison. Nous avons 1 cas hospitalisé sérieux dont le pronostic vital n’est plus engagé et à peu près 150 guérisons. La DGA veille à ce que l’ensemble des salariés (10 % sur site, 65 % en télétravail et donc le reste 25 % en autorisation d’absence ou en absence « normale » – congés, maladie ou autre) ne soient pas coupés de leur hiérarchie. Nous avons doté l’ensemble de nos télétravailleurs des outils nécessaires pour la poursuite de leur activité, dans un mode non protégé ce qui est certes un handicap mais permet de maintenir le contact avec eux de manière aussi rapprochée que possible. Et puis, il leur est possible de revenir sur site pour prendre connaissance des informations classifiées.
Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, voilà l’état de la situation actuelle. Désormais, nous travaillons au plan de remontée progressive de notre activité, c’est‑à-dire la déclinaison de la stratégie de déconfinement que le Premier ministre a explicitée hier devant l’Assemblée nationale. Cette stratégie sera déclinée en plan de remontée de l’activité du ministère des Armées et en plan de remontée de l’activité de notre maison DGA. Ceci doit être fait d’ici la fin de la semaine pour que nous puissions engager les concertations internes et les démarches nécessaires en étroite relation avec les organisations syndicales, dans le cadre du dialogue social. Dispositif de dialogue social qui est resté actif pendant la période de crise, j’ai moi-même fait 3 réunions successives avec l’ensemble de nos organisations syndicales au niveau de la DGA.
Dans ce plan de remontée progressive d’activité, seront prévues des dispositions de rattrapage des retards que j’ai évoqués précédemment. Il s’agit de rattraper la « dette » qui s’est accumulée ; j’évoquais tout à l’heure 1 à 2 mois suivant les opérations. Ce plan de rattrapage doit être défini avec précision et conjointement avec les industriels. Nous avons pour objectif d’y aboutir dans les 15 jours qui viennent, avec l’objectif de rattraper d’ici fin 2021 les retards pris en 2020 sur les livraisons prévues par la Loi de Programmation Militaire du fait de la crise.
La crise ne nous a cependant pas interdit de franchir certains jalons depuis mars : nous avons livré à la marine nationale un 3ème ATL2 rénové, à l’armée de l’air le 17ème A400M, le 3ème MRTT, et pour l’armée de terre, des véhicules de l’avant blindé avec protection contre IED qui étaient urgemment attendus, la protection contre les engins explosifs improvisés étant vitale pour nos troupes en particulier en BSS. Vous savez également que le Suffren est désormais en train de préparer ses essais à la mer. La DGA a donc mené à bien la préparation de ces essais et, pas plus tard qu’hier, démarré les essais en vol sur notre site de Bourges, des expérimentations du drone SMDR, le Système de Mini-Drones de Renseignement prévu pour équiper l’armée de terre. Voilà quelques exemples qui montrent que, malgré la crise, nous avons réussi à maintenir certaines activités.
Je terminerai ce propos introductif en vous parlant de notre contribution à la lutte contre la pandémie.
Tout d’abord sur les masques, grâce à l’action de notre centre d’expertise et d’essais de Vert-le-Petit, spécialisé dans la lutte contre les menaces NRBC, Nucléaires Radiologiques Biologiques et Chimiques. La DGA a mis ses moyens à disposition des pouvoirs publics pour développer et expérimenter ce qui s’appelle désormais les « masques grand public », que nous appelons les masques à usage non sanitaire. Nous avons procédé à un grand nombre de tests d’échantillons envoyés par les entreprises, afin de les trier en fonction de leurs performances de filtration et de respirabilité. Nous avons d’ores et déjà fourni plus de 1 000 rapports aux industriels qui ont sollicité note expertise.
En parallèle, l’agence de l’innovation de défense de la DGA a publié un appel à projets de solutions innovantes permettant de faire face à cette crise du coronavirus. L’appel à projets a été lancé fin mars et clos le 12 avril. Plus de 2 500 projets ont été soumis. Nous avons déjà sélectionné une vingtaine de projets. Je pense que nous irons jusqu’à une trentaine, quarantaine de projets, auxquels nous consacrons une enveloppe de 10 millions d’euros. 15 projets sont déjà en cours, qui portent aussi bien sur les tests de dépistage, que sur des projets de respirateur à bas coût ou encore des dispositifs de protection des personnels soignants. C’est une opération qui s’avère particulièrement utile pour faire face à la crise
Enfin troisième volet que je voulais évoquer sur les activités DGA face à la pandémie, ce sont tous les actes techniques qu’il a fallu faire pour médicaliser en urgence les moyens aériens de nos armées, qu’il s’agisse d’avions ou d’hélicoptères, lesquels ont été utilisés pour transporter les malades des zones saturées vers les zones disposant de ressources hospitalières disponibles.
Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, voilà ce que je voulais dire dans le propos introductif et, après vous avoir affirmé que la DGA reste pleinement mobilisée pour faire face à cette crise et à la remontée progressive d‘activité, je vous propose d’essayer de répondre à vos questions.
M. Claude de Ganay. Nous saluons la volonté de la ministre des armées de porter un plan de relance économique par la commande publique, allant au-delà des dépenses fixées par la LPM. Il aurait le double avantage de contribuer au redressement notre industrie de défense et de renforcer la souveraineté de la France et de l’Europe. Comment la DGA a-t-elle identifié les PME et TPE à protéger et consolider ?
M. Jean-Michel Jacques. Il apparaît nécessaire de renforcer la recherche et le développement sur un plan dual. Quelles sont vos pistes de réflexion pour vous libérer du poids de certaines réglementations dans un contexte de contraintes budgétaires renforcées ? Comment entendez-vous vous renouveler ?
M. Joaquim Pueyo. Pour réussir le rattrapage, le dialogue social est incontournable. Comment se déroule-t-il ? Quelles exigences posent les organisations professionnelles, notamment en matière de protection des salariés ? S’agissant des retards de livraison, envisagez-vous des réorientations pour la production de certains équipements à la faveur de la révision de la LPM en 2021 ?
M. Yannick Favennec Becot. Pensez-vous que la baisse d’activité industrielle, de l’ordre de 40 %, pourrait affecter le bon déroulement de nos opérations extérieures ? Je pense en particulier à la livraison des drones Reaper au Sahel.
M. Alexis Corbière. La DGA est mobilisée pour mesurer l’efficacité des masques grand public. Est-il question d’une homologation ? Combien d’entreprises seraient concernées ? Quelles sont leurs capacités de production ?
M. André Chassaigne. Avez-vous repéré, parmi les 2 500 projets recueillis lors de l’appel à projets lancé par l’AID, des propositions portant sur la production de nouvelles solutions de décontamination, la détection du virus dans l’environnement et la facilitation du déploiement d’hôpitaux de campagne ?
M. Joël Barre. Concernant les PME-ETI, c’est une de nos préoccupations majeures, comme je l’évoquais dans mon propos introductif. Nous avons ouvert un site permettant aux PME et ETI impliqués dans nos programmes d’armement de nous saisir de leurs difficultés. Nous préparons un plan d’actions de suivi rapproché pour déterminer ce que nous pouvons faire pour assurer la soutenabilité des 1 400 entreprises considérées comme critiques pour la BITD. Dans le domaine des PME-ETI, nous nous concentrons, dans le domaine de l’aéronautique, sur les entreprises duales, travaillant tant pour le civil que pour le militaire, car la crise de l’aéronautique commerciale, majeure, aura inévitablement des conséquences sur le plan industriel.
D’une manière générale, nous aurons à rattraper les retards que nous avons pu prendre en 2020 par rapport à la LPM. L’objectif est que ceux-ci soient rattrapés d’ici fin 2021. Par exemple, le retard pris en 2020 dans la livraison des véhicules Griffon, Jaguar et Serval à l’armée de terre sera rattrapé au plus tard fin 2021.
L’augmentation budgétaire de 1,7 milliard d’euros prévue par la LPM pour 2021 soutiendra notre activité économique et la BITD. L’activité de défense est un outil de souveraineté sur lequel nous pouvons miser pour fournir les capacités nécessaires à nos armées ; c’est un domaine dans lequel nous avons démontré notre efficacité économique – effet de levier des investissements dans le secteur de la défense, emplois hautement qualifiés et difficilement délocalisables répartis sur tout le territoire. Nous devons poursuivre notre stratégie d’innovation en prenant le relais des industriels rencontrant des difficultés pour financer la R&D. Nous souhaitons pérenniser, en relation avec Bercy, les mesures que nous avons prises pour faciliter les paiements car elles permettent des gains d’efficacité.
Nous avons mené un dialogue social approfondi – 80 % des effectifs de la DGA sont composés de personnels civils – en réunissant le comité technique de réseau, équivalent du comité social et économique (CSE). Nos dispositions de travail doivent par ailleurs être agréées par les CHSCT au niveau central et au niveau local.
Le retard pris dans la fourniture des Reaper n’est pas critique mais il faut rester vigilant. Les essais de réception des avions du quatrième système Reaper, prévus au mois de mai, ont été décalés au mois de juillet, sans conséquence sur la date de début de vol dans la bande sahélo-saharienne.
Concernant les masques, nous avons mis à la disposition des autorités sanitaires et industrielles (ministère de la santé et ministère de l’économie) nos moyens d’expertise et d’essais de notre centre DGA MNRBC de Vert-le-Petit. Ce centre teste les échantillons fournis de manière à permettre de créer cette nouvelle catégorie de masques « grand public » qui viendra compléter les masques FFP2 et chirurgicaux que les personnels soignants utilisent. Le centre a multiplié par cinq ses capacités de tests et analyse 80 échantillons de masques « grand public » par jour ; 400 entreprises ont proposé leurs produits. Nous n’avons pas de visibilité sur la production et la commercialisation des masques : cela relève du ministère de l’économie.
L’appel à projets de l’AID devrait permettre de retenir trente à quarante projets, certains concernant la protection des armées ; nous engagerons la totalité des 10 millions d’euros prévus. Des programmes pourront bénéficier de l’accélération induite par cet appel à projets dans plusieurs domaines comme la protection, la détection, le diagnostic, qui sont des thématiques bien représentées dans les projets sélectionnés.
M. Olivier Becht. Nous sommes dépendants de la Chine pour la production de masques mais le blocage de ce pays a retardé les livraisons de plusieurs semaines. Lorsque nous nous étions interrogés sur la nécessité de créer une filière française ou européenne pour la production de munitions de petit calibre, il nous avait été répondu que nous trouverions toujours à nous fournir dans certains pays, comme le Brésil. L’épisode des masques ne devrait-il pas nous inciter à revoir cette stratégie et à assurer une souveraineté française ou européenne dans nos approvisionnements militaires ?
M. Jean-Pierre Cubertafon. Le prototype de respirateur artificiel MakAir est le premier projet universitaire à recevoir le soutien financier de la DGA et de l’AID. Ce montage aura-t-il vocation à se reproduire ?
Mme Patricia Mirallès. Le matériel militaire multiconfigurable permet aux armées de venir en appui au secteur civil en cas de crise. La DGA fera-t-elle évoluer ses conditions d’acquisition afin d’intégrer ces aspects multimodaux ?
M. Charles de La Verpillière. Le développement du télétravail peut fournir aux services de renseignement étrangers et aux concurrents des opportunités de pénétration de nos entreprises. La DGA a-t-elle sensibilisé les industriels à ce risque ?
M. Thomas Gassilloud. Pouvez-vous faire le point sur le programme MGCS ? Quel est l’effet multiplicateur de l’investissement dans la filière industrielle de défense, en matière d’emplois et en points de PIB ?
M. Fabien Lainé. Comparativement aux grandes puissances, où en est la transformation numérique de notre outil de défense ? Les pilotes de chasse sur Rafale n’ont toujours pas de viseurs alors que les Grecs en ont depuis 2010. Le pod de désignation Damoclès est très en retard – les militaires préfèrent utiliser leurs jumelles plutôt que Damoclès ! Où en est le Talios ?
M. Joël Barre. Sur le plan de la souveraineté dans les équipements de défense, la revue stratégique de l’été 2017, qui a montré nos dépendances au travers de l’achat d’équipements et de composants américains, doit être actualisée à la lumière de l’évolution du contexte géostratégique et des menaces, dans le cadre de l’actualisation de la LPM.
Le marché français des munitions de petit calibre est négligeable par rapport au marché mondial : si nous voulions être indépendants, cela nous coûterait très cher. De plus, plusieurs pays sont susceptibles de nous les fournir – Royaume-Uni, Suisse, Allemagne, Italie, Norvège, Israël, Émirats Arabes Unis, USA, Brésil. La crise actuelle ne remet pas en cause l’analyse de la filière que nous avions menée en 2018 mais il faut se reposer la question de la souveraineté en des termes plus larges.
Le projet MakAir vise le développement rapide d’un respirateur pour le traitement d’urgence des patients en détresse respiratoire aiguë infectés par le Covid-19. Le projet est conçu dans le but exclusif d’apporter rapidement une capacité ventilatoire d’urgence. Son ambition est d’aboutir à la production de masse de respirateurs, envisagée à très court terme à plusieurs centaines d’unités par jour.
Nous tenons compte des risques en matière de cybersécurité. Le rendement du télétravail n’est pas égal au travail sur site car nous ne prenons aucun risque en la matière. Nous avons sensibilisé les industriels à ce sujet et avons passé des conventions avec nos maîtres d’œuvre pour agir en faveur de la cybersécurité.
Concernant le programme MGCS, nous attendons dans les prochains jours la notification du premier contrat d’études d’architecture système, qui durera 18 mois. Ce contrat de 15 millions d’euros pour l’industrie française – Nexter étant notre tête de file – et de 15 millions d’euros pour l’industrie allemande est le résultat des négociations menées avec les allemands depuis l’automne 2019 simultanément sur le renouvellement des systèmes de combat aériens et terrestres.
Nos retards capacitaires doivent être comblés au titre de la LPM 2019-2025, axée sur un modèle d’armée 2030. Nous mettons également la pression sur les industriels pour qu’ils honorent leurs engagements et rattrapent le cas échéant leurs retards de livraison le plus rapidement possible. Le retard de Thales dans la production du Talios est en cours de résorption : les premiers Talios ont été livrés et sont en opération dans l’armée de l’Air et la Marine ; une dizaine d’autres sera livrée cette année.
Nous ferons un retour d’expérience de la crise dans les semaines qui viennent : il devra être intégré dans l’actualisation de la LPM de 2021 et tiendra compte de la question des programmes multimodaux.
M. Jean-Charles Larsonneur. Dans un contexte de tension croissante pour l’industrie et pour le budget de la défense, quels efforts devrons-nous produire pour assurer le soutien aux exportations (Soutex) dans ce domaine ? Notre industrie bénéficie de la commande publique, mais elle a aussi besoin d’exporter.
Quel est par ailleurs votre sentiment sur la protection de nos actifs stratégiques et sur le contrôle des investissements étrangers en France ? Le décret Montebourg a été élargi en décembre dernier et a servi récemment dans l’affaire de l’entreprise Photonis ; Bruno Le Maire vient d’annoncer un nouveau décret qui abaissera jusqu’à fin 2020 de 25 % à 10 % le seuil à partir duquel seront contrôlées les prises de participation, mais seulement pour les entreprises cotées, donc pas les PME ni les ETI. D’après les groupements industriels que nous avons rencontrés récemment, les dispositifs existants sont relativement bien adaptés ; mais peut-être serait-il préférable de suivre le modèle américain du “safe use”, qui a des vertus en matière de flexibilité et de pragmatisme par rapport à l’approche européenne, plus réglementaire et plus normée.
M. Thibault Bazin. S’agissant des masques que vous avez testés pour les entreprises, avez-vous répondu à toutes les sollicitations, allez-vous continuer à le faire, et dans quel délai avez-vous réagi pour traiter les demandes d’homologation ? Prévoyez-vous d’accompagner les livraisons du programme SCORPION en modifiant voire en créant des infrastructures, afin de protéger durablement les véhicules qui seront livrés et d’assurer éventuellement leur maintenance à proximité ?
M. Pierre Venteau. Notre base industrielle et technologique de défense (BITD) a plus que jamais besoin de la commande publique. Les responsables des différents groupements de l’armement prônent une relance appuyée notamment sur la recherche et développement. Cependant, deux grandes menaces guettent ce projet : d’une part, l’absence de débouchés futurs dans un contexte de concurrence exacerbée et de réduction des commandes publiques et privées ; d’autre part, le risque que ces leviers de financement n’atteignent pas que les entreprises françaises.
Pour parer au risque d’un choc de demande, faut-il élargir les compétences de la DGA ? Le cas échéant, quels sont les moyens dont elle devra disposer pour supporter cette casquette supplémentaire de conseil au développement ?
Pour mieux cibler les entreprises françaises, la DGA et l’AID sont-elles en mesure de se rapprocher des collectivités territoriales pour imaginer une déclinaison plus locale des appels à projets ?
M. Christophe Blanchet. Dans quel délai avez-vous répondu aux 400 entreprises qui vous ont envoyé des masques grand public pour validation ? Avez-vous reçu des masques grand public de la part des associations qui en ont fabriqué ? Et sur les 1 000 rapports que vous avez effectués, combien ont été positifs ? Combien coûte un test à l’entreprise ou à l’association qui en fait la demande ? Et en cas de validation, qu’est-ce qui stipule que le masque est agréé ? Par exemple, un visuel est-il prévu à destination du consommateur ?
M. Patrice Verchère. Le groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS), le groupement des industries de construction et activités navales (GICAN), et le groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT) s’accordent sur la nécessité d’un plan de relance au niveau de l’industrie de l’armement. Avez-vous une idée de l’enveloppe qu’il faudrait consacrer à ce plan de relance, afin de maintenir nos savoir-faire et récupérer de la souveraineté en la matière ?
Mme Séverine Gipson. La capacité de nos industries à honorer leurs contrats peut être réduite du fait du confinement et de la crise sanitaire. Les difficultés budgétaires engendrées par le soutien des gouvernements à leurs économies peuvent aussi les amener à revoir le périmètre de leurs contrats. Les effets de cette crise sanitaire sur la BITD font-ils peser des interrogations sur la pérennité des contrats signés par la France ? Ces interrogations peuvent-elles pousser les clients comme Dassault Aviation ou Naval Group à se tourner vers d’autres industriels ? Et quel impact la crise sanitaire pourrait-elle avoir sur nos futurs contrats ?
M. Jacques Marilossian. Mme de Montchalin a expliqué ce lundi en commission des affaires européennes que le fonds européen de défense (FED) ne serait pas sacrifié sur l’autel du Covid-19, car l’industrie de défense est source d’emploi et d’innovation, et constitue un facteur clé d’autonomie stratégique. Disposez-vous d’éléments d’information laissant penser que cette position française est bien partagée par nos partenaires les plus proches – Allemands, Italiens, Espagnols –, et que les projets en cours dans le cadre de l’EDIDP 2019-2020 ne seront pas trop bouleversés ?
M. Christophe Lejeune. Les prototypes de masques qui vous sont transmis correspondent-ils généralement au cahier des charges en matière d’efficacité de filtration et de pourcentage d’arrêt des particules ? Et quel est le coût de chaque test effectué, à la fois pour la DGA et pour les entreprises candidates à l’homologation ? Enfin, avez-vous restructuré vos équipes pour faire face aux très nombreuses demandes, et avez-vous hiérarchisé ces demandes en fonction de la capacité de production de chaque entreprise ?
M. Joël Barre. Je ne peux pas vous confirmer les chiffres parus dans La Tribune, qui situe la valeur du multiplicateur de croissance de l’investissement de défense à 1,27 à court terme, et à 1,68 à long terme. Il est à mon sens très difficile d’obtenir un chiffre global. Je n’ai aucun doute sur l’efficacité économique de l’activité de défense, qui irrigue l’ensemble des territoires et dont les retombées en matière d’emploi sont avérées. Je regarderai de plus près les différents travaux sur ce sujet pour vous fournir prochainement une réponse quantifiée.
Le soutien à l’exportation est fondamental. Nous avons pris contact avec l’ensemble de nos clients pour appuyer la demande des industriels relative à la clause de force majeure, et nous avons reçu de leur part des retours compréhensifs. Notre politique d’exportation devra être suivie de très près, car certains de nos clients subiront des contraintes budgétaires qui les conduiront peut-être à retarder certains projets, voire à les annuler. Nous ferons face également à une concurrence exacerbée de la part des industriels des autres pays. La publication du rapport annuel sur les exportations d’armement est prévue prochainement ; un point pourra être fait dans quelques semaines sur la situation actuelle et sur les perspectives à court et moyen terme.
Il faut être attentif à notre dispositif d’actifs stratégiques, car la crise, en les fragilisant, risque de rendre vulnérables certaines de nos entreprises. Je découvre avec satisfaction la mesure visant à abaisser le seuil d’intervention possible à 10 %. Nous devons disposer de moyens d’action aussi puissants que possible pour nous opposer à toute tentative de « prédation ».
Concernant la mise en place de la filière de masques grand public, nous avons mis nos moyens d’expertise et d’essai à la disposition des ministères de la santé et de l’économie, qui pilotent le projet de mise à disposition des masques grand public. Nous le faisons gratuitement vis-à-vis des industriels qui nous proposent des produits. Nous avons multiplié par cinq nos capacités d’essai depuis le début de la crise : nous testons actuellement 80 échantillons de masques par jour. Nous pouvons difficilement aller au-delà, mais cela nous a permis de tester à peu près un millier d’échantillons, dont un peu moins de 300 ont été classés en catégorie 2 et un peu plus de 500 en catégorie 1, ce qui donne environ 80 % de réponses positives. Les différentes propositions empruntent toutes le circuit de saisine de notre centre d’expertise, qui passe par la direction générale des entreprises (DGE) mais aussi par l’institut français du textile et de l’habillement (IFTH), notamment pour les dispositions de lavage. Nous ne connaissons pas les capacités de production associées à chacune des propositions ; c’est aux deux ministères concernés de s’en préoccuper.
La DGA s’emploie d’ores et déjà à faire davantage pour aider les PME et les ETI. Elle a aussi mis en œuvre la territorialisation des actions. Dans la plupart des centres techniques de la DGA situés en province, nous avons engagé la création de clusters d’innovations qui constituent à l’échelon local et régional le relais de l’AID, en relation avec les pôles de compétitivité régionaux.
Nous serons en mesure de vous répondre plus précisément sur l’enveloppe éventuelle qu’il faudrait consacrer à un plan de relance, lorsque nous aurons analysé toutes les propositions industrielles que nous recevons.
Sur l’Europe, je n’ai pas d’informations particulières à fournir sur les discussions qui peuvent avoir lieu à Bruxelles à propos du budget du FED dans le cadre du prochain agenda 2021-2027. Il est important que ce fonds soit confirmé. En attendant, nous nous employons à faire en sorte que les actions menées au travers de l’EDIDP soient couronnées de succès, afin qu’elles ne servent pas de prétexte à une diminution des objectifs du FED. Nous avons proposé une contribution de l’EDIDP au programme Eurodrone, et au programme de radio logicielle interopérable, nous soutenons les projets industriels européens d’intérêts proposés aux appels à projets de 2019 et nous préparons les réponses attendues pour la fin de l’année pour l’appel à projets 2020.
Nous avons pris des dispositions permettant de neutraliser dans nos contrats les retards consécutifs à la crise. Nous passerons les avenants nécessaires avec nos industriels pour adapter les échéanciers de livraisons, avec l’objectif de rattraper les retards d’ici à la fin de l’année prochaine.
Mme Natalia Pouzireff. J’aimerais connaître l’état d’avancement de l’Eurodrone MALE, et savoir si nous nous acheminons vers une solution acceptable en matière de définition mais surtout de prix.
M. Joël Barre. L’organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAR) est en charge du programme, en liaison avec les quatre pays participants – la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne ; nous poursuivons la négociation avec le trio industriel constitué par Airbus Defence and Space, Dassault Aviation et Leonardo. J’espère qu’elle aboutira dans les semaines qui viennent, de manière à ce que nous puissions converger sur les conditions de réalisation du programme avant l’été.
Mme la présidente Françoise Dumas. Peut-être d’autres dispositifs viendront-ils renforcer les liens entre les entreprises et la DGA afin d’apporter les meilleures réponses en soutien au plan de relance de la défense.